SCANNERS II : LA NOUVELLE GÉNÉRATION (1991)

Cette suite tardive du thriller fantastique de David Cronenberg s’intéresse à d’autres êtres dotés de pouvoirs paranormaux…

SCANNERS II : THE NEW ORDER

 

1991 – CANADA

 

Réalisé par Christian Duguay

 

Avec David Hewlett, Deborah Raffin, Yvan Ponton, Isabelle Mejias, Tom Butler, Raoul Max Trujillo, Vlasta Vrana, Murray Westgate, Doris Petrie, Dorothée Berryman

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA SCANNERS

Scanners avait-il besoin d’une suite ? Non, bien sûr, d’autant que David Cronenberg continua à creuser un sillon voisin quelques années plus tard en revisitant Stephen King à l’occasion de Dead Zone. Mais le producteur Pierre David est un malin. Pas question pour lui de laisser tomber ce qui pourrait ressembler à une franchise juteuse. Après avoir un temps envisagé de décliner Scanners sous forme de série télévisée, il s’associe avec René Malo, à la tête de Malofilm, et initie Scanners II et Scanners III. Ces deux suites sont tournées ensemble et confiées à un talentueux directeur de la photographie effectuant là ses premiers pas de réalisateur de longs-métrages (après avoir dirigé plusieurs épisodes de Crossbow et Le Voyageur) : Christian Duguay. Futur metteur en scène de Planète hurlante, L’Art de la guerre, Hitler : la naissance du mal, Jappeloup ou Un Sac de bille, cet homme au style très éclectique n’est franchement pas très emballé par les scénarios de Scanners II et III. Alors qu’il est sur le point de passer la main, Malo lui assure qu’il pourra mettre son grain de sel dans l’écriture et tenter d’y apporter sa propre vision. Duguay finit donc par accepter, un peu à contrecœur, sachant que les amateurs de Cronenberg risquent de le détester !

Le film s’ouvre sur le visage grimaçant d’un certain Peter Drak, incarné par l’acteur Raoul Max Trujillo qui ignore visiblement ce que signifie le terme demi-mesure. Dépenaillé, le teint livide, le cheveu gras, il sème la panique dans une salle d’arcade, détruisant à distance tous les jeux vidéo qui l’entourent en une grande orgie pyrotechnique, puis trouve refuge dans un entrepôt où l’assaillent des milliers de voix qui s’insinuent dans son cerveau. Intercepté par les autorités qui lui administrent un tranquillisant, Drak est rapatrié dans l’institut de recherche neurologique du docteur Morse (Tom Butler) qui étudie les Scanners, autrement dit des personnes nées avec des capacités télépathiques et télékinétiques. Or Morse travaille secrètement pour l’inspecteur Forrester (Yvan Ponton), un policier qui rêve d’instaurer un « nouvel ordre » moral en s’attaquant au crime grâce à la puissance des Scanners, dont il veut faire ses chiens de garde. Ses plans vont cependant être contrariés par David (David Hewlett), un étudiant en médecine vétérinaire qui, lui aussi, possède des capacités psychiques exceptionnelles…

« Le pouvoir ne nous rend pas meilleurs »

On le voit, le script un peu paresseux de B.J. Nelson (Œil pour œil, Shadowchaser IV) se contente de reproduire la dynamique du premier film en redistribuant des rôles que nous connaissons déjà : le « gentil » scanner qui refuse de se laisser manipuler, le « méchant » scanner aux tendances fortement psychopathes, la sympathique petite-amie, la maléfique organisation secrète… La seule nouveauté un tant soit peu notable est la nature de l’antagoniste principal, un flic à tendances fascistes persuadé que sa croisade contre le mal autorise tous les sacrifices. Heureux de jouer les tueurs à gage du moment qu’il a droit aux doses régulières de drogue auxquelles il est accro, Drak l’illuminé finit par avouer à David « le pouvoir ne nous rend pas meilleurs, il nous rend plus fort », contredisant ainsi le célèbre adage sur le pouvoir et la responsabilité cher à Stan Lee. Christian Duguay fait ce qu’il peut pour dynamiser ce récit bancal, esthétisant à l’extrême certaines séquences (la lumière qui filtre à travers les grands ventilateurs), multipliant les fusillades, les poursuites de voiture et même les passages gores pour tous les moments – un peu répétitifs – où les têtes gonflent et explosent. Rien de ben neuf, donc, mais reconnaissons que ce Scanners II, pour facultatif qu’il soit, se regarde sans ennui.

 

© Gilles Penso


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HORRORVISION (2001)

Une entité diabolique a pris le contrôle d’un site internet pour capturer ceux qui le visitent et semer le chaos dans le monde…

HORRORVISION

 

2001 – USA

 

Réalisé par Danny Draven

 

Avec Brinke Stevens, Len Cordova, Maggie Rose Fleck, Michelle Mellgren, David Bartholomew Greathouse, Jeff Scaduto, Brandon Mercer, Del Howison

 

THEMA ROBOTS I SAGA CHARLES BAND

Contrairement à ce que son titre pourrait faire croire, Horrorvision n’est pas une suite de Terrorvision mais plutôt une tentative maladroite de la part du producteur Charles Band de surfer sur le succès de Matrix. Band développe le projet en 1999, d’abord sous le titre Fear.com, avec l’intention de le réaliser lui-même, puis le rebaptise et le confie finalement à J.R. Bookwalter, qui est censé s’y attaquer juste après le tournage de Witchouse 2. Mais Bookwalter préfère refiler le bébé à un tout jeune réalisateur de 21 ans dont ce sera le premier film : Danny Draven. Très motivé malgré le fossé vertigineux creusé entre l’ambition du film et les moyens à sa disposition, Draven décide de tout filmer en vidéo au format DVCam, sans autorisation, au cours d’un tournage marathon de 12 jours. Le concept d’Horrorvision est intéressant : Dez (Len Cordova) et Toni (Brinke Stevens) arrondissent leurs fins de mois en diffusant sur Internet du contenu porno déviant. Mais bientôt, Toni disparaît sans laisser de trace, tout comme Dazzy (Maggie Rose Fleck), la petite-amie de Dez. Une entité maléfique s’est en effet emparée du web pour se nourrir des âmes humaines en les exposant au redoutable site « Horrorvision.com »…

