HELLBOY : THE CROOKED MAN (2024)

Passé complètement inaperçu, ce quatrième Hellboy oublie la fantasy et les grands monstres au profit d’une ambiance de « folk horror » glauque…

HELLBOY : THE CROOKED MAN

 

2024 – USA

 

Réalisé par Brian Taylor

 

Avec Jack Kesy, Jefferson White, Leah McNamara, Adeline Rudolph, Joseph Marcell, Hannah Margetson, Martin Bassindale, Carola Colombo, Nathan Cooper

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I DIABLE ET DÉMONS I ZOMBIES I ARAIGNÉES I REPTILES ET VOLATILES I SAGA HELLBOY

Si le Hellboy de Neil Marshall n’a pas soulevé beaucoup d’enthousiasme, souffrant de la comparaison avec le diptyque très apprécié de Guillermo del Toro, ce quatrième opus – sorti à peine cinq ans après le précédent et jouant une fois de plus la carte du « reboot » – est quasiment passé sous les radars. Pourtant, c’est celui que Mike Mignola, auteur de la bande dessinée originale, apprécie le plus. Notre homme ne s’est jamais privé de clamer haut et fort sa déception face aux premiers longs-métrages trahissant selon lui sa création. Ici, il met la main à la pâte, participant personnellement au scénario qui s’appuie sur la série de comics « The Crooked Man » dessinée par Richard Corben. Co-réalisateur de Hyper Tension, Ultimate Game et Ghost Rider 2, Brian Taylor hérite de la mise en scène et affirme à son tour une volonté de rupture avec les autres adaptations. « Les films de Guillermo del Toro étaient des space operas à grande échelle », dit-il. « Mais certaines des bandes dessinées que Mike réalisait à l’époque étaient très différentes. Il s’agissait plutôt d’horreur folklorique et effrayante. Un Hellboy plus jeune, errant dans les coins sombres du monde. Pour moi, l’intérêt était de revenir à cet esprit et de proposer une version de Hellboy que, selon moi, nous n’avons pas encore vue. » (1) D’où un film sombre et violent, classé R (interdit aux mineurs non accompagnés d’un adulte), et produit pour un budget beaucoup plus restreint que celui de ses prédécesseurs.

Cet Hellboy là se déroule en 1959 et démarre dans un train lancé à vive allure. Agent débutant du BDRP (Bureau for Paranormal Research and Defense, autrement dit Bureau de recherche et de défense sur le paranormal), la parapsychologue Bobbie Jo Song (Adeline Rudolph) est chargée de livrer une araignée géante aux capacités surnaturelles qu’elle a fait enfermer dans une caisse. Cette mission ayant un caractère potentiellement très dangereux, elle est escortée par Hellboy (Jack Kesy). Or à mi-parcours, le monstre s’affole et s’échappe. En partant à sa recherche, Bobbie Jo et Hellboy se retrouvent au fin fond des Appalaches, dans une petite communauté rurale où sévissent de nombreuses sorcières dirigées par un démon local qui répond au doux nom de Crooked Man, « l’homme tordu » (Martin Bassindale). Bien décidé à défaire la forêt et ses habitants de ce monstre collecteur d’âmes tourmentées, Hellboy va se retrouver confronté à son propre passé…

Fanboy

Chapitré en trois parties (« La boule de sorcière », « L’os porte-bonheur » et « L’Ouragan »), le film se distingue clairement des trois autres par son approche frontalement horrifique. L’atmosphère est anxiogène, l’humour relégué à l’arrière-plan et l’intrigue prend vite la tournure d’un cauchemar. A l’avenant, Brian Taylor concocte une série de séquences bizarres et perturbantes, comme le corps d’une femme qui se regonfle à la manière d’un ballon de baudruche pour reprendre sa forme humaine, ce cheval qui se transforme en vieil homme agonisant, ce serpent géant qui sort de sous une jupe pour entrer dans une bouche ou encore la résurrection en série de tous les cadavres enterrés dans le sol d’une église. Face à tant de diableries, Hellboy conserve son flegme brutal tandis que sa partenaire joue les Dana Scully cartésiennes, même lorsque le paranormal lui saute au visage. On ne peut s’empêcher de saluer l’audace de tels partis pris. Jack Kesy fait le job, les maquillages sont réussis, l’esprit des comic books les plus sinistres de la série est respecté. Mais honnêtement, le résultat est loin d’être concluant. Ce film froid et pesant suscite beaucoup plus d’ennui que d’intérêt et donne presque l’impression de visionner un « fan movie » réalisé certes avec passion mais sans dramaturgie, sans finesse, sans vision de mise en scène. Le risque encouru par l’équipe de cet Hellboy n’aura d’ailleurs pas été payant, si l’on considère ses bien maigres retombées financières.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Collider en février 2023

 

© Gilles Penso


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LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE (2023)

Pour faire revenir son mari tombé au front pendant la première guerre mondiale, une jeune femme désespérée se tourne vers la magie noire…

LA CHOSE DERRIÈRE LA PORTE

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Fabrice Blin

 

Avec Séverine Ferrer, David Doukhan, Clémence Verniau, Philippe Lamendin, Fabien Jegoudez, Yves Lecat, Quentin Surtel

