LINK (1986)

Une étudiante accepte de servir d’assistante à un professeur spécialisé dans l’étude des singes sans se douter que la situation va virer au cauchemar…

LINK

 

1986 – GB

 

Réalisé par Richard Franklin

 

Avec Elizabeth Shue, Terence Stamp, Steven Pinner, Richard Garnett, David O’Hara, Kevin Lloyd, Joe Belcher, Daisy Ashford, Geoffrey Beevers

 

THEMA SINGES

Richard Franklin est l’un des cinéastes importants de la « Ozploitation », ayant contribué comme ses confrères Peter Weir, George Miller ou Russell Mulcahy à faire découvrir le cinéma de genre australien au reste du monde. En 1979, alors qu’il a terminé Patrick et qu’il planche déjà sur Déviation mortelle, Franklin met une option sur un scénario qui ressemble, selon ses propres dires, à une sorte de « Dents de la mer avec des chimpanzés ». Lorsque son scénariste attitré Everett de Roche lui montre un article du National Geographic décrivant les actes de sauvagerie perpétrés par certains singes se livrant à des guerres intertribales et pratiquant même le cannibalisme, son intérêt augmente considérablement. Désireux de faire produire ce film en Australie, Franklin est stoppé dans son élan par deux longs-métrages que lui propose de réaliser Universal Pictures sur le sol américain : Psychose 2 et Jouer c’est tuer. Ce n’est qu’au milieu des années 80 qu’il peut remettre son film de singes sur le tapis. Thorn EMI accepte de le produire en conseillant fortement au réalisateur d’utiliser des hommes déguisés en singes, comme dans Greystoke, pour faciliter le tournage. Mais Franklin n’y tient pas. Link s’inscrit dans un cadre réaliste qui nécessite selon lui l’emploi de véritables primates.

Link est un chimpanzé tout à fait remarquable. Autrefois attraction-vedette dans un cirque, il est aujourd’hui le plus intelligent des sujets pour le docteur Philipp Stevens (Terence Stamp, impeccable en scientifique pédant, misanthrope et solitaire), un anthropologue passionné, qui enseigne à l’Académie des Sciences de Londres et vient de recruter une jeune étudiante, Jane Chase (Elizabeth Shue, découverte deux ans plus tôt dans Karate Kid), pour lui servir d’assistante. Jane est plutôt surprise quand elle entre dans ce grand manoir de bord de mer où Link joue les majordomes en smoking. Et c’est sa présence, justement, qui va perturber insensiblement ce monde clos où trois singes vivaient en harmonie avec l’homme. Ce qui s’annonçait comme une passionnante expérience scientifique va bientôt se muer en traque sauvage où tous les coups seront permis…

Le chaînon manquant

« Malin comme un singe, meurtrier comme un homme » était l’accroche qui ornait à l’époque les posters du film, signifiant bien le positionnement du primate comme chaînon manquant entre les deux espèces. Son nom Link n’a évidemment pas été choisi au hasard. Il faut saluer le travail impressionnant du dresseur Ray Berwick, grâce auquel le chimpanzé vedette (en réalité un orang-outang maquillé pour les besoins du film) nous semble terriblement humain, l’intelligence de son regard nous effrayant au moins autant que son anthropomorphisme. Le jeu des contrastes s’invite par ailleurs très tôt dans le film, notamment l’opposition de la sauvagerie des chimpanzés avec la rigidité de la vieille Angleterre, mais aussi le paradoxe que représente le professeur Stevens, dont la sophistication apparente masque des instincts primaires. « Vous savez cuisiner et faire le ménage ? » demande-t-il spontanément à Jane. « Je suppose qu’en tant que femme, c’est inscrit dans mes gènes » lui répond-elle du tac au tac en brocardant des clichés sexistes tenaces. La plupart du temps seule à l’écran avec les singes, Elizabeth Shue livre ici une excellente performance, même si l’on peut s’étonner que son personnage mette autant de temps à mesurer la gravité de la situation et le danger dans lequel elle se trouve. En pleine période d’expérimentations électroniques, le compositeur Jerry Goldsmith mêle pour les besoins du film l’orchestre et les synthétiseurs, reprenant les motifs de la fanfare d’un cirque avec une dynamique qui évoque beaucoup la bande originale de Gremlins. Présenté en première mondiale au Festival du film fantastique d’Avoriaz en janvier 1986, Link y reçoit le prix spécial du jury mais n’est pas le succès escompté en salle, annulant le projet d’un film sur un thème voisin que Richard Franklin avait en tête.

 

© Gilles Penso

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LE MASSACRE DES MORTS-VIVANTS (1974)

Dans la campagne anglaise, une expérience menée par des scientifiques pour remplacer les insecticides provoque le réveil des morts…

NO PROFANAR EL SUEÑO DE LOS MUERTOS

 

1974 – ESPAGNE / ITALIE

 

Réalisé par Jorge Grau

 

Avec Cristina Galbo, Ray Lovelock, Arthur Kennedy, Aldo Massasso, Giorgio Trestini, Roberto Posse, Jose Lifante, Jeanine Mestre, Gengher Gatti

 

