THE DELIVERANCE (2024)

Une mère qui peine à élever seule ses trois enfants se retrouve brutalement confrontée à une entité démoniaque…

THE DELIVERANCE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Lee Daniels

 

Avec Andra Day, Glenn Close, Anthony B. Jenkins, Caleb McLaughlin, Demi Singleton, Aunjanue Ellis-Taylor, Mo’Nique, Omar Epps, Miss Lawrence

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

« L’histoire qui suit est inspirée de faits réels », nous dit le texte plein écran qui introduit The Deliverance. L’argument de l’authenticité est bien connu des amateurs de films d’horreur depuis Psychose, Massacre à la tronçonneuse, Amityville ou plus récemment la saga Conjuring, et chacun sait que les scénaristes prennent généralement toutes les libertés qu’autorise la « licence artistique » pour se rapproprier les faits, surtout lorsqu’il s’agit de phénomènes paranormaux. L’affaire qui nous intéresse ici est celle de la famille Ammons, survenue dans l’Indiana en 2011 et très médiatisée à l’époque. Ce cas troublant de possession démoniaque donna lieu à un documentaire en 2019, The Demon House de Zak Bagans, et servit donc de source d’inspiration majeure au scénario de The Deliverance, écrit à quatre mains par David Coggeshall (Prey, Esther 2) et Elijah Bynum (Chaudes nuits d’été, One Dollar). Assez curieusement, la mise en scène est assurée par Lee Daniels, qui sort ici de sa zone de confort pour se frotter à un univers qu’il n’avait jamais encore abordé. Voir le réalisateur de Precious, The Paperboy et Le Majordome s’aventurer sur le terrain de L’Exorciste peut légitimement surprendre, mais notre homme reste fidèle à la sensibilité que nous lui connaissons en s’éloignant volontairement des canons du genre.

À fleur de peau, dans un rôle difficile et plutôt ingrat, la chanteuse et actrice Andra Day incarne Ebony Jackson, une mère séparée qui peine à joindre les deux bouts. Sans misérabilisme mais avec une crudité bien peu hollywoodienne, Lee Daniels nous décrit ses difficultés à gérer trois enfants, ses relations très conflictuelles avec sa mère (une Glenn Close étonnante, qui n’hésite pas à se métamorphoser physiquement pour entrer dans la peau de ce personnage trouble) ainsi que le fantôme d’un alcoolisme destructeur qui ne cesse de la hanter. The Deliverance prend donc d’abord les allures d’un drame social et psychologique. De profondes blessures dont nous ne comprenons pas encore les tenants et les aboutissants sont visiblement encore à vif. Tout le monde semble donc à cran dès l’entame du film, d’autant que l’aide à l’enfance a dans sa ligne de mire cette mère au casier judiciaire déjà garni. Les acteurs de la tragédie étant en place, le surnaturel peut s’inviter…

House of the Devil

C’est en douceur que s’installe la bizarrerie. Les mouches se mettent à envahir la nouvelle maison des Jackson de manière de plus en plus insistante, le cadet de la famille, Andre (Anthony B. Jenkins), est pris de crises de somnambulisme étranges puis se met à parler à un ami imaginaire… Comme tout est traité avec beaucoup de naturalisme, porté par une direction d’acteurs impeccable et l’établissement d’une atmosphère hyperréaliste, nous sommes tout disposés à y croire. Mais lorsque le paranormal surgit enfin de manière frontale, après plus d’une heure de métrage, le château de cartes finit par s’effondrer dans la mesure où le film ne parvient pas à proposer à ses spectateurs autre chose qu’une relecture de ce qu’ils connaissent déjà. Et le fait de citer L’Exorciste dans les dialogues (comme pour en évacuer la référence d’un revers de main) n’empêche pas The Deliverance de marcher très sagement dans ses pas (voix gutturales, transformations physiques, lévitations, télékinésie, jets de vomi, eau bénite, crucifix, toute la panoplie est là). Or à ce jeu, William Friedkin reste et restera sans doute imbattable. Nous comprenons aisément pourquoi Lee Daniels s’est laissé attirer par les failles de cette mère qui cherche désespérément à garder le contrôle de sa vie, tout comme nous saisissons l’envie de faire de l’entité diabolique la métaphore du démon qui ronge cette anti-héroïne brutale et impulsive. Hélas, la démonstration perd toute efficacité au moment où le cinéaste fonce la tête la première dans les lieux communs du film de possession au lieu de conserver sa singularité et son supplément d’âme. The Deliverance n’est donc qu’une demi-réussite, bien en deçà de ce que sa première partie laissait espérer.

 

© Gilles Penso


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BORDERLANDS (2024)

Dans un monde futuriste fantaisiste, une chasseuse de prime se met en quête d’une jeune fille kidnappée sur une planète lointaine…

BORDERLANDS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Eli Roth

 

Avec Cate Blanchett, Kevin Hart, Edgar Ramirez, Jamie Lee Curtis, Ariana Greenblatt, Florian Munteanu, Janina Gavankar, Jack Black, Benjamin Byron Davis

