GRAVE (2016)

Pour son premier long-métrage, Julia Ducournau utilise le cannibalisme comme parabole de l'intégration sociale

GRAVE

2016 – FRANCE

Réalisé par Julia Ducournau

Avec Garance Marillier, Ella Rumpf, Rabah Nait Oufella, Laurent Lucas, Joana Preiss, Bouli Lanners

THEMA CANNIBALES

Véritable « aimant à récompenses » à travers les nombreux festivals dont il aura marqué sa sulfureuse présence, Grave est un exercice d’équilibre osé qui joue audacieusement avec les sentiments du spectateur en suscitant tour à tour le rire, l’émotion et la répulsion la plus viscérale. Alors qu’elle fait ses premiers pas dans une prestigieuse école vétérinaire, Justine (Garance Marillier), étudiante végétarienne, découvre les rites d’intégration auxquels sont contraints de se soumettre les étudiants et se laisse guider par un étrange instinct qui l’attire irrésistiblement vers la chair humaine. « Le bizutage est un élément clef du film, car pour moi il symbolise la manière dont les gens se traitent entre eux dans notre société », explique la réalisatrice Julia Ducournau. « Je voulais parler d’uniformisation des masses et de révolte. Selon moi, ce type de comportement ne peut qu’engendrer l’ultra-violence. Dans le film, le bizutage sert d’élément déclencheur. Pour le personnage principal de Grave, devenir cannibale est un geste de rébellion contre un establishment extrêmement formaté. » (1) 

Grave photo

En cultivant des obsessions proches de celles du cinéma organique de David Cronenberg, Julia Ducournau fusionne les mutations psychologiques et physiologiques de sa jeune héroïne sans se laisser brider par le moindre tabou. Elle s’inscrit ainsi dans la suite logique de ses deux films précédents, qui donnaient déjà la vedette à la jeune comédienne Garance Marillier : le court-métrage Junior, dans lequel une jeune fille voit son corps se couvrir d’écailles, et le téléfilm Mange, où une ancienne obèse est hantée par le fantôme de la fille en surpoids qu’elle fut. « Ces deux films ont comme point commun le thème de la transformation physique radicale et de la dévoration », nous explique la réalisatrice. « En ce sens, Grave assure une certaine continuité avec eux. » (2) Généreux en séquences d’horreur graphique manifestement conçues pour provoquer le malaise et l’inconfort, Grave place cependant ses ambitions au-delà du simple effet d’aversion. Ici, l’anthropophagie sert de vecteur idéal pour évoquer le passage de l’adolescence à l’âge adulte, mais aussi pour s’interroger sur la destinée et sur le libre-arbitre. A fleur de peau, Garance Marillier se livre à une prestation étourdissante, tutoyant presque par moments les moments de folie furieuse d’Isabelle Adjani dans Possession

Sur les traces de David Cronenberg

Même s’il a été distribué tout autour du monde sous le titre Raw (qui a le double sens de « cru » et de « brut »), la réalisatrice reste attachée à son titre premier. « Le mot “grave“ a plusieurs sens qui correspondent bien aux thèmes développés dans le film », explique-t-elle. « Il y a d’abord la gravité terrestre, qui nous cloue au sol et nous empêche de nous envoler, même si notre environnement nous déplaît. Coincée dans une situation qui la bride, Justine est forcée de faire un choix moral et de se positionner pour définir la personne qu’elle souhaite devenir. Et puis, bien sûr, il y a la gravité de la situation elle-même, qui pousse les personnages à dire “c’est grave“ pour mieux souligner le caractère sérieux et dramatique des choses. » (3) De fait, même dans les moments les plus légers du film, la gravité de la situation reste prégnante, comme au cours de cette chute étrange à mi-chemin entre le gag absurde et le choc psychologique.
 
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016
 
© Gilles Penso

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FRAYEURS (1980)

Lucio Fulci ouvre une des portes de l'Enfer en signant l'un de ses films les plus emblématiques…

PAURA NELLA CITA DEI MORTI VIVENTI

1980 – ITALIE

Réalisé par Lucio Fulci

Avec Christopher George, Catriona MacColl, Carlo de Mejo, Antonella Interlenghi, Giovanni Lombardo Radice, Daniela Doria

