SLEEP (2023)

Jason Yu, protégé du réalisateur Bong Joon-ho, signe un premier long-métrage récompensé par le Grand Prix du festival de Gérardmer…

SLEEP

 

2023 – CORÉE

 

Réalisé par Jason Yu

 

Avec Lee Sun-kyun, Yu-mi Jung, Kim Gook Hee, Yoon Kyung-ho

 

THEMA FANTÔMES

Après avoir fait une première mondiale remarquée à Cannes dans la sélection de la Semaine de la Critique, Sleep est un film qui démarrait sous les meilleurs augures avant que l’on apprenne avec une grande tristesse, le 27 décembre 2023, la terrible nouvelle de la mort de Lee Sun-kyun. Star de premier plan dans son pays, diplômé de la prestigieuse université des arts de Corée, l’acteur bénéficiait d’une reconnaissance internationale pour ses collaborations avec Hong Sang-soo et pour son rôle dans Parasite, Palme d’or et Oscar du meilleur film étranger en 2020. Dans Sleep, l’acteur de 48 ans incarne un père de famille aimant, forcé d’affronter une série de difficultés qui mettent sa famille en péril et son couple à rude épreuve. Lee y est particulièrement touchant. Sa disparition affecte en plus de ses proches toute une famille de cinéma sud-coréenne et de nombreux fans autour du monde, inconsolables à juste titre. Bong Joon-ho ne tarit pas d’éloges au sujet de Jason Yu ho, qui a été son assistant sur Okja. Le réalisateur, bien qu’avant tout amateur de comédies (comme Sam Raimi), signe ici un premier film horrifique qui suscite l’intérêt par ses multiples degrés de lectures.

Soo-Jin (Yu-mi Jung, vue entre autres dans l’excellent film de zombies de Yeon Sang-Ho Dernier train pour Busan, sorti en 2016), est une jeune femme d’affaires séduisante et sûre d’elle. Elle forme avec son mari Hyun-su (Sun-kyun Lee), un couple bien décidé à rester soudé au-delà des épreuves de la vie, selon la formule consacrée « pour le meilleur et pour le pire ». Seulement le pire va arriver plus tôt que prévu. Enceinte, Soo-Jin voit d’abord son mari, acteur de profession, perdre confiance en lui à force d’enchaîner des rôles de figurant. Persuadée de son talent, elle ne doute pas le moins du monde de lui et l’encourage avec un tel enthousiasme que Hyun-su n’ose pas la décevoir. Ainsi, pensant la préserver, il commence à lui cacher que ce métier le met en proie au stress, cause probable de ses soudaines crises de somnambulisme. Hyun-su est en effet atteint de TCSP (Trouble du comportement en sommeil paradoxal) et ses crises se multiplient. Ce type de somnambulisme dit « à risque » pouvant conduire à des actes fatals, les jeunes mariés se voient dans l’obligation de sécuriser toute la maison et de cacher tout objet susceptible d’être dangereux. Malgré l’amour qui les soude et le fait que tout se passe bien dans la journée, Soo-Jin, en manque de sommeil, devient de plus en plus anxieuse. Aussi, lorsque leur bébé voit le jour, craignant de le mettre en danger suite aux faits divers sordides qu’elle a pu découvrir sur internet, les nerfs à vif, elle finit par craquer…

Le dernier film de Lee Sun-kyun

Après une première partie empreinte de réalisme, pour laquelle Jason Yu s’est beaucoup documenté, la tension monte d’un cran. Renvoyé de son travail, hospitalisé dans une clinique du sommeil, confié aux bons soins d’un médecin expérimenté qui le suit de près, Hyun-su se remet petit à petit de son trouble. Mais Soo-Jin n’est pas sereine pour autant. Alors qu’elle n’accordait jusque-là aucun crédit aux superstitions entendues, liées à la présence supposée d’un esprit fantôme qui voudrait prendre la place du somnambule auprès de sa femme, elle se laisse gagner par le doute, puis par l’inquiétude et finalement la terreur. Bientôt, la version la plus irrationnelle des faits s’impose à elle comme une évidence. Le couple va-t-il réussir à se sauver et rester fidèle à son serment de mariage qui promettait de toujours rester ensemble et de tout surmonter ? L’intrigue de Sleep s’inscrit dans les croyances les plus anciennes de la péninsule coréenne, et c’est en jouant sur plusieurs tableaux que le film tient haleine jusqu’au bout, servi par ses deux formidables interprètes. Si le suspense et l’horreur le sous-tendent, Sleep est aussi et surtout, de l’aveu même de son réalisateur, un film sur un couple et sur leur histoire d’amour. Le fait qu’il fasse soudain tragiquement écho à celui de l’acteur disparu (marié à la comédienne Jeon Hye-Jin dans la vie avec qui il avait deux enfants), le rend d’autant plus déchirant.


