UN STUPÉFIANT NOËL (2023)

Éric Judor et Ragnar le Breton inversent leurs corps dans cette comédie aux gros sabots qui détourne les codes des contes de Noël…

UN STUPÉFIANT NOËL

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Arthur Sanigou

 

Avec Eric Judor, Matthias Quiviger, Lison Daniel, Alex Lutz, Paul Deby, Jonas Dinal, Kim Higelin, Théodore Le Blanc, Catherine Hosmalin, François Vincentelli

 

THEMA CONTES

Réalisateur de sketches pour l’émission « Clique » et d’un téléfilm parodique pour Canal + (La Vengeance au triple galop), Arthur Sanigou se lance avec Un stupéfiant Noël dans une comédie déjantée conçue pour égayer les programmes de fin d’année sur la plateforme d’Amazon Prime. Le concept ? Faire partager le haut de l’affiche à un acteur comique populaire (Éric Judor) et à un humoriste/sportif apprenti-comédien (Matthias Quiviger plus connu sous son sobriquet de « Ragnar le Breton ») pour les plonger au cœur d’une aventure fantastique s’appuyant sur un concept saugrenu. Quiviger incarne Greg, un policier spécialisé dans les opérations musclées qui sacrifie sans cesse sa vie de famille à cause de son métier. Ce Noël encore, il va devoir laisser tomber sa petite fille pour une opération d’infiltration dans un gang de trafiquants de drogue. Facétieux, le Père Noël (Guy Lecluyse) décide alors d’intervenir en exauçant le vœu de la fillette : faire ressembler son père à Richard Silestone (Éric Judor), héros d’une série télévisée américaine sirupeuse et bourrée de clichés. Soudain, les deux personnages échangent leurs corps et se retrouvent chacun plongé dans l’univers de l’autre. Leur seul moyen d’entrer en contact est une montre talkie-walkie qui émet le même bruit que les communicateurs de Star Trek

L’effet comique principalement recherché dans ce Stupéfiant Noël est donc le décalage. Son principe même veut que deux protagonistes aux antipodes (le flic brutal dur à cuire et le père de famille gentiment niais) inversent leur rôle et vivent chacun la vie de l’autre. Par conséquent, les situations de « poisson hors de l’eau » s’accumulent abondamment : Judor qui prépare de la drogue en croyant être sollicité pour ses talents de pâtissier, Quiviger qui prend des cours de patinage artistique… Voilà pour le moteur principal du film. À l’unisson, les « vedettes invitées » jouent elles aussi ce jeu permanent du décalage, notamment Monsieur Poulpe en « gros bras » aussi maladroit que Pierre Richard, Alex Lutz en vieux milliardaire américain, Bruno Sanches en ancien militaire passablement dérangé ou Philippe Lacheau en assistant gaffeur du Père Noël.

Vis ma vie

Pour fonctionner pleinement, il aurait déjà fallu que le film puisse s’appuyer sur des performances d’acteur solides. Or si Éric Judor sait nous dérider avec son look improbable (moustache, grosse mèche et bronzage excessif) et son jeu puéril devenu une véritable marque de fabrique, Matthias Quiviger a bien du mal à faire exister son personnage. Car il ne suffit pas d’être un humoriste des réseaux sociaux spécialisé dans les paires de baffes pour être un comédien digne de ce nom. La mise en scène elle-même ne fait pas beaucoup d’éclats, jouant la carte prudente du fonctionnel, sauf peut-être au moment du climax qui, par la grâce d’un montage très habile, alterne une bataille mouvementée contre les trafiquants et une chorégraphie sur glace endiablée aux accents d’un morceau de hard rock. Le problème majeur du film reste son scénario pataud qui ne sait que faire de son postulat absurde et laisse donc traîner en longueur chaque scène supposément comique dans l’espoir d’atteindre le plus vite possible les 90 minutes réglementaires. Les dialogues sont médiocres, la caricature est le mot d’ordre général, bref, voilà clairement une fausse bonne idée qui aurait sans doute pu donner lieu à un sketch amusant mais certainement pas un long-métrage digne de ce nom.

 

© Gilles Penso


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GODZILLA MINUS ONE (2023)

Le titan radioactif déploie toute sa rage destructrice dans cet épisode remarquable à mi-chemin entre le drame d’après-guerre et le film catastrophe…

GOJIRA MAINASU WAN

 

2023 – JAPON

 

Réalisé par Takashi Yamazaki

 

Avec Ryunosuke Kamiki, Minami Hamabe, Yuki Yamada, Munetaka Aoki, Hidetaka Yoshioka, Sakura Ando, Kuranosuke Sasaki

 

THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA

Quel bonheur d’entrer dans une salle de cinéma, de voir les lumières s’éteindre et de contempler le logo Toho qui brille au beau milieu de l’écran, porteur de promesses indicibles pour l’amateur de grands monstres japonais de la première heure ! La dernière fois que les cinéastes nippons avaient ressuscité en live le plus célèbre des dinosaures/dragons atomiques, c’était en 2016 avec Godzilla Résurgence. L’envie ne leur manquait certes pas de poursuivre sur leur lancée, mais le contrat qui liait la Toho au studio américain Legendary Pictures prévoyait d’abord de laisser la place aux variantes hollywoodiennes (en l’occurrence Godzilla II : Roi des monstres et Godzilla vs. Kong). Le créneau étant momentanément libre, un nouveau Godzilla japonais peut enfin revenir sur les écrans, confié cette fois-ci à Takashi Yamazaki, sur la foi de son drame guerrier The Great War of Archimedes sorti en 2019. Fasciné par la deuxième guerre mondiale (comme en témoignent plusieurs de ses films), Yamazaki écrit un scénario qui se situe au lendemain du conflit. « Le Japon de l’après-guerre a tout perdu », raconte-t-il. « Le film dépeint une existence qui suscite un désespoir sans précédent. Le titre Godzilla Minus One a été choisi dans cette optique. Pour illustrer cela, l’équipe et moi-même avons travaillé ensemble pour que lorsque surgit Godzilla, il donne l’impression que la peur elle-même marche vers nous. Je pense que ce film est l’aboutissement de tous les films que j’ai réalisés jusqu’à présent. » (1)

Le héros de Godzilla Minus One est Koichi (Ryunosuke Kamiki), un jeune pilote kamikaze destiné à perdre la vie au combat. Le sujet travaille visiblement le cinéaste, puisqu’il est aussi au cœur de Kamikaze : le dernier assaut sorti en 2013. Sauf que dans le cas présent, notre aviateur refuse d’assumer sa responsabilité, simulant une avarie technique pour éviter de mourir dans le crash de son appareil. Cette décision va désormais le hanter et former le nœud dramatique principal du scénario. De retour dans un Tokyo dévasté où tout est à reconstruire, il n’est plus qu’un étranger qu’on regarde avec suspicion. Comment un kamikaze peut-il rentrer sain et sauf de la guerre ? A-t-il vraiment accompli son devoir ? La culpabilité que traîne désormais Koichi se matérialise à l’écran sous la plus monstrueuse des formes. Car lorsque Godzilla jaillit des eaux pour semer la terreur et la destruction, c’est clairement une métaphore de la mauvaise conscience du héros qui prend corps. Et pour faire la paix avec lui-même, il va lui falloir affronter la bête, quitte à y laisser la vie pour de bon cette fois.

Les sacrifiés

Ce militaire en perdition, la jeune femme qu’il recueille à contrecœur dans un logement de fortune et le bébé qu’ils adoptent pour ne pas l’abandonner forment bientôt une famille dysfonctionnelle et déséquilibrée dont les tourments, au sein d’un Japon en miettes qui panse comme il peut ses blessures physiques et morales, sont palpables, crédibles, terriblement réalistes. Voir surgir Godzilla dans un tel contexte est d’autant plus surprenant. Car une fois n’est pas coutume, les personnages humains nous touchent tant que le film pourrait quasiment se passer de monstre et d’élément fantastique sans cesser pour autant d’intéresser ses spectateurs. Godzilla Minue One joue alors le grand écart entre l’intimisme et le gigantisme, trouvant le juste équilibre qui lui confère toute sa singularité et toute sa saveur. Le monstre lui-même n’a jamais été aussi terrifiant. Véritable machine à détruire, à rugir, à piétiner et à désintégrer (l’allumage progressif de ses plaques dorsales, prélude au redoutable « crachat thermique », provoque à chaque fois des frissons irrépressibles), il s’inscrit dans des séquences de suspense et d’action vertigineuses qui paient à la fois leur tribut au Godzilla original mais aussi aux Dents de la mer et à Godzilla, Mothra et King Ghidorah, l’un des opus préférés de Takashi Yamazaki. Godzilla Minus One célèbre donc avec panache le grand retour du titan radioactif, au moment où la Toho s’apprête justement à célébrer le 70ème anniversaire de sa naissance.