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SPACE OPERA I FUTUR

Situé dans une sorte de Far West rétro-futuriste et post-apocalyptique, le jeu vidéo « Borderland », sous haute influence de l’univers de Mad Max, est développé par Gearbox Software et lancé sur le marché en octobre 2009. D’autres opus suivront avant qu’Hollywood ne se penche sur la possibilité d’une adaptation sur grand écran. En 2015, le réalisateur Leigh Whannell (qui vient de faire ses débuts derrière la caméra avec Insidious 3) envisage d’en tirer un film qui serait produit par Avi et Ari Arad pour Lionsgate Films. Mais comme souvent à Hollywood, le projet traîne et ses instigateurs finissent par lâcher l’affaire. Les choses ne redémarrent qu’en 2020 avec une toute nouvelle équipe. Cette fois-ci, c’est Eli Roth (Hostel, The Green Inferno) qui tient la barre, sur un scénario qu’il co-écrit avec Joe Crombie. Armé d’un budget confortable de 120 millions de dollars, Roth part tourner à Budapest entre avril et juin 2021, alors que la pandémie du Covid-19 bat son plein. En découvrant le premier montage, le studio s’affole face à son extrême violence et aux multiples mutilations et autres explosions de têtes que Roth déploie généreusement à l’écran. Lionsgate envisageait d’exploiter Borderlands auprès d’un large public et ne sait plus trop quoi faire de ce défouloir gore très éloigné de ses attentes. Le film reste donc sur une étagère pendant deux ans, Eli Roth part diriger Thanksgiving et le réalisateur Tim Miller (Deadpool) est appelé à la rescousse pour tourner tout un tas de nouvelles séquences en 2023.

Borderlands est donc le fruit contre-nature de nombreux compromis s’efforçant de concilier des orientations artistiques contradictoires. D’où un scénario chaotique qui semble ne pas trop savoir sur quel pied danser. Cate Blanchett, qui retrouve Eli Roth après La Prophétie de l’horloge, y joue Lilith, une chasseuse de prime aigrie et dure à cuire. Contactée par Atlas (Edgar Ramirez), un magnat tout-puissant, elle accepte la mission d’aller récupérer sa fille Tina (Ariana Greenblatt) sur la planète Pandora, un désert/dépotoir hanté par des monstres bizarres, des mutants dégénérés et toutes sortes d’habitants interlopes. Sur place, Lilith est aidée par un robot facétieux, Claptrap, qui parle avec la voix de Joe Black (lui aussi transfuge de La Prophétie de l’horloge) et semble avoir été mystérieusement programmé pour l’assister. Bien sûr, la mission ne va pas du tout se passer comme prévu et va révéler son lot de surprises et de retournements de situation.

Un fourre-tout foutraque

Honnêtement, Borderlands n’est pas la catastrophe artistique ultime, comme on a pu le lire un peu partout. Le film est généreux, débridé, impétueux, et propose quelques designs originaux et une poignée d’idées visuelles intéressantes. Pour autant, on ne peut pas dire que cette intrigue fourre-tout soit follement passionnante. L’un des problèmes majeurs de ce space opera foutraque est le choix de ses personnages, tous plus irritants les uns que les autres. Comment s’intéresser au sort de cette gamine pénible, de ce robot énervant, de ce gros nounours psychopathe et de ce soldat insipide ? Cate Blanchett elle-même, protagoniste central auquel nous sommes censés nous identifier, joue les mercenaires patibulaires avec à peu près autant de crédibilité que Pamela Anderson dans Barb Wire. Elle excellait pourtant dans des rôles du même acabit pour Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal ou Thor Ragnarok. Mais ici, elle semble jouer en mode pilote automatique sans croire une seule seconde à ce qu’elle fait. Borderlands se cherche donc maladroitement, regroupant des anti-héros en quête manifeste de l’alchimie des Gardiens de la galaxie ou de The Suicide Squad, ne reculant devant aucun gag éculé (le casque à la Dark Vador qui empêche de respirer correctement comme dans La Folle histoire de l’espace) ou scatologique (les jets d’urine, le robot qui défèque du plomb) et ne convainc finalement personne. Son échec spectaculaire au box-office tend à prouver qu’il s’agissait de toute évidence d’une fausse bonne idée.

 

© Gilles Penso


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QUADRANT (2024)

Pour aider certains patients à vaincre leurs phobies, deux scientifiques ont mis au point un casque de réalité virtuelle, mais l’expérience tourne mal…

QUADRANT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Charles Band

 

Avec Shannon Barnes, Emma Reinagel, Christian Carrigan, Lexi Lore, Kaylene Snarsky, Rickard Claeson, Kaylee Banhidy

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I TUEURS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES I SAGA CHARLES BAND

Quadrant fait partie de ces projets qui jouèrent longtemps l’arlésienne chez le producteur Charles Band. Le film est d’abord annoncé dans les années 80, alors que la compagnie Empire (Re-Animator, From Beyond) est encore debout. Suite à sa faillite, Quadrant disparaît des radars puis refait surface au milieu des années 90. Band déclare alors que le film sera produit par sa société Full Moon Entertainment. Linda Hassani, qui avait signé Dark Angel : The Ascent, est envisagée comme réalisatrice et une sortie est prévue en 1995. Mais c’est un nouveau faux départ. Ce n’est finalement qu’en 2024 que le projet se concrétise, dirigé par Band lui-même et annoncé comme le 400ème long-métrage de chez Full Moon. En réalité, seul le titre a été conservé, le concept s’appuyant désormais sur un scénario de C. Courtney Joyner (Puppet Master III, Doctor Mordrid, La Peur qui rode). Filmé en 5 jours à Cleveland, avec quatre acteurs principaux et deux décors, Quadrant permet à Band de poursuivre ses expériences avec les images générées par intelligence artificielle, expériences qu’il avait amorcées à l’occasion de AIMEE : the Visitor. « Beaucoup de gens sont effrayés par l’IA, mais pour moi c’est juste un outil », confesse-t-il sur le site de Full Moon Pictures. « Elle possède une sorte de réalité bizarre et effrayante que l’on ne retrouve pas dans les images de synthèse. »

