PENDANT CE TEMPS SUR TERRE (2024)

Après le coup d’éclat de J’ai perdu mon corps, Jérémy Clapin passe aux prises de vues réelles sans perdre sa vision poético-fantastique du monde…

PENDANT CE TEMPS SUR TERRE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Jérémy Clapin

 

Avec Megan Northam, Sofia Lesaffre, Catherine Salée, Nicolas Avinée, Sam Louwyck, Roman Williams et les voix de Dimitri Doré et Sébastien Pouderoux

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES

Avec ce second long-métrage, après J’ai perdu mon corps qui a récolté un flot de récompenses prestigieuses en 2019, Jérémy Clapin change de technique en passant de l’image animée à la prise de vue directe. Les familiers du cinéaste y retrouveront cependant son univers à nouveau sublimé par la musique envoutante de Dan Levy. Le capitaine Franck Martens est un spationaute, héros national qui honore sa région et qui est adoré par sa petite sœur. Les étoiles, l’espace, les astres… Elsa a grandi en observant le ciel de nuit avec son grand frère, tout en dessinant pour combler sa soif d’imaginaire. Ensemble, ils avaient l’habitude de partager leurs rêves d’avenir : pour lui, devenir cosmonaute, pour elle, entrer aux Beaux-Arts. Franck lui a montré comment atteindre son but : pointer une étoile et ne plus dévier de son objectif jusqu’à l’atteindre. Mais alors que Franck, parti en mission il y a trois ans, a mystérieusement disparu, Elsa travaille en gériatrie dans l’établissement tenu par sa mère. Là, peu à peu, elle va se perdre dans le rêve et l’espoir obsessionnels de retrouver son grand frère.

Un père professeur et mélomane qui partage volontiers un peu d’herbe avec sa fille, un petit frère qui n’a pas connu son grand frère et cherche le contact avec sa grande sœur, une mère dévastée par la perte de son aîné mais qui fait preuve de courage et continue de travailler et de s’occuper des autres, une collègue qui l’invite à la suivre au bord de la mer où elles pourraient faire le même travail en allant à la plage… tout dans l’environnement d’Elsa a de quoi la tirer vers la vie. D’ailleurs, son habitude de croquer les gens sur son carnet nous donne à penser qu’elle finira par devenir dessinatrice, et ainsi réaliser son rêve tel qu’elle l’avait partagé avec Franck.

Des voix dans la tête

Seulement tout bascule dans sa tête… des voix… celle de Franck, et celles d’entités extraterrestres qui lui lancent un défi sous forme de chantage. Ils sont cinq, veulent venir sur Terre et ont besoin de cinq corps vivants qu’Elsa doit leur amener à un endroit précis de la forêt, en échange de quoi ils pourront faire revenir Franck qu’ils tiennent en otage. Les circonstances semblent d’abord pencher en faveur de ces maîtres chanteurs en mal d’une enveloppe physique, mais à quel prix pour notre héroïne ? Elsa, attachante, empathique, à la fois en marge et ancrée dans son monde, va se retrouver face à des questions morales impossibles à résoudre sans y perdre son âme. Le suspense est haletant tout au long de ce film sensoriel à la croisée des genres, qui ne parle en creux que de la vie et de ce qu’il en reste quand les êtres qu’on aime disparaissent.

 

© Quélou Parente


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DEAR SANTA (2024)

En croyant envoyer une lettre au Père Noël, un garçon dyslexique écrit « Satan » à la place de « Santa »… Et Jack Black débarque !

DEAR SANTA

 

2024 – USA

 

Réalisé par Bobby Farrelly

 

Avec Jack Black, Robert Timothy Smith, Brianne Howey, Hayes MacArthur, Jaden Carson Baker, Kai Cech, Keegan-Michael Key, Post Malone, P.J. Byrne

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

C’est au tout début des années 2010 que les scénaristes Pete Jones et Kevin Barnett pitchent aux frères Farelly l’idée de Dear Santa : un enfant envoie une lettre au Père Noël mais se trompe dans l’orthographe, écrivant « Satan » au lieu de « Santa ». Les créateurs de Mary à tout prix et Dumb & Dumber sont immédiatement conquis. Il leur faudra pourtant plus de dix ans pour monter le film, trouver la juste tonalité et les interprètes idéaux. « Nous ne voulions pas faire de film d’horreur, nous voulions faire un vrai conte de Noël qui puisse s’adresser à toute la famille », explique Bobby Farrelly. « Voilà pourquoi nous avons choisi Jack Black dans le rôle principal. Il a un côté diabolique, et en même temps vous ne pouvez pas vous empêcher de l’aimer, parce qu’il est très drôle. » (1) La star du King Kong de Peter Jackson retrouve ainsi les Farrelly deux décennies après L’Amour extra large. Bizarrement, un autre film produit en même temps repose exactement sur le même principe et possède d’ailleurs un titre très similaire : Dear Satan, réalisé par le Philippin RC Delos Reyes et prévu pour une sortie en septembre 2024, mais jamais distribué à cause de sérieuses démêlées avec la censure (visiblement, on ne s’amuse pas à mélanger le diable et les fêtes de fin d’années dans cette partie de l’Asie). Il est donc difficile de savoir s’il y a plagiat ou s’il s’agit d’un étrange hasard.