Horrorvision ne manque pas d’éléments attrayants, en particulier le bestiaire cyberpunk qu’il met en scène furtivement. On s’amuse donc avec cette boule métallique qui se matérialise dans les airs (version roulante de celle de Phantasm) avant de se transformer en robot insectoïde multipattes qui attaque ses victimes en les lacérant. Le film révèle aussi à mi-parcours une sorte d’homme-tronc démoniaque aux allures de djinn biomécanique à la peau couverte de veines, dont le crâne et les mains se prolongent par des câbles et des circuits, et dont l’activité principale consiste à télécharger des gens sur ses CD en ricanant. Quant au climax, il exhibe un monstre cybernétique relativement impressionnant – sauf dans les plans larges qui lui donnent les allures d’un super-vilain échappé d’un épisode de Bioman ! Ces apparitions réjouissantes, ainsi qu’une poignée de séquences sous influence manifeste de Tetsuo (Brinke Stevens est attaquée chez elle par des fils électriques, Len Cordova voit des câbles qui surgissent de son entrejambes), sont les passages les plus intéressants du film.

Wild Wild Web

Malheureusement, ces petites fulgurances sont très exceptionnelles. Car la grande majorité du métrage ne raconte rien, fait intervenir comme un cheveu sur la soupe un personnage incarné par James Black qui se prend pour Lawrence Fishburne dans Matrix (grand manteau noir, regard lointain, phrases énigmatiques), se perd dans de longs dialogues inutiles (dont l’un bourré de références à Star Wars) et surtout gaspille d’innombrables minutes avec des séquences de trajets en voiture dans les quartiers les plus laids de Los Angeles, montées comme des clips sur du mauvais rock indépendant. « Je pense qu’Horrorvision aurait fait un très bon film de quarante minutes sans ces montages vidéo musicaux ridicules », avoue le réalisateur. « Je n’avais pas le choix, nous devions respecter une durée de soixante-douze minutes ou nous n’avions pas de film. Lorsque nous avons monté la première version, nous nous sommes rendu compte qu’il ne durait que cinquante minutes et que nous devions trouver un moyen de l’allonger, alors nous avons fait des clips ! Et j’ai détesté ça. » (1) C’est d’autant plus dommage que Danny Draven montre là un intéressant potentiel et que son acteur principal – dont le physique n’est pas sans rappeler le jeune Robert De Niro – aurait pu nous convaincre s’il avait quelque chose à défendre. Mais en l’état, Horrorvision est un film prodigieusement ennuyeux.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017)

 

© Gilles Penso

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BARBARIAN QUEEN (1985)

Après la destruction de son village par une horde de barbares, une guerrière prend les armes et décide de se venger en ralliant des rebelles à ses côtés…

BARBARIAN QUEEN

 

1985 – USA

 

Réalisé par Hector Olivera

 

Avec Lana Clarkson, Katt Shea, Dawn Dunlap, Frank Zagarino, Susana Traverso, Armando Capo, Andrea Barbieri, Victor Bo, Anthony Middleton, Andrea Scriven

 

THEMA HEROIC FANTASY

Réalisé dans la foulée de Deathstalker et avec une partie de la même équipe, Barbarian Queen est un autre de ces films d’heroic-fantasy à faible coût que Roger Corman et son partenaire argentin Hector Olivera produisent dans le sillage du succès de Conan le barbare, misant beaucoup plus sur l’attrait du poster (confié une fois de plus au très talentueux Boris Vallejo) et sur la photogénie des acteurs/actrices que sur la qualité d’un scénario qu’on imagine basique et peu palpitant (toujours signé Howard R. Cohen). Ayant fait forte impression dans Deathstalker, où elle incarnait une guerrière presque aussi imposante que le héros masculin, l’actrice et mannequin Lana Clarkson est de retour et tient cette fois-ci la vedette, occultant par sa sculpturale présence tout le reste du casting. Parmi les autres femmes de têtes qui occupent l’écran à ses côtés, on note la présence de Katt Shea, qui allait se distinguer plus tard en devenant réalisatrice (Fleur de poison, Une amie au poil, Carrie 2 : la haine). Et comme il faut malgré tout un « Monsieur Muscles » pour sacrifier aux codes du genre, la production sollicite Frank Zagarino, futur androïde de la franchise Shadowchaser.

Nous sommes comme il se doit dans une époque reculée indéterminée, quelque part à mi-chemin entre l’antiquité et le moyen-âge. Alors que la belle Amethea (Lana Clarkson) se prépare à épouser le prince Argan (Frank Zagarino), leur paisible village perdu au milieu des bois est sauvagement attaqué par les hordes barbares du seigneur de guerre Arrakur (Armando Capo, crédité ici sous le nom « américanisé » de Armand Chapman). Argan et la plupart des villageois sont capturés ou massacrés, tandis que Taramis (Dawn Dunlap), la sœur d’Amethea, est violée. Amethea se bat avec acharnement, mais elle est vaincue et laissée pour morte dans une hutte incendiée. Une fois que les agresseurs ont pris la poudre d’escampette, Amethea surgit des cendres, l’arme au poing. Ivre de vengeance, elle rassemble plusieurs autres filles dans le but de libérer son peuple et de débarrasser le monde du tyrannique Arrakur.

