LE PONT DE CASSANDRA (1976)

Un train, mille voyageurs et un homme infecté par un dangereux virus qui menace de se propager à toute vitesse…

CASSANDRA CROSSING

1976 – USA

Réalisé par George Pan Cosmatos

Avec Sophia Loren, Richard Harris, Ava Gardner, Burt Lancaster, Martin Sheen, O.J. Simpson, John Philip Law, Lesley Ann Warren

THEMA CATASTROPHES 

Dix ans avant de flatter les gros bras de Sylvester Stallone dans Rambo 2 et Cobra, George Pan Cosmatos signait cet excellent film catastrophe quelque peu atypique. Tout démarre à Genève, dans le bâtiment de l’organisation mondiale de la santé. Trois terroristes suédois s’infiltrent dans le but de faire sauter l’immeuble. Militant énergiquement contre la guerre bactériologique, ils veulent dénoncer les Etats-Unis qui cultivent là de dangereux bacilles. Deux d’entre eux sont abattus, mais le troisième parvient à s’échapper et à s’introduire clandestinement dans le Transcontinental Express qui relie Genève à Stockholm. Plus de mille voyageurs occupent ce train. Or notre homme est désormais atteint de peste pneumonique, une maladie mortelle et extrêmement contagieuse… 

Fort de ce postulat palpitant, Le Pont de Cassandra nous offre deux heures de suspense non-stop. Respectant les conventions du genre, le film nous familiarise avec une poignée de protagonistes de la haute société, incarnés de préférence par des têtes d’affiche sur le retour. Nous avons droit au colonel Steven McKenzie des services secrets de l’armée américaine (Burt Lancaster), au docteur Jonathan Chamberlain récipiendaire du prix Nobel de médecine (Richard Harris), à son ex-femme écrivain Jennifer (Sophia Loren), à l’épouse d’un trafiquant d’armes Nicole Dressler (Ava Gardner), à son amant alpiniste et chevelu affectueusement surnommé « mamour » (Martin Sheen) ou encore à un faux curé (O.J. Simpson). Lorsque le terroriste infecté se met à déambuler dans le train, côtoyant les passagers, touchant les enfants et les bébés, évoluant dans la cuisine et palpant les aliments, l’angoisse monte crescendo, annonçant les meilleurs moments des variantes ultérieures sur le genre (notamment Alerte de Wolfgang Petersen ou l’excellente saison 3 de la série 24 Heures Chrono). Bientôt, l’homme est retrouvé agonisant et sombre dans le coma. Tandis que les premiers symptômes de la contagion gagnent les passagers (grippe, frissons, fièvre), le train se dirige vers la Pologne et un hélicoptère de secours le prend en chasse, évitant in-extremis la collision. En désespoir de cause, l’armée intercepte le train à Nuremberg, scelle ses issues et y fait monter une unité médicale. Les passagers sont malmenés, fouillés, enfermés, et l’oppression monte d’un cran. 

L'apocalypse aura-t-elle lieu ?

Le but de la manœuvre est d’arrêter le convoi à Janov, au niveau du Pont de Cassandra, où est postée une unité de quarantaine et de décontamination. Mais ce fameux pont, désaffecté depuis les années 40, résistera-t-il au poids du train ? D’où l’allusion au personnage antique de Cassandre, qui prophétisait des malheurs auxquels personne ne croyait. Généreux en rebondissements, le scénario alterne les séquences d’action mouvementées et les drames à échelle humaine, le plus poignant étant probablement celui de Kaplan, le vieux juif qui s’était juré de ne plus jamais retourner en Pologne depuis la shoah et à qui ces événements rappellent d’autres sinistres trains. Le tout s’achève sur un climax apocalyptique et inoubliable, aux accents d’une partition énergique et surprenante signée Jerry Goldsmith.
 
© Gilles Penso

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LA COULEUR TOMBÉE DU CIEL (2019)

Après une trop longue absence, Richard Stanley adapte H.P. Lovecraft avec panache en offrant un rôle d'halluciné à Nicolas Cage

COLOR OUT OF SPACE

2019 – USA

Réalisé par Richard Stanley

Avec Nicolas Cage, Joely Richardson, Q’orianka Kilcher, Tommy Chong, Julian Hilliard, Madeleine Arthur, Elliot Knight

THEMA MUTATIONS

« La couleur tombée du ciel » est probablement l’un des textes les plus terrifiants jamais écrits par H. P. Lovecraft. En une quarantaine de pages, toute l’essence de son œuvre tourmentée s’y déploie, en un condensé intense d’horreurs indicibles et de peurs primaires. L’adaptation cinématographique d’un tel récit a toujours constituée une gageure. Certains s’y sont essayés, de manière officielle (Die Monster Die, La Malédiction Céleste, Die Farbe) ou non (le second sketch de Creepshow par exemple), mais aucun réalisateur n’était encore parvenu à plonger fidèlement dans les ténèbres protéiformes de l’écrivain de Providence pour les projeter sur un écran de cinéma… aucun jusqu’à Richard Stanley. « Les branches se tendaient toutes vers le ciel, coiffées de langues d’un feu immonde, et des ruissellements chatoyants de ce même feu monstrueux se glissaient autour des poutres de faîtage de la maison, de la grange, des apprentis »… Qui d’autre que l’auteur de Hardware aurait pu traduire en images et en sons de telles descriptions échappant aux canons cinématographiques traditionnels ? Cette réussite est d’autant plus remarquable que Stanley se brûla les ailes sur le tournage de L’Île du Docteur Moreau et vit son élan stoppé net sans espoir de retour. Il faut croire que notre homme attendait le bon projet pour rebondir. Et quel retour en force ! Color out of Space est probablement son film le plus abouti visuellement et le plus rigoureux narrativement. 