THEMA ZOMBIES

A l’horreur clinique et quasi-réaliste de L’Enfer des Zombies, Lucio Fulci et son scénariste Dardano Sachetti opposent ici une épouvante plus portée sur le fantastique et le surréalisme. Le cinéaste en profite pour se laisser volontiers influencer par ses auteurs de prédilection, Edgar Allan Poe et H.P. Lovecraft en tête. Et si les zombies sont toujours à l’honneur ici, leur origine s’écarte du vaudou pour s’inscrire au sein des superstitions les plus ancestrales. Le mal prend racine dans la petite ville de Dunwitch, où le père Thomas, un prêtre respectable, se pend inexplicablement au beau milieu du cimetière. A New York, en pleine séance de spiritisme, Mary Woodhouse (Catriona MacColl) a la vision de ce suicide et tombe morte de frayeur en poussant un cri déchirant. Mais son décès n’est qu’apparent, et c’est vivante qu’on la met en terre. La jeune femme sera sauvée in extremis par le journaliste Peter Bell (Christopher George) qui entend ses hurlements souterrains. Remise sur pied, Mary délivre à son sauveteur une terrible prophétie : la pendaison du prêtre a ouvert l’une des portes de l’Enfer, et si elle n’est pas refermée avant le soir de la Toussaint, tous les morts reviendront sur terre pour dévorer les vivants. Effectivement, d’inquiétants phénomènes commencent à se produire à Dunwitch : des corps décomposés apparaissent, les murs d’un pub se mettent à craquer mystérieusement, mais tout ceci n’est que le prélude d’un véritable cauchemar. 

Frayeurs photo

C’est l’occasion pour Fulci de se livrer à l’un de ses exercices favoris : les séquences gore outrancières. Les deux moments les plus gratinés sont d’une gratuité telle qu’ils pourraient aisément être retirés du film sans gêner le moins du monde sa compréhension. C’est d’ailleurs ce qu’exigea la censure de l’époque sur certaines copies d’exploitation. Dans la première, une jeune fille voit le fantôme du prêtre. Aussitôt, ses yeux se mettent à pleurer du sang, puis ses entrailles surgissent par sa bouche et se déversent sans fin dans un abominable bruit de succion et de vomissement. Dans la seconde, un jeune marginal est accusé par un villageois d’avoir fricoté avec sa fille, et se retrouve la tête transpercée par une énorme perceuse électrique. En gros plan et sans ellipse, bien sûr. 

La phobie des asticots

Parmi les autres chocs du film, il y a cette pioche qui manque de transpercer le visage de l’enterrée vivante, ou encore cette horrible pluie d’asticots qui se collent aux visages des héros. « J’ai toujours eu la phobie des vers depuis que je suis enfant », nous avoue Catriona MacColl. « Tourner avec des asticots était donc une véritable épreuve. Nous étions quatre comédiens dans cette séquence, et chacun de nous avait droit à son gros plan. On devait me filmer en dernier. Dans les plans larges, les techniciens utilisaient du riz. Mais pour les plans serrés, nos visages devaient réellement être couverts de vrais asticots. Le maquilleur Gianetto de Rossi a enduit mon visage d’une crème transparente pour éviter que les asticots ne touchent directement mon visage, j’ai bu deux cognacs et nous avons tourné ! » (1) Outre ses excès horrifiques, Frayeurs parvient à créer un véritable climat d’angoisse et d’oppression, jouant aussi – paradoxalement – sur le hors-champ et le non vu, le tout aux accents d’une partition envoûtante et gothique composée par Fabio Frizzi.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2019.
 
© Gilles Penso

 

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ABOMINABLE (2006)

Pour sa première réalisation, le fils du compositeur Lalo Schifrin s'offre un monstre velu délicieusement old school

ABOMINABLE

2006 – USA

Réalisé par Ryan Schifrin

Avec Matt McCoy, Haley Joel, Christien Tinsley, Karin Anna Cheung, Jeffrey Combs, Natalie Compagno, Michael Deak

THEMA YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS

Abominable est le premier long-métrage de Ryan Schifrin, le fils du célèbre compositeur Lalo Schifrin (à qui nous devons quelques bandes originales mythiques comme Mission impossible, Bullit ou Amityville). Le vénérable artiste accepte donc de sortir de sa retraite pour composer la musique du film de son fiston, accentuant la patine « old school » dont le jeune réalisateur dote son galop d’essai. Abominable nous évoque du coup certains téléfilms de genre des seventies qui compensaient leurs faibles moyens par une mise en scène efficace et des comédiens solides. Six mois après un accident d’alpinisme ayant coûté la vie à son épouse dans la ville montagneuse de Flatwood, Preston Rogers (Matt McCoy) est désormais cloué sur un fauteuil roulant. Pour combattre ce traumatisme, son psychiatre lui demande de retourner sur les lieux du drame, en compagnie d’Otis, un garde-malade patibulaire. Déjà peu rassuré entre les quatre murs du chalet qu’il occupe avec son rude « co-locataire », Preston voit son malaise s’accroître en apercevant une paire d’yeux rouges dans la forêt. Evidemment, Otis ne le prend guère au sérieux…

Abominable - photo
Les choses se compliquent lorsqu’un groupe de jeunes filles s’installent dans le chalet voisin et que l’une d’elles semble disparaître dans les bois sous les yeux de Preston. Toutes ses tentatives pour alerter son entourage semblent vouées à l’échec : la police – qu’il contacte via sa connexion internet – croit à un canular, et ses jeunes voisines sont persuadées d’avoir affaire à un voyeur pervers qui les espionne sans complexe. Preston va donc devoir faire fi de son handicap et de ses phobies pour se jeter dans la gueule du loup… Ou plutôt du Yéti, comme semble le confirmer la déclaration d’un scientifique à la télévision : « Ce que nous avons là est beaucoup plus grand que le Bigfoot, et plus méchant. C’est plutôt le genre abominable homme des neiges de l’Himalaya ». Nous voilà prévenus ! Le héros cloué sur un fauteuil roulant, qui observe les alentours avec ses jumelles, évoque bien sûr celui de Fenêtre sur cour, en accord avec une série de séquences de suspense plutôt bien troussées ponctuant régulièrement le métrage.