THEMA ZOMBIES

Dire que La Nuit des morts-vivants fit l’effet d’une bombe au moment de sa sortie est un doux euphémisme. Plusieurs cinéastes s’efforcèrent de s’engouffrer logiquement dans cette brèche, mais les émules immédiats du chef d’œuvre de Romero ayant marqué les mémoires se comptent sur les doigts de la main, du moins jusqu’à ce que Zombie puis les œuvres de Lucio Fulci n’ouvrent littéralement la porte à un sous-genre à part entière du cinéma d’horreur : le film de zombies. Dixième long-métrage de Jorge Grau, qui avait réalisé Cérémonie sanglante un an plus tôt, Le Massacre des morts-vivants est donc à marquer d’une pierre blanche. Reprenant à son compte plusieurs figures imposées par La Nuit des morts-vivants, ainsi qu’une partie de son discours politique et social, il s’inscrit résolument dans les préoccupations du milieu des années 70 et nous attache à des protagonistes atypiques dans une campagne anglaise morne et rigide. Car s’il s’agit d’une co-production hispano-italienne, le film de Grau est tourné en anglais, principalement aux alentours de Manchester. Au fil de ses distributions internationales, il connaîtra de nombreux titres alternatifs, notamment The Living Dead at Manchester Morgue (« Les morts-vivants de la morgue de Manchester »), Don’t open the Window (« N’ouvrez pas la fenêtre ») ou Let Sleeping Corpses Lie (« Laissez reposer les cadavres endormis »).

Tout commence comme un week-end banal qui tourne au vinaigre. George (Ray Lovelock) quitte son magasin d’antiquités de Manchester et part à la campagne pour passer du temps avec ses amis. Mais alors qu’il fait le plein dans une station-service, sa moto est accidentellement endommagée par une automobiliste, Edna (Cristina Galbo). Celle-ci accepte de le déposer à destination avant d’aller retrouver sa sœur qui traverse visiblement une mauvaise passe. Mais tandis qu’ils demandent leur chemin en rase campagne, Edna est agressée par un homme sinistre au regard hagard, à la respiration bruyante et au corps trempé. Ce n’est que le début d’un enchaînement d’événements terrifiants qui trouvent leur origine dans une expérimentation menée par le ministère de l’agriculture. La machine à ultrasons qu’ils ont conçue pour remplacer les insecticides affecte le système nerveux des insectes qui deviennent fous et s’entretuent. Or les vibrations influent aussi sur le cerveau des morts qui, aussitôt, ressuscitent…

Le choc des générations

Le Massacre des morts-vivants se distingue dès les premières minutes par sa mise en scène libre et spontanée, mêlant les acteurs à des images incongrues qui semblent « volées » dans la rue (la fille nue qui se promène au milieu des voitures). Le film s’inscrit de toute évidence dans une mouvance indépendante héritée de la Nouvelle Vague et du Nouvel Hollywood. Jorge Grau s’amuse d’ailleurs à opposer ses jeunes protagonistes à la vieille génération, représentée par un sergent de police raciste, homophobe et réactionnaire (« vous êtes tous les mêmes avec votre dégaine de hippies drogués et votre coupe de cheveux de gays ! » lance-t-il au héros trop rebelle à son goût). Par ailleurs, le scénario fait régulièrement allusion aux inquiétudes liées au non-respect de l’environnement, à la pollution, à la nature défigurée. Le Massacre des morts-vivants est donc un film de son temps. Mais lorsqu’il s’agit de décrire les exactions commises par ses zombies, Grau ne cherche pas à faire du « cinéma d’auteur » et fonce dans le tas en assumant pleinement les codes du genre. Le sang coule donc à flots, les corps sont mutilés, déchirés, éviscérés, sous les bons auspices du maquilleur Gianetto de Rossi, futur collaborateur régulier de Lucio Fulci. Culminant vers un climax nihiliste et un final cruellement ironique, Le Massacre des morts-vivants remportera le prix de la meilleure actrice (pour Cristina Galbo) et des meilleurs effets spéciaux au Festival de Sitges en 1974.

 

© Gilles Penso

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LA COCCINELLE À MONTE-CARLO (1977)

Une grande course à travers la France, un diamant volé, une romance mécanique : tels sont les ingrédients de la troisième aventure d’Herbie…

HERBIE GOES TO MONTE CARLO

 

1977 – USA

 

Réalisé par Vincent McEveety

 

Avec Dean Jones, Don Knotts, Julie Sommars, Jacques Marin, Roy Kinnear, Bernard Fox, Eric Braeden, Xavier Saint-Macary, François Lalande, Gérard Jugnot

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA LA COCCINELLE

Si les deux premiers opus de la saga La Coccinelle ont été réalisés par Robert Stevenson, pilier du studio Disney depuis la fin des années 50, cette troisième aventure est signée Vincent McEveety, un vétéran de la télévision américaine à qui nous devons plusieurs épisodes des Incorruptibles, Le Fugitif, Rawhide, Bonanza, Mannix, Star Trek ou Gunsmoke. Absent d’Un nouvel amour de Coccinelle, Dean Jones est ici de retour dans le rôle du champion de course automobile Jim Douglas, flanqué cette fois-ci d’un autre mécanicien. Tennessee (Buddy Hackett) cède donc le pas à Wheely Applegate (Don Knotts), peu avare comme son prédécesseur en grimaces et en excentricités. Manifestement sous l’influence des films de la série La Panthère rose (qui en sont à l’époque à leur quatrième épisode, avec un succès jamais démenti), les scénaristes Arthur Alsberg et Don Nelson font reposer une partie des enjeux de l’histoire de La Coccinelle à Monte-Carlo sur le vol du plus gros diamant du monde, réputé impossible à dérober, et sur les efforts des malfrats pour remettre la main dessus suite à une série quiproquos cartoonesques.

