OKJA (2017)

Contrairement aux apparences, ce récit d'une fillette coréenne et de son gentil cochon géant n'a rien d'un conte pour enfants

OKJA

2017 – COREE DU SUD / USA

Réalisé par Bong Joon-ho

Avec Ahn Seo-hyeon, Tilda Swinton, Paul Dano, Jake Gyllenhaal, Byeon Hee-bong, Steven yeun, Lily Collins, Yoon Je-moon

THEMA MAMMIFÈRES

Bong Joon-ho n’est pas du genre à arpenter les sentiers gentiment balisés par ses prédécesseurs. Avec des œuvres aussi atypiques que The Host ou Le Transperceneige, il s’emparait d’univers extrêmement codifiés (le film de monstre géant et la fable post-apocalyptique) pour les dynamiter de l’intérieur et les revisiter de fond en comble. En toute logique, son approche du conte allégorique ne ressemble à rien de connu. A tel point que Okja prend vite les allures d’un OVNI un peu indéfinissable. Tilda Swinton incarne avec une jovialité teintée de duplicité Lucy Mirando, héritière de l’empire Mirando Corporation. Face aux médias, elle annonce fièrement la création d’une nouvelle race de cochons géants. Vingt-six d’entre eux seront élevés en pleine nature, à différents endroits du globe, pendant une dizaine d’années. A l’issue de ce délai, l’un d’eux sera couronné plus beau cochon du monde. Nous découvrons alors la petite Mija (Ahn Seo-hyeon), qui vit avec son grand-père dans une montagne de Corée du Sud, loin de la ville, et voue une amitié indéfectible au cochon femelle géant Okja. Les premières images de la fillette et son ami quadrupède (une incroyable réussite numérique conçue par l’équipe de Method Studios) évoquent tour à tour Mon Voisin TotoroPeter et Elliott le Dragon ou même E.T. l’extraterrestre. Or si Miyazaki, Spielberg et les studios Disney semblent influencer partiellement le film, Bong Joon-ho brise une fois de plus tous les codes. 

Lorsque la compagnie Morando vient réclamer son dû et que le Front de Libération des Animaux s’en mêle, les choses dégénèrent et d’époustouflantes séquences d’action scandent le film, comme la course-poursuite en camion dans les rues de Séoul ou encore l’évasion d’Okja qui sème une belle panique dans les rues de la ville puis dans un grand magasin. De tels passages nous coupent le souffle par leur ambition, même si l’on peine à comprendre où le film veut en venir. Cette salve manifeste à l’encontre de l’hypocrisie des grosses corporations, de certains « écolo-terroristes » extrémistes et de la bêtise humaine en général fonctionnerait sans doute si la quasi-totalité des protagonistes n’était pas traitée sous un angle aussi caricatural. La palme en ce domaine revient probablement à Jake Gyllenhaal, assez insupportable en présentateur d’émissions animalières complètement hystérique. Le message a donc du mal à passer, seule la jeune Ahn Seo-hyeon nous offrant une certaine sobriété de jeu. 

Partagé entre le burlesque, le drame et le conte fantastique

L’autre problème majeur du film est son positionnement. A priori, l’histoire d’une petite fille et de son ami le monstre gentil est destinée aux enfants. Mais avec un « fuck » inséré toutes les deux minutes dans les dialogues et une séquence très éprouvante située dans un monstrueux abattoir, la cible visée n’est manifestement pas enfantine. Partagé entre l’humour burlesque, le drame, le conte fantastique, le film de monstre, la satire sociale anticapitaliste et écologique et la science-fiction pure et dure, Okja semble ne pas savoir sur quel pied danser. En peine de trouver le bon équilibre et le ton juste, le film nous intrigue et nous surprend, ce qui n’est déjà pas si mal, mais laisse un arrière-goût indigeste qui entrave notre pleine implication émotionnelle.

 

© Gilles Penso

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SPIDER-MAN DEFIE LE DRAGON (1979)

Le troisième - et sans doute le pire - des téléfilms consacrés à l'Homme-Araignée dans les années 70

SPIDER-MAN AND THE DRAGON CHALLENGE

1979 – USA / HONG-KONG

Réalisé par Don McDougal

Avec Nicholas Hammond, Robert F. Simon, Chip Fields, Ellen Bry, Rosalind Chao, Hagan Beggs, Richard Erdman, Benson Fong