Le « Quadrant » du titre est l’invention de deux scientifiques, Harry (Rickard Claeson) et Meg (Emma Reinagel), qui prend la forme d’un casque de réalité virtuelle. Une fois qu’un patient s’y connecte, son esprit le transporte dans un monde reconstitué par une intelligence artificielle où toutes ses phobies prennent corps. Au fil des séances, ceux qui se soumettent à l’expérience du « Quadrant » apprennent à vaincre et à contrôler leurs peurs les plus intimes. Robert (Christian Carrigan) essaie ainsi de lutter contre les horribles cauchemars récurrents qui le hantent, dans lesquels il est harcelé par des hordes de créatures démoniaques. Erin (Shannon Barnes), de son côté, est une jeune femme obsédée par Jack l’éventreur, au point que ses immersions dans le « Quadrant » la transportent systématiquement dans le Londres du 19ème siècle, altérant peu à peu son comportement. Elle finit en effet par se transformer elle-même en tueur de prostituées dans cet univers virtuel. Plus problématique : ses pulsions sanguinaires semblent la poursuivre une fois qu’elle retourne dans le monde réel…

Programmée pour tuer

Le concept de Quadrant est original et offre d’intéressantes possibilités scénaristiques. Mais les choix artistiques opérés par Band – et dictés on s’en doute par des contraintes économiques – gâchent ce beau potentiel. Les décors et les personnages 3D générés par AI sont en effet désarmants de maladresses – malgré quelques créatures monstrueuses intéressantes – et les incrustations des comédiens dans ces environnements artificiels sont absolument affreuses. Certes, ces images sont censées être factices puisque générées par un algorithme, mais un rendu visuel aussi médiocre est honnêtement inacceptable en 2024. Le design « futuriste » du casque lui-même laisse perplexe : au lieu de la miniaturisation qu’on pourrait imaginer, nous avons ici affaire à une sorte de haut d’un scaphandre qui semble échappé d’un roman de Jules Verne. Les scènes situées dans le monde réel sont clairement plus réussies, grâce à des acteurs qui jouent le jeu avec conviction et donnent de leur personne. Charles Band ne lésine ni avec la nudité ni avec les effusions de sang, conforme à la recette habituelle du cinéma d’exploitation dont il se réclame ouvertement. Dommage que le résultat final semble si bâclé, car le postulat de Quadrant aurait pu en faire une jolie petite surprise, au lieu de cette série B anecdotique sans doute vouée à l’oubli.

 

© Gilles Penso


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LONGLEGS (2024)

Une agente du FBI qui semble posséder des dons de voyance est chargée d’enquêter sur un tueur en série satanique insaisissable…

LONGLEGS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Osgood Perkins

 

Avec Maika Monroe, Nicolas Cage, Blair Underwood, Alicia Witt, Michelle Choi-Lee, Dakota Daulby, Kiernan Shipka, Jason Day, Lisa Chandler, Ava Kelders

 

THEMA TUEURS I DIABLE ET DÉMONS I JOUETS

Osgood Perkins porte un nom et une hérédité lourds de conséquences, puisqu’il est le fils d’Anthony Perkins, éternel Norman Bates aux yeux des cinéphiles traumatisés par le séminal Psychose d’Alfred Hitchcock. Le jeune « Oz » fait d’ailleurs ses débuts dès l’âge de neuf ans en incarnant Bates en culottes courtes dans Psychose 2 de Richard Franklin. Ça vous marque forcément un homme. Après avoir cumulé les petits rôles dans des films aussi disparates que Wolf, La Revanche d’une blonde ou Star Trek, il passe à la réalisation en 2015, démontrant un penchant durable pour l’horreur insidieuse et les atmosphères étranges. Longlegs est son quatrième long-métrage et sans doute le plus mémorable. Si le budget reste très raisonnable – moins de dix millions de dollars -, Perkins se paye une tête d’affiche en la personne de Nicolas Cage qui, non content d’incarner le rôle-titre, co-produit le film par l’intermédiaire de sa société de production Saturn Films. Mais si le personnage que joue Cage est central, son temps de présence à l’écran est limité, cédant la place à Maika Monroe qui, dix ans plus tôt, tenait la vedette de It follows, et qui nous surprend ici très agréablement dans une prestation à fleur de peau.

L’intrigue de Longlegs se déroule en 1995, période où les Etats-Unis baignaient encore dans une sorte de « panique satanique » liée à l’inquiétude de la population face aux méfaits – réels ou fantasmés ? – de sectes adoratrices du diable et à leur influence sur les jeunes esprits. Divisé en trois chapitres (« Ses lettres », « Tout ce qui t’appartient » et « Les anniversaires »), le film s’intéresse à l’agent du FBI Lee Harker (Monroe). Très introvertie, à la limite de l’autisme, cette jeune femme semble posséder un don d’extra-lucidité qui lui permet de faire avancer d’un seul coup certaines enquêtes. C’est dans ce but que son supérieur, William Carter (Blair Underwood), la missionne sur une affaire sordide : une série de meurtres-suicides survenus dans l’Oregon. Dans chacun des cas, un père massacre sa femme et ses enfants puis se donne la mort, laissant derrière lui une lettre codée signée « Longlegs », dont l’écriture n’appartient à aucun des membres de la famille. Qui est ce Longlegs ? Et comment peut-il avoir initié ces carnages sans avoir été physiquement présent lors des crimes ?

Que diable !