 

(1) Extrait d’un communiqué de presse publié en juillet 2023

 

© Gilles Penso


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GUEULES NOIRES (2023)

Un groupe de mineurs s’enfonce au fin fond de galeries inexplorées et réveille une chose inquiétante en sommeil depuis très longtemps…

GUEULES NOIRES

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Mathieu Turi

 

Avec Samuel Le Bihan, Amir El Kacem, Thomas Solivérès, Jean-Hugues Anglade, Diego Martin, Marc Riso, Bruno Sanches, Philippe Torreton, Antoine Basler

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Après Hostile et Méandre, deux incursions très réussies dans le domaine de la science-fiction, Mathieu Turi continue de creuser bravement le sillon du genre fantastique en se focalisant cette fois-ci sur un petit groupe de protagonistes exclusivement masculins – marquant de fait une rupture avec les deux films précédents qui adoptaient chacun le point de vue d’un personnage féminin. À l’origine de Gueules noires, il y a l’envie de combiner les codes du cinéma d’horreur et ceux du film d’aventures à l’ancienne, avec à la clef la découverte sous terre d’artefacts anciens qui réveillent une malédiction vieille de plusieurs milliers d’années. Désireux d’inscrire son récit dans un contexte français, le réalisateur évacue donc les décors antiques situés dans des pays exotiques lointains. D’où l’idée de s’intéresser au monde des mineurs de charbon, à une époque où l’industrialisation commence progressivement à gagner du terrain. Mathieu Turi n’étant pas du genre à faire les choses à moitié, il tient à offrir aux spectateurs la vision la plus réaliste possible de ce milieu ouvrier des années 50, quitte à transporter son équipe sur des sites authentiques du nord de la France, à évacuer tout usage du fond vert et à ne pas recourir au tournage en studio. Si Gueules noires sent la poussière, le calcaire, la pierre, l’humidité et le charbon, c’est parce que les galeries dans lesquelles se promènent les caméras du film sont bien réelles.

Plusieurs séquences qui avancent progressivement dans le temps s’enchâssent les unes dans les autres avant que l’intrigue à proprement parler puisse commencer, histoire de planter le décor et de mettre en place une atmosphère très particulière, partagée entre l’ultra-réalisme et une certaine féerie. Le prologue situé en 1855 nous offre l’image d’Épinal de mineurs à l’ancienne qui détectent les éventuelles fuites de gaz à l’aide d’un pénitent aux allures de sorcier vaudou. Leur destin qu’on imagine funeste ne s’éclairera que bien plus tard. Le film nous transporte ensuite en 1956, d’abord au Maroc où sont recrutés sans ménagement de futurs mineurs destinés à creuser les galeries du Nord de la France, ensuite sur « l’île du diable », une zone de charbonnage extrêmement dangereuse menée avec fermeté par Fouassier (Philippe Torreton, dont le jeu rugueux et naturaliste ajoute une couche de crédibilité supplémentaire au film). Parmi les hommes qu’il coordonne, Roland (Samuel Le Bihan) est l’un des plus expérimentés. Vétéran de la guerre, il mène chaque jour avec poigne une équipe hétéroclite de mineurs qui ne contestent jamais son autorité. Cette routine quotidienne va s’enrayer suite à l’arrivée de deux nouveaux venus : Amir (Amir El Kacem), qui débarque tout juste du Maroc et ne connaît encore rien à la mine, et surtout le professeur Berthier (Jean-Hugues Anglade), qui se soulage de quelques pots de vin pour s’embarquer avec ce petit groupe mille mètres sous terre, à la recherche d’un trésor archéologique mystérieux…

Mauvaise mine

Il ne faut pas longtemps pour détecter les sources d’inspiration majeures de Mathieu Turi. Si ce groupe d’hommes isolés en proie à une créature inconnue nous évoque rapidement les héros de The Thing, la mécanique de sept personnages en huis-clos agressés l’un après l’autre par une entité cachée dans l’ombre nous ramène illico à Alien. Mais si le réalisateur connaît ses classiques (et les assume sans détour), Gueules noires ne joue jamais la carte de la référence, du clin d’œil ou du post-modernisme cinéphilique. Bien campé sur ses positions, le film embrasse son contexte minier réaliste et n’en démord pas. La mise en forme impeccable du film, la photographie soignée d’Alain Duplantier (qui compose habilement avec les lampes portées par les personnages) et les décors bien réels concourent à captiver très tôt les spectateurs et à les embarquer dans cette mission claustrophobique (avec le personnage d’Amir comme pôle d’identification idéal). Le basculement dans le surnaturel est frontal et brutal, porté par des effets spéciaux à l’ancienne qui possèdent la qualité tactile dont sont encore dépourvues certaines images de synthèse (et qui fleurent bon le latex et l’animatronique des années 80, bien sûr !). En ce sens, Mathieu Turi nous offre ce que nous espérions, avec une indiscutable générosité. On pourra regretter qu’à ce stade de la narration le scientifique campé par Jean-Hugues Anglade (une sorte de professeur Tournesol exalté à contre-courant total des autres protagonistes) se sente obligé de surexpliquer à grand renfort de commentaires et de citations la mythologie qui sous-tend l’intrigue. Lever autant le voile sur le mystère n’était peut-être pas nécessaire, et nous n’aurions pas été contre un peu plus d’incertitudes. Après tout, H.P. Lovecraft – auquel le film se réfère ouvertement – n’était-il pas le roi de l’indicible ? À cette réserve près, comment ne pas saluer l’audace sans cesse renouvelée d’un cinéaste qui ne cesse film après film de déclarer sa flamme au genre fantastique ?

 

© Gilles Penso


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FIVE NIGHTS AT FREDDY’S (2023)

Un gardien de nuit est chargé de veiller sur une pizzera désaffectée dans laquelle se dressent d’inquiétantes figurines animatroniques…

FIVE NIGHTS AT FREDDY’S

 

2023 – USA

 

Réalisé par Emma Tammi

 

Avec John Hutcherson, Piper Rubio, Elizabeth Lail, Mary Stuart Masterson, Matthew Lillard, Kat Conner Sterling, David Lind, Christian Stokes, Joseph Poliquin

 

THEMA OBJETS VIVANTS

C’est le 8 août 2014 que sort la première mouture du jeu vidéo « Five Nights at Freddy’s » imaginé par Scott Cawthon, gros succès de « survival horror » qui donnera naissance à plusieurs suites. Dès l’année 2015, le cinéma s’intéresse à une adaptation du jeu par l’entremise du studio Warner Bros. C’est alors Gil Kenan (Monster House, Poltergeist version 2015) qui est envisagé à la mise en scène. Mais la production prend du retard, le projet n’avance pas et Kenan se retire. En 2017, la compagnie Blumhouse prend le relais et propose la réalisation à Chris Columbus (Harry Potter, Percy Jackson). Les préparatifs continuent à traîner, laissant le temps à un projet concurrent de sortir sur les écrans : Willy’s Wonderland. Ce film dingue réalisé par Kevin Lewis, avec Nicolas Cage en tête d’affiche, n’est pas une adaptation officielle de « Five Nights at Freddy’s » mais reprend une grande partie de son concept, oscillant entre l’horreur et la comédie et générant un petit culte autour de son grain de folie joyeusement absurde. De fait, lorsque Five Night at Freddy’s finit enfin par se concrétiser, sous la direction de la réalisatrice Emma Tammi, le film sent déjà un peu le réchauffé et le déjà vu.