Féministe ou fétichiste ?

Nous voici donc face à une sorte de variante féminine de Conan le barbare, ce que le titre annonce d’ailleurs sans fard. Ce changement de sexe induit une certaine approche féministe du sujet, s’inscrivant dans la voie ouverte par Hundra de Matt Cimber. Les héroïnes s’opposent en effet aux hommes qui – quasiment tous rustres, vulgaires et idiots dans le film – les brutalisent, les violent, les asservissent et abusent d’elles. Mais Barbarian Queen s’empêtre dans ses propres paradoxes, puisqu’il n’hésite pas par ailleurs à dénuder la grande majorité de son casting féminin, met en scène de grandes scènes d’orgies et s’offre même quelques séquences fétichistes comme celle de la chambre des tortures où Amethea, dans un string très contemporain, est soumise par un alchimiste fou aux manipulations fort désagréables d’une main métallique qui se promène sur ses seins ! Pour la peine, le vilain finira dans un bain d’acide. Vague variante autour du motif de Spartacus, le scénario est grosso-modo le même que ceux de bon nombre de péplums italiens des années 60. Mais le film est plutôt bien emballé, la figuration costumée est abondante, les séquences de combat généreuses, bref l’ennui n’a pas le temps de s’installer. Une suite sera d’ailleurs produite quelques années plus tard : Barbarian Queen II : The Empress Strikes Back.

 

© Gilles Penso

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KILLJOY’S PSYCHO CIRCUS (2016)

Condamnés à errer sur Terre, le diabolique Killjoy et ses clowns monstrueux en sont réduits à animer un talk-show grotesque…

KILLJOY’S PSYCHO CIRCUS

 

2016 – USA

 

Réalisé par John Lechago

 

Avec Trent Haaga, Victoria de Mare, Tai Chan Ngo, Al Burke, Robin Sydney, Stephen F. Cardwell, Lauren Nash, Tim Chizmar, Victoria Levine, Marc Pearce

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA KILLJOY I CHARLES BAND

En plein tournage de Killjoy Goes to Hell, l’homme à tout faire John Lechago (réalisateur, scénariste, producteur, monteur, superviseur des effets spéciaux) pense déjà à l’épisode suivant, situé cette fois-ci sur Terre. L’ambition de ce cinquième épisode semble un peu hors de portée du producteur Charles Band, malgré la cote de popularité grandissante du clown démoniaque remontée en flèche grâce à Killjoy 3. L’idée d’une campagne de financement participatif se met alors en branle. Comme pour Evil Bong : High-5 et Puppet Master : Axis Termination, Band lance ainsi un appel à collecte de fonds auprès des fans de Full Moon. « Nous voulons poursuivre cette série passionnante via FullMoonStreaming.com, qui est vraiment l’avenir de notre entreprise », explique Band sur la page Kisckstarter dédiée à ce crowdfunding. « Les vidéoclubs n’existent plus dans ce pays et nous voulons continuer à produire des films en vidéo directe que vous ne verrez nulle part ailleurs. C’est comme Netflix pour les fous ! » L’objectif de Band est de financer lui-même Killjoy’s Psycho Circus à hauteur de 100 000 dollars et de demander une contribution additionnelle pour réunir les 60 000 dollars manquants. Cette campagne n’atteindra finalement pas son but, ce qui n’empêchera pas ce cinquième opus d’entrer malgré tout en production et de s’affirmer clairement comme le plus déjanté de la saga.

Conformément à ce que montrait l’épilogue de Killjoy Goes to Hell, le clown maléfique aux dents pointues a fini par débarquer sur Terre avec son équipe infernale : le mime Freakshow, le massif Punchy et la langoureuse Batty Boop. Mais ce séjour parmi les humains n’est pas de tout repos. Pour gagner sa vie, Killjoy s’est reconverti en animateur d’un talk-show délirant, « Psycho Circus », avec à ses côtés une remplaçante peu convaincante de Batty Boop, l’originale l’ayant quitté après une querelle amoureuse. Pendant ce temps, en Enfer, Belzébuth est jugé pour avoir laissé Killjoy s’échapper. Pour se racheter, il reçoit une mission : capturer l’esprit du démon-clown dans une boîte. Armé d’un vaisseau spatial monumental et accompagné de Jezebel, sa copilote, il lance une traque sans merci, épaulé par six tueurs psychopathes. La lutte s’apprête donc à prendre une tournure apocalyptique…

Star Freak

Conformément à de nombreux épisodes tardifs des franchises de Full Moon, la tonalité a bien changé depuis le premier épisode. L’horreur n’a plus du tout droit de cité, au profit d’un enchaînement de gags qui muent Killjoy’s Psycho Circus en une sorte d’auto-parodie référentielle et post-moderne. Très autocentré, cet opus cligne donc de l’œil vers les films de la série, les produits dérivés, les sponsors, s’offre même une séquence de mise en abyme au cours de laquelle Trent Haaga (sous son maquillage de clown) s’interviewe lui-même (au naturel) sur un plateau TV tout en discourant sur la prestation d’Angel Vargas dans le premier film. Cette infinité d’auto-citations – comme les posters Full Moon qui ornent la chambre d’un ado ou les spots de pubs qui scandent l’émission de Killjoy – ne fait qu’épisodiquement sourire et nous rappelle la démarche un peu vaine du Fils de Chucky. Fort heureusement, Lechago ne se contente pas de se regarder le nombril. Plus déchaîné que jamais, il fait fi du minuscule budget à sa disposition pour nous offrir des gunfights au pistolet laser, des affrontements à coups de boules de feu et de rayons d’énergie et des scènes de combats de vaisseaux spatiaux sur fond de musique parodiant celle de Flash Gordon ! Les effets visuels ont souvent du mal à suivre, mais ce grain de folie généralisé reste très réjouissant. Cela dit, il est clair que la franchise arrive là au bout d’une logique qui l’empêchera d’aller plus loin si elle ne se renouvelle pas en changeant de cap.