© Quélou Parente


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NIGHT SWIM (2024)

Une famille s’installe dans une nouvelle maison dont la piscine semble hantée par une force ancienne et maléfique…

NIGHT SWIM

 

2024 – USA

 

Réalisé par Bryce McGuire

 

Avec Wyatt Russell, Kerry Condon, Amélie Hoeferle, Gavin Warren, Jodi Long, Nancy Lenehan, Eddie Martinez, Elijah J. Roberts, Rahnuma Panthaky

 

THEMA FANTÔMES

Au départ, Night Swim est un court-métrage d’horreur de quatre minutes que Bryce McGuire écrit et co-réalise en 2014 avec Rod Blackhurst. On y voit une jeune femme, incarnée par Megalyn Echikunwoke, qui prend un bain nocturne dans une piscine puis croit apercevoir une inquiétante silhouette s’approchant d’elle inexorablement… Efficace et malin, ce petit bout d’essai ne révolutionne certes pas le genre mais fait son petit effet dès sa mise en ligne sur YouTube où son nombre de vues grandit de manière impressionnante. McGuire, qui connaît bien ses classiques, avoue avoir puisé son inspiration dans Les Dents de la mer, Poltergeist, Abyss, Christine, L’Étrange créature du lac noir et même dans plusieurs souvenirs d’enfance personnels. Vice-président exécutif de la compagnie de production Atomic Monster, Judson Scott pense flairer là une bonne affaire et conseille à son partenaire James Wan de jeter un coup d’œil à Night Swim. Séduit, le créateur des franchises Saw et Conjuring en achète les droits pour en tirer un long-métrage. Et c’est Bryce McGuire lui-même qui est invité à écrire et réaliser le film.

Après un prologue nous annonçant immédiatement la couleur – une fillette est attaquée un soir dans la piscine familiale par une force inconnue et visiblement diabolique -, nous découvrons la famille Waller. Ray (Wyatt Russell, le fils du célèbre Kurt, héros de la série Monarch : Legacy of Monsters) est une ancienne star du base-ball dont la carrière s’est brisée net à cause du développement d’une sclérose en plaque. Pour prendre un nouveau départ, il s’installe avec sa femme et ses deux enfants dans une nouvelle maison avec piscine… celle du prologue, bien sûr. L’équipe d’entretien qui est embauchée pour remettre le bassin en route découvre que la piscine tire son eau d’une source souterraine de la région. Ce phénomène naturel semble avoir un effet extrêmement bénéfique sur Ray. Plus il s’y baigne, plus son état de santé semble en effet s’améliorer. Mais il y a une terrible contrepartie à cette rémission…

Méfiez-vous de l’eau qui dort

Night Swim version longue démarre plutôt bien. Les personnages sont crédibles, solidement interprétés, et le capital sympathie de Wyatt Russell emporte l’adhésion. Mais si l’aspect « naturaliste » du récit s’amorce de manière cohérente, suscitant l’attachement des spectateurs pour cette poignée de protagonistes aux problématiques tangibles, le plongeon dans le surnaturel fait perdre au film toute sa substance. Car les mécanismes de la peur convoqués par Bryce McGuire ne fonctionnent pas, s’appuyant souvent sur des effets faciles, des gimmicks déjà vus et une certaine paresse que ne parvient pas à contrebalancer une mise en scène parfois inventive. McGuire est visiblement sous l’influence de son « parrain » James Wan dont il cherche à retrouver l’esprit (en se référant principalement aux atmosphères anxiogènes des Conjuring et Insidious), mais tout ce que le réalisateur échafaude finit par tomber à l’eau (oui, c’est le cas de le dire). Plus l’intrigue avance, moins on y croit, et le caractère « train fantôme » du long-métrage (la séquence d’inquiétude pendant la « pool party » qui doit tout aux Dents de la mer, le dernier acte qui s’inspire très largement de Shining, les nombreuses apparitions spectrales qu’on croirait surgies d’un épisode de Scooby-Doo) finit par devenir embarrassant. Finalement, Night Swim aurait sans doute dû se cantonner au format court.

 

© Gilles Penso


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SPIDER-MAN LOTUS (2023)

Produite sans l’autorisation de Marvel ou Sony, cette aventure inédite réalisée par un lycéen de 19 ans a pris tout le monde par surprise…

SPIDER-MAN LOTUS

 

2023 – USA

 

Réalisé par Gavin J. Konop

 

Avec Warden Wayne, Sean Thomas Reid, Moriah Brooklyn, Tuyen Powell, Maxwell Fox, Jack Wooton, John Salandria, Justin Hargrove, Mariah Fox, Paul Logan

