LE PROJET BLAIR WITCH (1999)

Le film le plus rentable de l'histoire du cinéma est aussi celui qui a lancé la mode du « found footage »

THE BLAIR WITCH PROJECT

1999 – USA

Réalisé par Daniel Myrick et Eduardo Sanchez

Avec Heather Donahue, Joshua Leonard, Michael C. Williams, Bob Griffin, Jim King, Sandra Sanchez, Ed Swanson

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Le manque de moyens peut être un excellent stimulateur de créativité, comme en témoignent dans le genre qui nous intéresse des œuvres aussi réjouissantes qu’Evil Dead ou Bad Taste. Dans le cas du Projet Blair Witch, la contrainte était de ne filmer qu’à l’aide d’un caméscope, à l’exception d’une poignée de plans en 16 mm. Daniel Myrick et Eduardo Sanchez ont donc élaboré l’idée d’un film amateur tourné par trois étudiants partis enquêter dans les bois avoisinant Burkittesville, dans le Maryland. L’objet de leur investigation est une sorcière tenue pour responsable de la disparition d’enfants dans les années 40. Les étudiants disparaissent à leur tour corps et biens, et on retrouve ce qu’ils ont filmé un an plus tard. 

Le procédé (qui ne porte alors pas encore le nom codifié de « found footage », autrement dit « images retrouvées ») semble très original à l’époque, mais il n’est pas nouveau. C’est sans doute Cannibal Holocaust qui s’imposa comme le précurseur de ce dispositif de mise en scène, partant d’un principe très voisin pour une large partie de ses péripéties. La différence, c’est qu’ici le concept vaut pour le film tout entier. L’intégralité du récit nous est donc contée en caméra subjective, à travers les images tournées à la volée par nos reporters amateurs. S’il n’est plus question ici de faire croire à un « snuff movie », comme au temps des anthropophages de Ruggero Deodato, le réalisme cru des images vidéo de Blair Witch participe activement au sentiment de peur qu’il parvient à créer, de manière parfois très immersive. Témoin cette séquence nocturne où les protagonistes, dans leur tente, entendent d’étranges voix et décident d’aller jeter un coup d’œil dans les bois. Cette situation, ultra classique en matière de récit d’épouvante, prend ici une dimension étrange, quasi-expérimentale. Car la caméra ne filme pratiquement rien, si ce n’est une série de mouvements désordonnés et beaucoup de noir. C’est donc l’imagination du spectateur qui est sollicitée pour combler les trous. Rarement le jeu du hors-champ aura autant joué sur les nerfs du public. De ce point de vue, l’exercice est parfaitement réussi, d’autant que les comédiens, improvisant beaucoup et se filmant eux-mêmes, apportent au film l’ultime touche d’hyperréalisme qui fait sa force. 

L'arbre qui cache la forêt…

L’indéniable efficacité de ce concept ne dispensait pas pour autant le film d’une structure narrative solide et surtout d’une progression dramatique. Or dans ce domaine, Le Projet Blair Witch n’a pas grand-chose à offrir à ses spectateurs. Et sans évolution, le meilleur des concepts finit par faire du sur place. Passée la surprise, le film se met donc à tourner en rond, comme ses héros, et le dénouement, expédié à toute vitesse, semble témoigner d’une incapacité, pour Myrick et Sanchez, à trouver une idée de chute digne de ce nom. Le procédé fera pourtant école, entraînant de très nombreuses imitations, créant quasiment un sous-genre du cinéma d’horreur et générant une inévitable séquelle qui sacrifiera pour sa part à une mise en scène plus classique et sombrera dans un oubli poli.
 
© Gilles Penso

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LA PLANÈTE DES SINGES : SUPRÉMATIE (2017)

La guerre entre les hommes et les singes a éclaté, mais les plus sauvages ne sont pas toujours ceux qu'on croit…

WAR OF THE PLANET OF THE APES

2017 – USA

Réalisé par Matt Reeves

Avec Andy Serkis, Woody Harrelson, Judy Greer, Karin Konoval, Steve Zahn, Amiah Miller, Chad Rock, Ty Olsson

THEMA SINGES SAGA LA PLANETE DES SINGES

Dès les premières secondes de La Planète des Singes : Suprématie, alors qu’apparaissent les logos de la production, l’atmosphère du film s’installe. La fanfare de 20th Century Fox est reprise sur un mode tribal, les bruits de la forêt envahissent l’espace sonore, les instincts les plus primaire sont sur le point de se révéler à l’écran. La guerre annoncée par l’épisode précédent fait désormais rage entre les humains et les singes. Mais elle n’est ni emphatique, ni héroïque. Ici, les scènes de batailles cherchent la brutalité et le réalisme plutôt que l’effet spectaculaire, du moins dans la première partie du métrage. Les intentions de César, chef de la rébellion simienne, sont annoncées d’emblée : il n’a pas voulu cette guerre, déclenchée par Koba et par quelques humains belliqueux, mais il est prêt à tout pour défendre les siens. Et la tournure des événements va le pousser à un bellicisme qu’il aurait pourtant voulu éviter.