Pour décrire sans fard la démence gagnant les malheureux protagonistes du récit, il lui fallait des comédiens prêts à s’investir viscéralement dans leur rôle. A ce titre, Nicolas Cage est le choix parfait. Ceux qui sont allergiques aux excès exubérants de la star de Sailor et Lula seront probablement rebutés par ses moments de folie furieuse et de frénésie, qui nous ramènent à l’époque de Embrasse-moi Vampire. Mais ceux qui accepteront de jouer le jeu entreront dans la peau de ce paisible père de famille soudain victime du déchirement incompréhensible du voile de la réalité. La noirceur chère à Lovecraft se teinte souvent ici d’un humour grinçant, absurde ou désespéré, propre à la personnalité même du cinéaste qui, au détour d’une séquence savoureuse au second degré, montre son infortuné héros basculer dans l’ostracisme et la démence en regardant sur son téléviseur l’extrait d’un film mettant en vedette Marlon Brando. L’allusion au cauchemar que représenta le tournage de L’Île du Docteur Moreau n’échappera à personne. 

L'horreur indicible

Pour ses retrouvailles avec le grand écran, après vingt ans de rendez-vous manqués et de projets ajournés (et après un court-métrage inspiré par Clark Ashton Smith dans l’anthologie The Theatre Bizarre), Stanley a décidé de mettre les formes. L’esthète révélé au début des années 90 n’a rien perdu de sa créativité artistique. La photographie signée par Steve Annis est magnifique, la musique de Colin Stetson occupe l’espace avec une ample étrangeté, les effets visuels surprenants tutoient le surréalisme et les effets spéciaux physiques extrêmes nous ramènent aux grandes heures de The Thing. Quoi de plus naturel quand on sait que John Carpenter et Rob Bottin s’étaient justement largement laissés influencer par les écrits de Lovecraft ?

 

© Gilles Penso

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SCARY STORIES (2019)

Guillermo del Toro produit ce film à sketches inspiré par les nouvelles d'Alvin Schwartz et dirigé par le réalisateur de The Troll Hunter

SCARY STORIES TO TELL IN THE DARK

2019 – USA

Réalisé par André Øvredal

Avec Zoe Margaret Colletti, Michael Garza, Austin Abrams, Gabriel Rush, Austin Zajur, Natalie Ganzhom, Dean Norris, Gil Bellows, Doug Jones

THEMA DIABLES ET DÉMONS

A l’origine, plusieurs recueils de nouvelles pour enfants (souvent basées sur des légendes urbaines) signées Alvin Schwartz entre 1981 et 1991, agrémentées des terrifiantes illustrations de Stephen Gammell, occasionnant de sacrés cauchemars aux lecteurs les plus aventureux, dont un certain Guillermo Del Toro. Ce dernier ira même, dans une période financière difficile, jusqu’à s’endetter pour acquérir un dessin original, preuve d’amour irréfutable qui ne pouvait se solder que par une adaptation cinématographique. Au départ envisagé pour la réaliser lui-même, le Mexicain préfère déléguer le poste à son seul et unique choix, le norvégien André Øvredal, dont il adore le fameux The Troll Hunter et le soigné The Jane Doe Identity. Del Toro, épaulé par le duo Patrick Melton/Marcus Dunstan (scénaristes de plusieurs épisodes de la saga Saw), décide de porter à l’écran les histoires les plus traumatisantes de Schwartz, et, plutôt que de suivre à la lettre la formule structurelle usuelle du film à sketches, fusionne plusieurs récits indépendants avec son intrigue principale (à l’image du majestueux Trick r’ Treat de Michael Dougherty). A savoir les pérégrinations d’un groupe de jeunes amis menés par Stella, romancière en herbe, découvrant le soir d’Halloween un livre écrit par la mystérieuse Sarah Bellows, ouvrage qui semble déceler leurs peurs les plus intimes et les matérialiser…

L’une des qualités premières de l’entreprise est de ne pas surfer sur la vague Stranger Things et sa nostalgie des glorieuses années 80 qui commence dangereusement à sentir le réchauffé (malgré une affiche française opportuniste qui, elle, ne s’est pas privée de l’analogie). L’action se situant à la fin des années 60 porte plutôt le sceau de Stephen King et de sa contextualisation historique et politique, rappelée ici à plusieurs reprises
par des écrans de télévision affichant des images du conflit au Vietnam et de l’élection de Richard Nixon. La décision de respecter la cible enfantine du matériau originel est ouvertement assumée : ici point d’éclaboussures gore ou de tension insoutenable. A l’instar de La Prophétie De L’Horloge et ses explosions de citrouille, les moments de violence sont habilement détournés (voir la séquence de l’épouvantail où la paille remplace le sang). Les aficionados de Chair De Poule seront donc aux anges, les autres pourront toujours passer poliment leur chemin. La patte poétique de Del Toro demeure néanmoins bien prégnante, sa passion immodérée pour les monstres s’exprimant à la moindre occasion et bénéficiant au maximum d’effets spéciaux en dur. L’admiration du bonhomme pour le travail d’orfèvre de Gammell n’est également jamais démentie, la direction artistique et le design des créatures infernales venues tourmenter nos héros demeurant d’une fidélité exemplaire au coup de crayon du dessinateur.