« Beaucoup plus grand que le Bigfoot… et plus méchant ! »

Le choix de placer Abominable à contre-courant des effets de style de son époque se répercute sur tous les aspects du film, notamment un casting qui emprunte ses seconds rôles au cinéma de genre des années 80 comme Dee Wallace Stone (Cujo et Hurlements), Jeffrey Combs (Re-Animator) ou Lance Henriksen (Aliens) et un refus opiniâtre d’utiliser des effets visuels numériques. Le monstre est donc réalisé en direct, à l’aide d’un acteur engoncé dans un costume pas très convaincant conçu par Christien Tinsley. Le faciès de la bête, notamment, figé et exagérément grimaçant, n’a pas du tout la mobilité et l’expressivité requises. Malgré cet important handicap, les scènes de tension fonctionnent grâce à une mise en scène au cordeau, que Schifrin Junior agrémente d’une poignée d’effets choc (un homme se fait littéralement dévorer la tête) et un peu de nudité décomplexée (la séquence de douche). Le climax – un peu mou – s’achève toutefois sur un plan ultime plutôt gratifiant qui accentue l’indéniable charme de ce film de monstre anachronique.
 
© Gilles Penso

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LES VISITEURS (1993)

En plongeant Christian Clavier et Jean Réno dans une comédie fantastico-médiévale, Jean-Marie Poiré trouve la formule magique d'un succès inespéré

LES VISITEURS

FRANCE – 1993

Réalisé par Jean-Marie Poiré

Avec Christian Clavier, Jean Reno, Valérie Lemercier, Marie-Anne Chazel, Christian Bujeau, Isabelle Nanty

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA LES VISITEURS

Auteur du mythique Le Père Noël est une ordure, Jean-Marie Poiré essuya un terrible échec en 1989, au moment de la sortie de Mes meilleurs copains, une variante des Copains d’abord de Lawrence Kasdan qui demeure pourtant à ce jour l’un de ses films les plus réussis, les plus drôles et les plus touchants. « A l’époque, j’étais devenu tellement impopulaire que les gens de la profession avaient tendance à changer de trottoir lorsqu’ils me croisaient », nous confie-t-il avec amertume. (1) Se souvenant des couples antithétiques de Francis Veber, façon L’Emmerdeur ou La Chèvre, Poiré créa alors le duo Christian Clavier/Jean Réno à l’occasion d’Opération Corned Beef, une comédie policière balourde qui connut pourtant un certain succès et redora son blason. D’où l’initiative des Visiteurs, neuvième long-métrage de Poiré qui unit à nouveau Réno et Clavier et s’avère franchement plus réjouissant que le film précédent, dans la mesure où le comique de situation y est plus riche et où l’humour flirte ici avec un Fantastique pleinement assumé. 

En cette belle année 1122, le preux et vaillant chevalier Godefroy Le Hardi (Réno), victime de l’envoûtement d’une sorcière, tue d’un tir d’arbalète le père de sa gente fiancée, Frénégonde de Pouille (Valérie Lemercier), en le prenant pour un ours. Pour réparer cette méprise, Godefroy et Jacquouille La Fripouille (Clavier), son fidèle écuyer, avalent une potion concoctée par le mage Eusaebius et censée les renvoyer dans le passé quelques secondes avant le drame. Mais, comble de malchance, une erreur de dosage dans le breuvage propulse les deux infortunés compagnons en 1992, où ils se retrouvent nez à nez avec leurs descendants. Le château de Montmirail, jadis propriété de Godefroy, est aujourd’hui un hôtel-relais dont le propriétaire, un certain Jacquart, ressemble étonnament à Jacquouille, tandis que la descendante de Godefroy, Béatrice, est mariée à un dentiste et vit dans une résidence en lisière de la ville… 

Attention aux crises d'épilepsie !