Les décors hivernaux contribuent au caractère glacial de cette guerre, tandis que la musique de Michael Giacchino continue à se laisser inspirer par Jerry Goldsmith mais aussi Igor Stravinsky. Ici et là, l’influence de plusieurs classiques du film de guerre (Apocalypse Now, La Grande Evasion, Les Sentiers de la Gloire) mais aussi de quelques épopées antiques (Ben Hur, Les Dix Commandements, Le Cid) affleure, Matt Reeves s’emparant de ces références pour en extraire l’essence nécessaire à sa dramaturgie. Les choix radicaux du film précédent (les personnages principaux sont les primates et non les humains, une grande partie des dialogues est en langage des signes) perdurent. L’antagoniste majeur est donc un homme, en l’occurrence l’impressionnant colonel McCullough incarné par Woody Harrelson, un seigneur de la guerre fanatique. Sa première confrontation avec les singes ressemble presque à une scène de Predator inversée. Car ici le chasseur a un visage humain, et c’est la « bête » qui devient proie. D’ailleurs plus le film avance, plus les singes se civilisent et plus les hommes deviennent primitifs. 

La boucle est bouclée

Par petites touches subtiles, La Planète des Singes : Suprématie se positionne comme une préquelle du film de Franklin J. Schafner. Les arcs narratifs convergent ainsi vers le classique de 1968, avec la présence de Nova et Cornélius encore enfants et la propagation du phénomène qui va pousser la race humaine à régresser vers son animalité première. La performance technique du film est tellement incroyable qu’elle finit paradoxalement par s’effacer pour ne laisser place qu’au drame et à ses enjeux, les singes n’étant jamais perçus comme des images de synthèse mais comme des personnages incarnés par des comédiens réels. Contrairement à un prologue en retenue, le final de La Planète des Singes : Suprématie est apocalyptique, presque biblique, comme s’il voulait faire définitivement table rase sur l’ancien monde et annoncer une ère nouvelle. L’ultime séquence évoque d’ailleurs le prologue de 2001 l’Odyssée de l’Espace, qui narrait justement l’éveil de la conscience chez les hommes-singes et l’aube de l’humanité.
 
© Gilles Penso

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ATOMIC CYBORG (1985)

Le Terminator du pauvre, version italienne, lorgne aussi sérieusement du côté de Blade Runner

MANI DU PIETRA

1985 – ITALIE

Réalisé par Sergio Martino

Avec Daniel Greene, Janet Agren, Claudio Cassinelli, George Eastman, John Saxon, Amy Werba, Robert Ben, Pat Monti

THEMA ROBOTS I FUTUR 

Assez porté sur les imitations à petit budget de succès américains (AlligatorLe Continent des Hommes-Poissons2019, après la Chute de New York), Sergio Martino ne pouvait décemment passer à côté de Terminator. Un an à peine après le petit chef d’œuvre de James Cameron, il propose donc cet Atomic Cyborg qui imite servilement sa campagne de promotion mais se démarque tout de même par une intrigue sensiblement différente. Nous sommes au Nouveau-Mexique en 1997, c’est-à-dire dans le futur. Arthur Mosley, un écologiste aveugle et paralytique qui s’étale sur de grandes affiches publicitaires en clamant « You have no future », combat toute forme de pollution. Paco Querak, un tueur à gages, est chargé par l’industriel Francis Turner d’assassiner Mosley, car celui-ci s’oppose à l’édification d’un immense complexe immobilier dans un quartier défavorisé. Or au moment d’accomplir sa mission, Paco est pris d’un doute. Il se contente de blesser sa victime, puis prend la fuite. Pris en chasse par les hommes de Turner, il se réfugie dans une petite bourgade d’Arizona et décroche un boulot d’homme à tout faire dans un bar où les camionneurs du coin viennent régulièrement éprouver leur testostérone à grands coups de tournois de bras de fer. 