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SPIDER-MAN I MARVEL

Malgré son succès relatif – plus probablement lié à la popularité du personnage qu’à la qualité du programme lui-même – la série télévisée L’Homme-Araignée diffusée sur CBS à partir de l’automne 1977 s’interrompt au bout de treize épisodes seulement. Mais pour exploiter le filon jusqu’au bout avant l’improbable récupération du personnage par la société japonaise Toei, les deux derniers épisodes (« The Chinese Web » part 1 et 2) sont réunis en un seul et exploités sous forme de long-métrage sous le titre Spider-Man défie le Dragon. Cela semble certes difficile à imaginer, mais le résultat s’avère encore plus catastrophique que les pourtant gratinés L’Homme-Araignée et La Riposte de l’Homme-Araignée. Toujours incarné par le chenu Robert F. Simon, J. Jonah Jameson est un vieil homme affable à mille lieues du rédacteur en chef hargneux imaginé par Stan Lee. Son ami le diplomate chinois Min Lo Chan (Benson Fong) vient lui demander son aide pour prouver qu’il n’est pas un traitre à sa nation. L’opinion publique a en effet été manipulée par l’industriel américain Zeider (Richard Erdman) qui ne veut pas voir compromis ses sinistres projets en Asie et envoie des hommes de main pour assassiner le politicien.

C’est là qu’entre en jeu Spider-Man, prélude d’une pataude aventure qui le conduira jusqu’à Hong-Kong. Extrêmement bavard, Spider-Man défie le Dragon n’en finit plus de recourir aux dialogues explicatifs pour exposer les situations en plans statiques et en champs et contrechamps scolaires. C’est avec une patience durement mise à l’épreuve que nous attendons l’entrée en jeu de l’Homme-Araignée, mais lorsque le monte-en-l’air intervient enfin, comment ne pas soupirer d’exaspération ou éclater d’un rire nerveux et libérateur ? Sous son costume toujours aussi mal fagoté – le tissus plisse, d’énormes lentilles cachent ses yeux, des bracelets et une ceinture en plastique ornent ses poignets et sa taille, des bottes en caoutchouc entravent ses pas – le « super-héros » s’avère désespérément lent, maladroit et dénué du moindre super-pouvoir. A peine sautille-t-il timidement et envoie-t-il quelques coups de poing timides à ses adversaires, lançant des ficelles censées figurer de la toile d’araignée et se laissant blesser par balles à deux reprises au fil d’une intrigue exaspérante d’ennui.

Costume plissé, grosses ficelles et chapeau pointu

Certes, Nicholas Hammond a toujours la tête de l’emploi et reste même rétrospectivement un Peter Parker bien plus acceptable que ceux incarnés par Andrew Garfield ou Tom Holland, son physique s’approchant beaucoup du personnage tel qu’il fut dessiné par John Romita Sr. A part ça, Spider-Man défie le Dragon nous offre une visite touristique de la Chine (démonstrations de kung-fu, visite de temples et de marchés, cérémonies taoïstes), la poursuite en bateaux la plus molle de tous les temps et – comble du ridicule – une scène clé au cours de laquelle l’Homme-Araignée se coiffe d’un chapeau pointu pour se faire passer pour un Chinois ! Les plus attentifs remarqueront la présence furtive de Ted Danson dans le rôle d’un officier militaire qui tuyaute Parker en début de métrage.

 

© Gilles Penso

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LA NUIT DES MORTS-VIVANTS (1990)

Le remake en couleurs du classique de George Romero, dirigé par le roi des maquillages spéciaux Tom Savini

NIGHT OF THE LIVING DEAD

1990 – USA

Réalisé par Tom Savini

Avec Tony Todd, Patricia Tallman, Tom Towles, McKee Anderson, William Butler, Katie Finneran

THEMA ZOMBIES I SAGA LES ZOMBIES DE ROMERO

La motivation qui a présidé à la mise en chantier de ce remake laisse pensif. « Au départ, c’est pour une histoire de copyrights », explique George Romero. «Le premier film devait s’appeler Night of the Flesh Eaters. Mais le distributeur a choisi un autre titre au dernier moment, et je n’avais pas pensé à en protéger les droits. J’étais un petit gars de Pittsburgh pas tellement au courant de ces choses-là ! Pour récupérer le copyright, nous avons donc eu l’idée d’un remake, que j’ai écrit et produit, et dont Tom Savini a assuré la réalisation. » (1) Du coup, cette nouvelle version s’avère exceptionnellement conforme à son modèle. Situations, Péripéties, décors, scènes, dialogues y sont restitués fidèlement, les personnages ayant en outre les mêmes traits de personnalité et les mêmes caractéristiques physiques.