Five Nights at Freddy’s s’intéresse à Mike Schmidt (John Hutcherson), agent de sécurité dans un centre commercial qui perd son emploi après avoir agressé un père négligent qu’il avait pris pour un kidnappeur. Son comportement violent est justifié par un traumatisme d’enfance qui nous sera révélé en cours d’intrigue. Son conseiller d’orientation professionnelle propose à Mike un emploi de gardien de nuit chez Freddy Fazbear’s Pizzeria, un centre de divertissement familial autrefois prospère mais aujourd’hui abandonné. D’abord réticent, Mike finit par accepter l’offre lorsque les services sociaux menacent de lui retirer la garde de sa jeune sœur Abby (Piper Rubio) et de la confier à leur sinistre tante Jane (Mary Stuart Masterson) qui souhaite toucher les mensualités liées à la garde de la fillette. Ce boulot de gardien de nuit chez Freddy’s ne semble pas particulièrement compliqué. Mais dans les coulisses se cachent plusieurs mascottes aux allures de grands animaux en peluche animatroniques qui ne demandent qu’à revenir à la vie…

Animatronics Attack

Totalement délirant, le concept du film est résumé à mi-parcours par Mike en ces termes : « Des enfants fantômes qui possèdent des robots géants ! » Nous sommes donc légitimement en droit d’espérer un film d’horreur excessif s’octroyant une pleine liberté de ton. Or Five Nights at Freddy’s a du mal à trouver sa tonalité. Malgré le caractère absurde des monstres, les mécanismes de peur sont ici traités au premier degré et s’avèrent pour la plupart totalement inefficaces. Comme en outre le film met la pédale douce sur le gore et ne fait pas spécialement rire, on se perd en conjectures sur le public visé. Car Emma Tammi se prend très au sérieux, s’attachant à décrire en détail les états d’âme, les traumas, les émotions et les sentiments de ses protagonistes. Certes, John Hutcherson (que nous avions découvert enfant dans Zathura puis adolescent dans Voyage au centre de la Terre) se révèle convaincant sous la défroque de ce loser insomniaque à la dérive, et la relation complexe qu’il entretient avec sa jeune sœur a quelque chose de touchant. Mais ce travail de caractérisation semble totalement inapproprié dans un tel film, d’autant que d’autres personnages (comme la femme-flic incarnée par Elizabeth Lail) n’ont aucune épaisseur et se comportent au mépris de toute logique. On ne sait donc pas vraiment sur quel pied danser et comment appréhender ce film bancal. Willy’s Wonderland avait au moins le mérite d’opter pour un parti pris, si invraisemblable soit-il. Five Night at Freddy’s finit donc par nous laisser indifférents, malgré le travail intéressant réalisé par les artistes de l’atelier Jim Henson sur les créatures animatroniques.

 

© Gilles Penso


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THE POD GENERATION (2023)

Dans le futur, les femmes n’auront plus besoin d’être enceintes ou d’accoucher pour avoir un bébé : on n’arrête plus le progrès !

THE POD GENERATION

 

2023 – BELGIQUE / FRANCE / GB

 

Réalisé par Sophie Bathes

 

Avec Emilia Clarke, Chiwetel Ejiofor, Vinette Robinson, Veerle Dejaeger, Lamara Stridjhaftig, Emma De Poot, Kyoung Her, Karel Van Cutsem, David Beelen

 

THEMA FUTUR I MÉDECINE EN FOLIE

Après avoir réalisé la comédie fantastique Âmes en stock (avec Paul Giamatti) et une version personnelle de Madame Bovary (avec Mia Wasikowska), Sophie Barthes s’intéresse au rapport complexe à la maternité qu’entretient un couple de new-yorkais dans un monde futur très proche du nôtre. Ce troisième long-métrage, une co-production entre la Belgique, la France et le Royaume Uni, met en scène Emilia Clarke (la « reine des dragons » de Game of Thrones) et Chiwetel Ejiofor (le héros de 12 Years a Slave). Par sa nature même, c’est déjà un film atypique. Dans la cité d’anticipation de The Pod Generation, les assistants virtuels sont partout, commentant nos gestes et nos humeurs, prodiguant sans cesse des conseils, préparant les repas et les loisirs de chacun. La productivité des salariés est désormais mesurée par des algorithmes, les thérapeutes ne sont plus des humains, les forêts sont majoritairement holographiques, l’air frais se consomme dans les bars, l’éducation n’est plus financée par le gouvernement et – petite nouveauté qui va bouleverser bien des habitudes – on peut désormais se passer de grossesse et d’accouchement pour faire des bébés !

« Confiez-nous la phase la plus contraignante et profitez de vos bébés » affirme avec jovialité le patron de la toute puissante entreprise Pegazus qui commercialise les pods, des œufs synthétiques connectés qui abritent les embryons pendant neuf mois jusqu’à leur naissance. Toutes les campagnes marketing de Pegazus vantent les mérites d’une société où la femme pourra enfin continuer à s’épanouir professionnellement sans avoir à subir les inconvénients d’une grossesse. Rachel (Emilia Clarke), pleinement intégrée dans une entreprise où elle ne cesse de démontrer son efficacité, est fortement tentée par l’option du pod mais n’ose pas en parler à son mari Alvy (Chiwetel Ejiofor). Car ce dernier est en parfait décalage avec la tournure qu’est en train de prendre le monde. Il est botaniste, s’intéresse à la terre, aux plantes, aux feuilles et aux arbres. Lorsqu’elle apprend quel est le métier d’Alvy, la DRH de Rachel fait la grimace avant d’avancer : « je suppose donc que vous êtes la source principale des revenus du foyer ? » Dans cette société moderne où l’intelligence artificielle est partout, l’amour de la nature n’est pas un atout mais plutôt un vestige obsolète du passé. Comment Alvy réagira-t-il en apprenant que Rachel s’est inscrite sur une liste d’attente chez Pegazus et vient d’être admise pour acquérir son précieux pod ?

Contre-nature

Parfaitement dans l’air du temps, The Pod Generation soulève les problématiques de son temps. « Le progrès ne rend personne superflu, il nous complète » s’entend ainsi dire une salariée qui s’inquiète de voir des machines intelligentes se substituer peu à peu à ses collègues. Sophie Barthes s’efforce de filmer cet univers aseptisé avec un maximum de naturalisme, sans jamais insister sur les éléments de science-fiction qui sont donc intégrés comme des composantes banales de l’environnement et de l’intrigue. Mais il est évident que ce futur proche est une dictature douce et sans douleur, un totalitarisme insidieux qui ne dit pas son nom. La déshumanisation s’y installe tranquillement, derrière les sourires commerciaux des grands patrons qui prétendent ne vouloir que le bien de leurs semblables. The Pod Generation s’appuie sur la performance très convaincante de ses acteurs principaux qui se prêtent au jeu comme dans une comédie dramatique « traditionnelle » et renforcent la crédibilité de cet avenir décidément très plausible. Dommage que le scénario peine à exploiter pleinement ses prémices fascinantes. L’hymne à la nature finit par se révéler trop démonstratif et la résolution déçoit par sa simplicité et son absence de prise de risques. Il manque clairement au film un dernier acte digne de ce nom, et l’on en vient à se demander si un tel sujet n’aurait pas eu plus d’impact sur un format plus court… dans un épisode de Black Mirror par exemple.

 

© Gilles Penso


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LE RÈGNE ANIMAL (2023)

Un film d’anticipation révolutionnaire à fleur de peau, de plumes et d’écailles, où se mêlent fantastique, poésie, philosophie et utopie…

LE RÈGNE ANIMAL

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Thomas Cailley

 

Avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos, Tom Mercier, Billie Blain, Xavier Aubert, Saadia Bentaïeb, Gabriel Caballero, Iliana Khelifa, Paul Muguruza

 

THEMA MUTATIONS

Le réalisateur et auteur Thomas Cailley s’était déjà distingué en 2014 avec son film Les Combattants dans lequel Madeleine (Adèle Haenel) anticipait la fin du monde civilisé et nous touchait avec un mélange de candeur et de déterminisme. Inspirée par les méthodes de survie de l’armée, se préparant à sauver l’espèce humaine de façon paramilitaire, elle entrainait dans sa quête et sa retraite marginale Arnaud (Kévin Azaïs), plus amoureux que convaincu. Si ce film teinté d’humour ironisait sur la vacuité de l’opération, il suscitait notre empathie avec une jeunesse pessimiste, impuissante à faire face à l’héritage d’un monde civilisé sur le déclin. Neuf ans plus tard, Le Règne animal s’inscrit dans le même registre, à ceci près que la jeunesse n’est pas seule avec ses angoisses tandis que le monde voit apparaître un nouveau phénomène : la mutation lente d’êtres humains de tous âges en créatures forcées de s’adapter à leur condition au prix de multiples difficultés et souffrances, autant physiques que psychologiques. Par son sujet, son traitement dénué de manichéisme et son mélange des genres, ce film est aussi révolutionnaire que l’a été le premier X-Men de Bryan Singer lorsqu’il a marqué l’an 2000 en ouvrant la voie aux films de super-héros jusqu’alors réduits aux Superman et aux séries TV. Si X-Men, au delà de la brillance de son scénario, a pu se concrétiser grâce aux avancées du numérique, Le Règne animal fait la part belle aux maquillages spéciaux avec un rapport à l’image plus organique que futuriste.

