LES SURVIVANTS DE L’INFINI (1955)

Le vétéran Joseph Newman nous emmène aux confins de l'espace jusqu'à la mythique planète Metaluna

THIS ISLAND EARTH

1955 – USA

Réalisé par Joseph Newman

Avec Jeff Morrow, Faith Domergue, Rex Reason, Lance Fuller, Russell Johnson, Douglas Spencer, Robert Nichols

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES I MUTATIONS

Les Survivants de l’Infini est le trentième long-métrage de Joseph Newman, spécialisé notamment dans les films d’aventure, les films de guerre et les westerns. Il allait ensuite s’adapter au format télévisé, signant notamment des épisodes de La Quatrième dimension et d’Alfred Hitchcock présente, mais malgré sa prolifique carrière, c’est cette fable de science-fiction qui demeure son œuvre la plus fameuse, son seul véritable titre de gloire. Après avoir reçu d’un mystérieux expéditeur le manuel de construction d’une machine inconnue baptisée Interociter, deux savants atomistes, Cal Meacham (Rex Reason) et Ruth Adams (Faith Domergue), accueillent dans leur laboratoire l’étrange professeur Exeter (Jeff Morrow) et son adjoint Brack (Lance Fuller). Meacham et Adams engagent contre leur gré les couple de scientifiques. C’est alors qu’Exeter et Brack se révèlent être habitants de la planète Metaluna, chargés de découvrir sur Terre l’uranium nécessaire à la lutte qu’ils mènent contre une planète rivale, Zagon. Sur Metaluna, la situation est devenue critique et Exeter est rappelé par son « moniteur ». L’extra-terrestre s’envole donc à bord d’une soucoupe volante après avoir détruit ses installations et capturé les deux humains qui tentaient de fuir. Après un voyage impressionnant, ils arrivent à Metaluna, mais il est déjà trop tard. « Ces flash de lumière… Ce sont des météorites… Des centaines de météorites ! », commente Exeter face au spectacle désolant de sa propre planète mourante. « L’intense chaleur est en train de transformer Metaluna en un soleil radioactif. »

Auréolé du statut envié de classique de la science-fiction, Les Survivants de l’infini est surtout resté dans les mémoires pour ses décors somptueux, ses couleurs flashy et une poignée de scènes mouvementées qui se concentrent principalement dans sa dernière partie. Il s’agit principalement de l’odyssée de la soucoupe volante vers la planète Metaluna en plein déclin cataclysmique, au cours de laquelle les protagonistes voyagent debout dans des cylindres transparents leur donnant l’apparence de squelettes colorés, ou encore de l’attaque du mutant cuirassé dont la tête d’insecte se prolonge par un cerveau proéminent. Cette créature, qui menace à deux reprises Faith Domergue, s’est muée en véritable icône du cinéma de SF des années cinquante grâce à son design inventif. Pour muscler un peu ce climax spatial, le vétéran Jack Arnold fut apparemment sollicité par les patrons d’Universal et tourna ainsi lui-même quelques scènes additionnelles.

Voiture contre soucoupe volante

Mais la majeure partie du métrage se déroule sur Terre, d’abord dans le laboratoire des héros, intrigués par l’avancée technologique d’une société inconnue dirigée par le mystérieux Exeter, puis dans la somptueuse demeure dudit Exeter. L’idylle entre les deux jeunes protagonistes s’avère relativement insipide, d’autant que Faith Domergue, engoncée dans un uniforme exagérément serré, ne nous frappe pas par son sex-appeal. Cela dit, le film sait multiplier les péripéties captivantes, comme la construction fébrile de l’Interociter, la voiture pourchassée par la soucoupe volante, ou encore le sacrifice final d’Exeter. Comment ne pas envier les spectateurs américains qui eurent la chance, dans la chaleur de l’été 1960, d’apprécier une double programmation des Survivants de l’Infini et de Planète interdite, spécialement conçue pour une projection en drive-in ? 