Cependant, il faut noter ici une différence considérable, qui concerne le personnage de Barbara, interprétée avec beaucoup de conviction par l’actrice et cascadeuse Patricia Tallman. Au lieu de rester prostrée pendant toute la durée du film, comme en 1968, elle domine sa peur et devient une battante émérite qui vole même la vedette à Ben, héros de la version originale, et incarné ici par Tony Todd (futur « héros » de Candyman). Son physique s’en ressent, troquant la robe d’été et la coupe sixties de son modèle contre des cheveux courts et une tenue plus masculine. « A l’époque du premier film, je souhaitais surtout traiter de révolution et de familles éclatées », raconte Romero. « Ici, je me suis plutôt penché vers le féminisme. » (2) Autre changement notable entre le remake et son modèle : le dénouement. La chute du film de Romero, qui reste dans toutes les mémoires, n’a pas été restituée ici, d’une part parce que Ben n’est plus vraiment le héros, et d’autre part parce que ce coup de théâtre n’aurait pas constitué une surprise pour les spectateurs connaissant la version originale. Toujours est-il que la chute choisie déçoit quelque peu. 

Une approche plus féministe ?

La plus grosse perte subie est cependant liée à l’atmosphère. Le noir et blanc granuleux de la première Nuit des Morts-Vivants véhiculait en effet une ambiance de sourde terreur que la quête de réalisme de cette version modernisée ne restitue guère, malgré une manifeste efficacité lors des séquences de tension et de suspense. Effectuant là ses premiers pas dans la réalisation d’un long-métrage, après s’être fait les dents sur la série Histoires de l’Autre Monde, Tom Savini a confié les maquillages spéciaux au duo Everett Burell et John Vulich, qui a créé à l’occasion des morts vivants très réalistes, loin des visages simplement blafards des zombies de Romero. Le film ne cède d’ailleurs jamais aux débordements gore de mise en pareil contexte, ce qui étonne d’autant plus que Savini, en tant que maquilleur, s’en était fait une spécialité. Soucieux de perpétuer la parabole sociale initiée par Romero, le cinéaste nous délivre ici une vision très acerbe de la milice qui se défoule sur les zombies, organise des combats entre eux et les pend aux arbres pour s’entraîner au tir. Des images qui prolongent celles, déjà très cyniques, de Zombie et du Jour des Morts-Vivants, et annoncent même partiellement celles de Land of the Dead.

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2005

© Gilles Penso

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LES MARAIS DE LA HAINE (1974)

Un petit classique du cinéma d'exploitation des années 70 qui confronte une sauvageonne à des rednecks libidineux

GATOR BAIT

1974 – USA

Réalisé par Ferd et Beverly Sebastian

Avec Claudia Jennings, Sam Gilman, Douglas Dirkson, Clyde Ventura, Bill Thurman, Don Baldwin, Ben Sebastian, Janit Baldwin, Tracy Sebastian

THEMA TUEURS 

Les Marais de la haine a été écrit sur mesure pour la comédienne Claudia Jennings, avec qui le couple de cinéastes Ferd et Beverly Sebastian s’était particulièrement bien entendu sur le tournage de The Single Girls. Tout à fait conscients du sex-appeal étourdissant de l’ex-mannequin qui s’exposa généreusement dans les pages du magazine Playboy, les Sebastian en font l’attraction principale de ce survival pur et dur qui parvient à se déployer hors des sentiers balisés par l’incontournable Délivrance. Certes, l’influence du film de John Boorman est prégnante, ne serait-ce que par le choix de placer les protagonistes des Marais de la haine sur des embarcations flottant au cœur d’une nature hostile et par l’utilisation d’une musique country obsédante. Mais sous cette patine familière, ce ‘Gator Bait (littéralement « appât d’alligator ») réserve des surprises, s’éloignant même des codes du « Rape and Revenge » forestier tels qu’ils furent établis par La Dernière maison sur la gauche de Wes Craven.

L’intrigue se situe dans les bayous de Louisiane, où la petite équipe du film s’installa pendant dix jours, se serrant les coudes dans un motel abandonné qui leur servit de résidence provisoire. Ce système D profite à l’atmosphère brute du film, filmé quasi-integralement avec une caméra légère portée à la main par Ferd Sebastian. D’où un fort sentiment d’immersion dans ces marais inhospitaliers où grouillent serpents et crocodiles. La belle Claudia incarne Désirée Thibodeau, une braconnière parfaitement intégrée dans ce cadre sauvage avec lequel elle ne semble faire qu’un. Le cheveu ébouriffé, la chemise mitée, le short déchiré, elle a presque les allures d’une des femmes préhistoriques d’Un million d’années avant JC. Ses journées sont occupées à chasser le reptile dans les eaux verdâtres puis à rejoindre son frère et sa sœur dans le logement de fortune qu’ils ont bricolé au bord du marais. Mais Désirée – dont le prénom n’a évidemment pas été choisi au hasard – attise les appétits sexuels des rednecks du coin qui semblent prêts à tout pour lui mettre la main dessus. Une chasse à l’homme brutale s’amorce bientôt, prélude à un point de non retour sanglant…