Dear Santa tourne autour de la vie de Liam Turner (Robert Timothy Smith), un gamin de onze ans sympathique mais un peu à l’écart, qui souffre de dyslexie et surtout de la tension permanente qui règne entre ses parents. Un drame passé semble avoir frappé la petite famille, mais à ce stade nous n’en savons pas plus. Amoureux d’une fille qui lui semble inaccessible, ami avec un garçon aussi peu populaire que lui, Liam est un peu trop grand pour croire encore au Père Noël. Mais s’il y a ne serait-ce qu’une infime chance qu’il existe, pourquoi ne pas lui écrire et formuler un vœu ? Qu’y a-t-il à perdre ? Malgré la réaction embarrassée de son père (Hayes MacArthur), qui voudrait le voir grandir, et avec l’approbation de sa mère (Brianne Howey), qui a tendance à le surprotéger, Liam rédige donc une lettre à l’attention de ce bon vieux Santa Claus. Mais la dyslexie lui joue des tours : au lieu de « Cher Santa », il écrit « Cher Satan ». Aussitôt, la missive arrive à bon port, c’est-à-dire en Enfer. Le soir-même, Satan (Jack Black) débarque dans la chambre de Liam et lui propose d’exaucer trois de ses vœux en échange de son âme…

Un Noël d’enfer

Au-delà de la force de son concept, Dear Santa s’appuie sur la justesse de son casting. Jack Black dévore bien sûr l’écran dans le rôle de ce diable sympathique mais machiavélique. Les Farrelly le laissent en totale roue libre, permettant à son enthousiasme exubérant de se propager chez les spectateurs. Robert Timothy Smith lui donne la réplique avec beaucoup de conviction, dans le rôle d’un garçon complexé mais particulièrement vif qui désarçonne Satan par sa logique imparable et son empathie incompréhensible. Du côté des adultes, Brianne Howey et Hayes MacArthur nous livrent une prestation à fleur de peau en perpétuel équilibre entre le rire et l’émotion, offrant au film son supplément d’âme. On note aussi la présence toujours délectable de Keegan-Michael Key, qui campe ici un psychiatre hilarant. Pris séparément, tous ces ingrédients fonctionnent à merveille. Le mélange a pourtant du mal à prendre. Dear Santa nous donne sans cesse le sentiment de ne pas aller assez loin, comme si Bobby Farrelly se bridait, partagé entre l’envie de faire rire en gardant son impertinence naturelle et celle de ne pas trop heurter le grand public. Nous nous retrouvons de fait avec un film hybride qu’on aurait aimé plus percutant dans ses rebondissements et plus incisif dans ses traits d’humour. Un peu tiède, le résultat ne convainquit sans doute qu’à moitié les dirigeants de Paramount, qui le sortirent directement sur leur plateforme de streaming en toute discrétion.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur ComingSoon.net en novembre 2024.

 

© Gilles Penso


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THE HORRIBLE DOCTOR BONES (2000)

Un célèbre producteur de musique spécialisé dans le hip-hop fomente un plan machiavélique pour dominer le monde…

THE HORRIBLE DOCTOR BONES

 

2000 – USA

 

Réalisé par Ted Nicolaou

 

Avec Darrow Igus, Larry Bates, Sarah Scott Davis, Rhonda Claerbaut, Danny Wooten, Tangelia Rouse, Derrick Delaney, Nathaniel Haywood, Manoushka Guerrier

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I ZOMBIES I SAGA CHARLES BAND

Après Ragdoll : magie noire, le producteur Charles Band poursuit dans la veine de la blaxploitation urbaine en initiant un second film s’appuyant sur un concept voisin. Il est donc à nouveau question d’un groupe de jeunes musiciens qui rêvent de percer dans le milieu du hip-hop et font face à une menace diabolique. Écrit par Raymond Forchion (un acteur qu’on a vu dans des dizaines de séries et de films comme Massacres dans le train fantôme, Le Vol du navigateur, Mac et moi ou Point Break), The Horrible Doctor Bones est mis en scène par Ted Nicolaou. Fidèle collaborateur de Band, le réalisateur doit composer avec un planning encore plus serré et un budget encore plus réduit que d’habitude. « Ce film a été tourné en neuf jours », se souvient-il amèrement. « C’est là que j’ai réalisé que je ne pourrais jamais faire un film qui me plairait en si peu de temps. » (1) Pas très fier, Nicolaou demande à être crédité sous le nom d’Art Carnage au générique (un pseudonyme qui ne manque pas d’ironie !). Lors de ses ressorties ultérieures en DVD puis en streaming, The Horrible Doctor Bones sera vendu comme un film dans la lignée de Bones et Hood of Horror avec Snoop Dogg, qui sont pourtant loin d’être des chefs d’œuvre.