D’où des séquences sévèrement burnées qui annoncent Over the Top avec quelques années d’avance, et des bagarres musclées façon Bud Spencer et Terence Hill. Au milieu du film, Paco révèle enfin qui il est : un homme grièvement blessé suite à un violent accident, resté dans le coma pendant de longs mois, et dont 70% du corps ont été remplacés par des éléments cybernétiques. Une sorte de Steve Austin des années 80, en quelque sorte. Sauf que Terminator demeure la source d’inspiration principale, comme en témoigne ce plagiat honteux d’une célèbre séquence du film de Cameron où le cyborg répare sa main en s’ouvrant le poignet. D’ailleurs, Daniel Greene semble moins avoir été choisi pour ses talents d’acteur que pour ses capacités de mimétisme avec le jeu d’Arnold Schwarzenneger. A ses côtés, on reconnaît quelques seconds rôles savoureux, notamment John Saxon en businessman véreux et George Eastman en routier stupide.

« Quand j'en aurai fini avec toi,
tu devras t'essuyer le cul avec ton nez ! »

La seconde partie du film multiplie les scènes d’action plutôt bien menées, à défaut d’être originales : fusillades, poursuites en hélicoptère et en camion, combats au canon laser… En la matière, la séquence la plus insolite et la plus réussie est l’affrontement entre notre héros et une femme cyborg surexcitée, probablement inspirée par Daryl Hannah dans Blade Runner. C’est le seul moment qui marquera quelque peu les mémoires, au beau milieu d’un film par ailleurs très anecdotique, à l’exception peut-être de quelques dialogues dont l’indicible poésie laisse encore rêveur aujourd’hui. Comment oublier des phrases aussi imagées que : « Quand j’en aurai fini avec toi, tu devras t’essuyer le cul avec ton nez » ?!
 
© Gilles Penso

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CROCODILE (2000)

25 ans après Le Crocodile de la Mort, Tobe Hooper braque à nouveau sa caméra sur un saurien particulièrement vorace

CROCODILE

2000 – USA

Réalisé par Tobe Hooper

Avec Mark McLachlan, Caitlin Martin, Chris Solari, D.W. Reiser, Julie Mintz, Sommer Knight, Rhett Wilkins, Greg Wayne

THEMA REPTILES ET VOLATILES

L’association du nom de Tobe Hooper avec le mot « crocodile » nous ramène illico en 1976, à l’époque du Crocodile de la Mort. Mais les amateurs du slasher glauque mettant en vedette Neville Brand, sa faux et son reptile glouton risquent fort de déchanter s’ils s’attendent aux mêmes déviances. Car Crocodile est un pur produit de consommation formaté pour le public adolescent, une production Nu Image, alors au sommet de son exploitation des monstres en tout genre. Quant à l’auteur de Massacre à la Tronçonneuse, principalement reconverti dans la série télévisée depuis le milieu des années 90, il accepte ici d’apporter à l’œuvrette un semblant de prestige en y apposant sa signature, tout en assurant le service minimum côté mise en scène.

Le film s’intéresse à un groupe de jeunes tellement stupides qu’on se demande s’il ne faut pas les considérer sous l’angle parodique. Partis faire du bateau sur un lac en plein été, ils éructent de joie au simple son du mot « bière », c’est dire ! Une belle collection de portraits improbables taillés à la serpe s’offre à nous : la nymphomane qui se fait lécher le ventre par les garçons, le beau gosse qui n’ose pas dire à sa douce qu’il l’a trompée, l’abruti qui vomit dans le bob des autres, la bourgeoise coincée qui ne quitte pas d’une semelle son gentil chienchien prénommé « Princesse ». Un soir, au coin du feu, l’un d’entre eux raconte une légende urbaine liée à l’importation par un hôtelier d’œufs d’une espèce de crocodiles particulièrement féroces, surnommés « les chiens du fleuve » par les Égyptiens de l’Antiquité, à l’époque où les Pharaons les chevauchaient sur le Nil pour partir sur le front (une belle image guerrière absente de nos manuels d’histoire). Or effectivement, un nid d’œufs reptiliens est mis à jour par des pêcheurs passablement éméchés, qui finissent bien vite entre les mâchoires d’un crocodile gros comme un camion.