 

© Gilles Penso

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FANTÔME D’AMOUR (1981)

Marcello Mastroianni et Romy Schneider sont plongés dans une romance d’outre-tombe où s’entremêlent fantasme et réalité…

FANTASMA D’AMORE

 

1981 – ITALIE / FRANCE / ALLEMAGNE

 

Réalisé par Dino Risi

 

Avec Marcello Mastroianni, Romy Schneider, Eva Maria Meineke, Wolfgang Preiss, Michael Kroecher, Paolo Baroni, Victoria Zinny, Giampiero Becherelli

 

THEMA FANTÔMES

Le prolifique Dino Risi est surtout connu pour ses comédies (Les Monstres, La Femme du prêtre, Rapt à l’italienne). Mais Risi est aussi le réalisateur de Parfum de femme ou Dernier amour, qui jouent plus volontiers sur la corde sensible, s’attachent à l’inquiétude de personnages hantés par le passage du temps et par les souvenirs douloureux d’un passé trop lointain. C’est dans cette veine que s’inscrit Fantôme d’amour, en y injectant une forte touche surnaturelle que son titre annonce sans détour (Âmes perdues de Risi titillait déjà la fibre nostalgique sous un angle fantastique). Fantôme d’amour est tiré d’un roman de Mino Milani publié en 1977, que le cinéaste italien transforme en scénario avec l’aide de son co-auteur Bernardino Zapponi. Ce dernier n’est pas étranger aux codes du genre puisqu’il a notamment collaboré aux scripts de Histoires extraordinaires, Fellini Satyricon, Les Frissons de l’angoisse, Léonor ou encore La Cité des femmes. La combinaison du texte de Milani et de la sensibilité combinée de Risi et Zapponi donne naissance à un récit envoûtant, sorte de romance macabre d’outre-tombe qui n’est pas sans évoquer l’atmosphère de certains romans de Boileau et Narcejac.

À Pavie, dans les années 1970, Nino Monti (Marcello Mastroianni), juriste d’une cinquantaine d’années, mène une vie rangée auprès de sa femme Teresa (Eva Maria Meineke). Un jour, dans un autobus, il paie la place d’une femme à l’air misérable et malade, incapable de régler son ticket. Le soir même, elle lui téléphone pour lui rendre les cent lires et se présente comme Anna Brigatti, l’amour passionné de sa jeunesse (Romy Schneider). Troublé, Nino cherche à la revoir, mais cette vieille femme blafarde et usée par la maladie n’a plus rien à voir avec la jeune femme radieuse qu’il chérit encore dans ses souvenirs. Sa photo, soigneusement cachée dans sa bibliothèque, témoigne d’un passé qu’il n’a jamais vraiment dépassé, son mariage avec Teresa lui paraissant terne en comparaison. Lorsqu’il confie cette rencontre à un ami médecin, ce dernier lui révèle qu’Anna est morte trois ans plus tôt. Pourtant, leurs retrouvailles bouleversent la réalité : Nino la revoit telle qu’elle était autrefois, belle et pleine de vie. Mais les frontières entre mémoire, désir et vérité se brouillent, laissant Nino face à une énigme où passé et présent se mêlent inexorablement…

À la recherche du temps perdu

Si Dino Risi multiplie les étrangetés au fil de cette histoire tourmentée (les apparitions successives d’Anna vieille puis rajeunie, la confirmation de son décès, les morts suspectes et violentes dans l’entourage immédiat de Nino, la présence récurrente d’une pièce de 100 lires), il ne cherche jamais à tromper les spectateurs sur la nature véritable d’Anna dans le film. C’est un fantôme, à n’en pas douter. Don Gaspare, ce prêtre bizarre qu’incarne Michael Kroecher, est peut-être le seul à pouvoir mettre des mots sur l’étrange phénomène. « La mort est une autre forme de vie », affirme-t-il. « Nous la vivrons tous un jour. Peut-être l’avons-nous déjà vécue. » Autrement dit : si les fantômes peuvent hanter les vivants, pourquoi la réciproque ne serait-elle pas possible ? « Je sais haïr parce que je sais aimer sans limite » finit par dire Anna. Ce fantôme d’amour serait-il donc aussi celui de la rancune et de la vengeance ? Mais Nino refuse de voir l’évidence et choisit de se voiler la face pour laisser le bonheur passé contaminer son quotidien, quitte à en perdre la raison. Épaulé par le directeur de la photographie Tonino Delli Colli, Dino Risi saisit la triste photogénie des rues pluvieuses et embrumées de la vieille ville de Pavie, comme pour mieux symboliser la quête désespérée d’un temps définitivement perdu. À l’avenant, les violons envoûtants de la bande originale de Riz Ortolani, sur lesquels se promène la clarinette mélancolique de Benny Goodman, nous accompagnent pas à pas jusqu’à un épilogue languide que chacun sera libre d’interpréter comme lumineux ou lugubre.

 

© Gilles Penso

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DOWNSIZING (2017)

Et si la solution, pour sauver la planète et lutter contre la surpopulation, était la miniaturisation des êtres humains ?