Dans l’espoir de relancer sa carrière après douze ans d’absence sur les circuits, Jim Douglas et son bras droit Wheely débarquent à Paris pour participer à une course prestigieuse, la Trans-France, qui part de la capitale française pour s’achever à Monte Carlo (variante fictive du véritable rallye automobile Monte-Carlo organisé par l’Automobile Club de Monaco). Leurs principaux adversaires seront Bruno von Stickle (Eric Braeden), un coureur impitoyable décidé à gagner coûte que coûte, et Diane Darcy (Julie Sommars), seule femme de la compétition. Or Herbie, la coccinelle qui n’en fait qu’à sa tête, a soudain le coup de foudre pour la Lancia que pilote Diane et se lance avec elle dans une improbable romance. Comme si ça ne suffisait pas à compliquer les choses, deux voleurs caricaturaux, Max (Bernard Fox) et Quincy (Roy Kinnear), viennent de s’emparer du célèbre diamant « L’Étoile de Joie » et le cachent dans le réservoir d’Herbie afin d’éviter d’être fouillés par la police…

Perte de vitesse

Si La Coccinelle à Monte-Carlo parvient encore à tirer son épingle du jeu, on sent bien que la franchise est en sérieuse perte de vitesse, ce que confirmeront les épisodes suivants. Les cascadeurs et les responsables des effets spéciaux mécaniques continuent à faire des merveilles (Herbie valse sur la route pour draguer la Lancia, roule toute seule dans les rues de Paris, se cabre sur la piste comme un cheval sauvage) et assurent le spectacle. Mais il faut bien reconnaître que l’intrigue n’a rien de bien palpitant, le film passant le plus clair de son temps à faire du tourisme sur les sites les plus célèbres de Paris, puis sur les routes de France, et enfin à Monte-Carlo. On se rattrape avec le cabotinage savoureux de Jacques Marin, habitué des productions Disney, dans le rôle d’un inspecteur de police dépassé par les événements, de Xavier Saint-Macary qui campe son exaspérant co-équipier, et de quelques seconds rôles français insolites comme Gérard Jugnot en serveur de brasserie ou Jean-Marie Proslier en portier d’hôtel, tous deux éberlués par les facéties de Herbie. La Coccinelle à Monte-Carlo se déclinera sous forme de deux romans de poche et d’une bande dessinée, publiés dans la foulée de la sortie du film.

 

© Gilles Penso

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KILLJOY 2 (2002)

Le clown diabolique est de retour, terrorisant cette fois-ci cinq délinquants juvéniles isolés au milieu des bois…

KILLJOY 2

 

2002 – USA

 

Réalisé par Tammi Sutton

 

Avec Austin Priester, Wayland Geremy Boyd, Bobby Marsden, Aaron Brown, Logan Alexander, Debbie Rochon, Nicole Pulliam, Choice Skinner, Olimpia Fernandez

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA KILLJOY I CHARLES BAND

Entre 1999 et 2001, Charles Band et Mel Johnson Jr. ont produit quatre films de blaxploitation confrontant un casting d’acteurs afro-américains à des entités surnaturelles diverses : Ragdoll, The Horrible Doctor Bones, Killjoy et The Vault. Le départ de Johnson Jr. aurait dû logiquement stopper cet élan. Mais Band se dit qu’il y a sans doute matière à poursuivre dans cette lancée, notamment avec le personnage du clown maléfique Killjoy qui a le potentiel de devenir un croquemitaine populaire (malgré l’accueil très mitigé réservé au premier film). J.R. Bookwalter se voit donc confier la production de Killjoy 2 et Tammi Sutton sa réalisation. Engagé pour écrire le scénario, Douglas Snauffer a comme instruction de partir dans une toute autre direction que celle du premier film. « Je suis un grand fan de Quentin Tarantino, et j’aime beaucoup Une nuit en enfer », raconte-t-il. « J’aimais le principe d’un film qui passe brutalement d’un genre à l’autre. D’abord ils font un casse et s’enfuient, puis ils se retrouvent dans un relais routier assiégé par des vampires. J’ai essayé de retrouver une structure proche en écrivant Killjoy 2. » (1) Sur le papier, l’idée tient la route. À l’écran, c’est une autre histoire.

En route depuis Los Angeles vers un refuge délabré, qu’ils doivent rénover dans le cadre de travaux d’intérêt général, un groupe de cinq jeunes délinquants et les deux chaperons qui les accompagnent (Logan Alexander et Debbie Rochon) rencontrent un petit problème lorsque leur van tombe en panne en pleine campagne, au milieu de la nuit. En essayant de trouver un téléphone, l’un des voyous se fait tirer dessus par une campagnarde qui croit qu’on veut la cambrioler et le groupe trouve refuge auprès d’une femme étrange (Rhonda Claerbaut) qui n’a ni téléphone, ni voiture, mais propose de les aider. Face à l’état critique de leur ami, deux des jeunes gens, qui ont entendu parler de la légende de Killjoy, décident d’invoquer cet esprit diabolique et le libèrent. Le monstre au nez rouge et aux grosses chaussures entame alors un massacre méthodique.