Oz Perkins est visiblement un homme sous influence. L’atmosphère de son film n’est pas sans évoquer Le Sixième sens, Le Silence des agneaux et Seven, mais aussi la série X-Files qui fut tournée dans les mêmes extérieurs naturels à Vancouver, et vers lequel le patronyme d’un des agents, Carter, semble vouloir cligner de l’œil. D’autres noms de personnages (Browning et Harker) nous évoquent Dracula. Pourtant, Longlegs crée immédiatement sa propre identité, n’usant finalement de ces références que pour mieux brouiller les cartes. Avons-nous affaire à un cas très terre-à-terre de meurtres en séries ou le diable est-il de la partie ? Notre héroïne doit-elle conserver l’approche cartésienne que préconise son patron ou laisser la place à une théorie surnaturelle ? En laissant apparaître de manière subliminale dans les scènes de crime une silhouette diabolique, image d’Épinal d’une créature cornue, Perkins nous trouble volontairement. En laissant dire à la mère de Lee Harker « ce sont nos prières qui nous protègent du mal », il continue d’évoquer Satan. Nicolas Cage reste volontairement en retrait. Dans son exercice d’équilibre favori – à mi-chemin entre le cabotinage qu’accentue son maquillage outrancier et une sorte de transe fascinante qui semble le transporter sur un autre pan de réalité -, il laisse ses brèves apparitions imprimer la pellicule de manière durable même lorsqu’il n’est plus là. Car Perkins démontre ici un indiscutable talent dans la création d’atmosphères insolites et oppressantes, ciselant au millimètre près ses choix de focales, d’angles de prise de vue, de compositions et de sound design, entremêlant le présent en Cinémascope et le passé en 4/3 au cours de flash-backs furtifs levant un voile sur l’enfance de l’héroïne. Ce remarquable exercice de style rapportera plus de 100 millions de dollars de recettes, soit plus de dix fois sa mise de départ. Un succès fort mérité.

 

© Gilles Penso


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LE MANGEUR D’ÂMES (2024)

Une commandante de police et un capitaine de gendarmerie unissent leurs forces pour élucider les morts violentes qui frappent une petite ville…

LE MANGEUR D’ÂMES

 

2024 – FRANCE

 

Réalisé par Alexandre Bustillo et Julien Maury

 

Avec Virginie Ledoyen, Paul Hamy, Sandrine Bonnaire, Francis Renaud, Malik Zidi, Cameron Bain, Lua Oussadit-Lessert, Chloé Coulloud, Christophe Favre

 

THEMA TUEURS I SAGA BUSTILLO & MAURY

Dix ans après avoir produit leur troisième long-métrage Aux yeux des vivants, Fabrice Lambot retrouve Julien Maury et Alexandre Bustillo à qui il propose d’adapter le roman « Le Mangeur d’âmes » d’Alexis Laipsker, un thriller noir et sanglant qui pourrait parfaitement s’accorder à leur univers. Les duettistes se laissent tenter par la proposition mais sont alors accaparés par The Deep House, leur ambitieuse histoire de maison hantée sous-marine. Le scénario est donc confié à Annelyse Batrel et Ludovic Lefebvre. Lorsqu’ils ont enfin le temps de se pencher sur le projet, Maury et Bustillo retouchent le script pour l’adapter à leur sensibilité et partent en repérages dans les Vosges, une région très photogénique qu’ils connaissent notamment grâce à leurs visites régulières du Festival du Film Fantastique de Gérardmer. Pour incarner les deux personnages principaux du Mangeur d’âmes, ils jettent leur dévolu sur Virginie Ledoyen et Paul Hamy. La première, qui avait joué dans Saint Ange de Pascal Laugier, est désireuse de se frotter une nouvelle fois au cinéma de genre et d’ajouter un personnage de policier à sa filmographie. Le deuxième les a convaincus grâce à sa prestation dans Furie d’Olivier Abbou. Sandrine Bonnaire, Malik Zidi et Francis Renaud (déjà présent dans Aux yeux des vivants) viennent compléter ce casting hétéroclite.

Virginie Ledoyen incarne la commandante de police Élisabeth Guardiano, chargée d’élucider un double meurtre extrêmement brutal. Paul Hamy entre pour sa part dans la peau du capitaine de gendarmerie Franck de Rolan, qui enquête sur l’inquiétante disparition de six enfants. Tous deux se retrouvent à Roquenoir, une petite ville des Vosges, et unissent leurs forces, un peu à contrecœur, pour comprendre quelle horreur se tapit dans l’ombre. « Tous ces meurtres sont d’une violence inouïe et quasi-illogique », commente la légiste chargée de l’affaire. Y’aurait-il une folie criminelle contagieuse dans cette commune rurale ? À moins que le fameux croquemitaine démoniaque des légendes locales, le « mangeur d’âmes », ait une quelconque influence sur cette sinistre affaire ? Alors que nos deux enquêteurs se perdent en conjectures et assemblent les pièces du puzzle, de nouvelles morts sanglantes s’enchaînent…

La montagne a des yeux

Le récit s’articulant avant tout autour d’une enquête policière, nous sommes a priori en dehors du scope habituel des films de Maury et Bustillo. Mais l’intrigue se teinte dès les premières minutes d’une atmosphère fantastique fortement teintée d’épouvante et d’horreur. Les scènes de crime sont d’ailleurs particulièrement gratinées, œuvre du maquilleur spécial Olivier Afonso et de son équipe. Lorsqu’interviennent les apparitions furtives d’une créature humanoïde au visage monstrueux coiffé de grands bois de cerf, le fameux « mangeur d’âmes » du titre, le film bascule définitivement ailleurs, sans pour autant se détacher des investigations très terre-à-terre des deux protagonistes. Une grande partie de la force du Mangeur d’âmes s’appuie sur le double visage de ces co-équipiers aux motivations et aux méthodes divergentes. La commandante campée par Virginie Ledoyen est froide et antipathique, mais l’on se doute que des fêlures et un traumatisme récent se cachent derrière cette carapace austère. Le capitaine de gendarmerie que joue Paul Hamy semble au contraire fragile, même s’il laisse deviner une rage enfouie et contenue qui ne demande qu’à éclater. Le mélange de ces deux personnalités semble explosif, mais eux seuls semblent capables de faire surgir la vérité, si impensable soit-elle, au sein d’une petite communauté montagnarde qui n’est pas sans évoquer Les Rivières pourpres ou la série Twin Peaks. Grâce à l’imagination du romancier Alexis Laipsker et au savoir-faire de Bustillo et Maury, Le Mangeur d’âmes se révèle redoutablement efficace, menant ses spectateurs par le bout du nez jusqu’à un climax d’une terrible noirceur.