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA SPIDER-MAN

Au départ, rien ne semblait pouvoir distinguer Spider-Man Lotus des milliers de fan films réalisés avec les moyens du bord par des amateurs de l’homme-araignée. Aux Etats-Unis, il ne se passe pas un mois sans qu’un réalisateur en herbe déguise l’un de ses copains en Spider-Man pour le filmer avec sa caméra vidéo ou son smartphone et poste ensuite ses « exploits » sur YouTube. Certains de ces films de fans sont plus soignés que les autres, certes, mais il n’y a pas là de quoi affoler Marvel ou Sony. Et puis voilà que débarque Spider-Man Lotus, qui combat clairement dans une tout autre catégorie. Son metteur en scène, Gavin J. Konop, est encore au lycée lorsqu’il attaque ce projet. Son ambition : réunir 20 000 dollars et consacrer à son super-héros préféré un film extrêmement soigné. Lorsqu’il lance une campagne de financement participatif, la somme initialement prévue gonfle considérablement jusqu’à dépasser les 110 000 dollars ! Avec un tel budget en poche, le jeune homme va pouvoir revoir ses ambitions à la hausse. Mais plus qu’un film spectaculaire, Konop veut réaliser un drame intimiste. Son idée est de raconter les conséquences d’un des épisodes les plus traumatisants de l’histoire de la BD américaine : la mort de Gwen Stacy, la petite-amie de Peter Parker, une histoire écrite par Gerry Conway et dessinée par Gil Kane en 1973, qui marque pour beaucoup la fin d’une certaine innocence dans le monde du comic book.

La longue introduction de 15 minutes sur laquelle s’ouvre Spider-Man Lotus force l’admiration. Un Spidey numérique qui tient franchement la route file à toute allure entre les immeubles de New York, déclenche les radars de police pour cause d’excès de vitesse, prend en chasse trois gangsters puis affronte le Shocker qu’il neutralise non sans mal. S’ensuit une scène intime entre Peter Parker et Gwen Stacy, puis un générique extrêmement graphique sur fond de chanson romantique. Voilà qui s’annonce prometteur et surtout surprenant. Après cette mise en bouche, nous apprenons que Gwen est morte, provoquant une onde de choc émotionnelle dont les répercussions altèrent non seulement le comportement de Peter Parker mais aussi celui de Harry Osborn, Mary-Jane Watson et Flash Thompson. Le drame nous est raconté par le biais de flash-backs furtifs où apparaît un Bouffon Vert grimaçant très proche visuellement de celui du comic book original.

Peter par cœur

Konop élabore alors un film très introspectif conçu comme un voyage initiatique autour de l’acceptation du deuil, bref pas du tout ce qu’on peut attendre d’une aventure classique de Spider-Man. Et c’est justement ce qui rend ce projet si fascinant. Le réalisateur débutant semble plaquer sur le super-héros ses propres doutes, son propre mal-être, comme le firent tant de lecteurs adolescents en découvrant leurs premières aventures dessinées du monte-en-l’air. Pour y parvenir, Konop convoque sa connaissance visiblement encyclopédique de l’univers de Spidey, reprend plusieurs épisodes emblématiques (dont le fameux « The Kids Who Collects Spider-Man » de Roger Stern et Ron Frenz, ou la série « Spider-Man Blue » de Jeph Loeb et Tim Sale), évoque en quelques images les origines du héros et la culpabilité qui forgea sa vocation de justicier et cite dans sa bande originale les thèmes musicaux des séries animées des années 60 et 90. Le film est sans doute trop long, trop lent, trop larmoyant, pas toujours très subtil, pas rythmé comme il faudrait, peut-être même un brin prétentieux . Mais qui aurait cru qu’un réalisateur amateur puisse un jour pondre un Spider-Man « pirate » aussi abouti ? Les films très officiels dirigés par Marc Webb et Jon Watts semblent même gentiment puérils à côté de cet essai certes maladroit mais tellement plus risqué et moins formaté que ceux de ses aînés produits par les grands studios. Saluons donc l’initiative de cet étrange « Lotus » (la fleur qui symbolise la transcendance chez les bouddhistes), dont la mise en ligne gratuite sur YouTube en août 2023 battit des records de visionnage.


© Gilles Penso


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PAUVRES CRÉATURES (2023)

Et si le Prométhée moderne donnait naissance à une merveilleuse femme libre, joyeuse et aimée ?

POOR THINGS

 

2023 – IRLANDE / GB / USA

 

Réalisé par Yórgos Lánthimos

 

Avec Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Christopher Abbott, Margaret Qualley, Kathryn Hunter, Hubert Benhamdine