DOWNSIZING

 

2017 – USA

 

Réalisé par Alexander Payne

 

Avec Matt Damon, Christoph Waltz, Hong Chau, Kristen Wiig, Rolf Lassgård, Ingjerd Egeberg, Udo Kier, Søren Pilmark, Jason Sudeikis, Maribeth Monroe

 

THEMA NAINS ET GÉANTS

Dès son premier long-métrage Citizen Ruth, avec Laura Dern dans le rôle principal, Alexander Payne attire l’attention de la critique et de la profession qui admirent son style et son univers, à mi-chemin entre la comédie satirique et le drame contemporain. Ses films suivants (L’Arriviste, Monsieur Schmidt, Sideways, The Descendants, Nebraska) creusent un sillon voisin et lui valent bon nombre de nominations et de récompenses. Voir Payne se lancer dans une grande fresque de science-fiction avec Downsizing peut surprendre, dans la mesure où ce genre lui est à priori étranger (même si l’homme a tout de même co-écrit en 2001 le scénario de Jurassic Park 3 pour Joe Johnston). Ce projet lui tient pourtant particulièrement à cœur. Il le développe avec son partenaire d’écriture Jim Taylor dès 2005, mais le film ne se concrétise finalement qu’une décennie plus tard. Étant donnée son ambition visuelle, Downsizing est le long-métrage le plus coûteux de son réalisateur (son budget est estimé entre 68 et 74 millions de dollars). Paramount Pictures entre dans la danse, et après un petit jeu des chaises musicales lié à l’attribution des personnages principaux (les noms de Reese Whitherspoon, Paul Giamatti, Sacha Baron Cohen, Alec Baldwin sont évoqués tour à tour), Matt Damon hérite du premier rôle et Kristen Wiig de celui de son épouse.

Pour lutter contre la surpopulation et le réchauffement climatique, le scientifique norvégien Jørgen Asbjørnsen (Rolf Lassgård) a mis au point un procédé révolutionnaire appelé le « downsizing ». Ce processus irréversible réduit la taille des êtres humains à environ 12 cm, diminuant ainsi leur consommation de ressources et leurs déchets. Les premiers essais, menés sur un groupe de volontaires, s’avèrent concluants, et cinq ans plus tard, les résultats présentés lors d’une conférence suscitent une immense fascination mondiale. Dix ans après cette découverte, Paul et Audrey Safranek (Matt Damon et Kristen Wiig), un couple d’Omaha confronté à des difficultés financières, envisagent de changer de vie. Lors d’une réunion d’anciens élèves, ils rencontrent un couple d’amis ayant adopté le downsizing. Ces derniers insistent sur un avantage inattendu : l’argent a bien plus de valeur dans ce mode de vie miniature. Intrigués, Paul et Audrey visitent Leisureland, une communauté prospère dédiée aux petites personnes, où ils réalisent qu’ils pourraient s’offrir un mode de vie luxueux. Séduits par cette opportunité, ils décident de franchir le pas et de se soumettre au processus…

Chérie, j’ai rétréci le script !

Le point de départ de Downsizing est à la fois original et très intriguant, d’autant qu’il détourne un motif connu du cinéma fantastique (décliné dans des œuvres aussi variées que L’Homme qui rétrécit, Le Voyage fantastique, Chérie j’ai rétréci les gosses ou L’Aventure intérieure) pour l’intégrer dans un contexte très réaliste. Ici, le processus de la miniaturisation est non seulement justifié par des préoccupations environnementales très tangibles, mais également mis en scène dans un cadre plausible nous donnant l’aperçu de ce que pourrait vraiment donner une population réduite de quinze fois sa taille. Le problème, c’est qu’une fois le contexte mis en place et l’intrigue amorcée sur cette base, le film se perd dans les méandres d’un scénario qui ne sait plus trop où aller. Le potentiel d’un tel concept était pourtant énorme, tant dans le domaine de la satire sociale que dans celui de la comédie de situation, de l’aventure fantastique, de la fable de science-fiction ou même du film catastrophe. Or si une infinité d’idées sont amorcées (les coulisses peu reluisantes de ce « meilleur des mondes » miniature, les trafics illicites que génère la diminution de taille, les dangers de la confrontation avec des insectes, les risques imminents de l’extinction de l’humanité), aucune d’entre elles n’est exploitée, Payne se contentant de mettre en scène des personnages inutiles (à quoi servent Christopher Waltz et Udo Kier dans ce film ?) ou horripilants (la prestation caricaturale de Hong Chau est très embarrassante) en laissant sur le bas-côté un Matt Damon qui semble sans cesse à la traine. L’échec cuisant de Downsizing au box-office confirmera ce sentiment de belle opportunité gâchée.

 

© Gilles Penso

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KILLJOY GOES TO HELL (2012)

Pour sa quatrième aventure, le clown monstrueux se retrouve prisonnier en Enfer où le Diable l’accuse de ne pas être assez démoniaque !

KILLJOY GOES TO HELL

 

2012 – USA

 

Réalisé par John Lechago

 

Avec Trent Haaga, Victoria De Mare, Al Burke, Tai Chan Ngo, Jessica Whitaker, John Karyus, Lisa Goodman, Aqueela Zoll, Cecil Burroughs, Jason R. Moore

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA KILLJOY I CHARLES BAND

L’accueil réservé à Killjoy 3 était d’autant plus enthousiaste que l’attente n’était pas très élevée, si l’on tient compte du caractère très dispensable des deux premiers épisodes de cette saga bizarre. Rasséréné par ce succès, le producteur Charles Band laisse à nouveau les clés de la franchise au scénariste et réalisateur John Lechago. Ce dernier prend alors deux décisions : concevoir un quatrième épisode qui s’inscrive directement dans la continuité narrative du troisième – contrairement aux opus précédents qui ne présentaient qu’un très vague rapport les uns avec les autres – et emmener les spectateurs là où ils ne s’attendent pas en concoctant un récit résolument original situé principalement… en Enfer ! Band ne peut mettre à sa disposition qu’un budget minuscule, un nombre limité de décors et une petite semaine de tournage. Il en faut plus pour intimider Lechago, qui redouble d’inventivité et d’idées pour proposer non seulement l’épisode le plus fou de la saga mais aussi l’un des films les plus réjouissants produits par Full Moon Entertainment depuis longtemps. Contrairement à Killjoy 3, celui-ci est entièrement tourné à Los Angeles, en partie dans les locaux de Full Moon réaménagés pour l’occasion.