Monstres en série

La bonne idée est d’avoir assigné à chacun ses propres bourreaux et segments en fonction de sa personnalité et de ses démons spécifiques : Ramon le Mexicain essaye d’échapper au service militaire et au racisme, il se voit poursuivi par l’impitoyable Jangly Man, désarticulé et morcelé comme lui au niveau identitaire ; Auggie est obsédé par le manger sain et déguste un ragoût dans lequel nage un gros orteil au détour d’une scène qui convoque le grotesque très comic book d’un Creepshow ; Chuck est étouffé par sa mère et se retrouve en proie à l’affection suffocante de la Pale Lady (homologue féminin du Pale Man du Labyrinthe de Pan au sourire dérangeant qui s’octroie la meilleure séquence) etc… Cette lecture psychologique, saupoudrée d’une réflexion en filigrane sur le pouvoir salvateur et évocateur de l’écriture, élève le métrage au-delà du tout-venant horrifique actuel. On pourra cependant reprocher à Guillermo, dans sa vampirisation du projet, d’en troubler l’originalité, l’œuvre se rapprochant par trop de ses propres travaux de cinéaste ou de producteur (on pense autant à Mama qu’à Crimson Peak), tout comme on sera en droit de le blâmer, du fait de son intention honorable de proposer un spectacle familial, d’annihiler la possibilité de toute angoisse véritable passé l’âge de rigueur. Si Scary Stories laisse au final peu de traces inconscientes une fois le générique de fin terminé, accusant un flagrant déficit de moments marquants et quelques longueurs, ce ténébreux livre d’images sait toutefois assez bien jouer de son charme suranné et bricolé pour permettre de passer un bon moment à l’ancienne. 

© Julien Cassarino

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LA FOIRE DES TENEBRES (1983)

Une somptueuse adaptation de Ray Bradbury produite à une époque où les studios Disney ne reculaient devant aucune audace

SOMETHING WICKED THIS WAY COMES

1983 – USA

Réalisé par Jack Clayton

Avec Jonathan Pryce, Jason Robards, Pam Grier, Diane Ladd, Royal Dano, Vidal Peterson, Shwan Carson, Richard Davalos

THEMA DIABLES ET DÉMONS

A l’aube des années 80, les studios Disney traversent une passe difficile : le jeune public se tourne vers un cinéma plus moderne. La réponse de Walt n’attendra pas, avec notamment l’effrayant Les Yeux de la forêt en 1980 qui ne trouvera pas son public. Pas tout à fait échaudée, la maison-mère s’intéresse alors au roman culte de Ray Bradbury, La Foire des ténèbres, que l’auteur désire ardemment porter à l’écran et qui aurait traumatisé durablement le jeune Stephen King. John Carpenter est un temps envisagé à la mise en scène ainsi que Joe Dante, mais le romancier voudrait Steven Spielberg ou David Lean. Au final, Jack Clayton, le réalisateur des majestueux Innocents passe derrière la caméra. Walter Matthau ou Hal Holbrook  sont en lice pour le rôle de Charles Halloway, mais c’est Jason Robards qui l’emporte, tandis que l’ambigu Jonathan Pryce, futur héros de Brazil, est l’heureux élu pour incarner l’inquiétant Mr. Dark. L’équipe technique s’enrichit du directeur de la photographie Stephen H. Burum (L’Emprise), du concepteur artistique Richard MacDonald (Exorciste 2 : L’Hérétique), et du superviseur des effets spéciaux révolutionnaires de Tron, Peter Anderson.

Les visions internes diffèrent : Bradbury veut coller au plus près de la noirceur de son roman initial, et Clayton souhaite livrer un divertissement plus familial. La sortie est considérablement repoussée, des reshoots de séquences spectaculaires ainsi qu’un nouveau montage sont commandés à Lee Dyer, un réalisateur de seconde équipe, et le scénariste John Mortimer est dépêché pour retravailler le script. Le compositeur Georges Delerue fait aussi les frais du remaniement : son score, jugé trop sombre (il convoquait pourtant les plus belles heures de la musique classique russe), est évincé au profit du jeune loup James Horner. Malgré sa gestation tourmentée, la puissance évocatrice du matériau d’origine est miraculeusement retranscrite, dès les premiers plans restituant les couleurs rougeoyantes de l’automne dans un Technicolor resplendissant. Un ample mouvement de grue suffit pour définir avec simplicité les personnages principaux : Will et Jim, figures à la fois jumelles et antagonistes, Charles, le père de Will qui noie sa mélancolie dans une fuite éperdue de la réalité, les habitants de Greentown, tous portés sur un ailleurs chimérique ou pleurant un passé enfoui, et l’effrayant Mr. Dark qui électrifie l’image à chaque nouvelle apparition. Le réalisateur distille une atmosphère délétère proche des fleurons gothiques de la Hammer dès l’arrivée nocturne du train des forains, véhicule-personnage imposant, suivie du parcours des enfants jusqu’à la fête à travers un cimetière à la poésie macabre parcouru par une fumée phosphorescente sortie tout droit d’un Dracula.