Le clown du spectacle

Conformément à l’envie initiale du scénariste, le clown se fait attendre, le temps pour les spectateurs de se familiariser avec les sept personnages principaux. La dynamique du groupe est intéressante, le sort des petites frappes et des policiers qui les ont sous leur responsabilité parvient à nous intéresser, bref la situation de départ fonctionne plutôt bien. Ces protagonistes ne sont d’ailleurs pas sans nous évoquer ceux du Ticks de Tony Randell, des ados à problème et leurs chaperons attaqués eux aussi par une monstruosité dans les bois. Bien sûr, le manque de moyen se fait cruellement sentir, la prise de son est souvent catastrophique, certains acteurs nous convainquent plus que d’autres (Debbie Rochon surjoue hélas sans subtilité en appuyant chacune de ses répliques avec un accent de cowboy). Mais la tonalité pour laquelle optent Snauffer et Sutton est intrigante. Le problème, c’est qu’il faut bien faire surgir le clown à un moment donné. Et à partir de là, rien ne va plus. Remplaçant au pied levé Angel Vargas, qui incarnait le démon dans le premier film, le producteur associé Trent Haaga fait ce qu’il peut pour nous distraire en forçant sur les ricanements hystériques, mais dès lors le scénario patine, les dialogues deviennent insipides, les rebondissements ne riment plus à rien et le film s’achève n’importe comment. La franchise Killjoy ne s’arrêtera pourtant pas là. Quand Charles Band tient un filon, il ne lâche pas si facilement l’affaire !

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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TROUBLE (2005)

Benoît Magimel joue un double rôle dans ce thriller psychologique qui bascule lentement mais sûrement vers la paranoïa fantastique…

TROUBLE

 

2005 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Harry Cleven

 

Avec Benoît Magimel, Natacha Régnier, Olivier Gourmet, Nathan Lacroix, Christian Crahay, Patrick Descamps, Sabrina Leurguein

 

THEMA DOUBLES

Acteur depuis le milieu des années 80, Harry Cleven est apparu dans des films aussi divers que Rue barbare, L’Amour braque, Kamikaze ou Toto le héros. À partir de 1993, sans quitter sa carrière de comédien, il passe à la mise en scène avec le drame policier Abracadabra, puis enchaîne avec la comédie dramatique Pourquoi se marier le jour de la fin du monde ? Trouble, son troisième long-métrage pour le cinéma, contient plusieurs des obsessions et des thèmes récurrents présents dans ses films précédents, mêlant étroitement l’amour et la haine, les sentiments complexes et l’autodestruction. Fruit d’une écriture collective (au sein de laquelle Cleven s’associe à Isabelle Coudrier, Sophie Hiet, Yann Le Nivet et Jérôme Salle), le scénario de Trouble tourne autour d’un protagoniste plongé dans un engrenage dont il ne comprend pas les rouages mais qui semble vouloir se refermer sur lui comme un piège. Or lui seul détient manifestement la clé qui lui permettra d’échapper à cette situation virant au cauchemar paranoïaque. Comme dans Abracadabra et Pourquoi se marier le jour de la fin du monde ?, l’histoire de Trouble s’intéresse à des personnages ordinaires masquant des failles profondes et s’inscrit dans un contexte à priori banal. Mais ici, le Fantastique va progressivement s’immiscer dans la réalité.

Matyas Hebert (Benoît Magimel), photographe tranquille, mène une vie épanouie avec sa femme Claire (Natacha Régnier), enceinte, et leur fils de cinq ans, Pierre (Nathan Lacroix). Mais son bonheur bascule le jour où il reçoit une lettre du notaire : sa mère, qu’il croyait morte depuis longtemps, vient de décéder, et il apprend l’existence d’un frère jumeau nommé Thomas. En le rencontrant, Matyas découvre que ses parents, loin d’être morts dans un accident, l’ont abandonné à l’âge de six ans. Alors que Thomas, charmant et proche de sa famille, tente de rattraper le temps perdu, Matyas, lui, plonge dans un tourbillon de doutes. Pourquoi n’a-t-il aucun souvenir de son enfance ? Pourquoi son frère semble-t-il vouloir prendre sa place, s’immiscer dans sa vie, et se rapprocher de Claire et Pierre ? Les questions s’accumulent et l’ombre du passé semble de plus en plus menaçante. Matyas se demande si le seul moyen de comprendre ce qui se cache derrière tout cela ne serait pas de se souvenir… mais à quel prix ?

Quitte ou double

Trouble est pétri de qualités. Benoît Magimel y livre une double prestation extraordinaire, Natacha Régnier se révèle diablement convaincante, la mise en scène de Cleven est truffée d’idées visuelles intéressantes, la photographie de Vincent Mathias, la bande originale de George Van Dam et Dimitri Coppe, le design sonore méticuleux sont à l’avenant. Bref, c’est une indiscutable réussite formelle, à laquelle s’ajoutent de nombreux effets visuels hallucinants de réalisme (on finirait presque par se demander si Magimel n’a pas vraiment un frère jumeau qui lui donne la réplique). La déception que finit par procurer le film n’en est que plus grande. Car Cleven, au lieu de pleinement exploiter le potentiel de son idée de départ pour faire monter la pression en crescendo, joue la carte de l’encéphalogramme plat. Dénué de dynamique, Trouble est un film morose, triste, lent, pesant, bref monocorde, provoquant plus d’ennui que de frissons, jusqu’à un twist final peu concluant. Ces réserves n’empêchèrent pas le jury du Festival du Film Fantastique de Gérardmer de décerner à Trouble son Grand Prix en 2005.