Les Urban Protectors, un jeune groupe de hip-hop très prometteur, remportent un concours de talents organisé par Dr. Bones (Darrow Igus), célèbre producteur de disques et propriétaire de la station KZMB. Enthousiastes, les quatre musiciens signent rapidement avec le label Boneyard Records. Leur rêve de percer dans l’industrie musicale semble à portée de main. Mais Jamal (Larry Bates), auteur-compositeur et manager du groupe, se méfie de Dr. Bones. Le spectateur ne saurait lui donner tort, une scène prégénérique ayant montré cet étrange sorcier coiffé de dreadlocks en train de faire exploser à distance la tête d’un pauvre gars après l’avoir soumis à une musique visiblement diabolique. Car derrière sa voix enjôleuse et son sourire charmeur, Bones est un sorcier vaudou machiavélique désireux de contrôler les esprits à travers la musique. Son plan ? Dominer le monde en transformant les auditeurs de sa radio en zombies grâce aux chansons du groupe, qu’il mixe en live avec des incantations d’outre-tombe. Signer sous son label, c’est donc en quelque sorte se soumettre à un pacte digne de Faust…

La musique zombifie les mœurs

Les vingt premières minutes du film nous font rapidement comprendre que Nicolaou va devoir tirer à la ligne, faute de temps, nous imposant trois chansons hip-hop d’affilée chantées dans un très mauvais play-back. C’est de beaucoup de patience qu’il va donc falloir nous armer pour tenter d’apprécier le film. Car The Horrible Doctor Bones manque cruellement de péripéties (l’intrigue se traîne, les personnages n’en finissent pas de discuter dans le vide) et trahit un certain amateurisme indigne du réalisateur de la saga Subspecies. La prise son directe est parfois inaudible, les images tournées en extérieurs sont surexposées, les décors d’une pauvreté désarmante, les effets vidéo très maladroits… Restent quelques maquillages spéciaux réussis bricolés par Gabe Bartalos (Frère de sang, Elmer le remue-méninges, Sideshows), comme la version « maléfique » du docteur Bones ou cette femme zombie aux yeux cousus. Mais c’est un peu court pour maintenir un semblant d’attention. C’est d’autant plus dommage que l’idée initiale – l’emploi de la musique pour manipuler les foules – ne manquait pas d’intérêt. Hélas, Nicolaou n’a pas les moyens de tirer grand-chose de ce scénario et emballe donc la chose à la va-vite, sans talent ni passion. Les deux films suivants de cette série « urbaine » seront Killjoy et The Vault.

 

(1) Propos extraits du livre « It Came From the Video Aisle ! » (2017) 

 

© Gilles Penso


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LOVE LIES BLEEDING (2024)

La romance trouble qui s’installe entre une jeune femme tourmentée et une culturiste sculpturale prend une tournure très inattendue…

LOVE LIES BLEEDING

 

2024 – USA

 

Réalisé par Rose Glass

 

Avec Kristen Stewart, Katy O’Brian, Ed Harris, Jena Malone, Anna Baryshnikov, Dave Franco, Eldon Jones, Catherine Haun, Orion Carrington

 

THEMA NAINS ET GÉANTS

Comme son titre l’indique, ce film nous parle d’amour, d’une véritable love story qui commence par une attirance physique mutuelle entre deux femmes, et qui se termine en couple soudé pour le meilleur et surtout le pire. Avec une « She-Hulk » à qui il ne manque que la couleur verte, et une « tomboy » écorchée vive par une enfance à la merci d’un père criminel et tordu, si ce conte moderne s’achève en laissant un bain de sang derrière lui, il semble que ce soit pour mieux s’interroger sur la question qui devient de plus en plus perturbante au fil de l’action : jusqu’où irait-on par amour s’il fallait trahir ses valeurs intrinsèques pour protéger l’être cher ? Ici, deux êtres forts mais en détresse sentimentale, un peu à la dérive, se retrouvent en harmonie pour combler leur manque d’amour, enfoui dans leur détermination à s’en sortir.

Pour l’une, Jackie (Katy O’Brian), culturiste, l’ambition est de gagner une compétition de bodybuilding à Las Vegas, se faire un nom et travailler comme coach sportif à Los Angeles, face à la mer. Pour l’autre, Lou (Kristen Stewart), qui travaille dans une salle de sport appartenant à un père qu’elle méprise à juste titre, il s’agit de protéger sa sœur, victime consentante d’un mari violent dont elle espère la débarrasser avant qu’il n’arrive à la tuer. Mais dans la moiteur du sud des Etats-Unis, les corps, pourtant faits pour s’aimer avec ferveur et passion, s’affolent au fil des meurtrissures de l’âme, du vice et des coups tordus d’un caïd paternaliste (Ed Harris) qui fait régner corruption et frayeurs dans la bourgade.

Un thriller fantastique sous stéroïdes

Tourné à Albuquerque, au Nouveau Mexique, avec des talents locaux, ce deuxième film de la réalisatrice britannique Rose Glass, après Saint Maud, Grand Prix au Festival Fantastique de Gérardmer, ne délaisse pas le fantastique pour autant en le distillant savamment sous ses allures de thriller. C’est ainsi que, sous la double emprise de la colère et du dopage qu’elle s’injecte pour développer ses muscles, une force surhumaine s’empare de Jackie qui finit par se transformer en géante dans des scènes sorties tout droit d’Attack of the 50 Foot Woman. La réalisation du film est tout aussi musclée que sa super-héroïne, bénéficiant de la splendide photo de Ben Fordesman qui avait déjà servi la cinéaste sur son film précédent, mais aussi de la bande originale rock, pop, et envoutante de Clint Mansell (ex PWEI, Pop Will Eat Itself), déjà célèbre comme compositeur entre autres pour son travail sur tous les films de Darren Aronofsky de Pi (1998) à Noé (2014) en passant par Requiem for a Dream (2000).