La monstrueuse parade

Le combat idéologique déterminant entre Mr. Dark, représentant infernal d’une force séculaire, et Mr. Halloway, gardien du temple de la connaissance (disant se nourrir, lui, des rêves de son prochain et non de ses cauchemars comme son adversaire) aura lieu dans une immense bibliothèque où chaque page arrachée d’un ouvrage équivaut à une année de vie en moins, tandis que les enfants se réfugieront littéralement dans les livres pour se cacher du démon. La ville sera sauvée par l’amour filial retrouvé de Will qui délivrera Charles de sa culpabilité : celui qui n’avait jamais totalement assumé son rôle de père triomphe ici par la transmission de sa sagesse, et la résilience lui permettant d’assumer ses erreurs passées l’amène à enfin embrasser un bonheur apaisé. Ces résonances philosophiques ne trouveront pas grand écho chez les spectateurs de l’époque, le film ne remportant pas la moitié de sa mise. Ce conte fiévreux traversé de visions très osées dans l’univers Disney (la tête coupée et ensanglantée de Will, l’éveil voyeuriste à la sensualité de Jim, la déesse de la Blaxploitation Pam Grier ralentissant les battements de cœur de Charles, un cadavre final décharné à la Poltergeist) n’a pourtant cessé d’influencer l’imaginaire collectif, de David Lynch à Harry Potter en passant par Neil Gaiman, Tim Burton et évidemment Big, aux thématiques similaires. Juste retour des choses.

 

© Julien Cassarino

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AVENGERS ENDGAME (2019)

La conclusion d'une gigantesque saga qui se sera déployée pendant dix ans

AVENGERS ENDGAME

2019 – USA

Réalisé par Anthony et Joe Russo

Avec Robert Downey Jr, Chris Evans, Chris Hemsworth, Josh Brolin, Brie Larson, Scarlett Johansson, Mark Ruffalo

THEMA SUPER-HÉROS I VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA MARVEL I AVENGERS I CAPTAIN AMERICA I IRON MAN I THOR I SPIDER-MAN

Le cliffhanger d’Avengers : Infinity War était vertigineux et générait une attente forte attisée par les séquences finales de Ant-Man et la Guêpe et Captain Marvel. Comment ne pas décevoir les expectatives de tant de spectateurs tout en servant de point de conjonction à tous les longs-métrages de la franchise Marvel ? Le pari était difficile et les nombreuses scories de l’épisode choral précédent, peinant souvent à remplir son cahier des charges hypertrophié, laissaient imaginer les difficultés auxquelles firent face les frères Russo. La réussite de cette apothéose filmique, conçue comme le climax impensable de 21 longs-métrages consécutifs, n’en est que plus spectaculaire. 

Le tout premier Avengers de Josh Whedon reposait sur le motif du déséquilibre, celui d’une équipe de super-héros aux personnalités fortes s’efforçant maladroitement d’effacer leurs différences pour tenter d’agir ensemble avec complémentarité, sans jamais y parvenir totalement. Cet ultime opus cherche à retrouver l’équilibre, en passant par un nombre d’étapes et de péripéties nécessaires justifiant la longueur du métrage (180 minutes). Au commencement est le chaos. La société humaine cherche à se reconstruire après la disparition de la moitié de son effectif. Au lieu de profiter de la place laissée vacante pour prospérer, les survivants pansent leurs blessures, pleurent leurs disparus et refusent d’oublier. Le mal est-il encore réparable ? Captain America veut y croire. L’arrivée d’une nouvelle héroïne surpuissante, Captain Marvel, et le retour d’Ant-Man après son odyssée dans l’univers quantique semblent pouvoir changer la donne. Mais comment convaincre les Avengers encore vivants de refaire équipe ? Et comment s’assurer que les théories de voyage temporel déduites de l’expérience de Scott Lang pourront permettre de faire machine arrière ? La mission semble impossible, mais est-il envisageable de ne pas la tenter ?