En compagnie d’Émile (Paul Kircher), son ado réticent à partir dans le sud, François (Romain Duris), un père toujours amoureux de sa femme, est déterminé à réunir sa famille malgré la « maladie » de celle-ci qui la transforme en « créature ». La communauté scientifique tente de comprendre et de s’adapter à ce mystérieux phénomène qui soulève aussi rejets, hostilités, peurs et dégoûts par ceux qui choisissent la chasse et l’élimination. Car ces créatures d’un genre nouveau, chacune avec ses spécificités, sont inadaptées dans de nombreux environnements et par conséquent causent des dégâts. L’idée est donc de les regrouper dans un centre spécialisé à des fins de recherche. Quand un accident de la route les libère d’un sort d’animaux de laboratoire, ces créatures avides de liberté se réfugient dans la forêt. Si Les Combattants nous plongeait au cœur de paysages vosgiens, Le Règne animal nous transporte dans le sud-ouest de la France, et particulièrement parmi les fougères des forêts des Landes de Gascogne, ce qui n’a rien d’anodin puisqu’elles abritent entre autres une réserve naturelle, paradis pour la biodiversité. À pas de loups s’introduit, à travers ces transformations de l’espèce humaine, une question qui n’a rien de saugrenue si l’on en juge par la longue évolution des espèces : et si la survie et l’équilibre de la planète bleue tenaient à la fusion de l’homme avec cette nature qu’il agresse, exploite et mutile plus que de raison depuis l’avènement de l’ère industrielle et le 19°siècle ?

La course pour la survie

Car en biologie, l’Homme n’appartient-il pas à la famille des vertébrés du règne animal ? Le buisson de l’évolution ne nous démontre-t-il pas que si l’Homme est capable d’établir ces classifications, repères temporaires, c’est pour mieux prendre humblement conscience de sa place et de ses responsabilités dans l’évolution du vivant ? Le film, qui n’a rien de moralisateur, ne répond à aucune question, mais il choisit de nous faire éprouver des sensations, tout en nous glissant insidieusement des idées comme lors de cette belle séquence de course-poursuite dans un champ de maïs industriel jusqu’à la forêt, dernier rempart protecteur de… l’humanité ? Car c’est bien de ça qu’il est question tout au long du film : entre jugements et harcèlements des uns, compréhension et tendresse des autres, où nous situons-nous dans cette course pour la survie ? C’est encore une question que se pose Julia (Adèle Exarchopoulos), le personnage de gendarme qui, tout en obéissant aux ordres dictés par sa fonction, observe ce monde et cette famille en mutation d’un regard bienveillant et compatissant. Les marques de tendresse et les pointes d’humour portées par ce casting 5 étoiles sont distillées tout au long de ce splendide film à l’émotion à fleur de peau, de plumes et d’écailles…

 

© Quélou Parente


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L’EXORCISTE – DÉVOTION (2023)

Cinquante ans après le classique de William Friedkin, le réalisateur d’Halloween version 2018 en signe une suite tardive…

THE EXORCIST : BELIEVER

 

2023 – USA

 

Réalisé par David Gordon Green

 

Avec Leslie Odom Jr, Ann Dowd, Jennifer Nettles, Norbert Leo Butz, Lidya Jewett, Olivia O’Neill, Ellen Burstyn, Okwui Okpokwasili, Raphael Sbarge

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I ENFANTS I SAGA L’EXORCISTE

David Gordon Green ne serait-il plus bon qu’à s’emparer des créations des autres pour en tirer des suites/remakes à sa sauce ? Après avoir pris la relève de John Carpenter pour revisiter la saga Halloween, le voilà maintenant sur les traces de William Friedkin. Le projet de L’Exorciste – Dévotion ressemble d’abord à une opération marketing qui consiste à profiter du cinquantième anniversaire de la sortie du premier Exorciste pour en proposer une suite directe, située plusieurs décennies après les événements racontés en 1973, tout en ignorant ouvertement Exorciste II : l’hérétique, L’Exorciste : la suite, L’Exorciste : au commencement et la série L’Exorciste créée par Jeremy Slater. La démarche est donc très proche de celle de l’Halloween de 2018 qui, lui aussi, jouait la double carte de la date anniversaire et de l’effacement des épisodes intermédiaires. Autre point commun : initier une nouvelle trilogie dont L’Exorciste : Dévotion serait le premier volet. Flairant là l’opération juteuse, le studio Universal s’associe à la compagnie Peacock pour faire l’acquisition des droits de distribution de la franchise. Coût de l’opération ? 400 millions de dollars. Reste-t-il une quelconque intention artistique derrière ces tractations financières et commerciales ? C’est ce que les spectateurs sont naturellement en droit d’espérer.

Le prologue de L’Exorciste – Dévotion se situe à Haïti. Le photographe Victor Fielding (Leslie Odom Jr.) et sa femme enceinte Sorenne (Tracey Graves), bénie par des praticiens vaudou, sont en lune de miel. L’atmosphère est festive mais un peu étrange, signe avant-coureur d’une catastrophe imminente. Celle-ci survient lorsqu’un violent tremblement de terre s’abat sur le pays. Gravement blessée, Sorenne gît sous les décombres. Paniqué, Victor se retrouve face à un dilemme. Les secours lui annoncent en effet qu’il doit choisir entre sauver sa femme ou son enfant à naître. Le destin semble choisir pour lui. Victor en perd la foi et élève désormais seul sa fille Angela (Lidya Jewett) en Géorgie. Tous deux vivent depuis treize ans selon une routine tranquille et paisible qui s’apprête bientôt à voler en éclats…

Double possession

L’Exorciste – Dévotion ne se raccorde avec le premier Exorciste qu’à mi-parcours, marquant cette connexion par une réinterprétation musicale du fameux « Tubular Bells » de Mike Oldfield. Mais le raccord est ténu, très artificiel, et pourrait honnêtement être supprimé sans beaucoup altérer le cours de l’intrigue. Seulement voilà : le film ne pourrait alors pas s’appuyer sur la franchise née en 1973 et passerait totalement inaperçu. En effet, cette histoire de possession diabolique n’a rien de particulièrement palpitant et se contente bien souvent d’aligner les lieux communs du genre, malgré quelques tentatives pour varier les plaisirs (la possession se dédouble, les rites païens se mêlent aux pratiques catholiques). Par ailleurs, David Gordon Green gère ses cadrages d’une manière curieuse, comme s’il ne savait jamais exactement quoi placer devant sa caméra. Ses plans sont indécis, hésitants, incapables de se focaliser sur les visages et les regards, leur caractère faussement dynamique s’efforçant manifestement de masquer un problème plus vaste : une totale absence de point de vue. Restent des acteurs très investis dans leurs rôles (adultes comme enfants) et quelques scènes d’inconfort qui jouent habilement avec le sentiment d’un malaise omniprésent mais indicible. C’est peu, mais il faudra s’en contenter. Autant dire que nous attendrons les deux épisodes suivants avec beaucoup de patience.

 

© Gilles Penso


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SAW X (2023)

Le redoutable John Kramer est de retour dans cet épisode flash-back qui se situe entre les deux premiers opus de la sanglante saga…

SAW X

 

2023 – USA

 

Réalisé par Kevin Greutert

 

Avec Tobin Bell, Shawnee Smith, Synnøve Macody Lund, Steven Brand, Renata Vaca, Joshua Okamoto, Octavio Hinojosa, Paulette Hernandez, Jorge Briseño

 

THEMA TUEURS I SAGA SAW

Jigsaw et Sirale n’ayant pas particulièrement convaincu le public, malgré les efforts de Lionsgate pour faire croire que la saga Saw prenait une nouvelle dimension en sollicitant de nouveaux metteurs en scène (les frères Spierig) et quelques têtes d’affiche (Chris Rock, Samuel L. Jackson), le studio décide de revenir aux bonnes vieilles recettes et de rappeler derrière la caméra le réalisateur de Saw 6 (dont on ne vantera jamais assez la merveilleuse sonorité du titre) et d’un Saw chapitre final au titre aussi mensonger que celui de Vendredi 13 chapitre final. Pour que le retour aux sources soit complet, pourquoi ne pas solliciter l’acteur vedette de la franchise, autrement dit Tobin Bell ? Petit problème : son personnage est mort depuis le troisième épisode. Greutert et ses scénaristes Pete Goldfinger et Josh Stolberg jouent donc la carte de la prequel. Saw X se situe ainsi chronologiquement entre Saw et Saw 2. Pourquoi pas ? Après tout, cette saga ne cesse de bousculer sa propre chronologie en truffant ses épisodes de flash-backs révélateurs. Mais Tobin Bell a désormais 81 ans. Essayer de faire croire aux spectateurs qu’il en a vingt de moins (pour assurer la continuité avec le premier Saw) nécessite de leur part une sacrée suspension d’incrédulité.