 

© Quélou Parente


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SHERLOCK HOLMES CONTRE JACK L’ÉVENTREUR (1965)

Le détective et l’assassin les plus célèbres de tous les temps s’affrontent dans cette savoureuse production britannique…

A STUDY IN TERROR

 

1965 – GB

 

Réalisé par James Hill

 

Avec John Neville, Donald Houston, John Fraser, Anthony Quayle, Barbara Windsor, Adrienne Corri, Frank Finlay, Judi Dench

 

THEMA TUEURS

Si Arthur Conan Doyle n’a jamais consacré un seul de ses romans à une enquête de Sherlock Holmes liée aux agissements sanglants de Jack l’éventreur, la tentation de faire se rencontrer les deux personnages était trop forte pour qu’un jour où l’autre le cinéma ne tente pas l’aventure. Écrit par Donald et Derek Ford (Le Spectre maudit), le scénario de Sherlock Holmes contre Jack l’éventreur tente ainsi le grand écart entre la réalité et la fiction. Le titre original du film se réfère à celui d’un roman spécifique (A Study un Scarlet de 1887) et le dialogue que le célèbre détective entame avec son frère Mycroft à propos de « l’affaire du manoir » est fidèlement repris à la nouvelle The Greek Interpreter que Doyle écrivit en 1893. Parallèlement, le film met en scène cinq victimes de l’éventreur (Annie Chapman, Mary Ann Nichols, Elizabeth Stride, Catherine Eddowes et Mary Jane Kelly) qui ont réellement existé et sur lesquelles Scotland Yard a mené ses investigations. La mise en scène est assurée par James Hill, qui allait se spécialiser dans la réalisation d’épisodes de séries TV britanniques très recommandables telles que Chapeau Melon et bottes de cuir, Le Saint ou Amicalement vôtre, et à qui nous devons également Le Capitaine Nemo et la ville sous-marine.

En 1888, le quartier de Whitechapel devient le théâtre de plusieurs meurtres nocturnes visant des prostituées. Sherlock Holmes (John Neville), d’abord informé de ces crimes par les récits de son ami, le docteur John Watson (Donald Houston), se retrouve impliqué de manière inattendue lorsqu’il reçoit par la poste une trousse de chirurgien incomplète, à laquelle manque un couteau de dissection. Grâce à son œil acéré, Holmes découvre des armoiries dissimulées dans le coffret, celles de la noble famille Osborne. Cette piste les mène, Watson et lui, jusqu’à la propriété du duc de Shires (Barry Jones). Sur place, ils apprennent que la trousse appartenait autrefois à Michael Osborne (John Cairney), le fils aîné de la famille, aujourd’hui disparu et en disgrâce auprès de son père. Ils font également la connaissance de Lord Edward Carfax (John Fraser), le frère cadet de Michael. Poursuivant l’enquête, Holmes découvre qu’un prêteur sur gage a récemment reçu le coffret des mains d’une certaine Angela Osborne (Adrienne Corri). Il charge alors Watson de retrouver cette femme à l’asile pour déshérités du docteur Murray (Anthony Quayle). Pendant ce temps, les effroyables meurtres de Jack l’Éventreur continuent de semer la terreur dans Londres…

Un slasher victorien

Futur Baron de Munchausen pour Terry Gilliam, John Neville est un excellent Sherlock Holmes, son mélange subtil d’élégance, de cynisme et de flegme froid rappelant la prestation de Peter Cushing dans Le Chien des Baskerville. Neville reprendra et enrichira d’ailleurs ce rôle quelques années plus tard sur les planches de Broadway. Le casting, orné de toute une galerie de solides comédiens britanniques, laisse aussi la part belle à Donald Houston, très convaincant en Watson, et laisse apparaître Judi Dench, future interprète de M pour la saga James Bond. Sacrifiant à un certain classicisme, la mise en scène de James Hill laisse toutefois la part belle à quelques idées visuelles très intéressantes, comme ce plan séquence en caméra subjective décrivant – du point de vue du tueur – l’agression d’une des prostituées, un procédé qui sera repris à son compte par John Carpenter pour Halloween, puis deviendra le passage obligatoire de nombreux slashers. La révélation finale est certes un peu décevante, sans toutefois gâcher le plaisir éprouvé par ce long-métrage composite – à mi-chemin entre le film d’épouvante victorien et l’enquête policière en costumes – qui bénéficie en outre d’une très belle partition de John Scott mêlant l’orchestre à d’étranges mélodies solistes à la mandoline.

 

© Gilles Penso


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JOKER : FOLIE À DEUX (2024)

Cette suite des mésaventures du clown macabre revêt la forme inattendue d’une comédie musicale dépressive. La blague de trop ?

JOKER : FOLIE A DEUX

2024 – USA

Réalisé par Todd Philips

Avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson, Catherine Keener, Zazie Beetz, Steve Coogan, Harry Lawtey, Leigh Gill, Ken Leung, Jacob Lofland, Bill Smitrovich