La créature des marais

Les recettes du cinéma d’exploitation des années 70 sont minutieusement respectées dans Les Marais de la haine, et l’archétype d’une figure masculine systématiquement négative (stupides, couards, libidineux, violents, consanguins, les hommes rivalisent ici de tares) doterait presque le film d’une dimension féministe. L’iconisation de l’héroïne n’en est que plus fascinante. Assumée dès les prémisses comme une créature des marais, Désirée semble échapper au statut de simple être humain pour se fondre dans la nature, comme une nymphe mythologique ou une vouivre échappée des légendes médiévales (cette dernière analogie étant bien sûr renforcée par la présence du marais et des serpents). Ce n’est pas le moindre attrait de ces Marais de la haine, dont le scénario dénonce en filigrane les travers bien réels d’un racisme anti-Cadiens infestant le Sud des Etats-Unis.

 

© Gilles Penso

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LA MOMIE (1932)

Après Dracula et Frankenstein, uns troisième créature légendaire vient s'inscrire dans la mythologie des Universal Monsters

THE MUMMY

1932 – USA

Réalisé par Karl Freund

Avec Boris Karloff, David Manners, Edward Van Sloan, Zita Johann, Arthur Byron, Bramwell Fletcher, Noble Johnson, Kathryn Byron

THEMA MOMIES I SAGA UNIVERSAL MONSTERS

Soucieux de s’inscrire dans la lignée du Dracula de Tod Browning, La Momie lui emprunte de nombreux éléments scénaristiques et même sa musique de générique, « Le Lac des Cygnes » de Tchaïkovsky, tandis que le texte suivant s’affiche en guise de prologue : « Voici le parchemin de Thot. Ici sont écrits les mots magiques avec lesquels Isis ramena Osiris à la vie. Ô Amon-Rê, Ô Dieu des dieux, la mort n’est que le seuil d’une nouvelle vie. Nous vivons aujourd’hui, nous vivrons à nouveau, nous reviendrons sous de nombreuses formes. Ô, Tout-Puissant. » Dans les ruines de Thèbes en 1921, des archéologues découvrent la momie d’Imhotep, Grand-Prêtre du Temple du Soleil à Karna (Boris Karloff sous un extraordinaire maquillage de Jack Pierce qui nécessitait huit heures de pose !). A ses côtés se trouve un coffret sur le couvercle duquel une inscription promet une terrible malédiction à ceux qui oseront l’ouvrir. Mais le plus jeune et le plus fougueux des chercheurs ne résiste pas à la tentation. Il trouve dans le coffret le fameux parchemin de Thot et le lit. Aussitôt, la momie s’anime et emporte le parchemin, tandis que notre homme sombre dans la folie. La scène, baignée dans un inquiétant silence et bénéficiant d’un découpage minutieux, est empreinte d’une terreur sourde que l’on ne retrouvera plus par la suite.

Karloff quitte dès lors ses bandelettes poussiéreuses pour réapparaître dix ans plus tard sous les traits parcheminés d’un étrange Egyptien nommé Ardath Bay (anagramme de « Death by Ra », autrement dit « Tué par Ra », le dieu du soleil). Il se présente à Frank Whemple (David Manners), fils du savant qui dirigeait la précédente expédition, et lui propose de le mener jusqu’à la tombe de la princesse Anck-es-en-Amon, fille du pharaon Amenophis. Lorsque celle-ci est exhumée et exhibée au musée britannique du Caire, l’étrange Ardath Bay se noie dans sa contemplation, puis lit à voix haute le parchemin de Thot, envoûtant à distance une jeune anglaise du nom d’Helen Grosvenor (Zita Johann). Celle-ci, comme sous hypnose, quitte une soirée mondaine pour venir le rejoindre, puis s’évanouit devant les portes fermées du musée. Frank s’éprend bientôt d’elle, mais Ardath Bay a d’autres projets pour la jeune fille, qui n’est autre que la réincarnation de sa bien aimée Anck-es-en-Amon, et à qui il déclame : « Mon amour a duré plus longtemps que les temples de nos dieux ».

Le regard de Boris Karloff

Le film repose en grande partie sur la prestation impressionnante du grand Boris, dont un simple regard, comme jaillissant des orbites noires de son visage cadavérique, suffit à glacer le sang. Dans le rôle du professeur Muller, spécialiste des sciences occultes, Edward Von Sloan reprend quasiment le personnage d’Abraham Van Helsing qu’il incarnait dans Dracula. Quant à Karl Freund, un directeur de la photographie allemand très talentueux débarqué aux Etats-Unis à peine deux ans plus tôt, il signe ici sa première mise en scène et s’en tire avec les honneurs, mouvant sa caméra dès qu’il en a l’occasion et soignant tout particulièrement sa lumière. Nouveau succès pour Universal, la Momie engendra à son tour tout un lot de séquelles.