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Voilà plusieurs années que Fabrice Blin taquine la camera. Après avoir signé une poignée de courts-métrages et un documentaire consacré au légendaire format Super 8, il s’attaque avec La Chose derrière la porte à son premier long de fiction en se réappropriant partiellement une imagerie qu’il avait déjà mise en scène dans l’un de ses courts, Mandragore. Si les écrits de H.P. Lovecraft et de ses contemporains (notamment Clark Ashton Smith) peuvent naturellement venir à l’esprit, et si les mutations organiques de David Cronenberg ne semblent pas très loin, Fabrice Blin se réclame aussi d’une littérature fantastique très hexagonale, celle de Maurice Renard et Claude Seignolle. Les influences composites qui le nourrissent auraient pu entraver le résultat final et muer La Chose derrière la porte en patchwork de clins d’œil, travers parfois imputables aux baptêmes de mise en scène. Or ce premier film possède au contraire une personnalité et une singularité indiscutables, justement parce que ses sources d’inspiration ont été digérées et régurgitées sous une forme nouvelle. Boosté par sa pulsion créatrice, motivé par l’enthousiasme de son coproducteur Jean-Marc Toussaint, épaulé par une petite équipe de tournage dévouée, Fabrice Blin plante ses caméras pendant trois semaines dans la maison de campagne de ses beaux-parents et y construit pièce par pièce son film.

Nous sommes en 1914. Alors que la Première Guerre mondiale fait rage dans les campagnes françaises, Jean (David Doukhan), le fusil à l’épaule, s’en va combattre les Allemands au grand dam de sa bien-aimée Adèle (Séverine Ferrer) qui reste seule dans sa maison au milieu de la campagne, dans l’espoir fragile de le voir rentrer sain et sauf. Mais la nouvelle tant redoutée finit par arriver : Jean a succombé dans les tranchées. Dévastée par la douleur et incapable d’accepter cette perte, Adèle sombre peu à peu dans le désespoir. Ses nuits sont hantées de cauchemars où elle voit son mari disparu, et ces visions la guident jusqu’à un mystérieux grimoire enfoui dans les ruines d’une forêt proche. Ce livre ancien, qui n’est pas sans nous rappeler bien sûr le Necronomicon, renferme des secrets occultes et des formules interdites. Au fil de sa lecture, Adèle comprend qu’elle détient peut-être le pouvoir de faire l’impensable : ramener Jean d’entre les morts. Mais peut-on impunément jouer les nécromanciens sans en payer le prix fort ?

Body Snatchers

L’un des partis pris artistiques les plus radicaux du film est l’épure de ses dialogues, qui se résument finalement à peu de choses. Et ce n’est pas plus mal, puisque nous tutoyons ici l’indicible cher à Lovecraft, l’abomination innommable à laquelle aucun mot ne saurait rendre justice. La Chose derrière la porte baigne d’ailleurs en permanence dans une atmosphère onirique qui nous laisserait presque imaginer que tout ce que s’y passe pourrait être le fruit d’un cauchemar enfiévré. Ce qui expliquerait les réactions un peu décalées du personnage incarné par Séverine Ferrer – mi sidération mi fascination – face à l’horreur sans cesse renouvelée qui se présente à sa porte. Convoquer le mythe de la mandragore entraîne forcément une imagerie de « body horror » végétale qui n’est pas sans rappeler L’Invasion des profanateurs de sépultures et toutes ses variantes, une référence une fois de plus pleinement assumée et intelligemment détournée. Malgré un budget qu’on imagine extrêmement restreint, Fabrice Blin soigne sa mise en scène avec un étonnant souci du détail. La photographie, les décors, le design sonore, la musique oppressante de Raphael Gesqua, les impressionnants maquillages spéciaux de David Scherer, rien n’est laissé au hasard, tout concourt à bâtir cette ambiance moite qui s’immisce dès les premières minutes du métrage et ne le quitte plus jusqu’à son climax déchirant. On saluera au passage la pleine implication de Séverine Ferrer et la présence imposante de David Doukhan, un rôle qui – espérons-le – lui ouvrira la porte vers d’autres personnages et d’autres univers.

 

© Gilles Penso


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SPEAK NO EVIL (2024)

Habité par son rôle de psychopathe exubérant, James McAvoy tient la vedette de ce remake américain de Ne dis rien

SPEAK NO EVIL

 

2024 – USA

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Scoot McNairy, Aisling Franciosi, Alix West Lefler, Dan Hough, Kris Hitchen, Motaz Malhees, Jakob Højlev Jørgensen

 

THEMA TUEURS

L’idée d’un remake du glacial Ne dis rien de Christian Tafdrup pouvait sembler parfaitement incongrue, uniquement mue par l’appât du gain des studios hollywoodiens et les mauvaises habitudes prises par le grand public outre-Atlantique. Pourquoi risquer de distribuer sur le territoire de l’Oncle Sam un film dano-hollandais avec des acteurs inconnus alors qu’une version américaine avec un comédien populaire en tête d’affiche a de plus grandes chances d’attirer les spectateurs en masse ? Tel fut le raisonnement tristement logique du producteur Jason Blum au moment de la mise en chantier de Speak No Evil, deux ans seulement après la sortie du film original (dont la plupart des dialogues étaient pourtant échangés en langue anglaise, ce qui n’aurait pas dû représenter une barrière pour le public US). La réalisation de cette nouvelle version est confiée à James Watkins, à qui nous devons deux autres films de genre très remarqués : Eden Lake en 2008 et La Dame en noir en 2012. Ce choix est loin d’être inintéressant, dans la mesure où Tafdrup lui-même avoue s’être partiellement inspiré d’Eden Lake pour réaliser Ne dis rien. La boucle serait-elle en quelque sorte bouclée ?