 

© Gilles Penso


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ALAIN DELON ET LE FANTASTIQUE

L'acteur légendaire nous a quittés à l'âge de 88 ans. Sa filmographie contenait quelques curiosités méconnues, à la lisière de l'horreur et de la science-fiction…

PUBLIÉ LE 18 AOÛT 2024

Tandis que les hommages bien mérités pleuvent autour de la disparition de l’un des plus grands acteurs français de tous les temps, nous vous proposons de découvrir ou de redécouvrir un pan peu connu de sa filmographie. Loin des classiques que tout le monde adule aux quatre coins du monde, voici la part immergée de la carrière du bel Alain : de l’épouvante, de la science-fiction, de l’uchronie, du cinéma catastrophe, de la fantasmagorie pure, de la comédie fantastique… 

À découvrir…

1962: Le Diable et les dix commandements de Julien Duvivier

1968: Histoires extraordinaires de Louis Malle, Federico Fellini et Roger Vadim

1973: Traitement de choc d’Alain Jessua

1977: Armaguedon d’Alain Jessua

1979: Airport 80 Concorde de David Lowell Rich

1979: Le Toubib de Pierre Granier-Deferre

1986: Le Passage de René Manzor

2007: Astérix aux jeux olympiques de Frédéric Forestier et Thomas Langmann

 

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ALIEN : ROMULUS (2024)

Vingt ans après les événements racontés dans Alien, un groupe de jeunes ouvriers se heurte aux xénomorphes dans une station abandonnée…

ALIEN : ROMULUS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Fede Alvarez

 

Avec Cailee Spaeny, David Jonsson, Archie Renaux, Isabela Merced, Spike Fearn, Aileen Wu, Rosie Ede, Soma Simon, Bence Okeke, Viktor Orizu, Robert Bobroczkyi

 

THEMA EXTRA-TERRESTRE I SAGA ALIEN

Bien des suppositions s’égrenèrent sur le destin de la saga Alien, suite à l’accueil mitigé d’Alien Covenant et au rachat de la 20th Century Fox par Disney. Fallait-il continuer à raconter les événements séparant Prometheus du premier Alien, comme le prévoyait initialement Ridley Scott ? Devait-on plutôt s’intéresser à des péripéties ultérieures au volet réalisé par Jean-Pierre Jeunet ? La franchise allait-elle finalement se muer en série TV destinée à la plateforme Disney + ? La réponse est venue de Fede Alvarez, talentueux cinéaste uruguayen révélé par son remake saignant d’Evil Dead qui transforma l’essai avec Don’t Breathe et Millenium : ce qui ne me tue pas. En 2010, alors que Covenant n’est pas encore entré en production, le réalisateur propose sa propre vision de ce que pourrait être un nouvel Alien aux cadres de la Fox. Quelques années plus tard, ses idées ont fait leur chemin et le studio – désormais absorbé par la maison de Mickey – propose de lui donner carte blanche, avec la bénédiction de Ridley Scott lui-même, toujours présent mais cette fois-ci au poste de producteur. Or Alvarez est un fan de la première heure des trois premiers Alien, auxquels il souhaite rendre un vibrant hommage sans pour autant verser dans la nostalgie béate gorgée de fan service. Pour trouver le juste équilibre, il décide de situer son intrigue vingt ans après celle du premier Alien et 37 ans avant celle d’Aliens. En se positionnant chronologiquement entre la vision de Scott et celle de James Cameron, Alvarez sait qu’il joue gros. Mais notre homme n’a pas froid aux yeux. Ne s’était-il pas déjà frotté avec succès au chef d’œuvre pourtant intouchable de Sam Raimi ?

Les premières grandes décisions artistiques sont liées à la technologie, à la fois celle mise en scène dans le film et celle qui servira à sa confection. Le futur tel qu’il était vu dans les années 70-80 est forcément dépassé aujourd’hui. Mais qu’importe : les ordinateurs, les décors, les machines, les armes et les véhicules d’Alien Romulus s’inscrivent dans une parfaite cohérence avec les designs d’Alien et d’Aliens, situant de fait ce film dans une sorte de rétro-futur alternatif du plus bel aloi. Au passage, Alvarez s’inspire aussi de certains concepts visuels du jeu vidéo Alien : Isolation, unanimement apprécié par les fans de la franchise. Pour l’envers du décor, le réalisateur obéit à la même logique. Il n’est certes pas question d’évacuer les effets numériques, devenus incontournables. Mais parallèlement, les maquettes, les effets spéciaux physiques, les maquillages spéciaux et l’animatronique sont largement sollicités. Trois ténors se répartissent ainsi la charge de travail concernant la création des monstres : Alec Gillis (Tremors, Alien 3, Starship Troopers), Shane Mahant (Terminator, Aliens, Predator) et Richard Taylor (Braindead, Les Feebles, Le Seigneur des Anneaux). Le fait que ces virtuoses aient fait leurs premières armes dans les années 80 et que Gillis et Mahan soient des piliers de la saga Alien n’est évidemment pas un hasard.