 

© Gilles Penso

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LAKE PLACID (1999)

Bridget Fonda et Bill Pullman affrontent un crocodile géant dans ce mixage étrange entre la comédie romantique et le film de monstre

LAKE PLACID

1999 – USA

Réalisé par Steve Miner

Avec Bill Pullman, Bridget Fonda, Oliver Platt, Brendan Gleeson, Betty White, David Lewis, Tim Dixon, Natassia Malthe

THEMA REPTILES ET VOLATILES I MONSTRES MARINS I SAGA : LAKE PLACID

Depuis l’excellent Tremors de Ron Underwood, chacun sait que le film de monstre et la comédie peuvent parfois se marier avec bonheur. Partant de ce postulat, les producteurs de Lake Placid ont tenté un cocktail à priori imparable : un réalisateur spécialisé dans l’épouvante et les effets spéciaux (Steve Miner, à qui nous devons Le Tueur du VendrediHouse, Warlock et Halloween 20 ans après) et un scénariste habitué aux comédies et aux personnages truculents (David E. Kelley, créateur des séries Ally McBeal et The Practice). Sur le papier, l’idée est excellente. A l’écran, c’est déjà moins évident. 

Pourtant, Lake Placid démarre sous les meilleurs auspices. Typique de l’univers de Kelley, Kelly Scott, l’héroïne incarnée par Bridget Fonda, est une jeune new-yorkaise un peu névrosée qui échoue lamentablement dans ses relations avec les hommes et tente de se réfugier dans son travail. Si ce n’est qu’au lieu d’être avocate, elle est paléontologue. Après la mort inexpliquée d’un agent de la protection des eaux et forêts, littéralement coupé en deux aux abords d’un lac sous les yeux du shérif Hank Keough (Brendan Gleeson), une dent qui semble dater de la préhistoire est retrouvée à proximité du cadavre. Kelly part donc dans le Maine – ce qui lui permet de s’éloigner de son ex – afin d’étudier la dent en question. Bien vite, le coupable s’avère être un crocodile de dix mètres de long à la force et à la férocité incroyables. Pour lui mettre la main dessus, Kelly et Hank font équipe avec le garde forestier Jack Wells (Bill Pullman) et le scientifique excentrique et milliardaire Hector Cry (Oliver Platt), un homme fasciné depuis toujours par les crocodiles, et qui ne semble atteindre le bonheur complet qu’en « chatouillant les dragons ». « Toutes les cultures primitives les ont défiés », raconte Kelly au garde forestier qui lui fait les yeux doux. « En Chine, en Egypte, en Australie, en Asie… Les crocodiles ont été plus vénérés que Jésus. »

« Les crocodiles ont été plus vénérés que Jésus… »

Conçu par l’équipe de Stan Winston sous forme de trois marionnettes grandeur nature (un modèle mécanique pour les gros plans, un exemplaire radio-commandé pour les mouvements à la surface de l’eau et une version hydraulique pour les prises de vues sous-marines), le monstre est une vraie réussite, dont le réalisme n’est pas altéré lorsque les images de synthèse de Digital Domain prennent le relais. Colossal, il surgit dans une série de séquences d’action impressionnantes, décapitant un policier sur le pont d’un bateau, engloutissant un ours qui menace les héros ou refermant ses mâchoires sur un hélicoptère en plein vol. Les personnages eux-mêmes sont attachants et leurs dialogues font souvent mouche. Pourtant, l’alchimie ne prend pas vraiment. Car le scénario est tellement prévisible, tellement ancré dans les lieux communs inhérents au genre depuis Les Dents de la Mer que Lake Placid prend vite une tournure anecdotique, évacuant tout effet de surprise. La romance naissante entre Kelly et Jack est traitée par-dessus la jambe, les altercations entre Hank et Hector n’ont pas grand intérêt. Comble de la frustration, le film de Steve Miner s’achève sur le climax le plus mou de l’histoire du cinéma. Trois séquelles directement dédiées au petit écran prendront la suite de Lake Placid entre 2007 et 2012.

 

© Gilles Penso

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KINKY KONG (2006)

Probablement la parodie de King Kong la plus navrante, la plus mal-fichue et la plus inutile jamais portée à l'écran

KING KONG

2006 – USA

Réalisé par John Bacchus

Avec John Fedele, Sabrina Faire, Darian Caine, A.J. Khan, Duane Polcou, Alexia Moore, Lora Renee, Jennifer Stanczak

THEMA SINGES I DINOSAURES

Des imitations, séquelles, remakes et parodies, King Kong en aura connu beaucoup au fil des ans, depuis sa première spectaculaire incursion sur les écrans du monde entier en 1933. Mais aucune de ces variantes n’aura été aussi calamiteuse que Kinky Kong, à côté duquel même les effroyables King Kong revient ou King Kong 2 passeraient pour des chefs d’œuvre ! Le principe d’un pastiche paillard au budget étriqué et à l’humour au-dessous de la ceinture n’était pas détestable en soi. Dans le genre, les deux Flesh Gordon ou Queen Kong avaient su nous distraire et palliaient leurs moyens modestes par une inventivité décuplée. Mais ici, l’exaspération nous gagne dès les premières secondes. 