Les nationalités des protagonistes ont changé mais la situation de départ reste rigoureusement identique. Pendant leurs vacances en Italie, Louise et Ben Dalton (Mackenzie Davis et Scoot McNairy), un couple d’Américains accompagné de leur fille de 12 ans Agnes (Alix West Lefler), se lient d’amitié avec Paddy et Ciara (James McAvoy et Aisling Franciosi), deux Anglais au tempérament volcanique, et avec leur fils Ant (Dan Hough), extrêmement timide et handicapé par une atrophie de la langue. De retour chez eux après les vacances, Louise et Ben reçoivent une lettre de Paddy et Ciara qui les invitent à séjourner quelques jours avec eux dans leur ferme isolée du Devon. Nos Américains biens sous tous rapports connaissant quelques problèmes de couple et leur fille souffrant d’une anxiété maladive qui la pousse à s’attacher à son lapin en peluche, ce petit séjour de détente dans la campagne semble être une bonne idée. L’accueil sur place est certes chaleureux, mais une série d’incidents et le comportement passif-agressif des hôtes gâchent un peu l’ambiance…

Surenchère

On le voit, Speak No Evil joue dans un premier temps la carte de la fidélité extrême à son modèle, qu’il reproduit presque plan par plan, réplique par réplique. Le montage ajoute certes des petites choses ici et là, accentuant surtout le caractère fantasque de Paddy, mais nous restons en terrain très connu. Ce que le remake cherche à apporter par rapport au film original, c’est d’abord une certaine légèreté de ton (l’humour noir y est frontalement assumé), quitte à forcer un peu le trait. Le scénario tient aussi à expliciter les incidents survenus dans le passé des protagonistes pour leur donner un peu de chair. L’intention est louable, même si nous aurions tendance à préférer les non-dits de Ne dis rien qui jouait habilement sur la suggestion. Speak No Evil s’éloigne surtout de son modèle au moment du dernier acte, différant la révélation finale pour distiller les informations plus en amont. L’objectif est manifestement de renforcer le suspense de la situation. Mais le final vire brusquement à la caricature, oubliant toute demi-mesure, surexpliquant tout, convoquant les fusillades, la pyrotechnie et les cascades, transformant McAvoy en émule hurlant et gesticulant du Jack Nicholson de Shining, bref caressant dans le sens du poil un public américain décidément jugé infantile. Le film reste très efficace, jouant habilement avec les nerfs des spectateurs, mais l’audace nihiliste de Ne dis rien cède ici le pas à une sorte de Vaudeville grandguignolesque qui tourne presque à la parodie et amenuise du même coup l’impact de l’œuvre originale – laquelle tournait justement le dos aux canons hollywoodiens.

 

© Gilles Penso


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MEGALOPOLIS (2024)

Le film le plus fou de Francis Ford Coppola réunit un casting hétéroclite dans une Amérique alternative aux allures de Rome antique…

MEGALOPOLIS

 

2024 – USA

 

Réalisé par Francis Ford Coppola

 

Avec Adam Driver, Giancarlo Esposito, Nathalie Emmanuel, Aubrey Plaza, Shia LaBeouf, Jon Voight, Laurence Fishburne, James Remar, Talia Shire, Dustin Hoffman

 

THEMA POLITIQUE FICTION

Francis Ford Coppola aurait pu abandonner des dizaines de fois, décréter qu’il y eut plus d’un signe l’intimant à passer à autre chose, se concentrer sur des projets plus sûrs et plus rémunérateurs. Mais Megalopolis s’est mué en obsession. Coûte que coûte, il fallait que ce film se concrétise. La première version du scénario date du début des années 1980. Après le spectaculaire échec au box-office de Coup de cœur, qu’il avait financé de sa poche, Coppola doit d’abord éponger ses dettes. Ce n’est qu’en 2001 que Megalopolis redémarre. Cette fois-ci, ce sont les attentats du 11 septembre qui stoppent tout. Quand le cinéaste relance les hostilités en 2019, il se heurte cette fois-ci à la pandémie du Covid-19. Coppola n’étant pas du genre à baisser les bras, il laisse passer la crise et puise dans ses deniers personnels les 120 millions de dollars exigés par le budget. La démarche pourrait sembler presque suicidaire, étant donné le caractère résolument non-commercial de l’œuvre. Mais quand on se lance dans un film comme Megalopolis, la pulsion créatrice l’emporte sur la logique du tiroir-caisse. Coppola est mû par un désir ardent : établir un parallèle entre la chute de Rome et l’avenir des États-Unis, en transposant dans un monde parallèle contemporain les événements de la conspiration des Catilinaires survenus en 63 avant J.C.