« Montre-nous ta misérable face de monstre ! »

Si les images de synthèse signées Flat Earth sont assez maladroites, les marionnettes grandeur nature de l’atelier KNB s’avèrent raisonnablement efficaces et dynamisent avec bonheur toutes les séquences dans lesquelles elles interviennent. La première attaque de nos héros par le monstre et la destruction complète de leur bateau est à ce titre un beau morceau de bravoure. On croit reconnaître la patte de Tobe Hooper au détour de la visite de la ferme aux crocodiles Surkin, tenue par deux rednecks au visage vérolé et emplie de fœtus animaux et autres bizarreries nauséabondes, mais Crocodile demeure un divertissement sans grande ambition, que n’importe quel cinéaste un tant soit peu expérimenté aurait tout aussi bien pu emballer sans trop d’embarras. Les références habituelles pointent le bout de leur museau, notamment Les Dents de la Mer et « Moby Dick », les dialogues rasent les pâquerettes (« on aurait dit un moustique géant à quatre pattes », « montre-nous ta misérable face de monstre »), le climax est assez aberrant, mais l’ennui ne s’installe jamais grâce à l’absence de prétention de ce « monster movie » généreux qui nous en donne pour notre argent. Et que les amoureux des animaux se rassurent : « Princesse » finit le film en un seul morceau.
 
© Gilles Penso

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THELMA (2017)

Le passage à l'âge adulte, la quête d'indépendance et la lutte contre le puritanisme sont au cœur de cette fable fascinante

THELMA

2017 – NORVEGE

Réalisé par Joachim Trier

Avec Eili Harboe, Kaya Wilkins, Henrik Rafaelsen, Ellen Dorrit Petersen, Grethe Eltervag, Ludvig Algeback

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Le réalisateur Joachim Trier s’était déjà distingué par des œuvres marquantes mais jusqu’alors très éloignées du fantastique, notamment Oslo 31 Août et Black Home. Avec Thelma, il raconte l’histoire d’une jeune fille partie à Oslo pour ses études de biologie et de sciences naturelles. Au fil des jours, la timide étudiante se laisse progressivement séduire par une camarade de classe. Or la famille dont elle est issue est très religieuse et particulièrement rigoriste. La voilà bientôt victime d’une série de crises régulières, qui ressemblent à de l’épilepsie mais sont en réalité psychogènes. Elles s’avèrent être les symptômes de la manifestation de pouvoirs paranormaux lui permettant d’agir sur son environnement et sur les gens qui l’entourent. Mais cette capacité surnaturelle, née de ses pulsions les plus intimes, semble incontrôlable. 

Dans ce film visuellement somptueux et constellé de morceaux de bravoure, les comédiens semblent en état de grâce. L’un des sommets de mise en scène et d’implication du spectateur est sans doute la séquence du concert au cours de laquelle Joachim Trier, manifestement sous l’influence d’Alfred Hitchcock et de Brian de Palma, mélange les émotions avec beaucoup d’habileté, soutenu par une partition singulière d’Ola Flottum convoquant les orgues religieux, les violons d’orchestre de chambre et les instruments médiévaux. Sans prendre tout à fait les allures d’une bande originale de film fantastique, la musique subtile et déroutante de Thelma laisse sans cesse sourdre l’étrangeté, le malaise et l’anormalité mais évite de les exposer frontalement. Le paranormal s’affirme d’ailleurs ici comme une métaphore de la sortie de l’adolescence, de la libération du poids de traditions familiales étouffantes, de la possibilité d’assumer ses désirs refoulés, mais aussi de la quête de libre arbitre et d’autonomie. 

La petite sœur norvégienne de Carrie

En ce sens, Thelma évoque souvent Carrie, la jeune héroïne souffrant ici aussi d’un carcan familial puritain trop rigide. D’autres moments forts constellent le métrage, notamment le prologue glaçant (dans tous les sens du terme) ou la scène de la piscine qui n’est pas sans rappeler La Féline de Jacques Tourneur. Trier connaît donc ses classiques mais s’efforce de les transcender pour mieux les adapter à la sensibilité de son récit. Sans doute le film accuse-t-il quelques longueurs et se perd-il parfois dans d’inutiles maniérismes auteurisants, mais son propos reste très fort et sa mise en forme remarquable. Il faut bien sûr saluer la performance tout en retenue d’Eiji Harboe qui nous fait croire à l’incroyable grâce à sa prestation fragile et à fleur de peau, qui incite le réalisateur à laisser parfois la porte ouverte à quelques séquences d’improvisation.
 
© Gilles Penso

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LA SECONDE GUERRE DE SÉCESSION (1997)

Un téléfilm de politique-fiction peu connu que tous les amateurs de Joe Dante doivent absolument découvrir !