Les Visiteurs sacrifie aux joies du vaudeville, accumule les numéros d’acteurs (avec une mention spéciale pour Christian Bujeau et Isabelle Nanty) et joue à fond la carte de l’anachronisme, multipliant les décalages humoristiques et les dialogues ciselés. L’année de fabrication des Visiteurs marquant en outre la démocratisation des effets spéciaux numériques, Poiré peut se permettre des séquences truquées bien plus ambitieuses que ce à quoi le cinéma français nous avait habitué. « Évidemment, nous n’avions pas les moyens de James Cameron », nous avouait-il à l’époque, « et de toutes façons je ne voulais pas faire un film d’effets spéciaux. Nous avons donc écrit l’histoire sans jamais nous préoccuper des problèmes techniques » (2). La mise en scène de Poiré est certes discutable. Ses champs et contre-champs tournés au grand-angle et montés de manière frénétique sans le moindre respect du raccord le plus élémentaire ne sont pas loin de provoquer des crises d’épilepsie ! Quant à sa manière d’embarquer sa caméra sur les flèches en plein vol, elle s’inspire directement du Robin des Bois de Kevin Reynolds, lui-même sous influence manifeste de Sam Raimi. A l’avenant, le compositeur Eric Levi plagie sans vergogne le thème principal composé par Michael Kamen pour Robin des Bois. Succès colossal, Les Visiteurs se mua en véritable phénomène de société, et Jean-Marie Poiré s’efforça d’en retrouver plus tard la recette. Mais visiblement, cette formule magique était à usage unique.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2002.
(2) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 1993.
 
© Gilles Penso

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JE SUIS UNE LÉGENDE (1964)

La première - et sans doute la meilleure - adaptation du classique de Richard Matheson avec un Vincent Price halluciné…

L’ULTIMO UOMO DELLA TERRA / THE LAST MAN ON EARTH

1964 – ITALIE / USA

Réalisé par Ubaldo Ragona et Sidney Salkow

Avec Vincent Price, Franca Bettoia, Emma Danielli, Giacomo Rossi-Stuart, Umberto Rau, Christi Courtland, Antonio Corevi

THEMA VAMPIRES

Dès sa sortie en 1954, le roman « Je suis une légende » de Richard Matheson s’est propulsé au rang de classique de la science-fiction, s’inscrivant dans le même courant post-apocalyptique que John Wyndham dans « La Révolte des Triffides » ou Robert Merle avec « Malevil ». Adaptation fidèle de cette impérissable fable pessimiste, le film homonyme d’Ubaldo Ragona et Sidney Salkow aborde donc lui aussi le thème du vampirisme sur fond de fin du monde et d’apocalypse. Suite à une monstrueuse épidémie planétaire, la race humaine a été éradiquée de la surface de la Terre, à l’exception d’un seul homme, le docteur Robert Morgan. Celui-ci a en effet été immunisé contre le vampirisme suite à la morsure d’une chauve-souris contaminée tandis qu’il travaillait en Amérique Centrale plusieurs années plus tôt. Tristement privilégié, le voilà devenu le dernier homme vivant sur la planète, en butte à des cadavres récalcitrants transformés en vampires assoiffés de sang.

Je suis une légende 64 - photo

Ôtant au mythe classique du vampirisme ses atours paranormaux afin de l’inscrire pleinement dans la science-fiction, le texte de Matheson insistait sur les nombreuses recherches scientifiques effectuées par son anti-héros pour comprendre le métabolisme des monstres, détournant du même coup les fameuses règles établies par Bram Stoker dans « Dracula ». D’où des réflexions généralistes telles que « tout ce qui les concernait était décidément bizarre : le fait qu’ils se cachent le jour, qu’ils évitent l’ail, qu’il faille les exterminer avec un pieu, l’effroi que leur inspirait la vue d’une croix, leur supposée terreur à l’endroit des miroirs… » Le film, lui, se concentre surtout sur l’organisation drastique que Morgan s’impose quotidiennement pour survivre et éviter la folie. Vincent Price, impeccable comme toujours, campe ce héros désabusé et épuisé.

L'ancêtre de La Nuit des Morts-Vivants ?

Loin des standards capés aux dents longues, les vampires se comportent ici comme des zombies. Vêtus comme le jour de leur mort, le teint blafard, la démarche traînante, les gestes désordonnés, ils assaillent toutes les nuits la maison de Morgan, faisant écho aux sombres avertissements proférés par le héros de Matheson : « voulez-vous ramper hors de la tombe tels des monstres vomis par l’enfer ? ». George Romero s’en inspirera très explicitement lorsqu’il réalisera quatre ans plus tard sa célèbre Nuit des Morts-Vivants. Les deux films baignent dans le même désespoir désenchanté et le même réalisme cru. Car ici, toute stylisation est évacuée. Les décors sont réels, la lumière naturaliste, la caméra sur le qui-vive, et cet aspect pseudo-documentaire renforce le cauchemar de la situation. Co-production américano-italienne, Je suis une Légende évoque aussi par moments certains exercices d’épouvante de Mario Bava ainsi que la série des adaptations d’Edgar Poe par Roger Corman où Vincent Price tient justement la vedette, en particulier dans cette scène éprouvante où l’épouse de Morgan, fraîchement enterrée, revient lui rendre visite sous forme de cadavre ambulant. Le film s’achève sur un final nihiliste et désespéré, qui trouvera lui aussi un écho dans le chef d’œuvre de George Romero.