Un climax étourdissant

Tout résoudre en empruntant les chemins les plus tortueux : cet objectif est à la fois celui des héros du film et des réalisateurs, le phénomène de mise en abyme accroissant de fait l’implication du public. Bien sûr, la voie que choisissent les frères Russo est tout aussi hasardeuse que celle de leurs protagonistes de fiction. Avengers Endgame n’évite pas les raccourcis scénaristiques excessifs et jongle avec les notions de paradoxes temporels sans trop de rigueur. Mais comment ne pas s’enthousiasmer face à l’ambition étourdissante du long-métrage, face à sa gestion inattendue des ruptures de rythme, face à ses choix audacieux concernant certains personnages (tout le monde n’appréciera pas les traitements réservés à Thor et Hulk) et face à sa volonté manifeste de refermer toutes les portes ouvertes au fil des nombreux épisodes de la saga ? Mieux : l’un des défauts majeurs du film précédent, qui consistait à ne pas savoir gérer son trop-plein de personnages, s’est sensiblement estompé. Avengers Endgame est justement centré sur ses enjeux humains, malgré la dimension interplanétaire de son récit. Voilà pourquoi le rire et les larmes sont aux rendez-vous. On n’espérait plus pouvoir ressentir d’émotions aussi simples, aussi primaires, aussi indispensables face à une franchise qui menaçait de crouler sous son propre poids. La saga pourrait – devrait – logiquement s’arrêter là une bonne fois pour toutes. Les appétits financiers du studio Disney en ont bien sûr décidé autrement – pas question de tuer la poule aux œufs d’or – mais qu’importe : Avengers Endgame marquera à coup sûr la fin d’une ère, ce que semble confirmer sa volonté de renoncer au traditionnel clin d’œil post-générique.

 

© Gilles Penso

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L’HOMME QUI A TUÉ HITLER ET PUIS LE BIGFOOT (2018)

Pour son premier long-métrage, Robert Krzykowski lance un ancien héros de guerre aux trousses d'un redoutable yéti

THE MAN WHO KILLED HITLER AND THEN THE BIGFOOT

2018 – USA

Réalisé par Robert D. Krzykowski

Avec Sam Elliott, Aidan Turner, Caitlin Fitzgerald, Larry Miller, Ron Livingston

THEMA YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS

1987. Calvin Barr est un paisible septuagénaire qui coule des jours tranquilles dans la Nouvelle-Angleterre. Sa vie est rythmée par une routine simple : il vit seul, nourrit son chien, traîne dans le bar du coin… Mais régulièrement, des flashs issus de son passé viennent le tourmenter. Car plusieurs décennies auparavant, il fut chargé d’une mission capitale : se faire passer pour un officier allemand, pénétrer le bureau extrêmement protégé d’Adolf Hitler et le tuer. Il remplit cette mission impossible avec succès et parvint à s’enfuir. L’acte était exceptionnel, héroïque, miraculeux, mais Calvin n’en retira aucune gloire. Assassiner un homme, fusse-t-il le pire être humain de la planète, l’obligea à recourir à une violence qu’il a toujours exécrée. Or aujourd’hui, près de vingt-cinq ans plus tard, des membres du gouvernement viennent à sa rencontre pour le charger d’une nouvelle mission : partir traquer le légendaire Bigfoot, porteur d’un virus mortel susceptible de mettre en danger l’humanité toute entière, et l’éliminer… 

Sur un postulat aussi étonnant, Robert D. Krzykowski a bâti une œuvre totalement inclassable. Loin du film d’aventure fantastique postmoderne et référentiel que son titre laissait imaginer, L’Homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot emporte ses spectateurs sur un terrain inattendu. Si l’action et les monstres sont de la partie, l’émotion est aussi au bout du chemin, portée en grande partie par la prestation de Sam Elliott, présent dans des œuvres aussi diverses que Butch Cassidy et le Kid, Psychose phase 3, Road House, Gettysburg, Tombstone, The Big Lebowski, Hulk ou A Star is Born. « Ça n’était pas le moindre des défis : raconter une histoire qui respecte la promesse du titre tout en étant crédible et honnête », raconte le réalisateur. « Derrière les grands événements historiques auxquels a contribué le héros du récit, je voulais adopter un ton mélancolique » (1). Parrainé par des figures prestigieuses du cinéma fantastique (l’équipe des effets visuels de Rencontres du Troisième Type, le réalisateur de May et The Woman, le scénariste de Piranhas et Hurlements), Krzykowski nous offre ainsi une œuvre à la fois ambitieuse et intimiste, fantasmagorique et pourtant réaliste, gorgée d’effets spéciaux invisibles et de paradoxes temporels imperceptibles.

Le grand écart

L’Homme qui a tué Hitler et puis le Bigfoot ose ainsi le grand écart, passant d’une séquence extrêmement émouvante, où Calvin pleure seul dans sa chambre parce que la situation l’a obligé à recourir à la violence, à un flash-back très « pulp » où le même personnage, plusieurs décennies plus tôt, est déguisé en nazi et arbore une montre dont les aiguilles ont la forme d’une croix gammée qui tourne ! Cette « danse permanente » entre deux états d’esprits dote le film d’une qualité presque expérimentale. Et comme il a décidé de tenir ses promesses, Krzykowski met en scène l’un des Bigfoot les plus surprenants jamais vus à l’écran, une sorte d’homme-singe malingre et squelettique conçu par l’atelier Spectral Motion sous la supervision de Mike Elizalde (Hellboy, Stranger Things) et sous l’influence manifeste des dessins de Bernie Wrighston. Atypique, surprenant, drôle, émouvant, palpitant, ce premier film porte déjà la marque des plus grands.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018.