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il découvre le remarquable livre « Pauvres créatures » de l’artiste peintre et romancier écossais Alasdair Gray, sorti en 1992, Yórgos Lánthimos part à la rencontre de l’auteur pour obtenir les droits d’exploitation de cette version alternative du « Frankenstein » de Mary Shelley. Gray connaît son film Canine et l’a apprécié. L’accord est donc passé entre les deux artistes férus d’humour et de surréalisme. Malgré le potentiel de l’ouvrage, le film met du temps à se monter. Gray, décédé entretemps, n’aura pas eu le bonheur de découvrir ce splendide monument, déjà couronné du Lion d’or à la Mostra de Venise, et qui offre un rôle de rêve à son actrice principale. En effet, si le roman éponyme explorait de nombreux thèmes tout en conservant son ton et son humour, le réalisateur a choisi avec son scénariste de prédilection, Tony McNamara, de se focaliser sur le personnage de Bella Baxter. Envisager son histoire par le prisme de la créature est aussi une façon de se rapprocher de l’idée novatrice en son temps de Mary Shelley. Non seulement les correspondances entre les narrations y sont multiples mais elles font aussi écho avec la propre vie de l’écrivaine dont la mère, Mary Wollstonecraft, femme de lettres pionnière engagée pour la cause des femmes, est décédée quelques jours après sa naissance. Dans le film, Bella possède le corps d’une femme enceinte qui vient de se jeter volontairement d’un pont. Tout en respectant son choix d’en finir, le docteur Godwin Baxter (William Dafoe) veut lui donner une chance de transcender l’irréparable en lui implantant le cerveau de son propre bébé encore en vie. 

A contrario du monstre de Frankenstein, Bella Baxter est une expérimentation réussie qui dépasse les espérances du chirurgien, dont les pratiques évoquent également celles du docteur Moreau. Devenu à la fois tuteur et créateur, celui que Bella appelle God/Dad s’est attaché à elle au point que lorsqu’elle souhaite quitter le nid protecteur pour parcourir le monde avec un avocat coureur de jupons (Mark Ruffalo), il s’oblige à respecter encore sa volonté et son libre-arbitre. A noter qu’au-delà du jeu de mot, Godwin est aussi le prénom du père de Mary Shelley. « Je m’appelle Bella Baxter, je suis imparfaite et avide d’expérience (…) Il y a un monde à explorer, à sillonner. C’est notre but à tous de progresser, de grandir ». En s’attachant à définir sa perception si singulière d’un monde pour lequel elle n’est pas conformée, mais qu’elle tente de comprendre et d’appréhender au-delà de ses pulsions imprévisibles et de sa spontanéité, le réalisateur avoue être tombé amoureux du personnage, de son enthousiasme, de son appétence pour la vie, de sa liberté. A l’instar de la créature de l’abominable docteur Frankenstein, dont elle est une version joyeuse et aimée, elle a soif d’évoluer, d’apprendre, par la lecture et par l’observation des hommes. Imperméable aux jugements que l’on peut porter sur elle, elle ne connaît aucune honte, aucun tabou, et l’on suit son émancipation au milieu de ceux qui voudraient la contrôler, voire de la posséder, ou simplement lui imposer des règles fussent-elles bien intentionnées, sans toutefois avoir d’emprise sur sa détermination à grandir, apprendre et rester libre.

« Je m’appelle Bella Baxter… »

Tout se joue à Londres, berceau de l’intrigue : sa naissance artificielle, son éducation hors du monde dans un milieu fermé avec un bestiaire fantastique, ses fiançailles, la révélation de son histoire, et finalement son mariage que l’on prédit heureux, tandis qu’elle deviendra elle-même chirurgien, comme son drôle de père. Le scénario de ce conte pour adultes promet de nombreux rebondissements tout en offrant un rôle à sa (dé)mesure à Emma Stone qui, après La La Land, aura probablement la chance de remporter son second Oscar (avec mention !). Bella Baxter, mi-créature, mi-femme-enfant, nous y entraine dans sa folle course émerveillée à la découverte du monde et d’elle-même, dans une époque victorienne qui convoque tous les Beaux-Arts pour mieux se réinventer.  À noter que ce film résolument littéraire est également touchant dans son rappel d’un temps où la lecture était émancipatrice, particulièrement pour les femmes alors en quête de leurs droits civiques. L’œuvre de Mary Shelley semble s’entre-chasser avec sa propre vie comme les vers d’un poème, et résonne ici de façon bouleversante, comme un écho à sa propre enfance, à son éducation dans un foyer intellectuel hanté par les écrits de sa mère, et à son émancipation douloureuse en tant que femme, mère et écrivaine. Tandis que le récit bafoue les codes de son époque pour mieux en révéler les inégalités, comme il est dit dans la préface de son chef-d’œuvre : « L’invention, nous devons l’admettre humblement, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais à partir du chaos. » C’est sans aucun doute le pari réussi de Yórgos Lánthimos !