 
© Gilles Penso

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THE BABYSITTER (2017)

Un slasher semi-parodique conçu directement pour Netflix et dirigé par un McG qu'on a connu plus inspiré

THE BABYSITTER

2017 – USA

Réalisé par McG

Avec Bella Thorne, Samara Weaving, Robbie Amell, Judah Lewis, King Bach

THEMA TUEURS 

Mais qu’est-il arrivé à McG ? L’ancien clippeur devenu cinéaste avait su transposer avec panache la série Charlie Angels sur le grand écran, et même réaliser le meilleur épisode de la saga Terminator non dirigé par James Cameron. Comment s’est-il donc retrouvé à la tête d’un téléfilm aussi anecdotique ? Visiblement persuadé qu’une fille sexy, un héros adolescent et des litres de sang étaient des ingrédients suffisants pour garantir un succès immédiat auprès du public teenager, McG s’est lancé dans une sorte de mixage improbable entre Scream et Maman j’ai raté l’avion destiné directement à une diffusion sur Netflix. 

Le personnage central de The Babysitter est Cole Johnson, un garçon de douze ans qui subit de manière récurrente le harcèlement de plusieurs de ses voisins. Intelligent mais sans doute trop naïf, il échappe à ce quotidien morose grâce à la présence de Bee, sa baby-sitter. Cette jolie jeune femme déborde de charisme et semble la seule personne de son entourage à ne pas l’infantiliser. Le lien très fort qu’ils ont noué leur permet de se considérer comme des amis. Mais Cole est persuadé que Bee attend qu’il s’endorme pour inviter des garçons dans la maison. Un soir, alors qu’il l’espionne, il la surprend avec un groupe de jeunes gens bizarres qui assassinent l’un des leurs et récupèrent son sang. Car Bee est à la tête d’une secte dont le but est d’invoquer un démon maléfique. Quand le groupe découvre que Cole les espionnait, ce dernier va devoir se battre pour survivre. 

D'une désespérante vacuité…

Si McG insiste lourdement en début de métrage sur la fragilité de Cole, qui a peur de tout et que tout le monde traite de poule mouillée, ce trait de caractère ne réapparait jamais par la suite, comme si le scénario s’improvisait au fur et à mesure. Sous couvert de second degré, The Babysitter oublie de caractériser ses personnages et se contente de mettre en scène des stéréotypes. De fait, comment croire une seconde à ce groupe de jeunes idiots qui pratiquent la magie noire en dilettantes ? Aucun cliché ne nous est épargné, pas même le sempiternel faire-valoir noir qui est censé nous faire rire en poussant des cris et en adoptant la « cool attitude ». Le film abonde de meurtres saignants (couteaux plantés dans un crâne, lance transperçant un œil, égorgements) sans pour autant trouver le ton juste. Pas assez excessif pour basculer dans les excès drôles d’un Braindead ou d’un Ash vs. Evil Dead, pas assez réaliste pour effrayer, The Babysitter ne sait visiblement pas sur quel pied danser. En désespoir de cause, le réalisateur s’amuse avec sa caméra pour combler les vides. Ces plans-séquences en vue subjective, ces caméras embarquées, ces ralentis, ces incrustations de titrages décalés ne sont pas inintéressants, mais comment les interpréter autrement que des cache-misères s’efforçant de dissimuler le néant scénaristique du film sous une couche esthétique ? Un peu plus de sincérité et d’amour réel du genre pastiché n’aurait pas nui à cette œuvrette d’une désespérante vacuité.
 
© Gilles Penso

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CHASSE À L’HOMME (1993)

John Woo nous rejoue Les Chasses du Comte Zaroff avec Jean-Claude Van Damme dans le rôle du gibier

HARD TARGET

1993 – USA

Réalisé par John Woo

Avec Jean-Claude Van Damme, Lance Henriksen, Arnold Vosloo, Yancy Butler, Lenore Banks, Chuck Pfarrer

THEMA SUPER-VILAINS

Le Syndicat du CrimeThe KillerUne balle dans la têteÀ toute épreuve… La filmographie de John Woo est spectaculaire, somptueuse, lyrique et unique en son genre. Maintes fois imité, admiré sans borne par des cinéphiles prestigieux tels que Martin Scorsese ou Quentin Tarantino, Woo décide de partir pour les États-Unis au début des années 90, au moment de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, et d’y poursuivre sa carrière. Mais le système des studios hollywoodiens ne lui est guère familier, et son premier long-métrage américain, Chasse à l’homme, va en pâtir. À vrai dire, les exécutifs d’Universal sont tellement peu confiants – notamment à cause de sa mauvaise maîtrise de la langue anglaise – qu’ils demandent à Sam Raimi d’assurer ses arrières au cas où… quitte à le remplacer si les choses tournent mal. 