THEMA SUPER-VILAINS I SAGA DC COMICS

Pourquoi diable Todd Phillips, humble faiseur de comédies plus ou moins légères (la trilogie Very Bad Trip, Starsky et Hutch), ayant pleinement profité du système, s’est-il soudain autoproclamé artiste maudit pourfendeur d’Hollywood ? A l’instar de son « héros » à qui l’on demande constamment s’il a une histoire drôle à raconter, le réalisateur en aurait-t-il eu plus qu’assez de faire ce qu’on lui demandait ? L’engouement massif suscité par le Joker premier du nom avait pourtant démontré qu’il était encore possible aujourd’hui de livrer une œuvre nihiliste au rythme lent et de toucher un large public. La performance alors exceptionnelle de Joaquin Phoenix, tantôt pathétique tantôt terrifiant, les intelligentes trahisons faites au matériau d’origine (notamment le handicap du personnage justifiant son rire nerveux), et le soin tout particulier apporté à la mise en scène et à la photographie, parvenant à émuler l’atmosphère et le grain cafardeux des 70’s, autant de qualités indéniables qui permettaient d’oublier des influences envahissantes (La Valse des pantins et Taxi Driver en tête) ainsi qu’un manque de subtilité embarrassant dans le traitement du sujet de fond (face aux méchants riches, seuls l’anarchie et le chaos prévalent).

Heureusement, le film se terminait nappé d’une ambiguïté plus intéressante, voyant un psychopathe devenu symbole de liberté porté aux nues dans un asile à ciel ouvert. Philipps avait donc déjà scruté jusqu’au vertige son monstre en devenir et souligné le fait qu’il soit le seul à s’esclaffer quand il faudrait pleurer, offrant le triste miroir d’un monde à la dérive ne sachant plus où se situe son humanité. Las, la séquelle qui nous occupe ici ne s’avère être qu’une indigente thérapie à 200 millions de dollars, échouant sur tous les tableaux avec une arrogance horripilante. Mauvais film de procès ne cessant de ressasser ad nauseam les éléments du premier volet cités plus haut, analyse pachydermique des maladies mentales enfonçant des portes ouvertes, piètre comédie musicale (ce cher Todd n’a pas dû en regarder beaucoup, ou alors seulement La La Land) à la mise en images banale, aux textes sur-explicatifs des tourments des protagonistes et aux arrangements chouinants de pub télé, l’œuvre manque qui plus est cruellement de la folie promise dans son titre, n’atteignant jamais de véritable alchimie entre réalisme et fantasme (au contraire de Dancer in the Dark de Lars Von Trier auquel le réalisateur emprunte beaucoup).

Joker in the Dark

Les rares défenseurs du film (dont un Quentin Tarantino en plein ego trip qui y a fantasmé son Tueurs nés revisité) clameront que ce cuisant échec public et critique donne raison à son orchestrateur et à son doigt d’honneur visant la vénalité de Warner et DC. La triste vérité est tout autre : ce doigt d’honneur s’adresse avant tout aux spectateurs et à leurs attentes légitimes, Phillips refusant en bloc de faire autre chose que du surplace 2h18 durant, se moquant complètement du Joker (Phoenix, anesthésié, en est ici réduit à jeter constamment la tête en arrière en crachant sa fumée de cigarette), de ses illusoires amours avec Harley Quinn (pauvre Lady Gaga qui se retrouve avec bien peu à exprimer) et de l’univers qu’il a lucrativement investi. Jack Burton et The Thing s’affirmaient comme des gestes artistiques rebelles absolus au sein d’un système hollywoodien oppressif, Gremlins 2 affichait le panache d’un superbe suicide commercial, Kill Bill 2 et The Devil’s Rejects proposaient de véritables remises en question de leurs prédécesseurs… Joker 2 se borne à ériger un monument de prétention bêtement symptomatique du cynisme faussement décalé de son époque.

 

© Julien Cassarino


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MI BESTIA (2024)

Mila, 13 ans, est confrontée à une prophétie qui annonce la venue du diable le jour de la fête de la Lunada…

MI BESTIA

 

2024 – COLOMBIE / FRANCE

 

Réalisé par Camila Beltran

 

Avec Stella Martinez, Mallerly Murillo, Marcela Mar, Hector Sanchez

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

La cinéaste Camila Beltrán a fait des études artistiques en Colombie avant d’intégrer la prestigieuse Ecole nationale supérieure d’arts de Paris-Cergy. Pedro Malheur, son court-métrage de fin d’études, a obtenu la mention spéciale du Jury au Festival de Clermont-Ferrand en 2014 et son dernier Pacifico Oscuro a été sélectionné au Festival de Locarno en 2020. Également productrice avec sa société Fellina Films, elle signe avec Mi Bestia, conte horrifique dont le titre est inspiré d’El Dia de la Bestia d’Alex de la Iglesia, un premier long-métrage envoutant et réussi. Portée par le charme de Stella Martinez, son actrice principale filmée en (très) gros plan, l’histoire évoque les souvenirs réels de l’enfance de la cinéaste à Bogota (où est tourné le film), et spécialement des fêtes locales de la Lunada. « Au départ, je ne pensais pas que je faisais un film de genre, parce que la croyance de la venue du diable faisait partie de notre vie », raconte-t-elle. « Il y avait des affiches là-dessus, et je me souviens que tout le monde en avait peur. Ce qui paraît fantastique ici, là-bas c’est le quotidien. » (1)