Contre toute attente, Saw X démarre tout en douceur, presque à pas feutrés. L’intrigue prend son temps, avance tranquillement, sur un rythme auquel les films précédents ne nous ont pas habitué. C’est plutôt bon signe, témoignage d’une envie manifeste de casser les habitudes. Nous avons certes droit à une scène de piège/torture assez tôt dans le métrage, mais c’est un prétexte quasiment assumé comme tel, une manière de dire au public : « Ne vous inquiétez pas, vous êtes bien dans Saw, soyez patients. » Le scénario s’intéresse à la lutte de John Kramer contre le cancer qui le ronge et à ses maigres espoirs de guérison qui n’entament pas pour autant ses penchants naturels pour une justice expéditive, cruelle et sophistiquée. À une femme médecin qui l’interroge sur ses hobbies, il répond : « J’aide les gens à surmonter leurs obstacles intérieurs, à apporter des changements positifs dans leur vie. » La réplique fait rire au second degré, mais elle reflète bien l’état d’esprit de Kramer, persuadé que ses exactions sanglantes sont bien fondées. Notre homme a un code d’honneur et s’y tient.

« Ce n’est pas un châtiment, c’est un réveil »

Cette entame laisse planer beaucoup d’espoirs, qui s’envolent malheureusement à mi-parcours du film. Car lorsque l’intrigue se met enfin en place, la saga retrouve ses travers, ses raccourcis scénaristiques habituels et ses incohérences qu’il nous faut accepter sans sourciller malgré bon nombre d’énormités. La routine se réinstalle donc, véhiculant un fâcheux effet de déjà vu (depuis vingt ans que dure la saga, la mécanique commence à gripper sérieusement), d’autant que les pièges nous semblent moins inventifs que d’habitude, comme si les scénaristes eux-mêmes n’y croyaient plus, comme si Greutert commençait à se lasser de faire tourner frénétiquement sa caméra autour des victimes hurlante en surchargeant sa bande son de bruitages stridents et de musique agressive. C’est d’autant plus dommage que Tobin Bell campe un Jigsaw plus attachant et plus humain qu’à l’accoutumée, se muant en véritable héros du film, même si ses méthodes n’ont rien perdu de leur mordant. « Ce n’est pas un châtiment, c’est un réveil » dit-il à ses captifs. Pour nous, en revanche, c’est la lassitude qui finit par prendre le pas.

 

© Gilles Penso


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THE CREATOR (2023)

Le réalisateur de Monsters, Godzilla et Rogue One revient en force sur les écrans avec une épopée de science-fiction incroyablement ambitieuse…

THE CREATOR

 

2023 – USA

 

Réalisé par Gareth Edwards

 

Avec John David Washington, Madeline Yuna Voyles, Gemma Chan, Allison Janney, Ken Watanabe, Sturgill Simpson, Amar Chadha-Patel, Marc Menchaca

 

THEMA ROBOTS I FUTUR

Mais qu’était-il arrivé à Gareth Edwards ? Les fans de science-fiction s’impatientaient d’avoir des nouvelles du réalisateur britannique surdoué qui avait su bricoler avec un budget anémique le remarquable Monsters avant de s’embarquer dans deux blockbuster exceptionnels, Godzilla et Rogue One… Puis plus rien. Ce silence radio prolongé avait quelque chose d’inquiétant. Se frotter de si près à la machine Star Wars ne s’était certes pas fait sans mal. Pour réussir à mettre sur pied ce qu’il est convenu de considérer comme le meilleur opus de la saga depuis les années 80, Edwards a perdu quelques plumes, a dû se plier à beaucoup de concessions et céder à une infinité de compromis éreintants. Faisant fi des propriétés intellectuelles qui ne lui appartiennent pas, Edwards s’est donc mis en tête de prendre tout son temps pour concocter un nouveau projet personnel, comme à l’époque de Monsters. Ce film alors sans titre commence à se développer fin 2019, avec le soutien du studio Regency, et Edwards se paie un séjour en Asie pour effectuer un certain nombre de tests. « J’ai pris une caméra et un objectif anamorphique des années 1970, et nous sommes allés faire des repérages au Viêt Nam, au Cambodge, au Japon, en Indonésie, en Thaïlande et au Népal » raconte-t-il. « Notre objectif était d’aller dans les meilleurs endroits du monde, car le coût d’un vol est bien inférieur à celui de la construction d’un décor. Nous allions faire le tour du monde et tourner ce film, avant d’y ajouter une couche de science-fiction » (1).

Nous sommes dans un futur relativement proche (dans vingt-cinq ans tout au plus) et les intelligences artificielles se sont déployées partout dans notre société. Les robots ne sont plus une exception mais une généralité côtoyant harmonieusement les humains au quotidien. Cette utopie digne de certains récits d’anticipation des années 50 vole en éclats le jour où une de ces I.A. fait exploser une ogive nucléaire au-dessus de Los Angeles, provoquant une hécatombe sans précédent. En réaction, les États-Unis et leurs alliés occidentaux s’engagent à éradiquer toutes les intelligences artificielles de la planète. Leurs efforts sont contrés par la Nouvelle-Asie, un pays d’Asie du Sud-Est dont les habitants continuent la conception massive de robots malgré les protestations de l’Occident. L’armée américaine lance alors une vaste campagne militaire dont l’objectif est de neutraliser « Nirmata », le mystérieux architecte à l’origine des progrès de l’I.A. en Nouvelle-Asie. L’une des armes de pointe de l’Occident est le coûteux U.S.S. NOMAD (North American Orbital Mobile Aerospace Defense), une gigantesque station spatiale qui survole les cieux ennemis, scanne les cibles hostiles et lance des attaques destructrices en un clin d’œil. Mais cet arsenal sera-t-il suffisant au sein du conflit complexe qui se prépare ?

Edwards aux mains d’argent

Non, Gareth Edwards n’avait pas besoin de se mettre au service de la vision de George Lucas pour démontrer ses capacités de concepteur d’univers science-fictionnels. Le monde qu’il a conçu pour son quatrième long-métrage est à la fois si singulier, si cohérent, si original et si beau (bon nombre de plans du film mériteraient d’être encadrés et exposés dans un musée) qu’il y aura de toute évidence un avant et un après The Creator. Ces robots partiellement humanoïdes, ces « Simulants » qui imitent les traits des humains sans trahir leur origine artificielle, ces véhicules de guerre volants, ces chars d’assaut titanesques, ces architectures cyclopéennes et bien sûr cette monstrueuse station NOMAD placent Gareth Edwards au même niveau qu’un Ridley Scott ou qu’un James Cameron en matière de design futuriste révolutionnaire. Mais réduire les ambitions The Creator à celles d’une simple réussite visuelle serait une erreur. Certes, placer l’intelligence artificielle au cœur de son propos et nous interroger sur la place qu’elle occupera bientôt dans nos vies n’a rien de particulièrement nouveau. Là où le scénario d’Edwards surprend, c’est dans les circonvolutions qu’il adopte pour mettre à mal tout manichéisme. Dans le conflit qu’il nous décrit, les choses seraient simples s’il suffisait de choisir un camp en adoptant un seul point de vue, quitte à diaboliser et déshumaniser l’ennemi pour se soustraire aux états d’âme. Mais les choses ne sont pas forcément ce qu’elles semblent être, et les choix moraux doivent désormais composer avec ces êtres artificiels que l’homme a créés et dont il doit assumer la paternité. Passionnant, palpitant, vertigineux, The Creator est assurément un film qui va faire date.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans GameRadar en juillet 2023

 

© Gilles Penso


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WILLIAM FRIEDKIN : ENTRETIEN AVEC LE MAÎTRE

Oscarisé en 1972 pour la mise en scène de French Connection, porté aux nues un an plus tard grâce au succès planétaire de L’Exorciste, William Friedkin est l’un des réalisateurs les plus influents de sa génération et l’une des figures de proue du Nouvel Hollywood. Son éclectisme lui a permis d’aborder des univers très différents, mais le fantastique, l’horreur et l’épouvante continuent de nimber la plupart de ses œuvres, même les plus réalistes. C’est notamment le cas du Convoi de la peur, La Chasse, La Nurse, Jade, Traqué, Bug et Killer Joe. William Friedkin nous a quittés le 7 août 2023 à l'aube de ses 88 ans.

Dans votre autobiographie vous racontez que lorsque vous étiez tout jeune, votre première expérience dans une salle de cinéma vous effraya au point de provoquer une véritable crise de panique. Or la plupart de vos films contiennent des éléments effrayants et inconfortables. Est-ce une manière de reproduire ce sentiment auprès des spectateurs ?