 

© Gilles Penso


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LA BÊTE D’AMOUR (1980)

Isolée sur une île paradisiaque avec son compagnon, une jeune femme rencontre un grand singe aux yeux bleus…

TANYA’S ISLAND

 

1980 – CANADA

 

Réalisé par Alfred Sole

 

Avec D.D. Winters, Richard Sargent, Don Mc Cloud, Mariette Levesque, Donny Burns

 

THEMA SINGES

C’est en pensant à deux de ses films préférés, La Belle et la Bête de Jean Cocteau et Sa Majesté des mouches de Peter Brook, et en couvant d’un œil envieux le succès planétaire d’Emmanuelle, que le producteur canadien Pierre Brousseau commence à développer le projet de La Bête d’amour. Il n’est pas impossible que La Bête de Walerian Borowczyk l’ait aussi influencé. Toujours est-il qu’il partage son idée avec le réalisateur Alfred Sole, dont il a apprécié Communion sanglante malgré son échec au box-office. Sole travaille avec Mick Garris sur un script que Brousseau trouve trop humoristique. Il reprend donc l’histoire pour lui donner une tonalité plus grave. Pour que le film fonctionne, il faut non seulement une actrice photogénique et impudique (ce qu’est sans conteste D.D. Winters, alias Denise Matthews, future star de la pop et protégée du chanteur Prince sous le nom de Vanity), mais aussi un faux singe plus vrai que nature. Brousseau sollicite donc le plus grand spécialiste en ce domaine, le maquilleur Rick Baker (qui donna corps au King Kong de 1976 et concevrait plus tard les primates de Greystoke et Gorilles dans la brume). Baker hésite, d’abord parce qu’il craint que le film soit classé X, ensuite parce qu’il ne souhaite pas concevoir un singe banal. Assuré d’avoir carte blanche sur le design, il imagine un croisement entre le babouin, le gorille et l’orang-outang, dont il confie la fabrication à son assistant surdoué Rob Bottin pour pouvoir partir créer le gorille factice de La Femme qui rétrécit.

Tanya (D.D. Winters), mannequin à succès originaire de Toronto, vit une relation toxique avec son fiancé Lobo (Richard Sargent), un peintre tourmenté et violent. Brutalement rejeté par lui alors qu’elle venait de lui déclarer sa flamme, la jolie brune s’évade dans ses rêves, où elle imagine une île tropicale paradisiaque et déserte loin de tout, sur laquelle elle vit les Robinson Crusoé avec Lobo. À la recherche d’inspiration pour ses œuvres, Lobo persuade Tanya de l’accompagner explorer l’autre côté de l’île. C’est là qu’elle découvre une grotte abritant une étrange créature : un grand primate aux yeux bleus qu’elle baptise Blue. Contrairement à Lobo, Blue se montre doux, curieux et étonnamment amical. Tanya, attirée par la présence apaisante du singe, passe de plus en plus de temps à ses côtés, trouvant en lui une source de réconfort et de complicité. Mais la jalousie de Lobo ne tarde pas à éclater. Voyant Tanya s’attacher à Blue, il perd pied…

Gorille dans la brune

« Ce que je voulais réaliser, c’était un conte de fées contemporain, en allant là où La Belle et la Bête n’aurait jamais osé aller », raconte Alfred Sole à l’époque. « Je suis trop proche du tournage pour juger le résultat final. Je ne le regarde pas comme un film mais comme un accomplissement, malgré tous les problèmes de production que nous avons connus. Bon ou mauvais, le film fonctionne techniquement et cinématographiquement. Et j’en suis très heureux. » (1) Effectivement, le tournage de La Bête d’amour aura été un véritable parcours du combattant. Parachutés au milieu de la jungle portoricaine, sans infrastructure digne de ce nom, soumis à mille dangers dus à l’environnement hostile, astreints à des journées de 15 heures, limités par un budget ridicule, Alfred Sole et son équipe font ce qu’ils peuvent. Malgré toute la promotion faite à l’époque autour du film, à grand renfort de photos sensuelles évoquant l’accouplement entre la Belle et la Bête, cette relation reste majoritairement platonique à l’écran, La Bête d’amour s’attachant principalement à montrer jusqu’où la jalousie, la possessivité et la perversion narcissique de l’homme peuvent mener. Car plus Blue révèle sa sensibilité, plus Lobo bascule dans la sauvagerie. Film hybride qui semble hésiter entre la romance érotico-exotique (D.D. Winters exhibe son anatomie complète sous toutes les coutures), le conte fantastique (Blue nous rappelle bien sûr ce bon vieux King Kong) et le drame sentimental, La Bête d’amour patine un peu, s’encombre de dialogues simplistes et d’un jeu d’acteur pas très subtil. Il n’empêche que le caractère atypique de ce film inclassable prouve une fois de plus à quel point Alfred Sole refuse les codes du cinéma classique et cherche sans cesse à transporter ses spectateurs sur un terrain glissant et inconnu. En ce sens, le visionnage de La Bête d’amour reste une expérience captivante.

 

(1) Extraits d’une interview parue dans Cinefantastique en 1980.