THE SECOND CIVIL WAR

1997 – USA

Réalisé par Joe Dante

Avec Beau Bridges, James Earl Jones, James Coburn, Ron Perlman, Kevin Dunn, Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy

THEMA POLITIQUE-FICTION 

Après l’échec du pourtant formidable Panic sur Florida Beach, Joe Dante décide de se tourner momentanément vers le petit écran. Il dirige ainsi en 1994 la collection Runaway Daughters, puis un épisode de la série Picture Windows, et développe la série de science-fiction The Osiris Chronicles qui ne dépassera pas hélas le stade du pilote. En 1997, Dante connaît une expérience télévisée beaucoup plus satisfaisante en dirigeant le téléfilm La Seconde Guerre de Sécession pour HBO. Muni d’un casting de haut niveau (Beau Bridges, James Earl Jones, James Coburn, Ron Perlman, Kevin Dunn) dans lequel viennent bien sûr s’insérer les membres de la « famille Dante » (Dick Miller, Robert Picardo, Kevin McCarthy, Belinda Balaski), ce long-métrage est produit par Barry Levinson et écrit par Martyn Burke. Comme pour ses précédents travaux télévisés, Dante doit faire des infidélités à son compositeur fétiche Jerry Goldsmith au profit de Hummie Mann (qui collaborait notamment avec Mel Brooks à cette époque). Il faut avouer que ce dernier s’en tire avec les honneurs et semble même parfois rendre de petits hommages au grand Jerry tout au long de sa bande originale. Le réalisateur profite surtout de ce récit de politique fiction pour composer un réjouissant plaidoyer contre le racisme, l’intolérance et la bêtise généralisée.
 

Une guerre nucléaire venant d’éclater entre l’Inde et le Pakistan, de nombreux orphelins pakistanais doivent se réfugier aux États-Unis. Or le président est un être faible incapable de prendre la moindre décision sans son conseiller en communication, tandis que le gouverneur de l’Idaho décide de fermer les frontières de son état pour empêcher ces nouveaux immigrants d’envahir le pays. Cette situation entraine un conflit interne qui s’annonce comme une véritable nouvelle guerre de Sécession, l’ensemble des événements étant retransmis par la chaine d’information Newsnet. L’humour du film est souvent grinçant, et le drame affleure parfois sous la comédie, comme en témoigne cette réplique lourde de sens prononcée en voix-off par James Earl Jones : « Parfois, le fil tendu qui sépare la paix de la guerre, la pérennité de la destruction, peut se briser à cause d’un geste, d’un mot, d’une inflexion de voix. Après toute crise majeure, on ne peut s’empêcher de regarder en arrière pour tenter d’apercevoir le moment où ce fil a été rompu sans espoir d’être renoué. » 

Un humour volontiers grinçant

Bien sûr, HBO grince des dents en voyant le montage final. Comment pourrait-il en être autrement face à un téléfilm dénonçant sans détour les stratégies fomentées par les directeurs de chaine pour maintenir leur audience à tout prix ? Car Joe Dante n’a pas son égal pour dynamiter l’establishment de l’intérieur. Impénitent garnement, il n’agit pas par ingratitude mais parce que c’est un éternel « sale gosse » rebuté par le cynisme des institutions. Très satisfait du film, le réalisateur aura la joie de le voir exploité sur grand écran dans certains pays d’Europe.
 
© Gilles Penso

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L’ASCENSEUR (1983)

À 32 ans, Dick Maas signe un premier long-métrage très remarqué et prouve que Paul Verhoeven n'est pas le seul Hollandais violent

DE LIFT

1983 – HOLLANDE

Réalisé par Dick Maas

Avec Huub Stapel, Josine Van Ammerlooy, Willeke Van Ammelrooy, Liz Snoyink, Wiske Sterringa

THEMA OBJETS VIVANTS

En 1983, alors que le talent éclectique et irrévérencieux de Paul Verhoeven n’avait pas encore traversé les frontières, le cinéma fantastique hollandais se révélait au grand public du monde entier par l’entremise d’un petit film ambitieux : L’Ascenseur. Son réalisateur, Dick Maas, était alors âgé de 32 ans et signait là son premier long-métrage, après deux années de quête de financement. « En effectuant des recherches sur le sujet de ce film, j’ai découvert l’existence de puces électroniques intégrant des composantes biologiques, les “bio-puces“ », nous raconte Maas. « Il y a vraiment eu des recherches consistant à utiliser du tissu animal dans les composantes électroniques. Et ces recherches continuent aujourd’hui. Le scénario de L’Ascenseur s’appuie donc sur un argument de science-fiction qui repose lui-même sur des données réelles. » (1) 