Non je ne crois pas. Du moins ce n’est pas une démarche consciente. Ce souvenir m’est revenu lorsque j’ai commencé à écrire mon livre, mais il ne me semble pas avoir tenté de retrouver cette terreur d’enfant en réalisant mes propres films. J’ai d’ailleurs toujours cherché à mettre en scène des longs-métrages qui soient très différents les uns des autres, en tout cas qui ne se répètent pas. Une chose est certaine : si je continuais à mettre en scène aujourd’hui, ce serait pour tourner des films aux antipodes de ceux que j’ai réalisés il y a vingt ou trente ans. Le cinéma d’aujourd’hui est radicalement différent de celui qui existait à l’époque où j’ai commencé ma carrière. Il me semble indispensable de s’adapter. Pour revenir à votre question, la crise de panique qui m’a frappé la première fois que je suis entré dans salle de cinéma est un souvenir encore très vivace. Rien ne m’avait préparé à l’extinction des éclairages dans la salle, à la lumière éblouissante sur l’écran, au son étourdissant dans les hauts parleurs. Je ne sais absolument pas de quel film il s’agissait puisque nous avons quitté les lieux précipitamment. J’ai refusé d’entrer dans une salle de cinéma pendant plusieurs années. Lorsque je me suis enfin décidé à aller voir des films, ils étaient très proches de ceux qu’on voit aujourd’hui : des histoires de science-fiction, des cartoons, des films pour enfants tout à fait inoffensifs.

Quels sont vos films de chevet ?

Ce sont des classiques. Rien de très récent, j’en ai bien peur. Orson Welles est l’un des cinéastes que j’admire le plus. C’est un véritable génie à la cheville duquel je n’arriverai jamais. J’ai dû voir Citizen Kane plus de cent fois. J’adore A cause d’un assassinat d’Alan J. Pakula, Un crime dans la tête de John Frankenheimer, Le Verdict de Sidney Lumet, Bullit de Peter Yates, Madame de… de Max Ophuls. Ce sont les premiers titres qui me viennent à l’esprit, mais il y en a bien sûr beaucoup d’autres. Je n’aurais jamais réalisé de films si je n’en avais pas vu moi-même. Les films des uns s’inspirent de ceux des autres.

 

On dit souvent qu’un artiste ne cesse de reproduire la même œuvre. Pourrait-on dire la même chose de vos films, qui ont tous des thèmes communs ?

Je ne sais pas. Je n’ai pas assez de recul pour répondre à cette question. Je suis fier de plusieurs des films que j’ai réalisés. D’autres sont très mauvais et ne méritent pas qu’on s’étende dessus. Ils sont forcément inégaux. Je ne saurais dire si les artistes reproduisent toujours la même œuvre. Regardez des peintres comme Veronese, Wermer, Picasso, Van Gogh. Chacun a un style assez facilement identifiable, mais leurs sujets varient beaucoup. Van Gogh, par exemple, peignait toutes sortes de choses : des champs de fleurs, des gens en train de travailler, des cieux, des maisons, des portraits… Picasso lui-même a connu de nombreuses phases artistiques très différentes. Il en est probablement de même pour les cinéastes. Max Ophuls par exemple, que j’admire énormément, a fait des films qui ne se ressemblent pas du tout les uns les autres. Ce qu’ils ont en commun, c’est sa manière de mettre en scène, sa vision, sa caméra toujours en mouvement. C’est un style, mais ce n’est pas un thème.

Il y a tout de même un sujet commun à tous vos films sans exception : la lutte entre le Bien et le Mal.

Probablement. Mais ça s’explique facilement : cette lutte existe chez chaque être humain. Les sujets que j’ai choisi d’aborder sont sans doute plus sérieux que ceux qu’on voit habituellement au cinéma. Mes films ne sont pas particulièrement drôles. J’admire les comédies de Jacques Tati, mais elles ne parlent jamais du Bien et du Mal. Elles se moquent des faiblesses de la nature humaine. Ce sont des films merveilleux qui sont aux antipodes des miens. La plupart des longs-métrages que j’ai dirigés ne portent pas de regard subjectif sur le Bien et le Mal chez leurs protagonistes.

 

D’ailleurs, il est très difficile de savoir qui est bon et qui est mauvais chez vous. Vos personnages sont souvent ambigus.

Parce que je crois que le Bien et le Mal cohabitent chez chacun de nous. C’est une croyance profondément ancrée en moi. Au cours de ma vie, j’ai rencontré énormément de gens partout dans le monde, et je n’ai jamais croisé la perfection. Connaissez-vous une personne qui soit bonne à 100% ? Je ne pense pas. Ça n’existe pas.

Parlons un peu de mise en scène. Lorsque vous dirigez un film, comment savez-vous où placer votre caméra ? Quel est le meilleur angle, la meilleure focale, le meilleur cadrage ?

C’est très subjectif, et ça dépend de ce que je ressens au moment de mettre en scène. Avant de commencer le tournage, j’utilise généralement un découpage qui prévoit la manière dont chaque plan sera cadré. Mais il m’arrive souvent de ne pas respecter ce découpage, en particulier lorsque je tourne dans un décor extérieur. Le décor, la nature et les humains offrent parfois des choses que vous n’aviez pas prévues et qu’il faut savoir saisir. Si vous êtes en studio, l’approche est différente. Vous contrôlez beaucoup plus de choses. Mais en extérieurs, vous devez vous adapter à ce qui se passe dans l’instant. J’adore saisir des situations venues de la vie réelle. C’est là que vos plans initiaux changent, même si vous aviez passé beaucoup de temps à tout préparer et à tout prévisualiser. Je me souviens de nombreuses séquences que nous avons tournées en extérieurs à New York, pour French Connection. Beaucoup de choses non prévues se déroulaient dans la rue. Un jour, un groupe de policiers s’est réuni dans la rue pour une raison que j’ignorais. Je trouvais ça intéressant alors nous les avons intégrés dans le cadre. Dans le film, on a l’impression qu’ils sont là volontairement, qu’ils servent l’histoire. Or c’était un hasard.

A l’époque du tournage de French Connection, il semblerait que la prestation de Gene Hackman ne vous ait pas immédiatement convaincu.

C’est vrai. Mais finalement il est entré à merveille dans la peau du personnage. Nous avons même retourné certaines scènes que nous avions filmées plus tôt pour profiter du fait qu’il avait enfin saisi toutes les facettes et toutes les subtilités du personnage de Popeye. Nous en avons beaucoup discuté et nous nous sommes enfin compris. Mais il a fallu du temps pour que nous soyons sur la même longueur d’onde. Au départ, il ne voulait pas aller aussi loin dans les scènes les plus excessives que nous avions écrites pour lui. Pour être honnête, il n’était pas notre premier choix. Il n’était même pas notre cinquième choix. J’ai fait appel à lui en désespoir de cause ! Et aujourd’hui, il est difficile d’imaginer un autre acteur dans le rôle. Vous parliez tout à l’heure de Bien et de Mal. Le personnage de Popeye est un bon exemple de cette dualité. C’est un policier aux méthodes très peu orthodoxes. Est-il bon ou mauvais ? Difficile de le dire.

Le Bien et le Mal sont aussi au cœur du récit de L’Exorciste. Vous parvenez à rendre très crédible cette histoire pourtant incroyable de possession diabolique. Est-ce parce que vous y croyez vous-même ?

Oui, je pense que tout ce qui est montré dans le film est possible. En réalité nos connaissances sont extrêmement limitées. Les êtres humains les plus brillants de cette planète ne savent rien des mystères éternels qui nous entourent. L’amour, la mort et la foi restent des énigmes insolubles. Il faut bien admettre que nous ne savons rien de ces sujets. Pourquoi les gens ont-ils des croyances ou n’en ont-ils pas ? Pourquoi ont-ils des certitudes ou des doutes ? Y’a-t-il un paradis ? Y’a-t-il une vie après la mort ? Personne n’en sait rien ! Les plus grands professeurs du monde n’ont pas accès à cette connaissance. Personnellement, je crois en l’enseignement de Jésus. Je n’ai pas été élevé dans le christianisme, mais c’est une chose que j’ai découverte et que j’accepte. Lorsque la connaissance est insuffisante, la croyance prend le relais.

 

Dieu et les démons tels qu’ils sont décrits dans la Bible font-ils donc partie de vos croyances ?

Oui, j’ai tendance à y croire. Ça expliquerait bien des choses. Je crois beaucoup aux signes. Et parallèlement, j’ai du mal à croire à l’idée d’un univers qui n’était au départ qu’une immensité vide, un néant infini. Soudain, il y aurait eu une explosion qui aurait donné naissance au monde. Mon esprit a du mal à concevoir et à accepter ce concept. Bien sûr, je n’ai jamais cru non plus à un homme avec une grande barbe blanche, quelque part dans le ciel, qui soit à l’origine de la création. Je crois plutôt à un concept de Dieu qui soit proche de ce qu’est la Nature. Je ne sais pas précisément à quoi ressemble le Créateur, mais je crois qu’il existe.

La réussite de L’Exorciste tient presque du miracle. D’un côté vous filmez cette histoire avec votre habituelle approche hyperréaliste, de l’autre vous employez des effets spéciaux excessifs et extrêmement spectaculaires. Ces deux styles ne devraient pas cohabiter harmonieusement, et pourtant l’alchimie fonctionne.