Le diable, « qui rode en permanence », va profiter de l’arrivée de la lune rouge et d’une éclipse pour se manifester, ainsi est la prophétie, telle que l’assure la religieuse de l’établissement catholique de Mila, élève solitaire et taciturne dont la mère, souvent absente, est occupée par son travail et son amant. D’ailleurs l’insistance de ce dernier à veiller absolument sur Mila est de plus en plus suspecte. Bénéficiant de cadrages serrés s’approchant au plus près des émotions de la jeune fille, Mi Bestia nous raconte intimement les évènements qui la distinguent et l’isolent de son entourage, et qui finissent par la transformer en créature, en démone ou en diable. « C’est un pouvoir que Mila ne comprend pas mais qu’elle accueille et qu’elle accepte », explique la réalisatrice. « Au moment de la transformation, une musique un peu mélancolique accompagne une sorte de sortie, de libération, de survol. Il ne s’agit ni d’un affrontement, ni du besoin de se faire justice à travers une certaine violence venue du monstre ou de l’animal. » (2)

Nuit démonique à Bogota

Doté d’une belle photo dans un format carré 1.33 assez rare à l’heure du 16/9 numérique, ce long-métrage de la réalisatrice colombienne Camila Beltrán, programmé dans la sélection de l’Acid Cannes, s’inscrit dans la lignée des films où l’arrivée de la puberté se confond avec une transformation redoutable sous le poids et l’influence des diktats religieux, des superstitions et des légendes. Métamorphose monstrueuse dans Tiger Stripes d’Amanda Nell Eu, dangereuse dans El Agua d’Elena López Riera, ou démoniaque dans Mi Bestia, tous ces films exempts de manichéisme, véhiculent une poésie métaphorique, et, comme le Carrie de Brian de Palma en 1976, parlent en filigrane de solitude, de différence, de mise au ban, d’agression, d’incertitudes, et de la difficulté à apprivoiser son corps lorsqu’il se transforme à l’adolescence.

 

(1) et (2) Propos recueillis par Quélou Parente en mai 2024

 

© Quélou Parente


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SILENT BITE (2024)

Un groupe de gangsters déguisés en Pères Noëls se réfugient avec leur butin dans un hôtel où les guette une menace inattendue…

TITRE ORIGINAL

 

2024 – CANADA

 

Réalisé par Taylor Martin

 

Avec Luke Avoledo, Nick Biskupek, Camille Blott, Louisa Capulet, Sayla de Goede, Dan Molson, Simon Philips, Chad Ridgely, Kelly Schwartz, Sienna Star

 

THEMA VAMPIRES

Toujours prompt à souiller Noël avec des gerbes de sang, le scénariste Simon Philips s’était déjà rendu coupable des scripts de Once Upon a Time at Christmas en 2017 et de The Nights Before Christmas en 2019. Silent Bite s’inscrit dans la même mouvance, mêlant horreur, comédie et fêtes de fin d’année. Les deux films précédents n’ayant pas particulièrement marqué les mémoires, pas plus que le dernier travail d’écriture en date de Philips (Mickey’s Mouse Trap), nous ne savions trop quoi espérer de ce nouvel opus, confié au réalisateur Taylor Martin qui signe là son premier long-métrage. Le jeu de mot du titre, qui s’amuse à remplacer « nuit » par « morsure » dans l’expression « Silent Night », passe forcément beaucoup moins bien en français (les esprits grivois auront même du mal à réfréner quelques rires gras, comment leur en vouloir ?). Silent Bite commence sur des chapeaux de roue. Un générique constitué de cartons dessinés façon comic book (qui semblent avoir été bricolés avec une I.A.) s’égrène avec dynamisme tandis que retentit une reprise rock de « Jingle Bells ». Conditionnés, nous nous calons dans notre fauteuil près du sapin et des guirlandes en attendant tranquillement la suite. Après tout, nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise.

La veille de Noël, une bande de braqueurs déguisés en Pères Noël dévalise une banque. Après leurs méfaits, Prancer (Luke Avoledo), Grinch (Nick Biskupek), Father Christmas (Simon Phillips) et Snowman (Michael Swatton) trouvent refuge au Jolly Roger Inn and Resort, un motel isolé en plein désert. Pendant ce temps, leur complice Rudolph (Dan Molson) détourne l’attention de la police en les éloignant le plus possible de ses partenaires et du butin. Le propriétaire du motel (Paul Whitney), attiré par une part du gâteau, accepte de les héberger en toute discrétion. Mais la tranquillité espérée tourne court lorsque quatre femmes séduisantes, également clientes de l’hôtel, se mettent à éveiller la méfiance des braqueurs. Leur instinct ne les trompe pas : ces créatures mystérieuses sont en réalité des vampires, bien décidées à se mettre les gangsters sous la dent pour leur dîner de Noël. La situation se complique encore lorsque l’un des braqueurs découvre dans une des chambres du motel qu’une captive du quatuor infernal est en train de se transformer en vampire…

Ça sent le sapin

Même s’il ne peut s’empêcher de payer son tribut à Quentin Tarantino (en reprenant la structure narrative d’Une nuit en enfer et en puisant dans Reservoir Dogs l’idée de la dispute à propos des noms de code), Silent Bite part plein d’entrain, grâce à son rythme nerveux, ses dialogues qui fusent et sa tonalité légère. Mais l’originalité espérée n’est pas vraiment au rendez-vous. Les situations nous sont déjà familières (on pense à une infinité d’autres films de vampires, y compris Abigail qui confrontait aussi en huis-clos une suceuse de sang avec des malfaiteurs), les personnages très stéréotypés et les péripéties finalement assez limitées. Et si les interprètes des gangsters exhalent un certain charisme (l’acteur/scénariste Simon Phillips en tête), les actrices qui incarnent les vampires manquent cruellement de crédibilité et de conviction, comme si elles n’y croyaient pas eux-mêmes. C’est notamment le cas de Sayla de Goede, la « mère » des créatures de la nuit qui multiplie les mimiques caricaturales et les gestuelles théâtrales. Une poignée d’idées amusantes saupoudrent certes le film (comme le réceptionniste qui donne le sentiment de parler tout seul puisque la caméra de surveillance n’enregistre pas les vampires) mais son potentiel prometteur s’évapore bien vite. Pas spécialement drôle, pas du tout effrayant, plombé par une poignée d’effets numériques approximatifs, chiche en sang et en gore, Silent Bite a du mal à se positionner et nous fait finalement l’effet d’un pétard mouillé.