 

© Gilles Penso


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WITCHOUSE 2 (2000)

Une enseignante et un groupe d’étudiants se rendent dans une petite ville pour analyser quatre squelettes d’origine inconnue…

WITCHOUSE II : BLOOD COVEN

 

2000 – USA

 

Réalisé par J.R. Bookwalter

 

Avec Ariauna Albright, Elizabeth Hobgood, Nicholas Lanier, Kaycee Shank, Alexandru Dragoi, Adriana Butoi, Andrew Prine, Serban Celea, Claudiu Trandafir

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA WITCHOUSE I CHARLES BAND

Malgré ses nombreuses faiblesses, Witchouse avait été un petit succès en vidéoclub, suffisamment pour que Charles Band lance rapidement l’idée d’en mettre en chantier une suite. David DeCoteau étant occupé ailleurs, c’est le réalisateur J.R. Bookwalter (The Dead Next Door, Robot Ninja, Zombie Cop, Ozone) qui se voit confier cette mission, avec une carte blanche totale si ce n’est les contraintes habituelles des productions Full Moon de Charles Band à l’époque : un tournage à Bucarest qui doit être bouclé en huit jours maximum et un budget anémique de 125 000 dollars. Bookwalter profite de cette liberté pour s’éloigner drastiquement du premier film. « Je n’ai pas senti de poids particulier sur mes épaules », avoue-t-il à l’époque. « Ce n’était pas comme si je faisais une suite des Griffes de la nuit avec un haut niveau d’attentes. Je sais que Witchouse a très bien marché en vidéo, mais je ne sais pas ce que les spectateurs en ont pensé. » (1) Le réalisateur n’en fait donc qu’à sa tête, et c’est tant mieux. Si WItchouse 2 n’a rien d’un chef d’œuvre et parvient mal à cacher les conditions précaires dans lesquelles il fut mis en scène (avec des prises de vues extérieures difficiles, réalisées par très grand froid au beau milieu de l’hiver roumain), il se montre beaucoup plus recommandable que son pesant modèle.

Dans l’un des amphithéâtres de l’université de Boston, le doyen (Serban Celea) prend une mine grave : non seulement deux jeunes gens ont disparu dans les bois de Covington County sans laisser de trace (à part une cassette vidéo) mais en plus des ouvriers qui préparaient la construction d’un centre commercial dans la région ont découvert quatre tombes anonymes visiblement très anciennes. Le professeur Sparrow (Ariauna Albright) se voit donc confier une mission délicate : emmener avec elle un petit groupe d’étudiants pour exhumer les quatre squelettes d’origine inconnue, faire les prélèvements d’ADN nécessaires et les analyser. « Ça s’annonce fun ! » dit-elle aussitôt. L’enseignante et ses élèves débarquent donc dans la petite ville, prennent leurs quartiers dans une grande maison un peu sinistre et commencent leurs recherches. En enquêtant auprès de la population locale, ils apprennent que la bourgade était habituée à l’immolation de sorcières dans les années 1800…

Blair Witchouse

J.R. Bookwalter se soucie visiblement bien peu du prétexte scénaristique qui justifie le grand retour de la maléfique Lilith. En gros, l’enseignante est contaminée après s’être blessée en découpant le crâne d’un des corps. Elle se transforme dès lors en sorcière grimaçante engoncée dans une tenue gothique et injecte l’ADN des autres squelettes à plusieurs étudiants pour en faire ses adeptes zombifiés. Le réalisateur en profite surtout pour consteller cette séquelle de touches d’humour, notamment avec le personnage grotesque de l’entrepreneur de pompes funèbres ou pendant la longue séquence parodique du micro-trottoir dans la ville. Car les images filmées au camescope s’insèrent régulièrement dans le métrage, justifiées par la caméra DV qu’utilisent les étudiants pour documenter leurs recherches. Le Projet Blair Witch vient de cartonner en salles et fait visiblement des émules. Dès l’entame de Witchouse 2, Bookwalter utilise donc des images vidéo pour montrer les errances d’un couple dans les bois, filmées à la première personne, puis réutilise régulièrement les codes encore balbutiants du « found footage ». Même si nous ne sommes pas loin du plagiat pur et dur de Blair Witch, ce parti pris dynamise le film et lui offre une touche de fraîcheur intéressante. Très satisfait par le résultat final, Charles Band confiera par la suite à Bookwalter la production et la réalisation de toute une série de films pour Full Moon.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans Fangoria en février 2000.

 

© Gilles Penso


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KILLJOY (2000)

Invoqué par un lycéen que martyrisent des petites frappes, un clown démoniaque surgit et sème la terreur en ricanant…

KILLJOY

 

2000 – USA

 

Réalisé par Craig Ross Jr.

 

Avec Angel Vargas, Vera Yell, Lee Marks, Dee Dee Austin, Kareem J. Grimes, Corey Hampton, Rani Goulant, Napiera Groves, Arthur Burghardt

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA KILLJOY I CHARLES BAND

Pour s’inscrire dans la continuité des deux premiers films d’horreur « urbains » qu’ils avaient produits avec un casting exclusivement afro-américain, Ragdoll et The Horrible Doctor Bones, Charles Band et Mel Johnson Jr. envisagent l’histoire d’un clown maléfique sans idée précise de scénario. C’est là qu’intervient Carl Washington, un tout jeune auteur. « J’avais 21 ans et c’était mon premier grand film, donc c’était vraiment, vraiment excitant », se souvient-il. « Pour moi, c’était l’occasion de créer mon propre Freddy Krueger, ou Jason, ou Michael Myers. Je suis très heureux d’être le scénariste qui a lancé la franchise Killjoy, surtout à un si jeune âge. Je leur serai toujours reconnaissant d’avoir eu cette opportunité ! » (1) C’est spontanément que Washington entre en contact avec Mel Johnson Jr., après avoir vu Ragdoll, et lui propose ses services. Le traitement qu’il propose pour cette histoire de clown est suffisamment convaincant pour qu’il soit aussitôt engagé en tant que scénariste. La réalisation est confiée à Craig Ross Jr., qui n’a jusqu’alors signé qu’un seul film, le thriller Capuccino. La bride sur le cou, ce dernier peut choisir ses acteurs et son équipe technique pour mener le tournage comme bon lui semble, dans la mesure où il respecte les drastiques restrictions budgétaires qu’on lui impose.