L’auteur qui a écrit le roman à l’origine du film, William Peter Blatty, croyait ferme à l’histoire qu’il racontait, tout comme moi. Mon angle d’attaque était quasiment celui d’un documentaire. Je n’ai jamais appréhendé L’Exorciste comme un film de monstres à la Frankenstein. J’adore les films d’horreur purs, les films de monstres, mais ce n’était pas mon approche. Pour moi, il s’agissait avant tout d’une histoire explorant les mystères de la foi. Je pense que le démon – ou la force maléfique, appelez-la comme vous voulez – qui habite l’esprit de cette jeune fille innocente cherche en réalité à posséder le jeune prêtre qui est en train de perdre la foi. Et lorsque le démon voit qu’il a affaire à une personne affaiblie, dont la foi est vulnérable, dont le goût de la vie et du contact avec les autres gens est amoindri, il passe à l’attaque. Donc si vous trouvez que L’Exorciste fonctionne, c’est sans doute parce que j’y crois. J’adore Frankenstein, Dracula et Le Loup-Garou, mais nous ne sommes pas ici dans la même catégorie de films. Cela dit, j’aurais adoré réaliser une adaptation de « Dracula » qui soit fidèle au roman de Bram Stoker. C’est un livre extraordinaire, auquel aucun film n’a vraiment rendu justice avec l’impact et la puissance des mots de Stoker.

 

Quel a été votre apport au scénario de L’Exorciste ?

Ce serait comparable au rôle d’un chef d’orchestre se réappropriant une partition. L’histoire était déjà très bien structurée par William Peter Blatty. Il a bâti le récit, et je me suis chargé de l’interpréter. Le chef d’orchestre n’a pas écrit la Cinquième Symphonie de Beethoveen mais il l’interprète. Blatty a développé son récit avec un talent que je comparerais à celui d’un Bram Stoker, d’une Mary Shelley ou d’un Edgar Allan Poe. Poe est l’exemple même d’un auteur très difficile à adapter à l’écran, parce que ses histoires reposent beaucoup sur l’atmosphère qu’il installe, sur son état d’esprit mais aussi sur la voix de l’écrivain.

Abordons le sujet de vos bandes originales. De nombreux cinéastes aiment collaborer avec les mêmes compositeurs, mais ce n’est pas votre cas. Vous changez à chaque fois. Pourquoi ?

Parce que chacun de mes films exprime des émotions différentes. Je pense qu’il n’y a qu’une poignée de grands compositeurs de musiques de films. L’un d’entre eux était Bernard Herrmann. A mon avis c’était le plus grand de tous. De Citizen Kane à Psychose, quelle palette ! Je l’ai rencontré pour lui proposer d’écrire la musique de L’Exorciste, mais nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord. C’est l’une des plus grandes frustrations de ma carrière. Etant donné que je n’arrivais pas à être en phase avec le grand Bernard Herrmann, j’ai changé mon fusil d’épaule en choisissant des extraits de musique classique contemporaine. Je les ai utilisés pour construire la structure tonale de la musique du film.

 

Finalement, c’était une méthode assez proche de celle de Stanley Kubrick.

Effectivement, il a procédé de cette manière sur plusieurs de ses films, notamment pour 2001 l’Odyssée de l’Espace, pour Shining et pour Les Sentiers de la Gloire. Après ma déconvenue avec Bernard Herrmann, j’ai pensé à engager Lalo Schifrin pour L’Exorciste. Je l’avais rencontré longtemps avant qu’il ne compose quoi que ce soit. A l’époque, il était pianiste pour le Dizzy Gillespie Quintet à Chicago. Nous nous sommes liés d’amitié alors que nous étions très jeunes. Dans les années 60, il était devenu célèbre grâce aux excellentes musiques d’action qu’il avait composées pour la série Mission impossible et pour Bullit. C’était désormais un spécialiste de la direction les grands orchestres jazz et classiques, avec beaucoup de cuivres et de percussions. Certes, ce n’est pas ce qu’il me fallait pour L’Exorciste, mais il a pourtant accepté d’en écrire la musique. Je lui ai donné toutes les musiques classiques que j’avais sélectionnées pour qu’il s’en inspire. Or il m’a proposé quelque chose de radicalement différent qui ne convenait pas du tout au film. A cause de ce désaccord, nous nous sommes fâchés et nous nous sommes perdus de vue.

 

Il semblerait qu’il ait pris sa revanche en composant ensuite la musique de Amityville la Maison du Diable.

Si je ne me trompe pas, il a recyclé pour ce film la bande originale qu’il avait écrite pour L’Exorciste et que j’avais rejetée.

Au-delà des morceaux classiques contemporains, la bande originale de L’Exorciste est connue pour l’utilisation du morceau « Tubular Bells » de Mike Oldfield.

En fait, je cherchais un thème musical dans l’esprit de « La Berceuse » de Brahms, une mélodie simple au piano qui nous ramène à l’enfance. J’en ai parlé au responsable de la bibliothèque musicale de Warner Bros. Il n’avait aucune idée de ce que j’avais en tête mais il a mis à ma disposition tous les disques qu’ils avaient en archive. La plupart étaient des démos envoyées par des artistes qui n’étaient pas encore connus. La salle était gigantesque et emplie de tonnes de vinyles que Warner ne voulait pas distribuer. J’ai commencé à les écouter, ce qui m’a pris un temps fou. Et puis je suis tombé sur un disque au titre énigmatique : « Tubular Bells ». J’ai écouté le thème écrit par Mike Oldfield pendant 45 secondes, puis on entendait sa voix qui expliquait de manière pédagogique la différence de son qu’on obtenait en tapant sur différentes cloches. C’était un disque à vocation éducative. J’ai aimé ce thème et je l’ai utilisé trois fois dans L’Exorciste. Grâce au succès du film, « Tubular Bells » est devenu le disque instrumental le mieux vendu du monde.

 

Selon vous, la musique d’un film a-t-elle pour fonction principale d’installer une atmosphère, ou doit-elle également agir comme un outil narratif qui aide à raconter l’histoire ?

Les deux. Elle doit avant tout créer une tonalité qui aide à solliciter les sentiments des spectateurs en fonction de ce qu’ils regardent. Il faut selon moi l’utiliser de manière très parcimonieuse, ce que j’ai fait dans L’Exorciste. Je n’ai recouru qu’à quelques fragments de musique.

Vous a-t-on proposé de travailler sur la séquelle de L’Exorciste ?

Bien sûr, mais ça ne m’intéressait pas. D’ailleurs je n’ai jamais vu les suites de L’Exorciste, ni celle de John Boorman, ni même celle de William Peter Blatty. J’ai lu le scénario de L’Exorciste 3 mais je n’ai pas ressenti le besoin de voir le film. Ils ont même lancé une série télévisée qui s’appelle L’Exorciste, que je n’ai pas vue non plus. J’ai l’impression que la majorité des films consacrés aux exorcismes et aux possessions sont ratés. Quand vous regardez un film comme The Conjuring, vous réalisez à quel point les gens qui font ces films ne connaissent rien au sujet. Ils donnent l’impression de ne même pas s’être documentés. Quand j’ai fait L’Exorciste, j’ai abordé le sujet avec humilité. Je me suis efforcé d’apprendre autant de choses que possible, ce qui n’était pas si simple à l’époque. Je n’avais jamais vu d’exorcisme et nous nous sommes inspirés de deux seuls cas qui avaient été officiellement répertoriés aux Etats-Unis. Toujours est-il que je n’ai ressenti ni le besoin, ni la curiosité de voir à quoi ressemblaient les séquelles de L’Exorciste.

 

A propos de séquelles, c’est un réalisateur que vous admirez beaucoup, John Frankenheimer, qui a mis en scène celle de French Connection. Qu’en avez-vous pensé ?

Rien, je n’ai pas voulu la voir non plus ! Et pourtant j’adore le travail de John Frankenheimer. Je me souviens lui avoir écrit une longue lettre pour le dissuader d’accepter de réaliser French Connection 2. Je le connaissais bien, j’admirais ses films et je l’ai supplié de refuser. Je ne doutais pas que son travail serait brillant, mais les gens ne pourraient pas s’empêcher de le comparer avec le premier film qui avait remporté des Oscars et que le public avait adoré. Que pouviez-vous faire de plus avec cette histoire ? Une autre poursuite de voitures ? A quoi bon ? Il a probablement été payé bien plus pour faire cette séquelle que je ne l’ai été pour le premier French Connection. Je comprends ses motivations de l’époque, mais je pense qu’il a réalisé cette suite pour de mauvaises raisons.

Dans La Chasse, qui mêle les codes du thriller pendant l’enquête policière et ceux du film d’horreur lors des séquences de meurtres, vous dirigez pour la première fois une superstar : Al Pacino. Quel souvenir gardez-vous de cette expérience ?