 

© Gilles Penso


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CREATION OF THE GODS I : KINGDOM OF THE STORMS (2023)

Ce film de tous les superlatifs raconte l’histoire d’un prince tyrannique causant la perte du royaume des Shang à l’époque des derniers empires chinois…

FENG SHEN 1 : ZHAOGE FENG YUN

 

2023 – CHINE

 

Réalisé par Wuershan

 

Avec Huang Bo, Kris Philips, Suejian Li, Yu Xia, Kun Chen, Quan Yuan, Le Yang, Yosh Yu, Chen Muchi, Bayaertu, Bayalag, CiSha, Yongdai Ding, Shaofeng Feng

 

THEMA HEROIC FANTASY I SORCELLERIE ET MAGIE

Creation of the Gods est une trilogie fantastique adaptée entre autres d’un roman classique du 16° siècle de Xu Zhonglin, Investiture of the Gods, qui mélange légendes, mythologie et faits historiques. Il raconte l’histoire d’un prince tyrannique qui va causer la perte du royaume des Shang à l’époque des vrais derniers empires chinois sous les dynasties Song, Yuan et Ming. Selon la sagesse confucéenne, la loyauté, la subordination à ses supérieurs et la piété filiale représentent des valeurs fondamentales sur lesquelles reposent l’harmonie sociétale et même cosmique. Si l’autorité divine autorisait un empereur à gouverner, elle pouvait tout aussi bien lui retirer ce droit si son comportement cessait d’être vertueux, provoquant la chute de l’Empire. C’est ainsi que, selon un pacte appelé le Mandat Céleste, les révoltes contre une dynastie se justifiaient dès lors qu’un souverain perdait la confiance et le respect de son peuple (dont le bonheur était le garant d’une bonne conduite de ses gouverneurs). Le parricide et la désobéissance à son supérieur étaient donc deux interdits absolus pour qu’une dynastie se perpétue sous de bons auspices. Mais lorsqu’un roi déroge lui-même à la règle, rompant le pacte avec les divinités du Ciel et provoquant le chaos dans le royaume, à qui se fier et à qui obéir ? C’est tout l’enjeu de ce mythique Kingdom of the Storms orchestré par Wuershan, diplômé de la prestigieuse et très sélective Beijing Film Academy dont les étudiants cumulent au fil des ans un nombre impressionnant de prix internationaux.

Wuershan a déjà réalisé des fresques historiques fantastiques basées sur les contes et légendes de la Chine ancienne, et il n’en est pas à sa première représentation du « démon renard » que l’on retrouve ici sous les traits d’une splendide femme, Su Daji (Naran). Serait-elle réellement responsable de la cruauté du tyrannique souverain ? Ou, comme elle le dit elle-même, n’a-t-elle fait que répondre à ses désirs enfouis de puissance ? Car la sagesse des anciens enseigne que les pensées, bonnes ou mauvaises, ne viennent pas par hasard. Lorsqu’elles attirent l’attention des dieux comme des démons, c’est aux hommes de se comporter de façon à rétablir l’équilibre du monde. Si l’atmosphère de Creation of the Gods, avec sa montagne sacrée et maudite où les dieux immortels orchestrent le bien et le mal à l’abri des regards humains, rappelle d’une certaine manière Zu, Warriors of the Magic Mountain, film de 1983 réalisé par Tsui Hark, c’est que les deux films répondent aux codes et à la philosophie du wu xia pan, tel que le cinéma martial hongkongais nous y a habitués.

L’Empire du milieu contre-attaque

On retrouve ici des personnages qui s’envolent lors de combats spectaculaires où la magie n’est jamais loin, une philosophie taoïste basée sur les concepts du yin et du yang où des prêtres et des sages vêtus de blanc y affrontent des êtres démoniaques toujours en noir, où les différents clans ont des costumes de couleurs bien tranchées pour les différencier, et où les conflits se règlent majoritairement à la pointe de l’épée ou du sabre avec des interventions surnaturelles… Toute ressemblance avec l’heroic-fantasy occidentale n’étant pas fortuite. A noter que les costumes sont dessinés par Timmy Yip, oscarisé pour Tigre et dragon d’Ang Lee avec les stars Chow Yun-fat et Michelle Yeoh. Malgré la sensualité des corps, on notera que l’amour y est inaccessible, la beauté féminine insaisissable, voire dangereuse, et que la musique symphonique s’efface, lors des scènes romantiques, derrière des chansons qui nous hantent généralement des années durant. Ici, elle est signée du compositeur Gordy Haab, souvent comparé à John Williams. Les nostalgiques noteront que les SFX et les décors artisanaux d’autrefois, sculptés par des éclairages multicolores qui n’avaient rien à envier à ceux de Mario Bava, ont laissé leur place à l’ère du numérique à un foisonnement de plans truqués avec des images de synthèse dont le rendu inégal reste cependant assez impressionnant pour que se succèdent les sensations fortes. Avant l’épisode II, Demonic Confrontation, et l’épisode III, Creation Under Heaven, Kingdom of Storms est déjà fort de son énorme succès en Chine (sacré Coq d’or 2023) comme à l’international.