 

© Quélou Parente


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SIDONIE AU JAPON (2023)

Une histoire intimiste et poétique entre Le Fantôme de Madame Muir et Lost in Translation…

SIDONIE AU JAPON

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Élise Girard

 

Avec Isabelle Huppert, August Diehl, Tsuyoshi Ihara

 

THEMA FANTÖMES

Sidonie Perceval est écrivaine. A-t-elle un mauvais pressentiment, une appréhension, un simple vertige à l’idée de quitter la terre ferme pendant de trop longues heures de vol pour se rendre au Japon ? Nous n’en savons encore rien au moment où nous la découvrons à l’aéroport de Roissy hésiter à laisser sa valise décider de son destin et suivre son chemin sur le tapis roulant du guichet d’enregistrement. Contre toute attente, l’histoire nous apprendra que, malgré les apparences, Sidonie ne voyage pas seule. Elle est en fait accompagnée partout et tout le temps par le fantôme de son défunt mari, mais elle-même ne le sait pas encore. Car Sidonie est visiblement une personne de bon sens, qui a les pieds sur terre et n’est pas en proie à des lubies. Nous le voyons à sa façon de vivre, de s’organiser, de réagir, mais aussi à sa manière de s’habiller impeccablement, au pli près. Cette rigueur semble maintenir la vie intérieure riche et prolifique qui nourrit ses romans. Car à l’instar de la réalisatrice, en puisant dans son intimité, Sidonie parle aussi des autres, des émotions qu’elle partage avec ses lecteurs, ce qui lui vaut son franc succès. Aussi, son éditeur nippon qui l’espérait avec impatience, pour provoquer des rencontres avec son public, l’attend en personne à sa descente d’avion, pour assurer la promotion de son dernier roman.

Là, au rythme d’une nature sans cesse évoquée avec poésie, le temps semble interrompre sa course pour nous laisser le temps d’observer la douceur du pays du soleil levant et nous promener dans ses lieux iconiques. C’est donc dans une atmosphère propice à l’introspection et au rêve que son fantôme – puisque seule Sidonie peut le voir – se matérialise sous ses yeux effarés. Effrayée au plus haut point, puis résignée à accepter l’impensable tandis que son nouvel ami la rassure : au Japon, les morts ne le sont pas vraiment. Ce phénomène est banal et fait partie de la religion shintoïste la plus répandue dans le pays. Sidonie se laisse donc porter par cette situation singulière qui la conduit à faire son deuil et à découvrir une nouvelle vie où l’attend un bonheur inespéré et radieux. Le spectateur est convié lui aussi à prendre le message très au sérieux, à se l’approprier et à aller à la rencontre de lui-même et de ses propres fantômes, dans ce pays aux cerisiers en fleurs et aux mille merveilles qui sont mises en relief tout au long du film.

Sidonie Perceval en quête de son graal !

Sidonie nous offre ce voyage sous le regard d’une occidentale solitaire qui peu à peu s’abandonne au charme son pays d’accueil. L’Aventure de Mme Muir de Joseph L. Mankiewicz y côtoie la douceur des films sur le couple de Mikio Naruse. Après Valérie Donzelli et Lolita Chammah, pour son troisième long-métrage, Elise Girard (véritable cinéphile qui a également signé deux documentaires sur les exploitants des cinémas Action et St André des Arts) met en scène la mère de cette dernière : Isabelle Huppert qui, contrairement à la réalisatrice avant ce film, comptait déjà des films fantastiques dans sa filmographie (Au bonheur des ogres de Nicolas Bary ou Madame Hyde de Serge Bozon). La protégée de Claude Chabrol se glisse dans la peau de Sidonie comme dans un fourreau de haute-couture et illumine l’écran dans chaque plan, entre situations comiques pince-sans rire et romantisme, face à son partenaire, Tsuyoshi Ihara (acteur vu entre autres dans Letters from Iwo Jima de Clint Eastwood), qui incarne le personnage de Kenzo Mizoguchi, nom banal au Japon mais pas pour autant choisi par hasard dans le film ! La photo et les cadrages rendent une image épurée à l’extrême avec des couleurs qui, sans pour autant bénéficier des techniques du technicolor ou du cinémascope, nous font penser à la ligne claire du Godard des bons jours, celui du Mépris ou de Pierrot le fou. Bien que ce film d’auteur aux allures de série B fantastique, non exempt d’humour, se regarde indépendamment des deux autres, on peut dire qu’Elise Girard a signé avec Belleville Tokyo, Drôles d’oiseaux, et Sidonie au Japon, une trilogie rare et personnelle qui parle de solitude, d’amour, du fil des saisons, et qui résonne en nous comme les trois lignes d’un haïku.