© Gilles Penso

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NE VOUS RETOURNEZ PAS (1973)

Dans les méandres inquiétants de Venise, Donald Sutherland et Julie Christie plongent en plein cauchemar éveillé

DON’T LOOK NOW

1973 – GB / ITALIE

Réalisé par Nicolas Roeg

Avec Julie Christie, Donald Sutherland, Hilary Mason, Clelia Matania, Massimo Serato, Renato Scarpa, Giorgio Trestini

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

C’est le cinéma qui permit à la romancière Daphné du Maurier de passer à la postérité, notamment grâce aux adaptations qu’Alfred Hitchcock tira de ses écrits (L’Auberge de la Jamaïque, Rebecca, et surtout Les Oiseaux). Ancien chef opérateur de la nouvelle vague anglaise reconverti à la mise en scène, Nicolas Roeg s’empara quant à lui de la courte nouvelle « Ne vous retournez pas » comme support de son troisième long-métrage. Donald Sutherland et Julie Christie y incarnent John et Laura Baxter, un jeune couple d’anglais traumatisés par la noyade de leur fillette Christine. Alors qu’ils regagnent Venise, où le mari architecte est en charge de la restauration d’une église, ils croisent le chemin d’Heather (Hilary Mason), une voyante aveugle, et de sa sœur Wendy (Clelia Matania). Toutes deux affirment que leur défunte fille est parmi eux… Heather est-elle réellement douée d’un don paranormal, ou s’agit-il d’une vulgaire charlatane ? Et que croire lorsqu’elle affirme que John lui-même est capable de prévoir l’avenir ? Si c’est une simple affabulation, pourquoi s’est-il brutalement précipité vers l’étang où sombra sa fille, comme saisi d’une prémonition subite ?

Dès les premières images du film, Nicolas Roeg instaure un climat étrange et inconfortable. Le montage parallèle du visionnage des diapositives de John, dans une maison perdue de la campagne anglaise, et des jeux de Christine près d’un étang, dans son ciré rouge qu’on croirait issu d’un conte de Perrault, s’achève par une double image marquante : la fillette qui s’enfonce dans les eaux, sous les yeux de son frère Johnny, tandis qu’une tache rouge rampe insidieusement sur l’une des diapositives. On reconnaît là les dons d’esthète du réalisateur, qui signa par le passé la photographie du Masque de la Mort Rouge de Roger Corman et de Fahrenheit 451 de François Truffaut. Plus loin dans le film, le jeu du parallélisme est encore plus surprenant, comme dans cette scène d’amour juxtaposée avec les préparatifs du couple s’apprêtant à dîner dans un restaurant chic, les raccords dans le mouvement fluidifiant avec étrangeté ces actions situées dans deux espaces-temps distincts. Ce n’est pas un simple exercice de style, puisqu’ici le passé et le présent s’entremêlent sans que les protagonistes n’aient le moindre contrôle sur ce temps capricieux, jusqu’à un dénouement remettant dramatiquement les événements dans le bon ordre. 

Les labyrinthes humides de Venise

La mise en scène brute de Roeg et le jeu naturaliste de Sutherland et Christie ne sont pas les moindres atouts de ce film atypique que Pino Donaggio, compositeur fétiche de Brian de Palma dans les années 70 et 80, nimbe d’une partition envoûtante. Quant à Venise, où furent tournées la plupart des séquences du film, elle quitte ses atours habituels de cité romantique pour se muer en ville glauque, humide, labyrinthique et étouffante, frappée de surcroît par les méfaits d’un insaisissable tueur en série qui défraye la chronique. Bref un lieu atemporel s’effondrant peu à peu dans ses propres eaux et qui, selon les propos d’un des protagonistes du film, a les allures des « reliefs d’un dîner de fête dont les convives seraient tous morts ».

 

© Gilles Penso

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WOLFEN (1981)

Une vision inédite du mythe de la lycanthropie que Michael Wadleigh réalise d'après un roman de Whitley Strieber

WOLFEN

1981 – USA

Réalisé par Michael Wadleigh

Avec Albert Finney, Diana Venora, Gregory Hines, Edward James Olmos, Tom Noonan

THEMA LOUPS-GAROUS I FANTÔMES 

Né de la plume de Whitley Strieber, catholique féru de spiritualité (il clamera avoir été enlevé par des extraterrestres dans son livre “Communion : A True Story”, porté à l’écran en 1989 avec Christopher Walken), Wolfen, dieu ou diable usait du symbolisme pour insuffler un sous-texte politique puissant, renouvelant ainsi habilement le mythe du lycanthrope. Orion Pictures flaire le potentiel d’un long métrage, et se tournent vers Michael Wadleigh, réalisateur du documentaire contestataire Woodstock. Ce dernier pose le sujet avec une limpidité exemplaire, dès l’ouverture qui voit des Indiens observer New York sur le toit du monde, en communion avec la nature, vignette poétique enchaînée avec la destruction brutale d’un quartier pauvre et les réjouissances de promoteurs immobiliers sans états d’âme. La partition de James Horner, préfigurant dans ses accents stressants son score pour Aliens le retour, installe d’emblée une atmosphère inquiétante et paranoïaque, en adéquation avec l’obsession voyeuriste et sécuritaire qui irrigue le métrage. Les Indiens ne sont pas les seuls espions de leurs concitoyens, surveillés en parallèle par de mystérieux monstres, tandis que les services secrets scrutent les émotions qui pourraient trahir d’éventuels coupables par le biais d’écrans vidéo.