Le film commence un soir d’orage. Quatre personnes sont prises au piège dans l’ascenseur hyper-sophistiqué d’une tour de quinze étages. Après qu’ils aient échappé de peu à l’asphyxie, un dépanneur, Felix Aledaar (Huub Stapel), essaie de résoudre ce mystère. Peu à peu, il découvre que l’ascenseur a acquis un cerveau et s’est transformé en engin de mort. A ses côtés, une jeune journaliste va l’aider à affronter le monstre électronique. Le postulat est plutôt original, même si l’ascenseur ne représente finalement que le descendant encore inexploité d’une série d’objets familiers ligués contre l’humanité à l’occasion de films aussi divers que Le Démon dans l’île (l’électro-ménager), Bell (le téléphone) ou Christine  (la voiture). Les effets d’angoisse, de suspense et de surprise obéissent eux-mêmes à des mécanismes assez connus. Témoin la scène de la petite fille en blanc (une icône qui semble tout droit issu de l’Opération Peur de Mario Bava ou du Poltergeist de Tobe Hooper) s’approchant innocemment de la machine infernale, sa poupée à la main. Et pourtant, L’Ascenseur est une excellente surprise. Dick Maas connaît ses classiques, recycle des recettes familières et y injecte de la nouveauté, de l’irrévérence et un certain grain de folie. Le rythme ne faiblit pas, régulièrement ponctué de séquences choc comme la décapitation violente d’un personnage par l’ascenseur maléfique. Il n’est d’ailleurs pas interdit de lire, en filigranne d’un scénario plutôt récréatif, un discours contre l’aliénation à la technologie. 

Le Grand Prix du Festival d'Avoriaz en 1984

« Le film a été tourné en trente jours », raconte le réalisateur. « Nous étions une petite équipe, entre dix et quinze personnes maximum sur le plateau, et nous travaillions seize heures par jour  Nous faisions nos effets spéciaux nous-mêmes. Nous n’avions pas toujours l’équipement adéquat, y compris pour les cascades qui étaient donc relativement risquées. Nous accrochions nos comédiens à des câbles en espérant que tout se passe bien. » (2) Par ailleurs, Maas compose lui-même la bande originale du film, une mélopée électronique minimaliste qui n’est pas sans évoquer les travaux musicaux de John Carpenter. Grand prix du festival d’Avoriaz en 1984, ce film aura donné le coup d’envoi d’une carrière inégale mais plutôt attachante.
 
(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2017
 
© Gilles Penso

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ATTACK OF THE 50 FOOT WOMAN (1958)

Derrière ce magnifique poster et ce titre devenu culte se cache l'un des nanars les plus désarmants de la SF des années 50

ATTACK OF THE 500 FOOT WOMAN

1958 – USA

Réalisé par Nathan Juran

Avec Allison Hayes, William Hudson, Yvette Vickers, Roy Gordon, George Douglas, Frank Chase

THEMA NAINS ET GÉANTS I EXTRA-TERRESTRES

Nathan Juran, qui connaît en 1958 une heure de gloire avec Le 7ème Voyage de Sinbad, signe la même année, sous le pseudonyme de Nathan Hertz, cet inénarrable Attack of the 50 Foot Woman dont le scénario est signé Mark Hanna (Not of this Earth, The Undead, The Amazing Colossal Man). Nancy Archer (Allison Hayes) roule tranquillement dans le désert californien quand soudain apparaît dans les cieux un satellite sphérique. Quelques mois plus tôt, l’objet volant aurait probablement été une traditionnelle soucoupe volante, mais le lancement tout récent de Spoutnik dans l’espace pousse le scénariste à opter pour un satellite, plus dans l’air du temps à ses yeux. De l’appareil surgit bientôt un extra-terrestre humanoïde de quinze mètres de haut, affublé d’une pilosité abondante sur l’ensemble de son corps sauf sur son crâne désespérément chauve. Echappant aux griffes de l’inquiétant colosse (incarné par Michael Ross, qui joue aussi un barman dans le film), Nancy rentre chez elle passablement affolée. 

En écoutant son témoignage, son époux Harry (William Hudson) se contente de rétorquer : « Tu sais, tout le monde voit des satellites ces jours-ci ». Il faut dire que cet homme bourru est surtout occupé à cocufier sa femme avec la volage Honey Parker (Yvette Vickers). Quant à la police, elle met cet extra-terrestre sur le compte des nombreuses élucubrations d’une jeune femme habituée à taquiner de près les bouteilles d’alcool, ce qui lui valut par le passé un séjour prolongé dans une institution psychiatrique. Cupide, Harry aimerait profiter de l’occasion pour interner définitivement Nancy et récupérer au passage un confortable héritage de cinquante millions de dollars. Mais le géant chauve refait son apparition et soumet sa féminine victime à des radiations. La raison des actes de l’alien gigantesque demeurera inconnue, mais ce n’est qu’une des nombreuses lacunes d’un scénario aussi peu étanche qu’une passoire. Désormais grande comme King Kong, Nancy revient en ville, bien décidée à assoiffer sa vengeance. 