 

© Quélou Parente


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DREAM SCENARIO (2023)

Nicolas Cage incarne un banal professeur de biologie dont la vie bascule lorsqu’il découvre que tout le monde rêve de lui…

DREAM SCENARIO

 

2023 – USA

 

Réalisé par Kristoffer Borgli

 

Avec Nicolas Cage, Lily Bird, Julianne Nicholson, Jessica Clement, Star Slade, David Klein, Kaleb Horn, Liz Adjei, Paula Boudreau, Marnie McPhail, Noah Lamanna

 

THEMA RÊVES

Ari Aster ne pouvait qu’être attiré par le concept de Dream Scenario. Ce récit troublant à la lisière de la comédie noire et de l’épouvante paranoïaque semblait taillé sur mesure pour le réalisateur d’Hérédité, Midsommar et Beau is Afraid. Séduit par le scénario de Kristoffer Borgli (inspiré par les théories de Carl Jung sur l’inconscient), Aster envisage de le porter à l’écran en donnant le rôle principal à Adam Sandler. Mais entretemps, Borgli réalise le long-métrage Sick of Myself qui reçoit un excellent accueil et démontre son savoir-faire derrière la caméra. Aster lui conseille alors de mettre lui-même en scène Dream Scenario sous la houlette de sa compagnie de production A24. L’auteur/réalisateur franchit donc le pas et change de tête d’affiche, jetant son dévolu sur Nicolas Cage. Ça tombe bien : la star de Sailor et Lula admire les films du label A24 et accepte immédiatement de se lancer dans l’aventure. Selon lui, Dream Scenario constituera un troisième volet idéal à la trilogie insolite entamée avec Pig de Michael Sarnovski et poursuivie avec Un talent en or massif de Tom Gormican. Cage s’implique dans le film au point d’imaginer le look du personnage très ordinaire qu’il y joue : un professeur mal fagoté dans un blouson trop ample, affublé d’une barbe broussailleuse, d’une grande paire de lunettes et d’un crâne largement dégarni.

Cage incarne Paul Matthews, un professeur de biologie qui peine à passionner ses étudiants et ambitionne d’écrire un livre sur le comportement des fourmis. Paul est sympathique mais un peu insipide, survolant sa vie plus qu’il ne semble la vivre pleinement, menant une existence sans éclat auprès de son épouse et de ses deux filles adolescentes. Un jour, la bizarrerie s’invite dans son quotidien : plusieurs personnes de son entourage affirment avoir rêvé de lui. Le phénomène s’étend bientôt un peu partout dans le monde. Il semblerait que les rêves de la grande majorité de la population soient hantés par la présence de Paul, qui se contente la plupart du temps d’apparaître de manière passive, comme un simple figurant dénué d’émotion. Alors que chacun se perd en conjectures sur cet événement inexplicable et récurrent, Paul cherche à gérer cette célébrité soudaine et inattendue. Peu à peu, cette situation prend une tournure inquiétante et vire au cauchemar…

Le poids de la célébrité

Drôle, effrayant, triste, déstabilisant, Dream Scenario aborde frontalement le caractère incontrôlable de la célébrité, le dictat de la popularité et le phénomène de la « cancel culture », sans pour autant chercher à délivrer un quelconque message ni même une réflexion claire sur ces sujets. Certains pourront reprocher au film de ne pas discourir de manière plus approfondie sur de telles thématiques, mais telle n’est pas l’intention de Kristoffer Borgli. Sa démarche semble être d’en cerner les aspects les plus absurdes et de forcer le trait. Dans le rôle de cet homme transparent devenu soudain le centre de toutes les attentions, Nicolas Cage est parfait, jouant pour une fois sur le registre de la demi-mesure. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas été aussi juste et aussi touchant. Ce film conceptuel et insaisissable nous rappelle d’ailleurs une autre de ses prestations : celle de Charlie et Donald Kaufman dans Adaptation de Spike Jonze. Dream Scenario est donc un exercice de style fascinant, même s’il peine à offrir à ses spectateurs une résolution digne de ce nom, comme si son postulat était trop singulier pour pouvoir s’acheminer vers une fin convaincante. Borgli nous délivre alors un épilogue en demi-teinte, nous abandonnant sur une note frustrante et douce-amère.

 

© Gilles Penso


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FILMS FANTASTIQUES : LE TOP FLOP 2023

C'est la fin de l'année, et donc l'heure des bilans. Quels furent les meilleurs films fantastiques / d'horreur / de science-fiction de 2023 ? Et les pires ? Voici une sélection bien sûr très subjective…

PUBLIÉ LE 30 DÉCEMBRE 2023

Cliquez sur les posters…

 

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CHICKEN RUN : LA MENACE NUGGETS (2023)

23 ans après leur première aventure, les poules conçues par les créateurs de Wallace et Gromit font leur grand retour…

CHICKEN RUN: DAWN OF THE NUGGETS

 

2023 – GB / USA

 

Réalisé par Sam Fell

 