Seule survivante du massacre précédent, Sandie (Jessica Whitaker) est sous surveillance médicale, dans un état second où elle est sans cesse secouée de rires nerveux. Alors que la police se demande si elle n’est pas responsable de la mort de ses amis – ce que semble confirmer l’ADN retrouvé sur ses vêtements -, la jeune femme semble avoir perdu pied avec la réalité. Pendant ce temps, le diabolique Killjoy (Trent Haaga) se retrouve pieds et poings liés dans une geôle au fin fond de l’Enfer. Contre toute attente, le voilà sur le banc des accusés, jugé par un diable cornu et barbu (Stephen F. Cardwell) et accablé par une procureure qui semble lui en vouloir personnellement (Aqueela Zoll). Le chef d’accusation ? Il ne serait pas suffisamment maléfique, puisqu’il a laissé survivre Sandie. Pour se disculper et éviter de disparaître dans les limbes de l’oubli, Killjoy invoque ses trois précédents compagnons, autrement dit le clown vagabond Punchy (Al Burke), le mime Freakshow (Tai Chan Ngo) et la succube Batty Boop (Victoria De Mare). Le problème, c’est que Punchy s’exprime dans un jargon incompréhensible, que Freakshow est muet et que Batty refuse de témoigner en sa faveur…

Une fournée en Enfer

Le film s’amuse alors à monter en parallèle le procès de Killjoy, sur le point d’être rayé à jamais de l’histoire par un scribe qui efface un à un tous ses noms démoniaques, et l’enquête menée autour de la culpabilité de Sandie. Visiblement très motivé par la créativité en ébullition de John Lechago, Trent Haaga livre ici la meilleure de ses prestations. Le monstre déchu qu’il campe exprime ainsi une palette variée d’émotions, du cynisme agressif à l’abattement pathétique en passant par quelques tentatives de séduction de la dernière chance. Les excellents maquillages spéciaux de Tom Devlin permettent non seulement de relooker une fois de plus Killjoy (qui apparaît ici avec des cornes brisées) mais aussi de montrer le nouveau bébé mécanique greffé au corps de Freakshow (qui n’est pas sans rappeler le Baby Oopsie de Demonic Toys), la métamorphose finale d’un clown monstrueux cartoonesque ou le déchaînement d’une horde de freaks (sorte de variante comique des monstres de Cabal) qui se livrent à un gigantesque combat de catch en Enfer. Bref, le délire bat son plein dans la joie et la bonne humeur, prélude à un cinquième épisode toujours confié à John Lechago.

 

© Gilles Penso

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PROGRAMMÉ POUR TUER (1995)

Denzel Washington incarne un ex-flic du futur chargé de mettre hors d’état de nuire un tueur psychopathe virtuel que joue Russell Crowe…

VIRTUOSITY

 

1995 – USA

 

Réalisé par Brett Leonard

 

Avec Denzel Washington, Russel Crowe, Kelly Lynch, Stephen Spinella, William Fichtner, Louise Fletcher, William Forsythe, Costas Mandylor, Kevin J. O’Connor

 

THEMA MONDES PARALLÈLES ET VIRTUELS

Programmé pour tuer est le quatrième long-métrage de Brett Leonard après Re-Animator Hospital, Le Cobaye et Souvenirs de l’au-delà. Et force est de constater qu’il y a une constante dans la filmographie de ce réalisateur (également spécialisé dans les clips musicaux, notamment pour Billy Idol ou Peter Gabriel) : des concepts alléchants généralement gâchés par une mise en forme balourde. Comme on pouvait le craindre, Programmé pour tuer ne fait pas exception. Promu « spécialiste du cinéma numérique » grâce aux images de synthèse avant-gardistes – quoique très primitives, même pour l’époque – du Cobaye, Leonard creuse ce sillon en mêlant une intrigue policière classique avec un argument de science-fiction anticipant de manière fantaisiste les possibilités de la réalité virtuelle. Le scénario signé Eric Bernt (Que la chasse commence !) est sérieusement remanié par Denzel Washington qui tient à retravailler son personnage et ses dialogues – et à supprimer l’idylle que le script prévoyait avec le personnage campé par Kelly Lynch. Toute la promotion du film se fait d’ailleurs à l’époque autour du nom de Washington (déjà superstar grâce à Malcolm X, Beaucoup de bruit pour rien, L’Affaire Pélican, Philadelphia et USS Alabama). Russel Crowe n’étant pas encore connu en dehors de son Australie natale, il attendra les ressorties ultérieures de Programmé pour tuer en VHS et en DVD pour que son nom occupe lui aussi le haut de l’affiche.