Une féministe grande comme King Kong

Avec un tel script sur les bras, Nathan Juran fait ce qu’il peut, c’est-à-dire pas grand-chose. Il n’a guère la possibilité de se rabattre sur les effets spéciaux, tant le budget du film (estimé à 88 000 dollars) s’avère anémique. Le trucage le plus fréquemment employé est donc une main féminine géante en papier mâché qui se promène dans le décor et attaque tour à tour les médecins, le mari et la maîtresse. Malheureusement, le peu de soin apporté à la construction de cette main figée saborde toutes les scènes où elle entre en jeu. Quant aux rares confrontations entre la géante et les autres personnages, elles sont obtenues par des surimpressions ratées : chaque fois que Nancy passe devant un objet à l’arrière-plan, elle devient transparente comme un fantôme ! Autant dire qu’entre deux éclats de rire, le spectateur finit par trouver le temps long, même si le film ne dure qu’une petite heure. Pourtant, Attack of the 50 Foot Woman rentrera largement dans ses frais, rapportant 480 000 dollars, et se muera bien vite en film culte auprès des fans du genre.
 
© Gilles Penso

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HERCULE CONTRE LES VAMPIRES (1961)

Le roi de l'épouvante Mario Bava transporte le plus célèbre des héros mythologiques au fin fond des Enfers

ERCOLE AL CENTRO DELLA TERRA

1961 – ITALIE

Réalisé par Mario Bava

Avec  Reg Park, Christopher Lee, Leonora Ruffo, George Ardisson, Ida Galli, Marisa Belli, Franco Giacobini, Mino Doro

THEMA MYTHOLOGIE

Porté aux nues par le succès du Masque du Démon, Mario Bava met ses dons d’esthète au service du péplum mythologique, signant cet Hercule contre les Vampires souvent considéré comme l’un des meilleurs films du genre. Dans le rôle titre, Reg Park, héros la même année de Hercule à la Conquête de l’Atlantide campe un demi-dieu sympathique et sculptural. Revenu victorieux de ses travaux, il s’apprête à rejoindre sa bien aimée Déjanire, héritière du roi d’Ecalie. Mais le félon Lico, incarné par l’immense Christopher Lee, convoite le trône et a envoûté la belle au point de la muer en quasi-zombie, perdue dans un éternel état lymphatique. Prêt à tout pour la sauver, Hercule apprend par l’entremise de l’Oracle qu’il lui faut se rendre aux Enfers. Le valeureux Thésée (George Ardisson) et le sympathique Télémaque (Franco Giacobinni) acceptent de se joindre à lui. 

Dès lors, les conventions classiques du péplum sont balayées au profit d’un plongeon dans le Fantastique pur et dur, sublimé par une photographie laissant la part belle aux rouges vifs et aux bleus profonds, signée par Bava lui-même. Les visions poétiques et surréalistes s’enchaînent donc, annoncées par cette séquence mémorable où le navire de nos héros fend les eaux agitées sous un ciel noir aux nuages mouvants. Arrivé dans le jardin des Hespérides (une magnifique caverne de studio noyée de fumigènes), Hercule doit récupérer une pomme d’or au sommet d’un arbre gigantesque. Si le dragon Ladon, présent dans la légende des Hespérides, ne montre pas ici le bout de son museau, les spectateurs se rabattent sur le sinistre Procuste, connu pour piéger ses victimes dans des lits trop grands ou trop petits (il étire les jambes des premiers et coupe celles des seconds !). Simple brigand dans les textes mythologiques, Procuste prend ici l’allure d’un colosse de pierre particulièrement hideux, qu’Hercule terrasse avant qu’il n’ait fait subir son supplice préféré à Thésée et Télémaque. Après avoir plongé dans les eaux du Styx, les compagnons traversent une forêt de lianes inextricables qui hurlent et saignent quand on les coupe. Pour atteindre la pierre magique capable de sauver la vie de Déjanire, il leur faut encore traverser un lac de magma incandescent. Mais ils ne sont pas au bout de leurs peines… 

« Même Hercule ne peut tuer celui qui est déjà mort… »