 

© Gilles Penso

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LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (1953)

Cet ancêtre américain de Godzilla a révélé au grand jour le talent du magicien des effets spéciaux Ray Harryhausen

THE BEAST FROM 20 000 FATHOMS

1953 – USA

Réalisé par Eugène Lourié

Avec Paul Christian, Paula Raymond , Cecil Kellaway, Kenneth Tobey, Jack Pennick, Lee Van Cleef, Donald Woods

THEMA DINOSAURES

Très librement inspiré d’une nouvelle de Ray Bradbury publiée à l’époque dans le « Saturday Evening Post », Le Monstre des temps perdus met en scène un dinosaure carnivore réveillé par une explosion nucléaire en Arctique. Le monstre atomique nage dans le brouillard jusqu’à la côte new-yorkaise où il provoque maints et maints dégâts. Malgré les interventions répétées de l’armée, la bête semble indestructible. Les scientifiques tentent alors une solution ultime… Armés d’un budget ridicule et un scénario ramené à sa plus simple expression, le réalisateur Eugène Lourié (ancien directeur artistique de talent) et le créateur d’effets spéciaux Ray Harryhausen (qui effectue là ses premiers pas en solo) conçoivent avec Le Monstre des temps perdus l’un des meilleurs films sur le sujet pourtant largement galvaudé de la créature géante qui attaque le ville. Le monstre, un dinosaure inventé de toute pièce qui porte le nom imaginaire de Rhedosaurus, ressemble à un tyrannosaure quadrupède au regard particulièrement féroce. « Un vrai dinosaure n’aurait pas été assez grand pour les séquences que nous avions prévues », nous explique Harryhausen. « Nous avons donc conçu un dinosaure imaginaire. Nous étions plus préoccupés par les vertus dramatiques et spectaculaires de cette bête que par sa crédibilité scientifique » (1).

A la demande du producteur Hal Chester, soucieux d’amortir la maquette du monstre, et malgré les protestations du scénariste Fred Freiberger, attaché à une narration plus progressive, la bête apparaît dès le début du film, mais de manière d’abord furtive : derrière des glaciers au milieu d’une tempête de neige, la nuit sur la côte maritime, ou encore dans les fonds marins. La superbe séquence de la destruction du phare, en ombres chinoises, est la seule qui soit directement inspirée de la nouvelle de Bradbury. La scène suivante, dans laquelle le Rhedosaurus attaque New-York en plein jour, est très spectaculaire, compte tenu des maigres moyens du film. La foule en panique est à peine interprétée par 25 figurants et 12 voitures, mais le savoir-faire d’Eugène Lourié fait parfaitement illusion.

La solution vient de la science

L’armée intervient, certes, mais nous n’avons pas droit à l’éternel défilé d’armes et de véhicules de combat destiné à exposer fièrement toute la force de l’US Army, d’autant que les militaires s’avèrent incapables de détruire le monstre. Ce sont finalement les scientifiques, les premiers à avoir vu l’animal monstrueux et à avoir cru en son existence, qui ont raison de lui, au cours d’un final d’anthologie au sommet d’une montagne russe. Les cinéastes japonais s’inspireront très largement du Monstre des temps perdus pour mettre en chantier, dès l’année suivante, la prolifique série des Godzilla« En fait, l’histoire et le dinosaure de Godzilla ont été entièrement copiés sur Le Monstre des temps perdus. C’est pratiquement une copie carbone » (2), corrobore Ray Harryhausen qui, pour sa part, aurait bien mérité l’Oscar des effets spéciaux. Cette injustice, hélas, se répètera tout au long de sa carrière.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004.

© Gilles Penso

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LA QUATRIÈME DIMENSION (1983)

Steven Spielberg s'adjoint les services de trois talentueux réalisateurs pour rendre hommage à la série qui a bercé son enfance

TWILIGHT ZONE – THE MOVIE

1983 – USA

Réalisé par Steven Spielberg, John Landis, Joe Dante et George Miller

Avec Vic Morrow, John Lithgow, Scatman Crothers, Dan Aykroyd, Kevin McCarthy, Kathleen Quinlan, Helen Shaw 

THEMA MONDES VIRTUELS ET MONDES PARALLELES I VOYAGES DANS LE TEMPS I POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA STEVEN SPIELBERG

Créée par Rod Serling et diffusée sur les petits écrans américains entre 1959 et 1964, La Quatrième dimension est probablement la série de science-fiction la plus marquante et la plus influente de tous les temps. Véritable vivier de scénaristes, de réalisateurs et de comédiens, elle variait à l’infini la confrontation de personnages ordinaires à des phénomènes extraordinaires, et achevait chacun de ses épisodes sur une chute vertigineuse jouant notamment sur la théorie de la relativité et les faux-semblants. Steven Spielberg, John Landis, Joe Dante et George Miller font partie des innombrables réalisateurs profondément inspirés par La Quatrième dimensionPortés aux nues par les succès respectifs de E.T. l’extra-terrestreLe Loup-Garou de Londres, Hurlements et Mad Max 2, les quatre hommes ont décidé en 1983 de rendre hommage à Serling à travers un film à sketches reproduisant quatre de leurs épisodes préférés. Et comme on pouvait le craindre, malgré une telle conjugaison de talents, un budget conséquent et des effets spéciaux haut de gamme, le résultat pâlit de la comparaison avec son illustre modèle. Il y avait, dans la série initiale, une créativité de tous les instants palliant le manque évident de moyens. Or ici, les quatre golden boys, visiblement trop confiants, semblent s’être reposés sur leurs lauriers.