Los Angeles, 1999. Le ministère américain de la justice a mis au point le prototype du système d’entrainement le plus sophistiqué du monde pour ses services de police : un criminel virtuel, Sid 6.7, qui combine les personnalités des assassins les plus sanguinaires de tous les temps et que les stagiaires traquent sur simulateur. Mais soudain, aidé par un programmateur exalté, Sid 6.7 brise les limites de la réalité virtuelle et pénètre dans le monde réel. Voilà désormais le plus redoutable des « organismes synthétiques à structure neuronale » lâché dans la nature. Pour stopper ses agissements, les autorités ne voient qu’une seule solution : solliciter les services de Parker Barnes, un ancien policier emprisonné pour avoir exécuté le terroriste politique Matthew Grimes, qui avait tué sa femme et sa fille, ainsi que deux journalistes accidentellement abattus pendant l’opération. Condamné à une peine de 17 ans d’emprisonnement, Barnes a la possibilité de s’amender s’il parvient à arrêter Sid. Mais comment mettre la main sur un tueur psychopathe insaisissable qui est insensible aux balles et peut reconstituer les parties de son corps endommagées ?

Virtual Killer

Le concept de l’ex-flic du futur libéré de sa peine de prison pour arrêter un super-criminel que lui seul semble pouvoir mettre hors d’état de nuire rappelle fortement Demolition Man, même si les deux films divergent par de nombreux points. Lorsque le film commence, on s’amuse face à la reconstitution de ce simulateur dans lequel tous les figurants en costume ressemblent aux PNJ (personnages non joueurs) d’un jeu vidéo, avec des gestes répétitifs et des phrases en boucle. Hélas, la plupart du temps, les images de synthèse sollicitées pour le film sont franchement hideuses, même selon les critères de 1995 (nous sommes tout de même deux ans après Jurassic Park et quatre ans après Terminator 2). Le classique de James Cameron sert d’ailleurs d’inspiration manifeste pour toutes les séquences de poursuite et de fusillade au cours desquelles Sid, blessé par balle, se reconstitue sans sourciller. Mais le problème majeur de Programmé pour tuer est lié à son scénario qui prend l’eau de toutes part. Comment comprendre par exemple la motivation de l’informaticien qui décide sans aucune raison de faire surgir le psychopathe virtuel dans le monde réel ? Si Denzel Washington est impeccable comme toujours, Russel Crowe cabotine jusqu’au point de rupture (la scène où il se transforme en DJ dans une boîte de nuit est un grand moment de gêne) et la pauvre Kelly Lynch n’a pas grand-chose à défendre. Ironiquement, Crowe et Washington rejoueront au chat et à la souris douze ans plus tard dans American Gangster de Ridley Scott, si ce n’est que les rôles du tueur de sang-froid et du policier sur ses traces seront alors inversés.

 

© Gilles Penso

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EDEN LAKE (2008)

Le week-end idyllique que passent deux fiancés dans un coin reculé de la campagne anglaise se transforme en horrible cauchemar…

EDEN LAKE

 

2008 – GB

 

Réalisé par James Watkins

 

Avec Kelly Reilly, Michael Fasbender, Tara Ellis, Jack O’Connell, Finn Atkins, Jumayn Hunter, Thomas Turgoose, James Burrows, Tom Gill, Lorraine Bruce

 

THEMA ENFANTS I TUEURS

Rien ne nous avait préparé au choc d’Eden Lake. Scénariste spécialisé dans le cinéma d’horreur (My Little Eye, Gone, The Descent 2), James Watkins s’attaque ici à son premier film qu’il veut sec, rude, froid et sans concession. La terreur y est palpable parce qu’inscrite dans un contexte banal et réaliste. En tête d’affiche, Watkins convoque deux très solides comédiens pas encore connus du grand public malgré une carrière déjà riche. Future actrice clé de la série Yellowstone aux côtés de Kevin Costner, Kelly Reilly avait été repérée par le public français grâce à L’Auberge espagnole et Les Poupées russes de Cédric Klapisch. Michael Fassbender, lui, n’est pas encore devenu le Magneto de X-Men : le commencement, le David de Prometheus ou l’incarnation de Steve Jobs. Encore provisoirement en dehors du star system, tous deux sont donc les interprètes idéaux de personnages simples auxquels il sera facile de s’identifier… pour le meilleur et surtout pour le pire ! Tout commence pourtant sans signe avant-coureur de l’horreur à venir. Jenny Greengrass et son compagnon Steve Taylor partent en week-end à Eden Lake, un endroit isolé dans la campagne anglaise. Avant le chantier qui défigurera ce petit coin de paradis, Steve tient à faire découvrir à sa fiancée le lac magnifique et la forêt inviolée, cadre parfait selon lui pour la demander en mariage.

Le malaise s’installe lentement mais sûrement. Ce sont d’abord des incivilités, des comportements grossiers, des enfants mal élevés, des adultes rustres, une certaine hostilité générale, même si elle reste encore un peu lointaine et diffuse. Il n’empêche que chacune de ces micro-agressions entame un peu plus la virilité de l’homme venu revive le jardin d’Eden avec sa promise. Cette sorte de communion avec la nature et ce retour aux sources primitives du couple sont donc mis à mal par un environnement moins idyllique que prévu. La première référence qui nous vient alors à l’esprit est Long week-end de Colin Eggleston, si ce n’est qu’ici la nature n’est qu’un décor. L’adversité vient d’ailleurs. C’est un groupe d’adolescents violents, idiots, turbulents et querelleurs qui fait basculer la situation. Steve essaie de les ramener à l’ordre. Après tout, ce ne sont que des enfants, lui un adulte dans la force de l’âge et en pleine possession de ses moyens. Mais les choses vont vite dégénérer jusqu’au point de non-retour.