Killjoy raconte l’histoire de Michael (Kareem J. Grimes), un lycéen gentil et naïf qui en pince pour la jolie Jada (Vera Yell), sa camarade de classe, à qui il propose de l’accompagner pour le bal de fin d’année. Mais Jada est la petite-amie de Lorenzo (William Johnson, vu dans Ragdoll), un gangster qui n’aime pas beaucoup qu’on empiète sur ses plates-bandes. Il roue donc de coups le pauvre Michael, avec ses deux sbires T-Bone (Corey Hampton) et Baby Boy (Rani Goulant). Le soir même, ivre de vengeance, le lycéen s’enferme chez lui, s’entoure de bougies, brandit une poupée de clown et se lance dans une séance de magie noire au cours de laquelle il invoque une entité nommée Killjoy. Or rien ne se produit. Dans la foulée, Lorenzo et ses gorilles le kidnappent et l’emmènent dans les bois pour lui faire peur. Mais un coup de feu intempestif part trop vite et Michael passe aussitôt de vie à trépas. Un an plus tard, Jada a changé de petit ami et Lorenzo poursuit ses activités illicites. C’est le moment que choisit Killjoy, le clown démoniaque et vengeur, pour faire son apparition…

Serial blagueur

Extrêmement mal fichu, d’une stupidité sans pareille, trahissant sans cesse son budget ridicule, Killjoy se révèle pourtant plus distrayant que Ragdoll ou The Horrible Doctor Bones, sans doute parce qu’il ne se prend jamais trop au sérieux, ne perd pas de temps en trop longs préliminaires, évite de nous asséner une chanson rap ou RnB toutes les dix minutes et s’offre les services d’un croquemitaine boute-en-train. Incarné par Ángel Vargas sous un maquillage de David Lange, Killjoy est bien sûr l’intérêt principal du film. Blagueur, insensible aux balles, capable de se téléporter, visiblement doté du don d’ubiquité, ce mixage improbable entre le Pennywise de Ça et le Stanley Ipkiss de The Mask se promène dans un camion de glaces et transporte ses captifs dans un monde parallèle – une espèce d’entrepôt abandonné – où il s’amuse un peu avec eux avant de les tuer. De très vilains effets numériques sont sollicités pour montrer les morts des victimes du clown, qu’on aurait aimé plus originales et mieux mises en scènes. Les trépassés réapparaissent ensuite sous forme de fantômes/zombies amochés, au fil d’une intrigue sans queue ni tête. Visiblement à cours d’idées, le scénariste et le réalisateur nous offrent une scène de douche parfaitement gratuite qui s’attarde sur l’anatomie de la peu pudique Dee Dee Austin, puis font intervenir aux deux tiers du métrage un SDF mystérieux qui nous raconte tout ce que nous venons déjà de voir, au cours de l’une des scènes les plus inutiles de l’histoire du cinéma. Sympathique mais très dispensable, Killjoy donnera naissance à une petite franchise permettant au clown psychopathe de refaire régulièrement des siennes.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso


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LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE (1991)

Weronika et Véronique sont deux femmes identiques qui existent sans se connaître, l’une en Pologne, l’autre en France…

LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE / PODWÓJNE ZYCIE WERONIKI

 

1991 – FRANCE / POLOGNE / NORVÈGE

 

Réalisé par Krzystof Kieslowski

 

Avec Irène Jacob, Halina Gryglaszewska, Kalina Jedrusik, Aleksander Bardini, Wladyslaw Kowalksi, Jerzy Gudejko, Janusz Sterninski, Philippe Volter

 

THEMA DOUBLES

Si La Double vie de Véronique développe un sujet ouvertement surnaturel, liée à l’existence de deux êtres humains identiques connectés par un lien insaisissable, Krzystof Kieslowski décide de ne donner aucune explication aux spectateurs pour laisser son récit ouvert à toutes les interprétations. Plusieurs thèmes du film étaient déjà amorcés dans quelques œuvres précédentes du cinéaste, notamment dans Le Décalogue et Le Hasard. En ce sens, cette Double vie fait un peu office d’œuvre somme, prélude à la très populaire trilogie que Kieslowski dirigera dans la foulée : Trois couleurs : Bleu, Trois couleurs : Blanc et Trois couleurs : Rouge. Au départ, le réalisateur envisage de proposer le rôle de Véronique et de son alter-ego à Andie MacDowell avant de pencher plutôt pour Julie Delpy, dans la mesure où ses deux personnages sont européens. Mais l’audition de la comédienne française ne le convainc pas. Il opte donc finalement pour Irène Jacob, qu’il fera à nouveau jouer dans Trois couleurs : Rouge. Delpy, elle, campera le premier rôle de Trois couleurs : Blanc.