Dans New Rome, version alternative de New York, l’architecte César Catilina (Adam Driver) s’oppose à Franklyn Cicero (Giancarlo Esposito), le maire archi-conservateur de la ville. Inventeur visionnaire, César a développé le Megalon, un matériau bio-adaptatif révolutionnaire qu’il est convaincu de pouvoir utiliser pour changer le monde. Son rêve est désormais de bâtir Megalopolis, une cité utopique futuriste.  Or Cicero trouve ces idées fantasques et dangereuses. Il lance donc une campagne de diffamation contre César, l’accusant d’être responsable de la mort mystérieuse de sa femme. C’est le moment que choisit Wow Platinum (Aubrey Plaza), animatrice télé arriviste et maîtresse de César, pour séduire puis épouser le banquier millionnaire Hamilton Crassus III (Jon Voight). Entretemps, Julia (Nathalie Emmanuel), la fille du maire, engagée au départ pour espionner César, finit par tomber sous son charme et découvre qu’il a le pouvoir de stopper le temps. Elle sera une alliée de poids pour concrétiser le projet de Megalopolis, malgré les manigances du vil Clodio Pulcher (Shia LaBeouf), le cousin jaloux de César…

Boulimie créative

La science-fiction est donc ici convoquée pour aborder sous un angle allégorique les travers de notre société, sans pour autant que Coppola joue le jeu trop frontal de la satire politique. Redoublant d’idées de mise en scène, submergé par une boulimie créative qui n’est pas sans rappeler certaines fulgurances de Coup de cœur ou de Dracula, le père du Parrain et d’Apocalypse Now gorge son écran de trouvailles poétiques et symboliques, osant marier le cinéma du 21ème siècle transfiguré par les effets numériques avec celui des pionniers du cinéma muet. Mégalopolis évoque d’ailleurs beaucoup Metropolis, la forte similitude entre les titres des deux films n’étant probablement pas fortuite. Le surréalisme surgit partout, de ces immenses statues antiques qui s’effondrent mollement dans les rues à cette main qui surgit des nuages pour attraper la pleine Lune, en passant par les ombres immenses qui s’agitent sur les façades des bâtiments ou le bureau du maire qui s’enfonce dans le sable comme un navire qui sombre… Le temps étant l’un des motifs récurrents du film – César le décrit comme une sorte de ruban qui nous entoure en reliant le passé et le futur -, le cinéaste semble vouloir boucler la boucle en se référant à son tout premier long-métrage, Dementia 13, le temps d’une image macabre sous-marine. Ce retour en arrière positionnerait-il Megalopolis comme une œuvre-testament ? Il s’agit en tout cas d’un film-somme, d’un rêve de longue date enfin sorti des limbes, envers et contre tous. Et si les critiques se jetèrent sur sa carcasse comme des loups affamés lors de sa présentation au Festival de Cannes, gageons qu’il sera réévalué et fera même date dans l’histoire du cinéma. Combien de fois dans une vie assiste-t-on à un tel spectacle sur grand écran ?

 

© Gilles Penso


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L’APPARTEMENT 7A (2024)

Que s’est-il passé avant les événements racontés par Roman Polanski dans Rosemary’s Baby ? Voici la réponse…

APARTMENT 7A

 

2024 – USA

 

Réalisé par Natalie Erika James

 

Avec Julia Garner, Dianne West, Kevin McNally, Jim Sturgess, Marli Siu, Rosy McEwen, Andrew Buchan, Anton Blake Horowitz, Raphael Sowole, Tina Gray

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

S’attaquer à un classique aussi « sacré » que Rosemary’s Baby était un redoutable challenge. Bien conscients du risque, les producteurs John Krasinski et Michael Bay, via leurs compagnies respectives Sunday Night Productions et Platinum Dunes, décident de s’appuyer sur la sensibilité de la réalisatrice Natalie Erika James, signataire d’un très efficace Relic en 2020. Pour éviter toute comparaison avec l’œuvre originale – et peut-être aussi pour se défaire du nom de Roman Polanski devenu embarrassant -, cette prequel opte pour un titre énigmatique qui ne parlera qu’aux connaisseurs et cherche à prendre ses distances. « L’une de nos principales considérations était de s’assurer qu’il y ait une séparation et que les créateurs du film original ne soient pas impliqués dans celui-ci », confirme Natalie Erika James. « Nous avons donc essayé de faire référence au livre d’Ira Levin autant que possible et de l’utiliser comme source principale. Mais en même temps, Rosemary’s Baby est tellement emblématique que la comparaison est en quelque sorte inévitable. » (1) Pas de « fan service » ni de guest-star échappée du premier film, donc, dans cet Appartement 7A qui s’attache à raconter le parcours de Terry Ginoffrio, une jeune femme ayant habité l’immeuble Bramford avant Rosemary et son époux. Chez Polanski, ce personnage apparaissait brièvement sous les traits de l’actrice Victoria Vetri. Ici, il prend le visage de Julia Garner.

Nous sommes dans le New York de 1965. Après une mauvaise chute au beau milieu d’un spectacle qui l’a laissée blessée à la jambe, Terry court les auditions sans succès, accumule les factures et carbure à l’anti-douleur. Elle qui rêvait d’une carrière de star à Broadway, la voilà affublée d’une humiliante réputation, celle de « la fille qui est tombée ». Un jour, alors qu’elle est prise d’un malaise dans la rue, la jeune danseuse est recueillie par un couple de gens âgés, Minnie et Roman Castevet (Dianne Wiest et Kevin McNally). Ces derniers possèdent un appartement inoccupé dans le prestigieux immeuble Bramford et lui proposent de l’héberger gratuitement. Mieux : ils connaissent personnellement le très influent producteur Alan Marchand (Jim Sturgess), qui vit dans le même immeuble, et lui glissent deux mots pour que Terry rejoigne la troupe de son prochain spectacle. Tous les rêves de la jeune femme semblent donc sur le point de se réaliser. Mais ce cadeau est bien sûr empoisonné et l’ombre de Faust plane bientôt sur ces revirements de situation trop beaux pour ne pas cacher quelque chose de diabolique…