Du neuf avec du vieux

Pour les protagonistes de son film, Alvarez opère un choix inattendu en se focalisant sur un groupe de jeunes adultes éloignés des héros habituels de la saga. Fils d’ouvriers dont la plupart sont morts ou ravagés par la maladie, cloitrés sur une colonie minière insalubre sur laquelle ils sont voués à passer toute leur existence, ils décident de changer de destin, quitte à se mettre hors la loi. Leur projet : partir fouiller une station spatiale abandonnée, récupérer les modules d’hibernation et se mettre en sommeil cryogénique jusqu’à une planète plus prospère et plus accueillante. Bien sûr, la station qu’ils accostent n’est pas totalement désertée… Il n’était pas simple de trouver la balance idéale entre les « passages obligatoires » et les situations inédites, cette alchimie délicate qui consiste à faire du neuf avec du vieux sans trop déstabiliser le spectateur tout en le surprenant. Par miracle, Alien Romulus y parvient. Sa mise en scène au cordeau, son casting solide et sa direction artistique impeccable se mettent au service d’un scénario qui s’efforce sans cesse de détourner les composantes connues de la saga pour les placer au cœur de séquences de suspense inédites. Ce qu’Alvarez fait avec les face-huggers et le sang acide, par exemple, relève du jamais vu. Héritière directe de la Sigourney Weaver d’Alien, de la Noomi Rapace de Prometheus et de la Katherine Waterson dAlien Covenant, Cailee Spaeny campe à son tour une survivante déployant des trésors de ressources motivées par l’énergie du désespoir pour faire face aux prédateurs… jusqu’à un final cauchemardesque suscitant un malaise proche des séquences les plus dérangeantes d’Alien la résurrection. Bref, voilà un épisode certes facultatif mais hautement recommandable, porté par une remarquable bande originale orchestrale de Benjamin Wallfish qui cligne habilement de l’œil vers les musiques d’Alien, Aliens et Prometheus.

 

© Gilles Penso


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LES GUETTEURS (2024)

Pour son premier long-métrage, la fille de M. Night Shyamalan nous plonge dans des bois mystérieux abritant un inquiétant secret…

THE WATCHERS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ishana Shyamalan

 

Avec Dakota Fanning, Georgina Campbell, Olwen Fouéré, Oliver Finnegan, Alistair Brammer, John Lynch, Siobhan Hewlett, Hannah Dargan, Emily Dargan

 

THEMA CONTES I DOUBLES

Ishana Shyamalan a appris les ficelles du métier en fréquentant les plateaux de tournage de son père. Réalisatrice de deuxième équipe sur Old, signataire de plusieurs épisodes de la série Servant, elle fait le grand pas avec Les Guetteurs, dont elle écrit elle-même le scénario d’après le roman de A.M. Shine. M. Night Shyamalan continue de mettre le pied à l’étrier de sa fille en produisant lui-même ce premier long-métrage, qu’il finance avec ses fonds propres avant de le revendre pour 30 millions de dollars au studio Warner. Évidemment, il n’aura pas fallu longtemps pour que la presse utilise à tout bout de champ le mot « népotisme » pour définir cette situation. Le film aurait-il eu autant de facilités à se concrétiser sans le nom de Shyamalan Sr. au générique ? Sans doute pas. Consciente de l’avantage inestimable dont elle bénéficie, la réalisatrice est bien décidée à en tirer parti du mieux qu’elle peut. « J’y pensais tout le temps pendant la fabrication du film », avoue-t-elle. « J’avais très peur d’être jugée à cause de ça. Mais finalement, ce n’est pas si mal d’avoir quelque chose à prouver par vous-même. Ça vous pousse à travailler plus dur et à en faire encore plus. » (1)

L’héroïne des Guetteurs est interprétée par Dakota Fanning, que nous avons découverte petite fille dans des films comme Le Chat chapeauté, Man on Fire ou La Guerre des Mondes. C’était aussi la voix de Coraline et la Jane de la saga Twilight. Elle incarne ici Mina, une jeune Américaine qui travaille dans une animalerie à Galway, en Irlande. Encore sous le choc de la mort de sa mère survenue seize ans plus tôt, elle a coupé les ponts avec sa sœur jumelle Lucy (on notera que leurs deux prénoms proviennent du « Dracula » de Bram Stoker) et vit seule sans attaches. Un jour, son employeur la charge de livrer un perroquet de grande valeur à un zoo près de Belfast. Mina accepte, prend la route avec le précieux volatile coloré qu’elle finit par baptiser Darwin et traverse une forêt dense. Au beau milieu des arbres et de la végétation, il nous semble pénétrer avec elle dans une sorte de Triangle des Bermudes irlandais qui cesse abruptement de faire fonctionner les téléphones, les radios et les voitures. En panne, complètement perdue, Mina erre bientôt dans les bois sans se douter des sombres secrets qui s’y cachent…

Les yeux de la forêt

Le point de départ du film est intriguant et sait capter aussitôt l’attention du spectateur, dans la droite lignée des travaux de Shyamalan père. Mais très vite, Les Guetteurs nous assène toute une série de règles expliquant le fonctionnement du phénomène mystérieux dans lequel est plongée notre héroïne. Ce procédé très littéraire et bien peu cinématographique, au cours duquel les dialogues n’en finissent pas de détailler les mécanismes du scénario, entame très vite la suspension d’incrédulité des spectateurs qui ont bien du mal à accepter le concept auquel on tente de leur faire croire. Les choses sont amenées mécaniquement, sans finesse (comme ce parallèle entre la situation des protagonistes et les jeux de télé-réalités par exemple), les pensées des personnages sont exprimées à voix haute (« je m’amuse à me déguiser de temps en temps » dit Dakota Fanning face à son rétroviseur) et le film passe le plus clair de son temps à nous raconter ses procédés narratifs par l’intermédiaire de la voix de l’enseignante incarnée par Olwen Fouéré. C’est d’autant plus dommage qu’Ishana Shyamalan fait ici preuve d’un indiscutable sens de l’image et de la mise en scène, jouant avec habileté sur les motifs de la gémellité et de la dualité tout en déclinant sous un angle inattendu le principe des « body snatchers ». Nous serions maintenant curieux de la voir s’extraire de l’influence de son père pour pouvoir affirmer sa propre personnalité.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans « Refinery29 » en juin 2024