Il est intéressant de constater que les représentants de la loi utilisent pour étudier leurs proies la même thermovision (procédé avant-gardiste qui sera l’influence principale pour la vision du futur Predator) que ces forces bestiales. Le réalisateur choisit de plus d’illustrer les errances des prédateurs au moyen d’une Steadycam subjective et d’une Louma aérienne zigzaguant entre les immeubles, conférant à la menace un caractère omniscient, tout en dessinant un New York glacial et presque post-apocalyptique dans lequel le Bronx devient un tombeau à ciel ouvert pour des minorités surveillées par hélicoptère (le New York 1997 de John Carpenter sortira la même année). Ce cadre effrayant étant posé, le fond émerge progressivement, sous l’apparat du polar à énigme : lorsqu’un riche homme d’affaires est mis en pièces, l’état déploie des moyens considérables pour protéger les intérêts des puissants en cherchant une explication terroriste extérieure, là où les assassinats des pauvres n’étaient même pas mentionnés par la presse, tandis que les investigations menées par un Finney désabusé et un Hines rigolard soulignent leur déshumanisation face à la mort. D’un côté, les malversations capitalistes, la banalisation des inégalités sociales et de l’extinction programmée des plus faibles, de l’autre, des communautés indiennes et canidées aux organisations jumelles (tribus, économie fermée, contrôle de la surpopulation et grand talent pour la chasse), qui survécurent chacune tant bien que mal au génocide perpétré par les américains.

Danse avec les loups

Le coupable des crimes s’avère être Wolfen, fantôme qui revient hanter une Amérique coupable de génocide par cupidité, un esprit revanchard et protéiforme condamné à la fuite dans un nouveau désert (les cités et bidonvilles), contraint à tuer les malades et les abandonnés pour se nourrir et à survivre des déchets de l’homme blanc. Un homme blanc qui, malgré sa précieuse évolution technologique, a perdu l’essentiel de ses repères moraux et tue son prochain pour son seul profit, s’affirmant comme le vrai “sauvage”. Le constat est implacable : l’Homme est définitivement un loup pour l’Homme. Cette lutte idéologique culminera dans un climax démentiel où la flamboyance de la Hammer côtoie l’action urbaine gore, voyant la meute de Wolfen passer à une attaque frontale de l’autorité. Sorti en 1981, la même année que Hurlements et Le Loup-Garou de Londres,  Wolfen fut un échec commercial, malgré son prix spécial du jury au festival d’Avoriaz. L’épilogue du film entrouvre la porte pourtant optimiste d’une possible conciliation grâce à la prise de conscience de son héros, fourbu et remué sur ses positions et certitudes, qui a réalisé l’arrogance de ses contemporains et leur dangereuse déconnexion de l’élément naturel. Le plan final, figurant des Indiens à l’affût sur les hauteurs de la cité avant de les figer dans le temps et l’espace, insinue néanmoins que nous sommes en sursis. A nous de ne pas l’oublier.

 

© Julien Cassarino

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LE CHANT DE MINUIT (1937)

Le premier film d'horreur de l'histoire du cinéma chinois est une relecture politisée du Fantôme de l'Opéra

YE BAN GE SHENG

1937 – CHINE

Réalisé par Ma-Xu Weibang

Avec Menghe Gu, Ping Hu, Shan Jin, Chau-shui Yee, Wendzhu Zhou

THEMA SUPER-VILAINS

Considérée comme le premier film d’horreur de l’histoire du cinéma chinois, cette tragédie constellée d’épouvante adapte officieusement « Le Fantôme de l’Opéra » de Gaston Leroux pour réinventer une histoire originale et y injecter un fort sous-texte politique. Au commencement du métrage, une troupe d’opéra itinérante traverse la forêt la nuit en quête d’un hôtel. Ils s’installent dans un théâtre de province guère engageant où pendent des mannequins macabres et où les toiles d’araignées se déploient. Aussitôt, le cinéphile aguerri pense à l’esthétique de deux œuvres maîtresses de Tod Browning : Dracula et La Marque du VampireLa troupe s’apprête à réadapter son opéra à la culture locale, et le jeune Sun Xiao-Ou tiendra le rôle principal. Resté seul sur scène pour s’exercer, ce dernier découvre, terré dans son antre, un personnage inquiétant recouvert d’une grande capuche noire qui accepte de lui donner des cours de chant. 

Un flash-back nous raconte alors son histoire mouvementée et tragique. Nous le découvrons jeune homme, alors qu’il quitte sa maison pour devenir révolutionnaire et combattre l’oppression. Il change de nom et devient un chanteur célèbre, prônant la lutte contre l’asservissement. Au faîte de sa gloire, il tombe amoureux de Xia, la fille d’une famille puissante. Aussitôt, notre artiste se retrouve kidnappé et battu par des membres du cartel local, puis de l’acide est jeté sur son visage et ses mains. Plus mort que vivant, il est recueilli dans un bien piteux état par sa propre famille, la peau recouverte de bandages. Si son corps a partiellement survécu, que reste-t-il de son âme ? Il contemple alors en même temps que le spectateur l’atroce spectacle qu’est devenu son reflet dans le miroir : un visage monstrueusement défiguré, un masque de terreur difforme et grimaçant, par l’entremise d’un maquillage spécial particulièrement réussi. Désormais, il hante ce vieux théâtre délabré et chante tous les soirs pour réconforter sa pauvre bien-aimée, qui l’écoute depuis son balcon dans un état second.