Chasse à l'homme photo

Comme le laisse assez clairement imaginer son titre, Chasse à l’homme est conçu comme un remake modernisé des Chasses du Comte Zaroff. Son héros, Chance Bourdeaux, est un dur à cuire de la Nouvelle Orléans. En acceptant d’aider une femme à retrouver la trace de son père, un ancien officier des Forces Spéciales, il tombe sur un gang de chasseurs d’hommes dirigé par le vil Emil Fouchon, et se retrouve en ligne de mire d’une meute de fous de la gâchette. Prévu initialement pour Kurt Russell, le rôle principal échoit finalement à Jean-Claude Van Damme, aux premières loges face aux difficultés de John Woo à « entrer dans le moule » hollywoodien. « John Woo est un excellent réalisateur d’action, mais il a besoin de beaucoup de temps pour faire un bon film », nous racontait l’acteur belge. « Quand il est venu aux États-Unis, il a été pressé par la machine américaine, qui exigeait de lui qu’il fasse des films en trois mois. Or lui lui avait fallu six mois pour écrire The Killer, et six autres mois pour le tourner. En comparaison, nous avons écrit le scénario de Chasse à l’homme en un mois seulement. C’est la raison pour laquelle les séquences d’action de ce film sont formidables, mais son histoire un peu simple. » (1) 

La frustration de John Woo éclabousse l'écran

Car si le scénario est officiellement rédigé par Chuck Pfarrer (Navy SealsDarkman), Van Damme a mis son nez dans le script, fidèle aux habitudes qu’il a acquises depuis son accès au star-system. Chasse à l’homme ne révolutionne donc pas le genre, même si sa propension à mêler l’action nerveuse et la violence graphique nous offre quelques fulgurances flamboyantes. Tout se passe comme si la frustration et la colère de John Woo éclaboussaient l’écran à grands coups d’hémoglobine. Le film se pare de deux magnifiques bad guys : Emil Fouchon (Lance Henriksen) et son homme de main patibulaire Pik van Cleef (Arnold Vosloo, quelques années avant son rôle d’Im-Ho-Tep dans La Momie). « C’était le premier film américain de John Woo, et donc un compromis permanent », raconte Vosloo. « Depuis, il s’est habitué au système et s’est endurci. Ce qui explique la réussite de Volte/Face. » (2) Finalement, Sam Raimi n’aura pas eu à intervenir, mais force est de constater que Chasse à l’homme, est une œuvre assez anonyme, ne reflétant ni la personnalité ni la créativité de son metteur en scène.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en mars 1996
(2) Propos recueillis par votre serviteur en juin 1999
 
© Gilles Penso

 

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SUPERMAN 3 (1983)

Pour sa troisième aventure dans le collant rouge et bleu, Christopher Reeve bascule dans l'auto-parodie

SUPERMAN 3

1983 – USA

Réalisé par Richard Lester

Avec Christopher Reeve, Richard Pryor, Robert Vaughn, Jackie Cooper, Marc McClure, Annette O’Toole, Margot Kidder

THEMA SUPER-HÉROS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Après avoir remplacé en cours de route Richard Donner sur le tournage de Superman 2, Richard Lester est désormais seul en charge de la mise en scène de Superman 3. Le cinéaste peut donc s’en donner à cœur joie dans le domaine de la comédie, faisant presque basculer l’intrigue de ce troisième opus dans le pastiche pur et simple. De fait, même si les thèmes musicaux de John Williams sont toujours intégrés dans le film, la bande originale est désormais prise en charge par Ken Thorne, fidèle collaborateur de Lester (Help, Comment j’ai gagné la guerre, L’Ultime Garçonnière) qui accentue le caractère léger et humoristique de cette troisième aventure. 

Envoyé en reportage à Smallville, Clark Kent y retrouve son amie Lana Lang (Annette O’Toole). Mais une nouvelle menace l’attend. En effet, Gus Gorman (l’humoriste Richard Pryor), chômeur quelque peu loufoque mais as de l’informatique, est engagé par le puissant Ross Webster (Robert Vaughn), lequel rêve de dominer l’économie de la planète. Face à la menace que représente Superman pour ses activités hégémoniques, Webster charge Gus Gorman de reconstituer une nouvelle masse de kryptonite, seule matière capable de détruire l’homme d’acier. Celle-ci n’étant pas réellement conforme, elle n’affecte pas son corps mais son esprit. Peu à peu, Superman devient maléfique. Pour se ressaisir, il devra s’affronter lui-même. D’où le titre initial du scénario, « Superman contre Superman », abandonné après que les producteurs de Kramer contre Kramer aient menacé d’entamer une action en justice pour plagiat. 