 

© Gilles Penso


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DEADPOOL & WOLVERINE (2024)

Le buddy movie le plus improbable du Marvel Cinematic Universe se concrétise face à la caméra du réalisateur de Free Guy et La Nuit au musée…

DEADPOOL & WOLVERINE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Shawn Levy

 

Avec Ryan Reynolds, Hugh Jackman, Emma Corrin, Morena Baccarin, Rob Delaney, Leslie Uggams, Aaron Stanford, Matthew Macfadyen

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I DEADPOOL I X-MEN

Dès la sortie de Deapool 2 et son succès international, un troisième épisode est logiquement envisagé par Ryan Reynolds et la 20th Century Fox. Tant que le public répond présent, il faut continuer de l’alimenter. Mais le studio est finalement racheté par Disney, bouleversant quelque peu ce projet de suite. Le super-héros irrévérencieux et ses aventures interdites aux mineurs – sauf s’ils sont accompagnés d’un adulte – ont-ils leur place dans le Marvel Cinematic Universe ? Sentant probablement l’odeur des billets verts, Kevin Feige donne son feu vert et permet officiellement au projet de décoller. Après Tim Miller et David Leitch, c’est Shawn Levy qui hérite de la réalisation, fort de l’expérience heureuse qu’il eut avec Ryan Reynolds sur Free Guy et Adam à travers le temps. Mais le cinéaste, son acteur principal et la batterie de scénaristes embauchés pour l’occasion peinent à trouver une idée suffisamment convaincante pour relancer les exploits du « mercenaire à grande bouche ». La solution vient d’Hugh Jackman, qui accepte de participer au film en reprenant le rôle de Wolverine. L’acteur australien avait pourtant annoncé qu’il raccrochait définitivement les griffes après Logan. Il faut croire que la perspective de passer du bon temps avec Ryan Reynolds et avec Shawn Levy (qui le dirigea dans Real Steel) le fit changer d’avis. Place donc à Deadpool & Wolverine, un « buddy movie » aussi improbable que ce que laisse entendre son titre surréaliste.

Pour inscrire officiellement Deadpool & Wolverine dans le MCU, plusieurs éléments empruntés à la franchise chapeautée par Feige s’invitent dans le scénario, et ce dès le prologue qui met en scène les agents du TVA (le Tribunal des Variations Anachroniques découvert dans la série Loki). Un étrange exercice d’équilibre s’opère alors, le film de Levy étant le premier à directement jeter les ponts entre l’univers Marvel de la Fox et celui de Disney (même si Sam Raimi lançait déjà les hostilités dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness). Comme les deux Deadpool précédents, celui-ci est injurieux, graveleux, gore et autoparodique, ce qui ne surprend pas outre-mesure si ce n’est que cette fois-ci le personnage devient officiellement une propriété intellectuelle de Disney. Or les dialogues ne cessent de brocarder la compagnie de Mickey, ses délires hégémoniques, ses achats compulsifs de toutes les franchises disponibles et même son phagocytage de la 20th Century Fox. La démarche pourrait sembler incroyablement courageuse, voire autodestructrice. Il n’en est rien bien sûr, et l’on sait que la moindre de ces salves satiriques a été validée par un comité de lecture et procède donc d’une posture savamment calculée. S’il y a un vent de fraîcheur inattendu à glaner dans ce troisième épisode, il ne provient donc pas tant de son caractère pseudo-subversif (les deux premiers Deadpool essayaient déjà de jouer les faux garnements insolents) mais de l’hommage visiblement sincère qu’il tient à rendre à tout un pan de l’univers cinématographique de Marvel antérieur à la création du Marvel Studio.

Deadpool aux œufs d’or

La convocation des multiverses, des personnages alternatifs et d’une multitude de guest-stars se plie certes aux contraintes du « fan service » façon Spider-Man No Way Home et entretient l’adhésion d’un public dont la cause est d’emblée acquise – Deadpool est devenu une poule aux œufs d’or inespérée pour les tiroir-caisse des salles de cinéma. Mais derrière ce feu d’artifice de clins d’œil conçus pour caresser les aficionados dans le sens du poil, il y a visiblement autre chose, comme une envie de saluer toutes les tentatives précédentes de porter les idées de Stan Lee et de ses équipes à l’écran, souvent oubliées par les générations biberonnées au MCU. Après tout, Logan lui-même n’eut-il pas droit à plusieurs vies contradictoires face aux caméras respectives de Bryan Singer, Brett Ratner, Gavin Hoods, Matthew Vaughn ou James Mangold ? Ryan Reynolds ne campait-il pas déjà dans X-Men Origins : Wolverine un Wade Wilson bien différent de celui qui le rendit populaire ? Et s’il y avait plus de déférence et de respect envers les aînés qu’on ne voudrait bien le croire dans ce Deadpool & Wolverine ? Ceux qui n’y verront que de l’action virtuose ultra-violente et parodique, des dialogues bêtes et méchants et des blagues référentielles en auront largement pour leur argent. Les autres y dénicheront peut-être un supplément d’âme inattendu, à l’image de ce montage d’extraits candides et étonnamment émouvants diffusés pendant le générique de fin.