 

© Quélou Parente


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STREET TRASH (2024)

Cette suite tardive du film culte de Jim Muro peine à convaincre malgré sa profusion de séquences gore et dégoulinantes…

STREET TRASH

 

2024 – USA

 

Réalisé par Ryan Kruger

 

Avec Sean Cameron Michael, Donna Cormack-Thomson, Joe Vaz, Lloyd Martinez Newkirk, Shuraigh Meyer, Gary Green, Warrick Grier, Andrew Roux, Ryan Kruger

 

THEMA MUTATIONS I FUTUR

Très amateur du cinéma fantastique des années 80, l’acteur/réalisateur Ryan Kruger avait créé une petite surprise avec son film déjanté Fried Barry qui, à travers son histoire invraisemblable de junkie enlevé par des extra-terrestres, ne cessait de rendre hommage à la pop culture des eighties (les films de Spielberg, Cameron, Dante, Carpenter, mais aussi les clips musicaux de l’époque). Lorsque se présente pour lui l’opportunité de revisiter Street Trash, il n’hésite pas longtemps. « Dans les années 80 et au début des années 90, Street Trash faisait partie de ces films que mes amis et moi regardions en vidéo à deux heures du matin – nous l’avions en VHS et nous le faisions circuler », raconte-t-il. « Cela faisait partie de notre enfance. » (1) Pour autant, Kruger ne veut pas se lancer dans un remake (contrairement à ce que pourrait faire croire la simple reprise du titre original) mais plutôt dans une suite centrée sur d’autres personnages et d’autres péripéties. « Il était très important pour moi, en tant que fan du film original, de ne pas le copier mais de proposer autre chose » (2), confirme-t-il. Installé en Afrique du Sud depuis 2008, il y situe logiquement son action. Et si un dialogue mentionne rapidement « l’incident survenu à New York en 1987 », l’intrigue suit sa propre voie, indépendamment de celle du film de Jim Muro.

Nous sommes à Cape Town, 25 ans dans le futur. Le chômage s’est mis à grimper à la vitesse grand V, la misère a gagné les rues et les pronostics de réélection du maire Mostert (Warrick Grier) ne sont pas très engageants. Pour régler le problème des sans-abris une bonne fois pour toutes, Mostert demande à un groupe de scientifiques de créer secrètement et de produire à la chaîne un gaz susceptible de liquéfier tous les clochards, seul moyen selon lui de nettoyer enfin les rues de la cité. Pour plus d’efficacité, ce gaz est installé dans des drones qui sillonnent les quartiers mal famés en pleine nuit. Dans ce contexte sinistre, le scénario s’intéresse à un petit groupe de « homeless » survivant comme ils peuvent dans cette jungle urbaine qui prend vaguement les allures de celle de New York 1997 : l’ancien vétéran Ronald (Sean Cameron Michael), le philosophe Chef (Joe Vaz), les frères Wors et Paps (Lloyd Martinez et Shuraigh Meyer), le taciturne 2-Bit (Gary Green) et la nouvelle venue Alex (Donna Cormack-Thomson). Cette « famille » hétéroclite ne va pas tarder à se retrouver au cœur d’un affrontement explosif avec les forces de l’ordre…

Liquéfactions

La volonté de s’écarter du film original en installant celui-ci dans un cadre futuriste et dystopique est compréhensible, mais Ryan Kruger n’a ni les moyens de ses ambitions (l’étroitesse du budget est très souvent palpable, notamment dans les séquences de mouvement de foule), ni de véritables enjeux dramatiques à défendre. Ses personnages sont en effet des archétypes volontiers caricaturaux auxquels il est bien difficile de s’intéresser, et dont l’interprétation varie entre le charisme solide (Sean Cameron Michael) et le cabotinage embarrassant (Warrick Grier). Kruger continue de multiplier ses clins d’œil au cinéma qu’il aime (2-Bit est habillé comme Roger Rabbit, Alex joue les émules de Ripley dans Aliens, Chef a le même look que Stanley Kubrick) et développe quelques idées surprenantes (l’ami imaginaire qui apparaît sous forme d’un petit monstre bleu hargneux et lubrique). Mais une grande partie de ses effets comiques tombe à plat (notamment ce gag récurrent au cours duquel les personnages se tournent vers la caméra en s’adressant à un certain Offley dont on ne voit que les mains). Le bilan reste donc très mitigé. Fort heureusement, ce Street Trash a la bonne idée de ne jamais se réfréner sur les effets gore excessifs. En digne successeur de son modèle, il éclabousse donc régulièrement l’écran d’explosions de pustules multicolores, de liquéfactions visqueuses et de décompositions gluantes, en s’appuyant sur des effets spéciaux 100% physiques particulièrement efficaces. C’est hélas la seule chose véritablement réjouissante qu’il faudra se mettre sous la dent.

 

(1) Extrait d’une interview publiée sur Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


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