Le froid glacial d'un tombeau

Serti dans une magnifique photographie noir et blanc, Le Chant de Minuit emploie toutes sortes d’artifices de mise en scène pour distiller le malaise et l’épouvante, notamment les cadrages obliques déstabilisants, les longs silences ou cette buée sortant de la bouche des artistes pendant les répétitions comme pour évoquer le froid glacial d’un tombeau. La caméra, étonnamment mobile pour un film des années 30, exécute lors de séquences clefs des travellings audacieux qui semblent annoncer quelques effets de style de la trilogie Evil DeadLa musique jouant un rôle clef dans le film, le réalisateur Ma-Xu Weibang laisse beaucoup de place aux chansons interprétées par les personnages principaux, et détourne plusieurs morceaux puisés dans le répertoire classique, notamment « Une Nuit sur le Mont Chauve » de Moussorgsky pour accompagner la cavalcade du jeune révolutionnaire, « Rhapsody in Blue » de Gershwin pour évoquer la légèreté des mœurs de l’époque ou encore « L’Apprenti-Sorcier » de Dukas pour rythmer le climax mouvementé.

 

© Gilles Penso

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LA FILLE DE DRACULA (1936)

Cinq ans après le Dracula incarné par Bela Lugosi, le public découvrait son inquiétante descendante…

DRACULA’S DAUGHTER

1936 – USA

Réalisé par Lambert Hillyer

Avec Gloria Holden, Marguerite Churchill, Otto Kruger, Edward Van Sloan, Gilbert Emery, Irving Pichel, Halliwell Hobbes, Billy Bevan

THEMA DRACULA I VAMPIRES I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

Frankenstein ayant bénéficié d’une fiancée en 1935, avec le succès que l’on sait, les studios Universal décidèrent dans la foulée d’octroyer une fille à Dracula, pour faire bonne mesure. Un temps, James Whale fut pressenti pour prendre en charge cette séquelle, mais son approche un peu trop « osée » de la thématique (sans doute influencée par le « Carmilla » de Sheridan le Fanu) effraya quelque peu les cadres du studio, qui se tournèrent finalement vers le stakhanoviste Lambert Hillyer (signataire de près de 160 films en 30 ans de carrière !). 

La Fille de Dracula se situe juste après la fin du classique de Tod Browning, sans s’embarrasser de long préambule. Le professeur Van Helsing, toujours incarné par Edward Van Sloan, est surpris dans une crypte par deux policiers, à côté de deux cadavres : celui de Dracula, dans le cœur duquel il vient d’enfoncer un pieu, et celui de Renfield, dernière victime du comte vampire. L’explication de Van Helsing ne convainc guère le directeur de Scotland Yard, et bientôt deux options peu enviables se profilent à son horizon : le gibet ou l’asile de fous. Notre homme demande donc à son ami psychiatre Jeffrey Garth (Otto Kruger) d’assurer sa défense, affirmant pour le convaincre de la tangibilité du vampirisme : « quelle est la frontière entre une ancienne superstition et un futur fait scientifiquement établi ? ». Pendant ce temps, un policier extrêmement peureux (petit élément comique du film) est chargé de veiller sur les deux corps. C’est alors que surgit l’étrange comtesse hongroise Maria Zaleska (Gloria Holden), qui l’hypnotise avec sa bague, subtilise le corps du comte et le soumet à un bûcher purificateur, avec incantations sataniques et tout l’assortiment idoine. Elle espère être enfin libérée de la malédiction du vampirisme et mener la vie normale d’une artiste à succès à laquelle elle aspire depuis de nombreuses années. Mais son assistant Sandor (un Irving Pichel blafard à souhait) est sceptique. Et effectivement, dès que tombe la nuit, elle erre dans les rues à la recherche de victimes, pour s’endormir au petit matin dans un cercueil. 

Triangle amoureux et érotisme sous-jacent

Quelques belles scènes de vampirisation ponctuent ainsi le récit, notamment celle où Maria hypnotise une jeune crève-la-faim, Lili (Nan Grey), en lui faisant croire qu’elle envisage de peindre son portrait et en lui enjoignant de se déshabiller. L’érotisme sous-jacent fonctionne à plein régime, et laisse présager de ce que James Whale aurait fait du projet s’il l’avait pris à bras le corps. Tandis que Lili est retrouvée au petit matin, vidée en partie de son sang et en état de choc, la comtesse maudite cherche toujours les voies de la guérison. Lorsqu’elle rencontre Garth au cours d’une soirée mondaine, elle croit entrevoir une solution du côté de la psychanalyse, en chassant l’influence néfaste de l’esprit défunt de Dracula. Un triangle amoureux s’installe alors entre le médecin, sa pétillante assistante Janet Blake (Marguerite Churchill) et l’envoûtante femme vampire. Le final se déroule en Transylvanie et sacrifie aux images d’épinal d’usage (les Bavarois dansent et jouent de la musique tout en croulant sous le poids de la superstition) jusqu’à une chute revenant aux sources, dans le château familial des Dracula.

 

© Gilles Penso

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