Pour être honnête j’en conserve un souvenir mitigé. Al Pacino n’était pas mon premier choix. Le rôle était initialement destiné à Richard Gere. Alors que Gere était sur le point de signer pour jouer dans le film, j’ai reçu un coup de téléphone de l’agent de Al Pacino, qui était aussi l’un de mes agents. Il avait donné le scénario à Pacino, et ce dernier l’avait adoré. J’ai répondu que j’en étais heureux, mais que j’avais déjà rencontré Richard Gere pour le rôle et que j’étais sur le point de signer un contrat avec lui. Mais Pacino a insisté faire le film. Or c’était à l’époque l’une des plus grandes stars du cinéma. J’ai cédé, je l’ai choisi, et je pense que c’était une erreur. A mon avis Richard Gere aurait été bien plus convaincant dans le rôle. Rétrospectivement j’aime beaucoup La Chasse, mais je ne pense pas que Pacino ait été le choix idéal. Il avait un peu tendance à surjouer, à crier, à gesticuler, et mon plus gros travail consistait à le contenir pour qu’il me propose une interprétation sobre et mesurée.

Dans votre autobiographie vous passez sous silence La Nurse. Y’a-t-il une raison particulière à cette omission ?

Le fait est que je ne m’en souviens pas beaucoup. J’ai essayé de retrouver des anecdotes ou des souvenirs liés à sa fabrication, mais rien ne me venait à l’esprit. Je me souviens assez bien de la relation émotionnelle que j’avais établie avec les acteurs pendant le tournage, mais ce n’était pas suffisant pour consacrer un chapitre à La Nurse. D’autant que, pour être honnête, je ne pense pas qu’il s’agisse d’un film très important dans ma filmographie. La Nurse n’a pas eu beaucoup de succès et peu de gens s’en souviennent aujourd’hui. A part vous, apparemment !

 

C’est certes une œuvre mineure dans votre carrière, mais on y trouve beaucoup de séquences fantastiques très réussies, à la limite du surréalisme.

Je suis heureux que vous y ayez trouvé des éléments intéressants. A l’époque, je l’avais envisagé comme une sorte de conte des frères Grimm transposé dans le monde moderne. Le scénario était adapté d’un roman de Dan Greenburg.

Vous avez dirigé de nombreux opéras. Contrairement à un film, vous ne pouvez choisir ni vos cadrages, ni vos angles de vue, ni votre montage dans un opéra. N’est-ce pas frustrant pour un cinéaste ?

Non, parce que vous pouvez faire beaucoup de choses avec l’éclairage et la mise en scène. L’endroit où vous positionnez vos personnages est crucial. Vous pouvez jouer avec l’avant-plan et l’arrière-plan, mais aussi avec la hauteur du décor et avec les coins de la scène. Les possibilités sont très nombreuses. Le choix des lumières permet d’amplifier ou d’atténuer certaines émotions. Vous avez quasiment autant de latitude qu’avec une caméra. D’ailleurs je pense que les réalisateurs exagèrent parfois avec les possibilités qu’offre le montage, en surdécoupant à outrance. Il peut être plus intéressant d’adopter la méthode de Stanley Kubrick, qui souvent calait un plan et laissait l’action s’y dérouler, un peu à la manière de ce qui se passe sur une scène d’opéra. De la même manière, l’usage du gros plan me semble souvent inapproprié. L’émotion n’est pas toujours mieux rendue en s’approchant du visage des acteurs. Parfois, le spectateur a besoin de voir le corps entier du comédien et de voir ceux des autres, comme sur une scène. Le cinéma est un médium beaucoup plus naturaliste que l’opéra, et j’ai souvent essayé de diriger les comédiens de mes opéras de manière réaliste, même s’il s’agit principalement de théâtre musical. Dans un opéra, la musique prend même le dessus sur l’histoire. Un réalisateur de cinéma peut s’approprier un scénario et le faire sien de manière beaucoup plus facile que ne peut le faire un metteur en scène d’opéra. Vous n’avez pas le droit de changer un seul mot ou une seule note lorsque vous vous attaquez à un opéra classique, qu’il soit français, italien ou allemand. J’essaie donc de raconter l’histoire de la manière la plus crédible et la plus artistique possible, sans chercher forcément à y apposer un style ou une empreinte.

De tous vos films, quel est celui que vous préférez ?

Il est difficile d’en choisir un. Mais Le Convoi de la peur est probablement celui est le plus proche de la vision que j’en avais au moment où le projet a démarré. Certes, le casting du film n’est pas celui que j’avais initialement en tête. J’envisageais au départ Steve McQueen, Lino Ventura, Marcello Mastroianni et Amadou. Finalement, il n’y a que ce dernier qui soit présent dans le casting final. Tous les autres se sont désistés. Mais à part ça, Le Convoi de la peur ressemble beaucoup à ce que je voulais faire avant même le premier jour de tournage. A l’époque de sa sortie, ce fut un échec retentissant. Depuis, c’est devenu un film culte qui est acclamé dans le monde entier. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Seuls les dieux du cinéma pourraient répondre à cette question ! Mais je dois bien reconnaître que je n’ai réalisé aucun chef d’œuvre. Le meilleur de mes films est à des années-lumière de la perfection d’un Orson Welles. Je n’ai jamais atteint le niveau de Psychose d’Alfred Hitchcock ou des Diaboliques de Henri-Georges Clouzot. Et même si je ne suis pas un grand spécialiste de la science-fiction, j’aurais aimé être capable de réaliser des films aussi réussis que Alien ou Blade Runner de Ridley Scott.

 

Vous êtes un peu sévère avec vous-même. De l’avis général, plusieurs de vos films, L’Exorciste en tête, sont considérés comme des chefs d’œuvre.

Je ne sais pas. Je manque de recul là-dessus, et je suis certainement la dernière personne à interroger sur le sujet !

 

Y’a-t-il un style de film que vous n’avez jamais abordé et que vous auriez aimé faire ?

J’aurais adoré mettre en scène une comédie musicale à l’ancienne. Mais ce genre de film n’existe plus aujourd’hui. La-La Land n’était pas si mal, certes. Mais nous sommes bien loin de Chantons sous la pluie ou Un Américain à Paris. Qui est capable de chanter et de danser comme ça aujourd’hui ?

 

Avec le recul, si vous deviez refaire un de vos films, que changeriez-vous ?

Je n’en ai pas la moindre idée. Ce cas de figure ne se présentera jamais, donc pourquoi y penser ?

C’est pourtant ce que vous avez fait avec le remontage de L’Exorciste en 2000.

Ce n’est pas exactement la même chose. A l’époque du premier montage de L’Exorciste, j’avais supprimé douze minutes. Or William Peter Blatty adorait ces scènes coupées. Ce fut l’objet d’un long désaccord entre nous. Au bout de 27 ans, j’ai accepté de réintégrer ces douze minutes pour deux raisons. La première tient au fait que Warner Bros nous a promis, si nous restaurions ces scènes coupées, de redistribuer le film en salles dans des conditions optimales. La seconde est plus personnelle. Je voulais faire plaisir à William Blatty et me réconcilier avec lui. Après tout, c’est lui qui m’avait confié son chef d’œuvre pour que j’en tire un film. Nous n’avons pas appelé cette nouvelle version « director’s cut », même s’ils ont utilisé un peu abusivement cette appellation pour le Blu-Ray. Je préférais qu’ils la présentent comme « la version que vous n’avez jamais vue ». Tant de personnes avaient déjà vu L’Exorciste qu’il me semblait important de leur annoncer que ce nouveau montage contenait des choses qu’ils ne connaissaient pas.

Vous nous avez expliqué que vous aviez abordé le sujet de L’Exorciste sous un angle quasiment documentaire. Or vous travaillez actuellement sur un véritable documentaire sur le sujet.

J’ai effectivement filmé un exorcisme pratiqué par le Père Amorth. Il s’agit du responsable des exorcismes auprès du diocèse de Rome. J’ai obtenu une autorisation exceptionnelle pour assister à la séance, mais je n’avais pas le droit d’emmener une équipe avec moi. J’ai donc filmé l’exorcisme tout seul avec une caméra numérique miniature. J’espère que le film sortira avant fin 2017. Son titre est The Devil and Father Amorth. Il sera projeté dans quelques salles de cinéma à travers le monde, puis sera disponible en vidéo à la demande sur Netflix, avant d’être distribué en DVD et en Blu-Ray. Il sera donc visible sur plusieurs plateformes.

 

Merci beaucoup Monsieur Friedkin.

Merci à vous. C’était une conversation passionnante.

 

Entretien réalisé par Gilles Penso

En septembre 2017 pendant la dixième édition du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg

 

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