Les diaboliques

La mise en scène au cordeau de Natalie Erika James et l’interprétation impeccable de sa petite troupe d’acteurs emportent l’adhésion dès les premières minutes. Difficile de ne pas entrer en empathie avec cette danseuse sur qui le destin semble d’abord vouloir s’acharner. Absent de l’intrigue pendant une bonne demi-heure, le surnaturel ne surgit que par petites touches oniriques. Les choses basculent au cours d’un cauchemar que la réalisatrice a l’excellente idée de muer en show musical déviant. Mais le public des années 2020 étant sans doute plus impatient et moins curieux que celui des sixties, L’Appartement 7A finit par sacrifier à quelques effets un peu surlignés (justifiés par les hallucinations et les rêves tourmentés de la protagoniste). Tout ne se joue donc pas entre les lignes. Ici, le diable et son rejeton jouent à cache-cache avec les spectateurs au lieu de rester logés dans son imagination comme chez Polanski. Ainsi, peu à peu, le film qui partait si bien tombe dans les travers qu’il semblait vouloir éviter, oublie l’épure et ne laisse plus de place au doute… Fort heureusement, Natalie Erika James parvient à redresser la barre au cours d’un climax glaçant qui nous renvoie cette fois-ci frontalement – et ouvertement – non seulement à Rosemary’s Baby mais aussi au Locataire. Après avoir été présenté en avant-première au Fantastic Fest en 2024, L’Appartement 7A a débarqué directement sur la plateforme de streaming de Paramount + et en VOD. C’est dommage. Une sortie en salles n’aurait pas été de refus.

 

(1) Extrait d’une interview paru dans Hollywood Reporter en septembre 2024

 

© Gilles Penso


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SUBSERVIENCE (2024)

Megan Fox incarne un robot docile qui fait le ménage, prépare des petits plats, s’occupe des enfants… et prend d’inquiétantes initiatives !

SUBSERVIENCE

 

2024 – USA

 

Réalisé par S.K. Dale

 

Avec Megan Fox, Michele Morrone, Madeline Zima, Matilada Firth, Jude Greenstein, Andrew Whipp, Atanas Srebrev, Manal El-Feitury, Antoni Davidov, JR Esposito

 

THEMA ROBOTS

Sex-symbol des années 2010, Megan Fox fit tourner la tête du public adolescent dans Transformers, Jennifer’s Body ou encore Jonah Hex, puis multiplia les apparitions sur les grands et les petits écrans tout en exposant régulièrement son impeccable silhouette dans les pages glacées de divers magazines de charme. En approchant de la quarantaine, la comédienne tient à varier les plaisirs. Si sa plastique reste irréprochable, ses rôles se veulent plus complexes. D’où sa prestation dans le thriller oppressant Till Death dirigé par S.K. Dale en 2021. Heureuse de cette expérience, elle renoue avec le cinéaste à l’occasion de Subservience dans laquelle Dale lui demande d’incarner un robot faussement docile (le titre pourrait se traduire par « soumission » ou « asservissement »). « Je connaissais plusieurs des points forts de Megan grâce à notre expérience passée, et j’ai pensé à ce qu’elle pouvait apporter au film », raconte le réalisateur « Dès le début, elle a proposé de faire bouger son personnage comme une ballerine, avec des gestes lents et précis. L’idée était excellente, et nous avons essayé de trouver le juste équilibre entre une prestation robotique inhumaine et l’expression d’un certain nombre d’émotions discrètes dans les scènes intimes. » (1) De fait, l’efficacité de Subservience repose beaucoup sur le travail de la comédienne, impeccable dans la peau de cet androïde trop parfait pour ne pas être suspect.

Le film se déroule dans un futur très proche où les robots côtoient de près les êtres humains. Mais nous ne sommes ni dans I, Robot, ni dans Alita : Battle Angel. Le monde décrit dans le film est donc ultraréaliste, très proche de ce que nous connaissons déjà. Les machines équipées d’une intelligence artificielle imitent à la perfection leurs créateurs et les secondent dans diverses tâches manuelles, occupant les chantiers de construction, les hôpitaux ou les jardins d’enfants. Le jour où son épouse (Madeline Zima) est victime d’une crise cardiaque qui la cloue sur un lit d’hôpital dans l’attente d’une greffe du cœur, Nick (Michele Morrone), contremaître dans le bâtiment et père de deux enfants, fait l’acquisition d’un robot humanoïde (Megan Fox) pour l’aider dans ses tâches domestiques. Modèle dernier cri de chez Kobol Industries, cette assistante est baptisée Alice par la fille de Nick et se montre particulièrement efficace. « Mon seul désir est de répondre à vos besoins » dit-elle à son propriétaire. Mais que veut-elle vraiment dire par là ? N’est-elle pas en train de développer des sentiments troubles, des initiatives imprévues et des projets funestes ?