Avec les voix de Zachary Levi, Thandiwe Newton, Bella Ramsey, Romesh Ranganathan, David Bradley, Daniel Mays, Jane Horrocks, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Sorti en 2000, Chicken Run est le premier long-métrage du studio Aardman et son plus gros succès. L’idée d’une suite naît très tôt dans l’esprit des trublions britanniques mais tarde à se concrétiser. Entretemps, ils développent les aventures sur petit et grand écran de Shaun le mouton et Wallace et Gromit ainsi que d’autres projets joyeusement délirants comme Souris City, Cro Man ou Les Pirates ! Bons à rien mauvais en tout. Ce n’est qu’au printemps 2018 qu’est annoncée officiellement la suite de Chicken Run, produite conjointement par Aardman, Pathé Films et StudioCanal (Dreamworks ayant entretemps cessé son partenariat avec le studio anglais). Signe des temps, le film ne sortira pas en salles mais sera directement diffusé sur Netflix. Si Peter Lord et Nick Park, réalisateurs du premier opus, sont toujours présents au poste de producteurs exécutifs, ils cèdent le fauteuil du réalisateur à Sam Fell, un spécialiste de l’animation qui dirigea Souris City, La Légende de Despereaux et L’Étrange pouvoir de Norman. Le scénariste du film original, Karey Kirkpatrick, est toujours de la partie, épaulé cette fois-ci par John O’Farrell et Rachel Tunnard. Les interprètes vocaux des deux personnages principaux, Mel Gibson et Julia Sawalha, sont un temps envisagés pour reprendre leurs rôles, mais ils sont finalement remplacés par des acteurs plus jeunes : Zachary Levi et Thandiwe Newton.

Si le premier Chicken Run réinventait sous un angle parodique le principe narratif de La Grande évasion dans un univers de basse-cour, le scénario de Chicken Run : la menace nuggets en inverse le processus. Ici, il ne s’agit pas de s’échapper d’un environnement pénitentiaire mais d’y pénétrer. Lorsque le film commence, le coq Rocky et la poule Ginger vivent paisiblement sur une petite île en compagnie de toute la volaille qui s’est évadé du poulailler de la sinistre Mrs Tweedy. C’est dans cet environnement paradisiaque que naît Molly, la fille du couple vedette. Lorsqu’elle grandit, la turbulente progéniture décide d’aller voir ce qui se passe au-delà de l’île, malgré l’interdiction de ses parents. Molly part donc explorer le monde extérieur et s’embarque à l’intérieur d’un des camions de « Fun Land », qu’elle croit être un parc d’attractions où les poules passent leur temps à s’amuser. Mais il s’agit en réalité d’un poulailler industriel qui a vocation de transformer toutes ses « pensionnaires » en nuggets…

Prises de bec

Dès les premières minutes du film, force est de constater que le charme ne s’est pas dissipé avec les années. La bonne vieille stop-motion à l’ancienne, les figurines en plastiline et les décors miniatures ont même tendance à se bonifier avec le temps. De fait, ce Chicken Run donne presque l’impression d’avoir été réalisé dans la foulée du premier, tant l’esprit, le grain de folie et la mise en forme quasi-artisanale sont similaires. L’usage plus intensif des images de synthèse en renfort de l’animation traditionnelle est d’ailleurs suffisamment discret pour se fondre dans la masse. Même si Peter Lord et Nick Park ne sont plus aux commandes, la patte Aardman est toujours là, avec cet humour « so british » pince-sans-rire, ces dialogues absurdes, ces séquences de poursuites et d’action délicieusement outrancières et cet inimitable sens du timing. Au fil de son scénario, Chicken Run : la menace nuggets s’amuse à pasticher Mission impossible et la saga James Bond, cette fabrique de nuggets ayant tout du repaire ultra-sécurisé d’un super-vilain façon docteur No ou Blofeld. On pense aussi au Pinocchio de Disney, à travers ce parc d’attractions faussement idyllique qui attire notre jeune héroïne désobéissante en l’entraînant vers sa perte. Rien n’empêche d’ailleurs d’y voir aussi une parabole de l’abrutissement des masses par des programmes de divertissement stupides annihilant la capacité de jugement en entretenant un état de béatitude permanent. Bref, voilà une nouvelle réussite à mettre à l’actif des joyeux drilles d’Aardman, l’un des studios d’animation les plus inventifs et les plus décomplexés de sa génération.

 

© Gilles Penso


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FILMS FANTASTIQUES DE NOËL : NOTRE SÉLECTION 2023

Quels films fantastiques voir ou revoir en cette soirée de Noël 2023 ? Voici 36 possibilités. Il y en aura pour tous les goûts !

PUBLIÉ LE 20 DÉCEMBRE 2023

Les soirées de Noël se suivent et ne se ressemblent pas. Mais une tradition ne changera jamais : les films de Noël. Chacun a ses préférences, bien sûr, et pour les fantasticophiles le choix est varié. Pour accompagner les incontournables Piège de cristal, Maman j’ai raté l’avion et Le Père Noël est une ordure, voici une sélection parfaitement subjective de 36 films. Cette compilation festive brasse volontairement large, selon que vous souhaitiez une programmation familiale, enjouée, inquiétante ou horrifique. Des robots, des serial killers, des petits monstres, des elfes, des rennes, des fantômes, des jouets bizarres, des calendriers piégés, des sapins psychopathes, il devrait y en avoir pour tous les goûts… 

 

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LE MONDE APRÈS NOUS (2023)

Que vaut le thriller apocalyptique produit par Barack et Michelle Obama avec Julia Roberts, Mahershala Ali et Ethan Hawke en tête d’affiche ?