Interprétation très libre de la mythologie, Hercule contre les Vampires s’apprécie surtout pour sa collection de séquences horrifico-oniriques. Les vampires promis par le titre français apparaissent enfin au cours d’un climax de cauchemar. Couverts de suaires en haillons et de toiles d’araignées, les mains squelettiques et les visages blafards, ils jaillissent hors de leur tombe ou des entrailles de la terre et voltigent comme des chauves-souris à l’assaut du demi-dieu, tandis que Christopher Lee annonce froidement : « Même Hercule ne peut tuer celui qui est déjà mort ». A vrai dire, ces créatures s’apparentent surtout à des zombies, et il y a fort à parier que le titre Hercule contre les Vampires ait été inspiré aux distributeurs par la double présence au générique de Mario Bava et Christopher Lee, figures incontournables du cinéma d’épouvante.
 
© Gilles Penso

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KILLER TONGUE (1996)

La chute d'une météorite transforme une jeune voleuse en mutante à la langue gigantesque et vorace !

KILLER TONGUE / LA LENGUA ASESINA

1996 – ESPAGNE / GB

Réalisé par Alberto Sciamma

Avec Melinda Clarke, Jason Durr, Mapi Galan, Mabel Karr, Robert Englund, Alicia Borrachero, Doug Bradley

THEMA MUTATIONS 

Johnny et Candy sont un couple de voleurs dont l’immaturité n’est pas sans rappeler les héros désenchantés de Sailor et Lula. Alors qu’ils sont sur le point de se partager le fabuleux butin de leur dernier vol, Johnny est arrêté par la police et Candy a tout juste le temps de prendre la fuite et de se cacher dans un couvent. Quatre ans plus tard, Candy s’installe dans un motel délabré, le Porky, près du camp de travail de Johnny, en attendant sa sortie imminente. Or son gardien n’entend pas le laisser partir, et leurs deux anciens complices, Chip et Frank, sont sur leurs traces. C’est à partir de là que les choses dégénèrent. Car une météorite s’écrase soudain sur Terre, un fragment tombant dans la soupe que s’apprête à avaler Candy. Elle l’absorbe, ainsi que ses quatre caniches, et les conséquences improbables ne tardent pas. Alors que les chiens se transforment en drag queens exubérantes, Candy subit une étrange mutation. Son corps se recouvre d’une seconde peau noire et reptilienne (agrémentée d’une jolie petite queue), sa chevelure prend une teinte d’ébène, et sa langue est désormais animée d’une vie propre. Extensible comme celle d’un spectre d’Histoires de fantômes chinois, cette langue est mue par une vie propre, possède une intelligence autonome et s’avère insatiable de chair humaine. 

« Quelque chose m’envahit et rend chaque atome de mon corps fou de désir » constate la belle. Bientôt, elle réalise qu’elle est enceinte de sa propre langue ! Les scènes hallucinantes abondent avec générosité : un homme urine contre la météorite et explose, la langue traverse la gorge d’une malheureuse victime masculine dans son bain et en décapite une autre, Candy se retrouve suspendue au plafond par la langue qu’elle s’apprête à découper au couteau électrique, l’organe buccal décidément imprévisible se met à parler et à écrire en agitant trois doigts griffus à son extrémité… Les nombreux effets spéciaux du film sont l’œuvre de Bob Keen et de sa compagnie Image Animation (notamment à l’œuvre sur les Hellraiser et sur Cabal) tandis que la musique est signée par un groupe au nom évocateur de « Fangoria ». 

La loufoquerie ne suffit pas

Si Johnny est incarné par un comédien plutôt discret, Jason Durr, surtout connu pour ses prestations télévisées, le rôle de Candy échoit à l’envoûtante Melinda Clarke, inoubliable femme zombie adepte de piercings dans Le Retour des Morts-Vivants 3. Les amateurs exulteront par ailleurs en retrouvant ce bon vieux Robert – Freddy Krueger – Englund sous la défroque du gardien de prison. Malgré son concept loufoque et sa folie permanente, Killer Tongue n’est pas devenu le film culte qu’Alberto Sciamma aurait manifestement voulu. Tous les ingrédients étaient pourtant là : une ambiance rock’n roll, des seconds rôles excessifs, une bande originale électro dans l’air du temps, un décor de western, du sang, du sexe, des bonnes sœurs et des travestis… Mais il manque à Killer Tongue un supplément d’âme, un petit quelque chose qui aurait permis au film de sortir du cadre limité d’une petite expérience drôle et excentrique. Sans doute Sciamma aurait-il eu besoin d’un petit coup de pouce pour l’écriture de son scénario.
 
© Gilles Penso

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