Le scénario reprend dans les grandes lignes celui du King Kong original : un cinéaste mégalomane (John Fedele en totale roue libre) déniche l’actrice idéale (Sabrina Faire) pour l’emmener sur une île sauvage où il mène une petite expédition à la recherche d’un gorille géant, lequel est ramené à New York pour y être exhibé avant son inévitable évasion. Le jeu des acteurs totalement catastrophique, la pauvreté des décors (généralement quatre murs à peine éclairés) et l’ineptie des gags ont déjà de quoi rebuter les spectateurs les plus indulgents. Mais comment ne pas baisser les bras lorsqu’on constate qu’une bonne moitié du film est constituée de scènes d’une aberrante gratuité au cours desquelles des jeunes femmes en tenue relativement sexy se déhanchent face à la caméra ? Chacune de ces séquences dure dix bonnes minutes et n’en finit plus de s’étirer, sans dégager le moindre érotisme dans la mesure où les pin-up se contentent de remuer sans conviction et ne laissent jamais apparaître un seul bout de chair (si les seins se dénudent, une main prude les dissimule aussitôt). Il existe cela dit une version non censurée qui va beaucoup plus loin dans la nudité de son casting féminin.

Un gorille géant en couche-culotte

Le gorille géant ne fait donc que de la figuration. Il s’agit comme on pouvait s’y attendre d’un comédien engoncé dans un costume grotesque et affublé d’un couche-culotte masquant une érection permanente, tandis que son faciès ahuri arbore une grosse langue pendouillante. La bête est intégrée dans le décor via quelques approximatives incrustations sur fond vert. Assez bizarrement, John Bacchus prend tout de même la peine de parodier le combat de Kong contre l’allosaure et sollicite à cet effet le savoir-faire de l’animateur Brett Piper, qui avait su agrémenter maintes productions fauchées de créatures en stop-motion du plus bel effet (Mystérieuse PlanèteA Nymphoïd Barbarian in Dinosaur Hell, Arachnia). Hélas, son talent ne transparaît guère dans Kinky Kong, le dinosaure en question étant une figurine balourde très maladroitement animée, et incrustée n’importe comment dans les séquences avec le gorille géant. Le final accumule les gags embarrassants (le producteur est pris de flatulences intempestives, le matelot Jack tombe amoureux du singe et se travestit en blonde, le monstre se masturbe à flanc de building et éjacule des litres de semence sur son prétendant, le métro aérien file tout droit dans les fesses de Kong, avant que ce dernier n’aille s’accoupler avec la Statue de la Liberté), sans que le film ne nous épargne ces sempiternelles et insupportables séquences de déhanchements féminins à répétition.

 

© Gilles Penso

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UN JOUR SANS FIN (1993)

Un cocktail miraculeux d'humour et de fantastique concocté par un Harold Ramis au sommet de son art

GROUNDHOG DAY

1993 – USA

Réalisé par Harold Ramis

Avec Bill Murray, Andie MacDowell, Chris Elliott, Stephen Tobolowsky, Brian Doyle-Murray

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Un Jour sans fin appartient à cette catégorie précieuse de films qui provoquent une bonne humeur immédiate, communicative et durable. Le scénario s’appuie sur une idée tellement insolite qu’elle aurait pu servir de base à un épisode de La Quatrième Dimension. Phil Connors (Bill Murray, inoubliable héros pince sans rire de S.O.S. Fantômes) présente la météo sur une chaîne câblée de la télévision américaine. Ses agitations devant un fond bleu et ses prévisions sur les humeurs du ciel sont inscrites dans une routine où la passion a disparu au profit du cynisme et de la roublardise. Cette routine prévoit également un séjour annuel à Punxsutawney, une petite bourgade qui célèbre tous les 2 février le « jour de la marmotte ». Phil part donc s’acquitter sans enthousiasme de son reportage, en compagnie de son caméraman (Chris Elliott) et de sa nouvelle productrice Rita (l’irrésistible Andy McDowell). La journée se déroule selon un schéma habituel, mais après le reportage, un blizzard se lève et oblige le trio à passer une nuit supplémentaire sur place. Le lendemain matin, Phil découvre avec stupeur que la journée de la veille recommence. Dès lors, sans qu’il comprenne pourquoi, il va revivre inlassablement ce 2 février à Punxsutawney.