Weronika, une jeune Polonaise atteinte d’une déficience cardiaque, chante avec sa chorale lors d’un concert en plein air lorsque la pluie et une tempête interrompent leur performance. Quelques jours plus tard, elle part pour Cracovie, où sa tante est gravement malade. Avant de partir, elle confie à son père avoir le sentiment étrange de ne pas être seule au monde. Un jour, alors qu’elle se promène sur la Grand-Place, elle aperçoit une touriste française qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau et qui la prend en photo. Cette vision la trouble beaucoup. Quelques jours après, lors d’un concert où elle chante en solo, Weronika est victime d’un arrêt cardiaque. Son double, Véronique, est une jeune Française qui vit à Clermont-Ferrand et enseigne la musique…

Brève rencontre

La très belle photographie monochrome de Slawomir Idziak, l’émouvante musique de Zbignew Preisner et le jeu très juste d’Irène Jacob dotent le film d’un charme formel auquel il est difficile de rester insensible. On ne peut pas en dire autant du scénario co-écrit par Krzystof Kieslowski et Krzystof Piesiewicz, qui tourne malheureusement en rond au bout d’un quart d’heure. Le thème ô combien passionnant de deux femmes alter-ego qui ne se connaissent pas et vivent en deux contrées différentes laissait présager des développements narratifs passionnants qu’il faudra hélas nous contenter d’imaginer. La scène de la brève rencontre entre Weronika et Véronique était, à ce titre, fort prometteuse. Que se passe-t-il lorsque deux doubles cohabitent sans le savoir à des milliers de kilomètres de distance et soudain se croisent ? Quelles sont les conséquences, à l’échelle à la fois de l’homme et de l’univers ? Quel est le lien émotionnel qui les unit ? Mais Weronika meurt, et dès lors l’intrigue nous emmène ailleurs. On ne sait plus où Kieslowski veut en venir, la conclusion de son film nous abandonnant à nos frustrations. La Double vie de Véronique reste un bel objet filmique, très apprécié par la critique internationale et récipiendaire de nombreux prix. Mais un développement plus profond et plus captivant de son concept n’aurait pas été pour nous déplaire.

 

© Gilles Penso


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CANDYMAN 3, LE JOUR DES MORTS (1999)

Un troisième épisode parfaitement dispensable dans lequel Tony Todd assure le service minimum au fil d'une intrigue sans surprise…

CANDYMAN, DAY OF THE DEAD

 

1999 – USA

 

Réalisé par Turi Meyer

 

Avec Tony Todd, Donna D’Errico, Jesu Garcia, Alexia Robinson, Mark Adair-Rios, Lupe Ontiveros, Elizabeth Guber

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA CANDYMAN

La franchise Candyman s’était déjà épuisée au cours du deuxième épisode. Mais dans le monde merveilleux hollywoodien, l’appât du gain est généralement plus fort que la démarche artistique. D’où ce troisième opus, directement exploité en vidéo et parfaitement dénué d’intérêt dans la mesure où il calque la majeure partie de son intrigue sur celle du premier film de la série et ne laisse donc aucune place à la surprise ou l’innovation. Derrière la caméra, le téléaste Turi Meyer signe une mise en scène carrée et anonyme, sans odeur ni saveur, entravé dans ses mouvements par des producteurs qui réduisent le budget au minimum (environ un million de dollars à peine) et le contraignent à des délais de tournage impossibles. En désespoir de cause, Meyer compte visiblement beaucoup sur la photogénie de son actrice principale pour combler les lacunes du script. Il faut dire que celle-ci est gironde, puisqu’il s’agit de la playmate Donna D’Errico, l’une des sirènes à la poitrine hypertrophiée d’Alerte à Malibu

D’Errico incarne ici Caroline, l’arrière-arrière-petite-fille de Daniel Robitaille, ancien peintre de talent devenu le redoutable démon Candyman après avoir été torturé et tué par une horde de blancs jaloux et racistes. Le soir du vernissage des œuvres de son ancêtre, Caroline se prête au jeu publicitaire et ose prononcer cinq fois « Candyman » devant un miroir. La suite est tellement prévisible qu’elle surprend presque par son manque d’audace. Le tueur au crochet surgit donc régulièrement et tue tous les proches de Caroline, qui se retrouve aussitôt accusée des meurtres puisque personne d’autre qu’elle n’a vu le croquemitaine. Coproducteur du film, Tony Todd assure ici le service minimum, répétant inlassablement les deux mêmes phrases tout au long du film, autrement dit « Donne-toi à moi ! » et « Sois ma victime ! ». Turi Meyer use jusqu’à la corde des effets censés faire sursauter le public, et chaque apparition du Candyman est ruinée par le jeu catastrophique de Donna D’Errico, incapable d’exprimer la moindre épouvante.

Fin de série

Même la bande originale se prive du thème envoûtant composé par Philip Glass, dont la production n’a plus les droits. Adam Gorgoni compose donc une musique de remplacement beaucoup moins atmosphérique. Que reste-t-il à sauver de Candyman 3 ? Principalement quelques idées visuelles issues des hallucinations de Caroline, comme ce jaune d’œuf où grandit progressivement une tache de sang jusqu’à ce qu’une abeille n’en surgisse en très gros plan. Quant à l’astuce scénaristique qui permet à Caroline de se débarrasser enfin du démon récidiviste, elle laisse rêveur : il lui suffit de déchirer à coups de crochets l’autoportrait peint de Daniel Robitaille… Pourquoi pas ? A ce stade du calvaire, on est prêt à accepter n’importe quoi pour que le film s’arrête… Contrairement aux deux premiers opus, celui-ci aura été exploité directement en vidéo sans passer par la case de la salle de cinéma. Quelques années plus tard, lorsque Lionsgate évoquera – après le succès de Freddy contre Jason – la possibilité d’un crossover entre la saga Candyman et la franchise Leprechaun, Tony Todd refusera catégoriquement, de peur de ridiculiser encore plus son personnage. La série s’arrêtera donc là… jusqu’à la séquelle tardive de 2021.

 

© Gilles Penso


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