Quand Superman se transforme en faire-valoir

Le ton semi-parodique de ce troisième volet est annoncé dès la séquence d’ouverture, petit morceau d’anthologie dans lequel l’apparition de Superman survient à l’issue d’une série d’accidents s’enchaînant les uns aux autres en un crescendo cartoonesque. L’aspect science-fictionnel inhérent au personnage principal, que Richard Donner s’était efforcé d’atténuer en prônant une approche réaliste, éclate ici au grand jour, comme si Richard Lester cherchait à justifier les origines dessinées de son super-héros. D’où le dédoublement physique de Superman ou l’intervention exubérante de cet ordinateur géant. Sous le feu des projecteurs et souvent en roue libre, Richard Pryor en fait des tonnes, éclipsant Christopher Reeve et provoquant la colère des fans purs et durs du super-héros qui n’apprécient guère de voir leur idole passer au second rang derrière un clown. Même Robert Vaughn donne dans le cabotinage, pastichant les rôles de méchants qu’il eut souvent l’occasion d’endosser au fil de sa carrière. Quant à Loïs Lane, elle n’apparaît que quelques minutes à l’écran. La petite histoire veut que ce traitement fut réservé à la comédienne Margot Kidder pour la punir d’avoir publiquement dénigré Richard Lester lorsque ce dernier prit la place de Richard Donner. Considéré comme une trahison par de nombreux amateurs, Superman 3 ne rapporta pas autant d’argent que les deux opus précédents mais fut loin d’être le flop annoncé. Christopher Reeve, pour sa part, affirma souvent être déçu par le film, regrettant presque de ne pas avoir cédé à son premier instinct qui fut de refuser d’y participer.
 
© Gilles Penso

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SPACE COWBOYS (2000)

Clint Eastwood s'envole avec trois vieux briscards pour une aventure spatiale revigorante

SPACE COWBOYS

2000 – USA

Réalisé par Clint Eastwood 

Avec Clint Eastwood, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, James Garner, James Cromwell, Marcia Gay Harden, William Devane

THEMA SPACE OPERA

En 1958, les pilotes d’essais Frank Corvin (Clint Eastwood), William Hawkins (Tommy Lee Jones), Jerry O’Neil (Donald Sutherland) et Tank Sullivan (James Garner), membres du projet expérimental Daedalus, voient leur espoir d’aller dans l’espace réduit à néant par la NASA lorsque celle-ci annonce leur remplacement par des chimpanzés. Mais quarante ans plus tard, une seconde chance va s’offrir aux quatre intrépides pilotes. Ils sont tirés de leur retraite par Bob Gerson (James Cromwell), l’homme qui les avait écartés, lorsque le satellite de télécommunications russe Ikon, vestige de la Guerre Froide, menace de décrocher de son orbite. Le quatuor voit là enfin l’occasion de concrétiser leur rêve de partir dans l’espace et goûter aux joies de l’apesanteur. Malheureusement, une fois en orbite, les quatre hommes constatent avec effroi que le satellite en question est en fait doté de missiles balistiques, initialement destinés à frapper les États-Unis en cas de guerre nucléaire généralisée.

Voilà le pitch de départ de cette première incursion de Clint Eastwood dans le domaine de la science-fiction. Une incursion qui est aussi pour l’acteur-réalisateur l’occasion de réunir ses copains. Ainsi, il partageait notamment l’affiche en 1970 avec Donald Sutherland pour le cultissime De l’or pour les braves de Brian G. Hutton. Et en 1989, c’est à James Cromwell qu’il donnait la réplique dans le buddy movie Pink Cadillac. Tourné avec le soutien logistique et technique de la NASA, qui a mis à disposition de la production la plupart de ses installations dont le centre spatial Kennedy et le Johnson Space Center de Houston, Space Cowboys s’avère un très bon divertissement qui ne se prend absolument pas au sérieux. Si la plupart des matériels présentés sont parfaitement réels, certaines situations sont en revanche complètement fantaisistes. Pour les effets visuels, le réalisateur fit appel à ILM.  

Quatre adolescents attardés dans l'espace

Si Clint Eastwood tient à garder un certain degré de réalisme, le film lorgne quand même du côté de la farce de collégiens, surtout lorsque les quatre vétérans, s’entrainant difficilement pour leur voyage orbital autour de la Terre, sont gentiment charriés par quatre aspirants astronautes. Cela donne quelques échanges savoureux, dont notamment celui de la scène de la cantine. Les quatre acteurs s’en donnent à cœur joie et, il faut bien le reconnaitre, monopolisent l’écran avec un certain plaisir. Fort heureusement, les rôles secondaires tirent aussi leur épingle du jeu. Nous retrouvons des comédiens de qualité dont William Devane (transfuge de Hollow Man) en directeur de vol ou encore James Cromwell (Star Trek Premier ContactLa Ligne VerteI, Robot), en administrateur de la NASA. Hommage avoué de Clint Eastwood aux premiers héros de la conquête spatiale, et notamment ceux qui n’ont pas eu la chance d’y aller, Space Cowboys rencontrera un joli succès dans le monde, récoltant au passage 129 millions de dollars dans le monde dont 100 millions rien qu’aux États-Unis. En France, il flirtera avec le million d’entrées. Antithèse réussie de L’Étoffe des Héros, ce long-métrage n’est certainement pas le meilleur film de Clint Eastwood. Toutefois, ce dernier prouve au moins une chose importante, c’est qu’à 70 ans, il savait encore ne pas se prendre au sérieux.
 
© Antoine Meunier

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MISSION TO MARS (2000)

Brian de Palma s'éloigne de son terrain de prédilection pour plonger dans la science-fiction… Une mission impossible ?