Le concept du protagoniste coincé dans une boucle temporelle est devenu depuis longtemps un motif classique du cinéma de science-fiction, décliné sous des formes aussi variées que Retroaction, Source Code, Edge of Tomorrow, Happy Birthdead ou The Endless. Mais à l’époque d’Un Jour sans fin, le terrain était vierge dans ce domaine, du moins à l’écran, et le fait que ce soit une comédie – et non une fable de SF pure et dure – qui donne au genre ses premières lettres de noblesse offre un nouveau sens au terme « comique de répétition ». Le principe de la redite inlassable permet de faire passer le héros par tous les états d’âme possibles et imaginables, de  l’incrédulité à la stupéfaction en passant par la lassitude, l’inquiétude, la déprime, l’opportunisme ou le sentimentalisme. Attiré par Rita, Phil tente de la séduire. Mais, tel Sisyphe ou les Danaïades condamnés à recommencer éternellement leur labeur dans les Enfers de la mythologie, il voit ses efforts réduits au néant lorsque, chaque matin, la journée recommence à son point de départ et que Rita a tout oublié. 

L'éternel recommencement

Même si tout ici est prétexte à faire rire le spectateur, les implications psychologiques de cet éternel recommencement – qui n’est pas sans évoquer certains exercices de style d’Alain Resnais – sont passionnantes, et Harold Ramis sait éviter la moralisation qui menace parfois de poindre à l’horizon. Scénariste et acteur (il partagea justement la vedette avec Murray et Dan Aykroyd dans S.O.S. Fantômes), Ramis avait jusqu’alors signé des comédies sympathiques mais guère promises à la postérité : CaddyshackBonjour les Vacances et Club Paradise. Mais avec Un Jour Sans Fin, ce fut la consécration immédiate. Le film aurait même tendance à se bonifier en vieillissant, la justesse de jeu du couple vedette et la mise en scène ciselée de Ramis étant – comme le film lui-même – atemporels.

 

© Gilles Penso

 

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LA FUSÉE DE L’ÉPOUVANTE (1958)

Une créature extra-terrestre s'infiltre dans un vaisseau spatial terrien et massacre ses occupants un à un…

IT! THE TERROR FROM BEYOND SPACE

1958 – USA

Réalisé par Edward L. Cahn

Avec Ray Corrigan, Marshall Thompson, Shawn Smith, Ann Doran, Kim Spalding, Paul Langton, Dabbs Greer, Robert Bice

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Un an après les inénarrables hommes-choux d’Invasion of the Saucer Men, Edward L. Cahn se lance dans une nouvelle invasion extra-terrestre, mais cette fois-ci la science-fiction grand-guignolesque cède le pas à une épouvante insidieuse. Aidé d’un scénario efficace de Jerome Bixby et d’un casting plutôt solide, il livre ici l’un des ancêtres les plus mémorables de l’Alien de Ridley Scott. On y suit en effet les mésaventures d’une expédition spatiale sur Mars, partie enquêter sur la disparition de l’équipage précédent en cette futuriste année 1973. Sur la planète rouge, ils ne trouvent qu’un survivant traumatisé, le colonel Edward Carruthers, qui crie à qui veut l’entendre que ses collègues ont été exterminés par un monstre sanguinaire. Nos fiers astronautes le ramènent dans leur vaisseau sans accorder le moindre crédit à son histoire, et sur Terre on prépare déjà une cour martiale en guise d’accueil. Mais lors du voyage retour, les membres de l’expédition doivent se rendre à l’évidence : ils ont embarqué avec eux un passager clandestin des plus indésirables, autrement dit une créature extra-terrestre qui va se mettre à les tuer un par un.

L’œuvre surprend par sa maîtrise, quand on la compare aux autres fantaisies d’Edward Cahn, notamment The She-CreatureVoodoo Woman ou Curse of the Faceless Man. Même le maquilleur Paul Blaisdell, d’ordinaire si peu inspiré, livre ici un costume d’extra-terrestre plutôt convaincant, aidé il est vrai par la pénombre dans laquelle il est la plupart du temps plongé. Le vétéran Kenneth Peach, qui fit partie de l’équipe du légendaire King Kong de 1933, pare en effet le film d’une photographie extrêmement soignée, jouant avec talent sur les zones d’ombres et dramatisant à outrance le huis clos où se noue cette tragédie interstellaire. Plus il avance, plus le récit ôte aux protagonistes tout espoir de vaincre le monstre. Car ni les balles, ni les grenades, ni le gaz ne semblent l’importuner outre mesure. Désespérément tenace, la bête continue donc de trucider les hommes qui lui tombent entre les griffes, vidant leur corps de tout le liquide qu’il contient. Le scénario tire donc au mieux parti de cette situation angoissante, y adjoignant en prime une petite rivalité amoureuse. 