Le paradis perdu

Le cadre paradisiaque promis par le titre, cette nature sauvage et encore vierge que les citadins viennent apprécier avant que leur excursion ne vire au cauchemar, n’est pas sans nous évoquer Délivrance de John Boorman. Mais s’il assume ce prestigieux précédent, Watkins s’en éloigne peu à peu. Ici, la transformation du jardin d’Eden en enfer semble vouloir symboliser la mort de l’innocence que sont censés symboliser les charmantes têtes blondes que notre héroïne côtoie en tout début de métrage (puisqu’elle travaille dans une école maternelle). Eden Lake se montre très dérangeant, pas tant par la violence qu’il montre que par celle qu’il raconte, celle d’une enfance sans repère muée en terreau de monstruosité. Maîtrisant le suspense comme personne, le cinéaste joue sans cesse sur les nerfs des spectateurs, n’en finissant pas de créer de nouveaux obstacles, éliminant une à une toutes les échappatoires qui pourraient permettre aux héros de s’en sortir, resserrant son intrigue comme un étau impitoyable. Parfaits, pleinement impliqués, Reilly et Fassbender se font pourtant presque voler la vedette par Jack O’Connell, terrifiant en petite frappe brutale et impulsive dont le cerveau semble imperméable à toute notion de morale. Watkins n’excuse pas ses personnages, pas plus qu’il ne justifie socialement leurs actes ou ne les explique. Il se contente de dresser un constat sans appel qui fait froid dans le dos et laisse persister le malaise longtemps après le générique de fin.

 

© Gilles Penso

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KILLJOY 3 (2010)

Très supérieur aux deux épisodes précédents, ce troisième opus ressuscite le clown démoniaque, flanqué de trois compagnons de jeu monstrueux…

KILLJOY 3 / KILLJOY’S REVENGE

 

2010 – USA

 

Réalisé par John Lechago

 

Avec Darrow Igus, Mark Freedom, Trent Haaga, Al Burke, Tai Chan Ngo, Victoria De Mare, Jessica Whitaker, Spiral Jackson, Michael Rupnow, Olivia Dawn York

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS I SAGA KILLJOY I CHARLES BAND

Réalisateur de films d’horreur indépendants à tout petit budget (Bloodgnome, Magus), John Lechago attire l’attention de Stuart Gordon, le légendaire metteur en scène de Re-Animator et From Beyond, qui organise sa rencontre avec le producteur Charles Band. Or ce dernier cherche un artiste multi-talents pour concevoir les effets visuels de son film Ghost Poker. Heureux de cette collaboration, Band propose à Lechago de réaliser pour lui le troisième épisode de la saga Killjoy. Cette décision peut sembler surprenante, dans la mesure où les deux premiers opus n’avaient pas soulevé un grand enthousiasme. Mais au tout début des années 2010, Band cherche à donner un second souffle à d’anciennes franchises en sommeil. D’où la réalisation conjointe de Demonic Toys 2, Puppet Master : Axis of Evil et Killjoy 3ces deux derniers présentant la particularité d’être tournés en même temps en Chine, sur les plateaux de la compagnie ACE Studio qui participe à leur financement. Convaincre Trent Haaga de revenir faire le clown huit ans après le second épisode n’est pas une mince affaire, d’autant qu’entre-temps le producteur/scénariste/acteur a connu un beau succès d’estime en écrivant le script de Deadgirl. Mais la lecture du scénario de Killjoy 3 et la perspective d’un tournage en Chine le séduisent.

La séquence d’ouverture crée déjà une rupture avec les deux films précédents. Un homme (Darrow Igus) y verse son sang pour invoquer le démoniaque Killjoy. Celui-ci apparaît sous une forme « primitive », sa perruque de clown étant remplacée par une paire de cornes et des oreilles pointues de diable. À ses côtés surgissent aussitôt trois autres personnages hauts en couleur : Punchy le clown clochard géant (Al Burke), Freakshow le mime sinistre dont le flanc est raccordé à un bébé monstrueux (Tai Chan Ngo), et la succube lascive Batty Boop (Victoria De Mare). Mais avant que ce quatuor grotesque n’ait le temps de faire quoi que ce soit, le charme se rompt et ils se volatilisent dans les limbes. Le film nous présente alors ses personnages principaux : quatre étudiants qui gardent la maison d’un de leur professeur pendant son absence. Un matin, ils découvrent un mystérieux paquet laissé pendant la nuit sur le pas de la porte. A l’intérieur se trouve un vieux miroir antique qu’ils accrochent au mur. Mais s’ils ont le malheur de s’en approcher, le miroir les transporte dans un monde parallèle coloré où sévissent Killjoy et ses sbires, avides d’âmes à collecter et de jeux infernaux à organiser.

Les jeux du cirque

De toute évidence, John Lechago est ce qui pouvait arriver de mieux à la bancale franchise Killjoy. Non content de soigner tout particulièrement la mise en forme du film (la photographie, les décors, la direction artistique, les maquillages spéciaux), l’auteur/réalisateur tient à enrichir le mythe du clown diabolique en réinterrogeant sa nature démoniaque. « Nous avons créé les démons,  nous avons créé les religions, nous avons créé les livres pour les invoquer, nous les nourrissons avec nos pensées, nos prières et nos sacrifices » explique le personnage du professeur pour justifier l’existence et les agissements du monstre. S’il refuse de poursuivre dans la voie des « films urbains » de post-blaxploitation (qu’il juge très stéréotypés et datés), Lechago tisse malgré tout un lien direct avec le premier film, clé du rebondissement final de Killjoy 3. Bourré de surprises, d’idées visuelles originales (le combat de boxe avec les poings surdimensionnés, les meurtres au marteau géant, le macabre banquet final) et de gags (l’un des protagonistes parle d’inégalités sociales avec un des clowns pour le pousser à refuser d’être exploité par son boss), Killjoy 3 offre également la possibilité à Trent Haaga de transcender sa prestation précédente. Cette fois-ci, son démon ne se contente pas de ricaner bêtement. Il est drôle, effrayant et même pathétique. Bref, voilà une étonnante résurrection à laquelle personne n’aurait cru.

 

© Gilles Penso

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