Une nounou d’enfer

Subservience emprunte à priori des sentiers déjà balisés en détournant des motifs traités dans des œuvres aussi disparates que Megan, La Main sur le berceau ou même l’obscur Maid Droid. Si le film de Dale tire son épingle du jeu, c’est parce qu’il s’efforce d’aborder son sujet de la manière la plus crédible possible, inscrivant son intrigue dans un contexte social tangible, abordant frontalement la problématique de la main d’œuvre menacée d’être remplacée par des robots pour gagner en rentabilité. « C’est notre monde, maintenant », dit ainsi le patron de Nick qui s’apprête à licencier tous ses ouvriers au profit d’automates plus performants. Si Megan Fox crève l’écran dans son rôle de Mary Poppins au sourire éclatant, Michele Morrone livre à ses côtés une prestation naturaliste qui renforce beaucoup l’impact du film et ses nombreux moments de tension. Lorsqu’il s’éloigne du cadre intime et familial pour offrir aux spectateurs un climax explosif, Subservience finit par céder aux lieux communs hérités de Terminator, Hardware ou même Jeu d’enfant. Ce n’est certes pas la partie la plus subtile du film, mais elle ouvre une porte inquiétante sur les dérives à plus grande échelle d’une robotisation massive devenue incontrôlable. Ce sujet est d’autant plus d’actualité qu’au moment de la post-production de Subservience, Hollywood fut soudain frappé par une grève sans précédent des scénaristes et des acteurs, inquiets de voir l’intelligence artificielle risquer de menacer leurs emplois. La réalité s’apprêterait-elle à dépasser la (science)fiction ?

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Screen Rant en septembre 2024.

 

© Gilles Penso


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BLINK TWICE (2024)

Deux serveuses sont invitées par un milliardaire sur une île privée pour un séjour beaucoup moins paradisiaque qu’il n’en a l’air…

BLINK TWICE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Zoë Kravitz

 

Avec Naomi Ackie, Channing Tatum, Alia Shawkat, Christian Slater, Simon Rex, Adria Arjona, Haley Joel Osment, Liz Caribel, Geena Davis, Kyle McLachlan

 

THEMA TUEURS

Blink Twice marque les premiers pas derrière la caméra de Zoë Kravitz, qui est parvenu à se faire un nom indépendamment de son père grâce à ses activités d’actrice. On l’a aperçue dans des films tels que Mad Max Fury Road, Les Animaux fantastiques ou encore The Batman (où elle incarnait Catwoman face à Robert Pattinson). C’est en 2017 que l’apprentie réalisatrice commence à écrire ce film, qui porte d’abord comme titre Pussy Island (« l’île des chattes »). Mais face aux réactions extrêmement négatives de la puissante Motion Picture Association of America et de ceux à qui elle soumet l’idée (principalement des femmes, à sa grande surprise), elle opte finalement pour le plus sage et énigmatique Blink Twice (autrement dit « clignez deux fois des yeux »). Pour autant, le film entend bien conserver la dureté de son propos, camouflée sous une apparence faussement festive et détendue. MGM décide alors d’afficher un message d’avertissement dans toutes les salles de cinéma qui projettent le film aux Etats-Unis et au Royaume Uni : « Blink Twice est un thriller psychologique sur l’abus de pouvoir. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, ce film contient des thèmes matures et des représentations de la violence, y compris de la violence sexuelle ». Nous voilà prévenus.

En tête d’affiche, Naomi Ackie incarne Frida, qui gagne sa vie comme serveuse dans les soirées de cocktail et se passionne pour le « nail art », avec une prédilection pour les ongles ornés de motifs en formes d’animaux. Un soir, alors qu’elle sert les boissons lors d’un événement très select, elle semble taper dans l’œil du milliardaire Slater King (Channing Tatum), un magnat de la technologie qui lui propose de se joindre à lui et à un groupe d’amis sur l’île privée dont il a fait l’acquisition. Frida emmène avec elle sa collègue Jess (Alia Shawkat) et découvre un lieu paradisiaque. Les chambres sont somptueuses, les repas succulents, l’alcool coule à flot et tous les convives participent avec un enthousiasme communicatif à ces vacances raffinées et luxueuses. Mais petit à petit, le doute commence à s’immiscer. Toute cette euphorie béate n’est-elle pas un peu excessive ? Cette île digne du jardin d’Eden ne cacherait-elle pas un terrible secret ?

L’île mystérieuse

Au-delà de ses rôles principaux, Zoë Kravitz réunit en arrière-plan une impressionnante galerie d’acteurs populaires, de Christian Slater à Haley Joel Osment en passant par Kyle McLachlan et Geena Davis. La sollicitation de ces anciennes stars ne vise pas seulement à accumuler les noms connus mais contribue surtout à l’atmosphère singulière du film, à la fois réconfortante (ces visages familiers ont quelque chose de rassurant) et décalée (leur présence collégiale nous semble insolite). Or la réalisatrice cherche justement l’effet de rupture, opposant un cadre idyllique et un malaise croissant, cherchant même par moments à tutoyer le cinéma de David Lynch (en particulier à travers cette femme de ménage indienne au comportement incompréhensible). Les pièces du puzzle mettent du temps à s’assembler, tandis que la tonalité du film glisse progressivement de la légèreté insouciante vers l’inquiétude sourde puis la peur panique. Kravitz démontre là un indiscutable savoir-faire, gérant avec virtuosité l’étrangeté et le suspense jusqu’à la terrible révélation. Channing Tatum porte une grande partie de l’impact de Blink Twice sur ses épaules, révélant ici un charisme que peu de ses rôles précédents laissaient affleurer. On pourra regretter la facilité d’un épilogue qui, sous prétexte de cultiver une situation ironique, oublie toute crédibilité. Mais à cette réserve près, voilà un galop d’essai très concluant.