MISSION TO MARS

2000 – USA

Réalisé par Brian de Palma

Avec Gary Sinise, Don Cheadle, Connie Nielsen, Jerry O’Connell, Tim Robbins, Armin Mueller-Stahl

THEMA SPACE OPERA

En entrant dans les années 2000, Brian de Palma s’attaquait à un genre qui semblait à des années lumières de son univers : le space opéra. Certes, le cinéaste s’était nourri dans sa jeunesse de nombreux romans de science-fiction et caressait même le projet de réaliser un jour un remake de Planète Interdite. Mais son cinéma reste ancré dans une réalité tangible et « terre à terre », se nourrissant d’un réalisme presque toujours contemporain pour mieux le transcender et y injecter une dimension fantastique. Chez De Palma, même l’intrigue policière la plus traditionnelle prend des atours oniriques, traversée par des fulgurances mémorables. Allait-il savoir transposer ses effets de style dans l’espace ? Le réalisateur semble lui-même circonspect, s’obligeant artificiellement à démarrer le film par deux longs plans-séquences de trois minutes chacun, comme s’il tenait à rassurer les spectateurs en apposant dès le générique l’une de ses marques de fabrique stylistiques les plus connues. Mais d’emblée, on sent que quelque chose cloche. Car ces longs plans filmés en continuité n’ont aucun apport narratif et s’enchaînent de manière abrupte (comme si la logistique avait empêché le réalisateur de n’obtenir qu’un seul plan-séquence de six minutes), renforçant la gratuité du procédé. Ce qui semble n’être qu’un détail est en réalité révélateur du problème majeur de Mission to Mars : un film écrit pour un autre réalisateur (en l’occurrence Gore Verbinski) que Brian de Palma cherche à s’approprier sans parvenir à en unifier le style de manière cohérente.
Partagé entre sa volonté de rendre des hommages répétés à 2001 l’Odyssée de l’Espace (les séquences de déambulation des astronautes dans la centrifugeuse, les plans majestueux d’un vaisseau longiligne aux allures de Discovery), d’aborder son univers futuriste sous l’angle le plus réaliste possible (avec l’apport officiel de la NASA), d’abandonner le cynisme qui irradiait volontairement ses œuvres précédentes (L’ImpasseSnake EyesMission Impossible) et d’achever son récit sur un grand climax métaphysique, De Palma semble ne pas savoir sur quel pied danser. La première séquence martienne s’avère pourtant prometteuse. La titanesque tempête qui s’abat sur l’expédition et disloque littéralement les malheureux astronautes, servie par des effets visuels époustouflants d’ILM, nous laisse bouche bée. La mission de sauvetage qui se met ensuite en place, menée conjointement par un beau quatuor d’acteurs (Tim Robbins, Gary Sinise, Connie Nielsen et Jerry O’Connell), laisse encore aux spectateurs beaucoup d’espoir. Mais lorsque cette mission tourne à la catastrophe, le film atteint un point de non-retour. Tout bascule lors de la scène excessivement dramatisée du sacrifice d’un des personnages principaux. Là, alors que tous les protagonistes sont en sortie extravéhiculaire, les effets visuels commencent à défaillir, et la musique d’Ennio Morricone devient exagérément romantique. Au lieu d’amplifier par sa présence une séquence conçue pour saisir les spectateurs d’émotion, la bande originale abuse de trompettes mélancoliques et de violons languissants jusqu’à provoquer un effet de décalage à la limite du risible. Tout se passe comme si Morricone et De Palma, trop heureux de leurs retrouvailles après plus de dix ans de séparation, se laissaient aller à l’emphase en oubliant toute mesure. Dès lors, le film s’avère incapable de doser ses effets et s’achemine vers un grand final saugrenu. 

Le début de la fin…

Mission to Mars se voulant rationnel et cartésien, il s’interdit tout mystère, même si l’entrée des survivants dans la blancheur immaculée du visage géant évoque les conclusions ambiguës de 2001 et de Rencontres du Troisième Type. Le scénario ayant pris le parti de tout expliquer et tout montrer sans laisser de place à la suggestion, les spectateurs déconcertés découvrent alors une sorte de planétarium numérique racontant pédagogiquement l’histoire de notre système solaire, jusqu’à ce que surgisse un extra-terrestre féminin – conçu avec des images de synthèse d’une effroyable laideur – jouant auprès de nos héros le rôle de professeur d’astronomie. Notre suspension d’incrédulité, mise à rude épreuve, vole alors en éclats. Le tout premier plan de Mission to Mars montrait le lancement d’une fusée qui n’était en réalité qu’un accessoire de feu d’artifice. C’est hélas l’impression que nous laissera finalement le film : celle d’un pétard mouillé. Brian de Palma ne se remettra jamais vraiment de cet échec artistique, s’efforçant dès lors de retrouver en vain la verve du cinéaste immense et génial qu’il fut autrefois.
 
© Gilles Penso

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