LEAVE THE WORLD BEHIND

 

2023 – USA

 

Réalisé par Sam Esmail

 

Avec Julia Roberts, Mahershala Ali, Ethan Hawke, Myha’la, Farrah Mackenzie, Charlie Evans, Kevin Bacon

 

THEMA CATASTROPHES

« Le Monde après nous » est le troisième roman de Rumaan Alam, un huis-clos oppressant écrit avant la pandémie du Covid-19 et anticipant pourtant avec beaucoup d’acuité la peur panique et la paranoïa exacerbées par le confinement planétaire de 2020. Lorsqu’il découvre ce manuscrit avant sa publication, Sam Esmail tombe sous le charme. Créateur des séries Homecoming et Mr. Robot, notre homme compte passer au long-métrage et voit dans ce livre un énorme potentiel cinématographique. La première actrice qu’il a en tête est Julia Roberts, qu’il connaît bien grâce à Homecoming et qui s’engage immédiatement, non seulement en tant que comédienne mais aussi à la production. Pour soutenir le projet, elle pense à deux personnes de poids qu’elle compte parmi ses amis personnels : Barack et Michelle Obama. L’ex-président des Etats-Unis et son épouse ayant monté une structure de production et déjà initié quelques films politiquement et socialement engagés (Fatherwood, Worth, Rustin), ils donnent à leur tour leur feu vert. Voilà comment cet effet boule de neige permet au Monde après nous de se concrétiser et de réunir son budget de 25 millions de dollars. Prévu pour partager l’affiche avec Julia Roberts, Denzel Washington doit finalement se désister et cède sa place à Mahershala Ali. Ethan Hawke complète ce casting décidément très attrayant. Le sujet du film ne l’est pas moins.

Tout commence de manière simple, presque banale. Amanda et Clay (Roberts et Hawke), un couple newyorkais sans histoire, décide de quitter la ville pour des vacances improvisées dans une luxueuse maison de campagne à Long Island, avec leurs enfants Rose et Archie. Amanda travaille dans la publicité et cette coupure dans son quotidien lui semble vitale. Surtout que, comme elle l’exprime clairement dès l’entame du film, elle déteste les gens ! Cette misanthropie n’est pas partagée par Clay, un professeur plutôt enclin à apprécier son prochain, mais l’idée d’un week-end de dernière minute le séduit. Les voilà donc tous les quatre partis sur la route, prêts à débarquer dans ce havre de paix provisoire que l’annonce du Airbnb présente en ces termes : « Entrez dans notre splendide maison et laissez le monde derrière vous. » Sur place, ni le Wi-fi ni la télévision ne semblent vouloir fonctionner. Ce petit désagrément pourrait être dérisoire. Mais si c’était le début de la fin ? Et qui sont ces étranges George (Mahershala Ali) et Ruth (Myha’la) qui frappent à leur porte en pleine nuit ?

C’était mieux avant ?

Pas à pas, en prenant son temps, Sam Esmail parvient à construire un climat anxiogène fait de petits riens et de détails qui, une fois assemblés, suscitent un malaise tenace. La mise en scène sait se faire virtuose, jouer avec les plans-séquence et les prises de vues aériennes vertigineuses soit pour saisir en continuité une banalité apparente (la découverte de la maison par Amanda), soit pour collecter de spectaculaires morceaux de bravoure qui font brutalement basculer le film dans le genre catastrophe (ravivant le souvenir de quelques séquences mémorables empruntées à la série Lost, à Prédictions ou au cinéma de M. Night Shyamalan de manière plus générale). L’univers de Jordan Peele nous vient aussi à l’esprit. Et tandis que la nature reprend peu à peu ses droits (symbolisée par des cerfs qui s’obstinent à empiéter sur le territoire des humains), Esmail égrène tout ce que la civilisation porte en elle d’angoisses et de travers : dépendance addictive à la technologie, fracture sociale, racisme, crises géopolitiques, guerres, terrorisme, menace d’effondrement global… Sans doute le film aurait-il gagné à resserrer sa narration pour renforcer son efficacité (le sujet n’avait pas nécessairement besoin de se déployer pendant 2h20). Il eut également été préférable d’éviter certains monologues trop écrits pour sonner juste (Amanda qui discours sur sa propre misanthropie, George qui explique en détail les raisons possibles de la catastrophe qui s’abat sur eux) ainsi qu’une ou deux scènes disons embarrassantes (la « danse da la paix »). Il n’empêche que cet exercice de style reste fascinant et s’achève sur un épilogue aigre-doux qui utilise la série Friends à la fois comme vecteur nostalgique d’un passé heureux imaginaire et comme plaidoyer contre la dématérialisation – de la part d’un film Netflix, voilà qui ne manque pas d’ironie !

 

© Gilles Penso


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