 

© Gilles Penso


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UGLIES (2024)

Dans le futur, tous les adolescents qui atteignent l’âge de 16 ans se voient offrir une opération chirurgicale qui les rend parfaits…

UGLIES

 

2024 – USA

 

Réalisé par McG

 

Avec Joey King, Brianne Tju, Keith Powers, Chase Stokes, Laverne Cox, Charmin Lee, Jay DeVon Johnson, Jan Luis Castellanos, Sarah Vattano, Ashton Essex Bright

 

THEMA FUTUR

Au départ, « Uglies » est une série de romans pour ados en cinq tomes lancée en 2005 par l’écrivain Scott Westerfeld. Situé dans une société dystopique, le récit évoque beaucoup celui de la nouvelle « The Beautiful People » de Charles Beaumont, publiée en 1952 et adaptée dans l’un des épisodes de La Quatrième dimension (« Portrait d’une jeune femme amoureuse » d’Abner Biberman). On y découvrait un monde futuriste dans lequel tous les gens, une fois arrivés à l’âge adulte, voyaient leur corps modifié de manière chirurgicale afin d’atteindre la perfection physique. « Uglies » part du même principe et séduit une frange importante du lectorat adolescent, notamment la jeune Joey King qui s’apprête alors à faire ses premiers pas à l’écran. Devenue une actrice reconnue puis une productrice exécutive (notamment grâce aux séries TV The Act, We Were the Lucky Ones et Hamster et Gretel), elle décide de faire porter le premier roman à l’écran et d’en interpréter le rôle principal (même si elle a alors 25 ans, soit dix ans de plus que l’héroïne Tally Youngblood). Ce rêve d’adolescence se concrétisera grâce à Netflix et au réalisateur McG, devenu un habitué de la plateforme de streaming depuis son diptyque The Babysitter et The Babysitter : Killer Queen.

Nous sommes donc dans le futur. Après avoir épuisé toutes ses ressources naturelles, le monde a sombré dans le chaos. Pour maintenir l’humanité en vie, les scientifiques créent des orchidées génétiquement modifiées qui constituent une nouvelle source d’énergie, puis mettent en place une procédure chirurgicale pour que chaque jeune citoyen, arrivé à l’âge de 16 ans, atteigne la perfection physique. Ceux qu’on surnomme les « Uglies » (« les moches ») deviennent donc des « Pretties » (« beaux »). Si les premiers vivent dans des cités universitaires où la plupart des enseignements visent à les préparer à cette opération qui les fait tous rêver, les seconds semblent passer leur temps à festoyer de l’autre côté de la mer, dans la baie idyllique de Garbo. Une fois ce postulat posé, le scénario s’intéresse plus particulièrement à Tally (Joey King) et Peris (Chase Stokes), deux amis inséparables qui se préparent pour le grand changement. Mais une fois que Peris (plus âgé de trois mois que Tally) se fait opérer, son comportement change radicalement. Notre jeune héroïne commence alors à se méfier. Et si la beauté parfaite promise à tous ses semblables cachait quelque chose ?

Moi, moche et méfiant

Il n’est pas simple d’adhérer au concept un peu absurde du film, qui laisse légitimement perplexe dans la mesure où il est énoncé en ces termes : pour résoudre les conflits dans le monde, tout le monde doit être beau. Cette idée bizarre, beaucoup plus subtilement amenée dans la nouvelle de Charles Beaumont, freine d’emblée les capacités du spectateur à entrer dans le film. Pour autant, ce pourrait être l’occasion de discourir sur la dictature de la beauté et sur les vertus de la marginalité face à l’uniformisation de la jeunesse qui est formatée pour juger sur les apparences. Mais ici encore, la subtilité n’est pas de mise et les dialogues se contentent d’enfoncer des portes ouvertes : « Je ne veux pas être libre, je veux être jolie ! » crie l’héroïne, tandis que le dictatorial docteur Cable (Laverne Cox) déclare que « la liberté de penser est un cancer ». La satire sociale n’ira pas plus loin, le scénario servant surtout de prétexte à enchaîner des séquences d’action dignes d’un parc d’attraction (principalement des courses en skateboard volant). Certes, le travail des effets visuels reste admirable (les cités futuristes, les panoramas post-apocalyptiques, les nuées de vaisseaux volants), mais sans intrigue suffisamment solide ni de mise en scène un tant soit peu inspirée, comment se laisser porter par le film ? L’approche minimaliste de La Quatrième dimension avait finalement beaucoup plus d’impact. À la réflexion, McG n’aura connu que deux véritables coups d’éclat dans sa carrière cinématographique : Charlie’s Angels et Terminator Renaissance. Le reste n’est hélas que poudre aux yeux trop vide de sens pour convaincre. La fin ouverte de Uglies nous prépare malgré tout à une suite qu’on imagine tirée du second volume de la saga littéraire de Scott Westerfeld.

 

© Gilles Penso


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BEETLEJUICE BEETLEJUICE (2024)

On prend les mêmes et on recommence ! 36 ans plus tard, Tim Burton ressuscite le fantôme exorciste à qui il doit presque tout…

BEETLEJUICE BEETLEJUICE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Tim Burton

 

Avec Michael Keaton, Winona Ryder, Catherine O’Hara, Justin Theroux, Jenna Ortega, Monica Bellucci, Willem Dafoe

 