 

© Gilles Penso


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TWISTERS (2024)

Dans cette suite tardive du film de Jan De Bont, une nouvelle équipe de chasseurs de tornades brave tous les dangers…

TWISTERS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Lee Isaac Chung

 

Avec Daisy Edgar-Jones, Glen Powell, Anthony Ramos, Maura Tierney, Harry Hadden-Paton, Sasha Lane, Brandon Perea

 

THEMA CATASTROPHES

Parmi les suites que personne n’attendait, Twisters se pose bien là, même si les premiers résultats au box-office le positionnent déjà comme un des grands succès de l’année 2024. Le recul aidant, on constate que le film original de 1996 bénéficie d’une côte de popularité jusque-là insoupçonnée, comme en témoignent de nombreux commentaires sur la toile. La nostalgie commençant à faire son œuvre, Twister semble même aujourd’hui trouver une place aux côtés des classiques des années 90 tels que Jurassic Park ou Forrest Gump. Alors qu’il fut critiqué à l’époque pour son scénario schématique et ses personnages unidimensionnels, ces défauts sont peut-être aussi ses atouts : il ne faut en effet pas confondre « simplisme » et « simplicité ». Le scénario de Michael Crichton introduisait ses protagonistes et ses enjeux au développement prévisible dans les dix premières minutes, pour mieux se focaliser sur ses formidables scènes d’action. Et si Jan de Bont est tombé en disgrâce depuis, il offrait à ses acteurs un espace pour faire exister des personnages certes taillés d’un seul bloc mais profondément charismatiques et sympathiques, au milieu d’un tournage à la logistique complexe. Pourquoi ce retour sur le film original ? Parce que Lee Isaac Chung, réalisateur indépendant signant comme tant d’autres avant lui un pacte avec le diable Hollywoodien, a visiblement pris le temps lui aussi de le revoir et l’analyser pour mieux en reproduire la recette.

L’accroche sur l’affiche « Par les producteurs de Jurassic World » rappelle à quel point l’industrie du cinéma a cyniquement admis sa propension à capitaliser encore et encore sur des franchises familières. Sans surprise donc, Twisters a été écrit avec un photocopieur Xerox : même introduction établissant le trauma de l’héroïne, rivalité entre deux équipes et intensité des tornades allant crescendo jusqu’à la fameuse F5, avec en guise de fil rouge la mise au point d’appareils permettant de neutraliser les tornades par un procédé scientifique improbable mais suffisamment crédible dans le contexte du film. Mais ce qui permet de dépasser le statut de simple remake sans âme, c’est le charisme indéniable des acteurs. Daisy Edgar-Jones incarne une émule d’Helen Hunt (jusqu’à porter la même tenue pantalon kaki/débardeur blanc en guise de clin d’œil)) mais devient cette fois plus clairement le personnage principal. Anthony Ramos, transfuge de Broadway (il faisait partie du cast original du phénomène Hamilton), ne parvient toujours pas à crever l’écran en évitant néanmoins l’embarras de son emploi de figurant de luxe dans Transformers – Rise of the Beasts. Mais la « révélation » ici, c’est Glen Powell (Top Gun : Maverick et la rom-com Anyone but you), incarnant l’archétype du cowboy du Midwest. Débordant d’arrogance et se mettant lui-même en scène au travers de sa chaine YouTube, il ne rate jamais une occasion de vendre des T-shirts et autres objets à son effigie. Flirtant habilement avec le ridicule et l’auto-parodie, le playboy de l’année 2024 imprègne le film d’un humour et d’une décontraction bienvenus. On appréciera également que l’inévitable romance ne vienne jamais détourner l’attention de l’attraction principale : les tornades !

Let’s twist again !

Nanti d’un budget confortable de 200 millions de dollars, Twisters tient toutes ses promesses en termes de spectacle visuel mais aussi acoustique, le mixage son poussant tous les potards jusqu’à 11 dès la première scène. Les impeccables effets spéciaux numériques sont à nouveau l’œuvre d’ILM et il va sans dire que la technologie a bien sûr évolué, ce qui pourrait d’ailleurs constituer un petit bémol par rapport à l’original : de la même manière que Spielberg avait su compenser les limitations techniques de son requin mécanique par l’inventivité de la mise en place de chacune de ses apparitions pour Les Dents de la mer, Jan De Bont créait une ambiance et adoptait une approche spécifique pour chacune de ses cinq tornades. Tout étant virtuellement possible aujourd’hui, on pourra déplorer une certaine banalisation des SFX et, pour faire un parallèle « olé-olé » (mais justifié car la métaphore était au cœur du film de De Bont!) avec le cinéma X, une réalisation plus « gonzo », apportant moins d’importance et de temps aux préliminaires. Pour autant, Twisters ne ressemble jamais à un film de 2024 et donne même l’impression de regarder un inédit de la fin du siècle dernier, un sentiment renforcé par le fait que Lee Isac Chung ait décidé de tourner sur pellicule pour retrouver la lumière et l’aspect de la photo de l’original. Twisters n’innove peut-être pas mais ne déçoit jamais non plus. Et si la majorité des grosses productions peinent aujourd’hui à remplir les salles obscures et à laisser une empreinte dans la mémoire collective allant jusqu’à questionner l’avenir même des cinémas et du Cinéma, le succès assez inattendu de cette suite tardive nous indique peut-être qu’en cette décennie marquée par l’incertitude (une pandémie, la polarisation politique et sociale, des guerres, …rien que ça), offrir un « simple » divertissement populaire pour toute la famille est aussi un acte d’utilité économique et publique pour le 7ème Art. Alors, déposez vos cerveaux à l’entrée et à vos popcorns !

 

 © Jérôme Muslewski


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