L'une des sources d'inspiration d'Alien

Mais il faut bien avouer que cette Fusée de l’épouvante n’échappe guère, au bout d’un moment, à une certaine monotonie, imputable à la répétition incessante des situations et aux limites d’un décor somme toute très restreint. D’autant qu’entre les furtives attaques de la bête, les personnages passent le plus clair de leur temps à se promener dans les étroites coursives et à bavarder, échafaudant des stratégies qui s’avèrent toutes plus inefficaces les unes que les autres. Au passage, on relèvera d’un œil amusé le sexisme typiquement fifties qui plane discrètement sur cette mission spatiale. Car si l’équipage est mixte, chacun reste sagement à sa place. Comme dans cette séquence anodine où les hommes boivent et discutent tandis que les femmes servent le café et font la vaisselle ! Dix ans plus tard, Gene Roddenberry allait enfin bousculer les préjugés avec l’équipage panaché et coloré de Star Trek, faisant fi d’un machisme et d’un racisme alors très ancrés dans les mentalités.

 

© Gilles Penso

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HIGHLANDER : LE RETOUR (1991)

La fable atemporelle conçue par Russell Mulcahy nécessitait-elle une suite ? La réponse est assez claire !

HIGHLANDER 2: THE QUICKENING

1991 – USA

Réalisé par Russell Mulcahy

Avec Christophe Lambert, Sean Connery, Virginia Madsen, Michael Ironside

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I EXTRA-TERRESTRES SAGA HIGHLANDER

Avant-gardiste, poétique, épique et délicieusement anachronique, Highlander était une perle rare, un concentré d’inventivité et de génie visuel concocté par un cinéaste au sommet de son art. Il présentait également le mérite de traiter frontalement une thématique passionnante mais peu exploitée à l’écran jusqu’alors : les affres de l’immortalité, condamnant ceux qui la possèdent à voir mourir leurs proches. Bouclé, le scénario n’appelait aucune suite. Mais les grands studios savent faire fi de la logique lorsque le tiroir-caisse promet de se remplir. L’idée d’un Highlander 2 se concrétisa donc assez rapidement, suite au succès planétaire du premier opus, et Russel Mulcahy fut sollicité pour retrouver les ingrédients de son film précédent. Hélas, la liberté dont le réalisateur australien jouissait jusqu’alors lui fut peu à peu retirée par des producteurs soucieux de contrôler tous les aspects artistiques de cette séquelle. Le fantastique élégant et stylisé se mua donc en space opéra grotesque puisant son inspiration dans les films de SF de la décennie précédente. 

D’emblée, nous apprenons avec stupeur que tous les immortels sont des extra-terrestres venus d’une certaine planète Zeist. L’intrigue démarre en 1999 et Connor McLeod (Christophe Lambert, fidèle au poste) décide de créer une équipe de scientifiques nommée le Shield (aucun lien avec Marvel) afin de régler le problème du trou de la couche d’ozone. Puis nous nous retrouvons en 2024. Connor est désormais un vieil homme, et le redoutable général Katana (Michael Ironside, imitant Jack Nicholson à la perfection) envoie des assassins pour se débarrasser de lui. Mais notre highlander a encore de beaux restes et élimine sans sourciller les tueurs montés sur des skateboards volants. Aussitôt, miracle, leur force de vie rajeunit Connor et ressuscite le preux Ramirez (Sean Connery). Copains comme cochons, les deux guerriers immortels s’apprêtent bientôt à affronter Katana, qui décide de venir en personne pourfendre ses ennemis. 

Une spectaculaire erreur de parcours

Accablante, incohérente, ridicule, cette séquelle prouve bien à quel point Highlander était unique et se suffisait à lui-même. Les plans futuristes lorgnent dangereusement du côté de Blade Runner, les vues de la planète Zeist imitent timidement Dune et la grande majorité des effets spéciaux donne dans le tape à l’œil maladroit, si l’on excepte peut-être le maquillage vieillissant de Lambert et le combat voltigeant du début (directement inspiré par Retour vers le Futur 2, gros succès de l’année précédente). Le grotesque est roi et le plan final, au cours duquel Christophe Lambert s’envole en souriant devant un fond étoilé, est un très grand moment d’humour involontaire. Highlander 2 sera le chant du cygne de Russell Mulcahy, réalisateur surdoué qui retomba aussitôt dans l’oubli, se contentant dès lors de fabriquer des produits calibrés et sans âme (The Shadow, RésurrectionResident Evil Extinction). Frustré par cet inavouable Highlander 2, Mulcahy en proposa une version longue sur DVD en 1994, plus proche de ses intentions initiales. Mais même sous cette édition, le film reste une spectaculaire erreur de parcours.

 

© Gilles Penso