THEMA FANTÔMES I SAGA TIM BURTON

Quel bonheur de voir Tim Burton retrouver le grain de folie de ses débuts, se laisser aller à tous les excès, multiplier les idées visuelles excentriques, balayer le tout-numérique qui plombait des films comme Alice au pays des merveilles au profit de bricolages à l’ancienne (maquillages spéciaux, marionnettes, stop-motion), bref se faire plaisir avec une bonne humeur communicative. Certes, une telle démarche nostalgique n’est pas sans revers. Le « fan service » abonde fatalement dans Beetlejuice Beetlejuice, tout comme une inévitable impression de déjà-vu et une tendance à complexifier l’intrigue pour donner aux spectateurs le sentiment qu’ils ne se contentent pas de voir un remake du premier Beetlejuice. Pour autant, le film assume pleinement son statut de séquelle tardive en refusant de n’être qu’une resucée du passé. Beetlejuice Beetlejuice jette donc un pont entre le Tim Burton des années 80 et celui des années 2020, mêlant une partie du casting du film original (auquel s’adjoint brièvement ce bon vieux Danny DeVito) aux nouveaux membres de la famille cinématographique du réalisateur, notamment Jenna Ortega (héroïne de la série Mercredi) et Monica Bellucci (sa compagne/muse du moment).

Michael Keaton est plus déchaîné que jamais (son maquillage nous donnant l’étrange sentiment qu’il n’a presque pas pris de ride), Catherine O’Hara reprend avec emphase son personnage d’artiste conceptuelle vaniteuse et Winona Ryder nous offre le portrait torturé de l’ancienne adolescente gothique perdue entre une mère envahissante, une fille distante et un petit-ami superficiel. Quant à Jeffrey Jones, devenu « problématique » après ses démêlées avec la justice, Burton s’en débarrasse de manière hilarante et caricaturale sans pour autant effacer le personnage de son scénario, en une pirouette narrative et artistique franchement culottée. Du côté des nouveaux-venus, Bellucci assure dans le rôle d’une variante inquiétante de la fiancée de Frankenstein, ancien démon recousu à la va vite et couturé de cicatrices grossières, comme la Sally de L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Burton ne lui donne certes pas grand-chose à exprimer – ses dialogues se comptent sur les doigts de la main – mais sa présence physique reste saisissante. Jenna Ortega est parfaite elle aussi dans le rôle de la fille délaissée, même si les personnages d’adolescentes marginales commencent singulièrement à coller à la peau de la jeune actrice qui gagnerait à changer un peu de registre.

Fantômes en fête

Cette petite galerie de protagonistes volontiers excessif – qu’accompagnent Justin Theroux et Willem Dafoe, tous deux en très grande forme – s’anime joyeusement dans ce film qui joua longtemps l’Arlésienne, au point qu’on n’y croyait plus. Annoncé à de nombreuses reprises depuis le début des années 2000, ce second Beetlejuice se concrétisa en grande partie grâce à la série Mercredi, au cours de laquelle Burton retrouva une joie de mettre en scène et une fraîcheur qui visiblement lui faisaient défaut depuis quelques années. Plusieurs conditions s’avéraient indispensables au lancement de cette suite, notamment le retour de Keaton et Ryder mais aussi la conservation d’un caractère politiquement incorrect. Pas question d’un Betelgueuse édulcoré et assagi qui réfrènerait ses propos graveleux et son comportement libidineux. Trop heureux de pouvoir à nouveau se lâcher, Michael Keaton décide d’éviter les répétitions avant les prises pour pouvoir tout donner dès que les caméras se mettent à tourner. Burton lui-même jette aux yeux – et aux oreilles – des spectateurs tout ce qu’il aime, multipliant les hommages (il cite Opération peur, Psychose et Carrie) et concoctant de nouvelles séquences musicales hallucinantes, comme s’il voulait que son vingtième long-métrage soit un véritable feu d’artifice, un retour aux sources doublé d’un nouveau départ. Une seconde jeunesse ? Pourquoi pas.

 

© Gilles Penso


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Saga TIM BURTON

Tim Burton est un cas tout à fait à part dans l’histoire d’Hollywood. Bien qu’il ait travaillé avec les plus grands studios de la capitale mondiale du cinéma (Warner, Disney, 20th Century Fox, Paramount, Columbia), il n’est jamais entré dans le rang, refusant le conformisme pour affirmer haut et fort sa singularité. Avec lui les marginaux, les inadaptés, les asociaux et les exclus sont devenus de nouveaux héros, quittant l’ombre où ils se terraient pour occuper le haut de l’affiche. Chez Tim Burton les super-héros sont des êtres névrosés et schizophrènes, les vivants hantent les morts, Halloween est plus joyeux que Noël et les monstres sont bien plus attachants que les êtres « normaux ». On ne compte plus le nombre d’adolescents complexés qui, face à la relecture du monde proposée par Burton, ont osé exprimer leur différence, la brandissant même fièrement comme un étendard. Jack Skellington, Edward aux Mains d’Argent et Beetlejuice sont devenus les figures de proue de ce mouvement anticonformiste, comme jadis Dracula et le Monstre de Frankenstein permirent au jeune Tim Burton de sortir de ses névroses pour construire sa propre personnalité. Si son cinéma touche autant, c’est sans doute aussi parce qu’il est très personnel, nombre de ses protagonistes n’étant qu’un reflet à peine déformé de lui-même. Même les femmes de sa vie hantent son œuvre, muses aux mille visages qui, tour à tour femme-vampire, Martienne languide, complice d’un serial-killer ou sorcière hydrocéphale, donnent corps à son imagination débridée. Voici la liste de tous les longs-métrages mis en scènes par Tim Burton. Et profitons-en pour rappeler que non, ce n’est pas lui le réalisateur de L’Étrange Noël de Monsieur Jack.

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