Seul le sketch de John Landis surnage réellement. Il met en vedette un irascible raciste interprété par Vic Morrow, qui se retrouve subitement dans la peau d’un Noir au milieu du ku-klux-klan, puis à la place d’un Juif parmi les nazis… Terrifiant et cynique, ce segment fut frappé, au cours de son tournage, par un accident dramatique qui coûta plusieurs vies, dont celle de Morrow, et bouleversa John Landis à tout jamais. Joe Dante et George Miller, de leur côté, s’attaquent à des récits mixant épouvante et comédie. Le premier raconte l’histoire d’un enfant doté de pouvoirs inquiétants qui terrorise sa famille tout entière, en faisant notamment apparaître un monstre aux côtés de son oncle apprenti-magicien et en effaçant la bouche de sa sœur trop bavarde. Le second narre la mésaventure du passager d’un avion qui panique en apercevant une hideuse créature occupée à détruire l’un des réacteurs de l’appareil. Panique d’autant plus aiguë qu’il est le seul à voir la scène…

Un film inégal frappé par une tragédie

La mise en scène de ces deux sketches est très soignée, et le casting des plus convaincants, mais le souvenir des vieux épisodes dont ils s’inspirent, plus sobres et plus efficaces, joue en leur défaveur. Quant à Spielberg, une fois n’est pas coutume, il tombe dans le piège de la mièvrerie larmoyante en attaquant trop frontalement une thématique qu’il maîtrise pourtant d’habitude : la préservation coûte que coûte d’une âme d’enfant. Du coup, son histoire de vieillards retombant en enfance grâce à une boîte magique tombe à plat. Curieusement, le quasi-remake qu’il produira deux ans plus tard, le fameux Cocoon, sera bien plus abouti. Bref, une initiative inégale, qui prouve une fois de plus combien la série de Rod Serling demeure unique au monde, atemporelle et inégalable.
© Gilles Penso

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JURASSIC PARK (1993)

Steven Spielberg s'empare du roman de Michael Crichton et réalise le film ultime sur les dinosaures

JURASSIC PARK

1993 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Sam Neill, Laura Dern, Jeff Goldblum, Richard Attenborough, Joseph Mazello, Ariana Richards, Samuel L. Jackson

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK I STEVEN SPIELBERG

Adapté du palpitant roman de Michael Crichton, Jurassic Park marque le retour de Spielberg dans le domaine de l’épouvante et du suspense, ses premières incursions dans le genre (Duel, Les Dents de la mer) figurant parmi ses plus belles réussites. À partir de moustiques conservés dans de l’ambre depuis l’ère secondaire, des chercheurs ont réussi à obtenir la molécule d’ADN de dinosaures dont ils ont reconstitué quinze espèces par clonage. Le richissime John Hammond a donc décidé de créer sur une île du Costa Rica un parc d’attractions peuplé de dinosaures vivants. Avant l’ouverture officielle, Hammond invite dans le parc le paléontologue Alan Grant, la paléobotaniste Ellie Sattler, le mathématicien Ian Malcolm, et ses petits-enfants, Tim et Lex. La première partie du film, qui présente chacun des acteurs du drame, ne laisse guère imaginer à quel point le récit s’apprête à basculer dans la peur, la violence et la panique. Grâce aux progrès combinés de l’animatronique et de l’image de synthèse, les magiciens des effets spéciaux réussissent à créer les dinosaures les plus crédibles jamais vus à l’écran. « Nous nous sommes efforcés de faire ressembler nos dinosaures à des animaux réels », nous explique Phil Tippett, qui a supervisé leur animation. « La difficulté était de les rendre malgré tout intéressants du point de vue du comportement et de la chorégraphie. C’était donc un exercice d’équilibre permanent entre la réalité paléontologique et l’intérêt dramatique. Notre tyrannosaure croque quand même un personnage à belles dents, comme dans un bon vieux film de Ray Harryhausen ! » (1)

Spielberg calque les ambitions de son film et du spectacle qu’il représente sur l’un de ses personnages, le businessman Hammond. Tous deux ambitionnent de faire fortune en offrant à un large public la vision de vrais dinosaures vivants et ils relèvent – chacun à sa manière – le défi. Cette adéquation du parc d’attractions dans le film avec le film lui-même apparaît complètement lorsque les héros, en voiture, entrent dans le parc jurassique par deux portes monumentales qui sont les répliques presque exactes de celles de King Kong. Dès lors, le spectateur entre lui aussi dans le parc, impatient de découvrir les merveilles qu’on lui a promises. La première apparition d’un gigantesque brachiosaure, vu sous toutes ses coutures, broutant paisiblement au sommet d’un arbre, relève presque du miracle.

L'alternance du spectaculaire et de la suggestion

Mais ce miracle ne serait justement qu’une attraction de foire si le réalisateur n’en avait accru la portée par une mise en scène des plus efficaces. Là où le cinéaste atteint les sommets, c’est lorsque son découpage joue sur les nerfs des spectateurs, alternant les effets spectaculaires et la suggestion pure. D’où deux séquences prodigieuses, l’attaque du T-Rex sur la route pluvieuse et l’agression des enfants par deux vélociraptors dans la cuisine, de purs morceaux d’anthologie à l’impact encore inégalé aujourd’hui. Pour contrebalancer avec ces moments d’épouvante, Spielberg dote son film d’une ironie permanente, en particulier à travers le personnage de Malcolm, à qui l’excellent Jeff Goldblum prête ses traits. Œuvre d’exception, Jurassic Park prouve encore, comme si c’était nécessaire, la virtuosité et l’éclectisme de son réalisateur.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998.

 

© Gilles Penso

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LES OISEAUX (1963)

Le plus fantastique des films d'Alfred Hitchcock raconte l'agressivité soudaine et inexplicable d'une nuée de volatiles

THE BIRDS

1963 – USA

Réalisé par Alfred Hitchcock

Avec Tippi Hedren, Rod Taylor, Jessica Tandy, Suzanne Pleshette, Veronica Cartwright, Ethel Griffies, Charles McGraw

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Si Alfred Hitchcock a souvent flirté avec le fantastique, notamment à travers les cauchemars surréalistes de La Maison du docteur Edwards ou l’atmosphère d’épouvante qui nimbe Rebecca et Les Amants du Capricorne, ses films les plus directement rattachés au genre sont les célèbres Psychose et Les Oiseaux, paradoxalement tous deux issus d’un fait divers réel. Alors que les cinéastes de SF des années 50 jetèrent leur dévolu sur les insectes et les reptiles mutants, l’auteur de La Mort aux trousses prend le pari d’effrayer son public avec des animaux à priori inoffensifs, voire des symboles habituels de la paix et de l’harmonie, ce qui constitue en soi un véritable tour de force. L’héroïne du film, Mélanie Daniels, fait la connaissance chez un marchand d’oiseaux de Mitch Brenner. Séduite par ce bel avocat, elle le rejoint sur l’île de Bodega Bay. En traversant un bras de mer, une mouette la blesse au front. Le lendemain, des oiseaux attaquent les enfants réunis pour l’anniversaire de Cathy, la jeune sœur de Mitch. Ce n’est que le prologue d’une menace qui s’étend bientôt à toute la région…

Le passage le plus mémorable des Oiseaux est probablement cette séquence apparemment anodine au cours de laquelle Mélanie, assise sur un banc, attend patiemment la sortie des classes, tandis que peu à peu les corbeaux s’amoncellent derrière elle jusqu’à atteindre un nombre démesuré, faisant basculer l’anecdote dans l’épouvante en l’espace de quelques minutes. La structure du scénario tout entier est à l’image de cette scène mémorable, jouant avec minutie la carte du crescendo. Car si la première attaque ne concerne qu’une seule mouette sur le port, le final offre la vision dantesque d’une véritable marée de volatiles envahissant littéralement tout l’espace vital des héros. Avec, au beau milieu du métrage, une délirante séquence de destruction autour d’une pompe à essence. Là, le film affirme ouvertement son appartenance au fantastique, nous offrant l’étonnante vision subjective des oiseaux contemplant le monde des humains qu’ils viennent de dévaster, grâce à une superbe peinture sur verre signée Albert Whitlock. Le dénouement, quant à lui, évite le double cliché des explications scientifiques (nous ne saurons jamais pourquoi les oiseaux attaquent) et des solutions miracles de dernier recours (pour une fois les humains sont impuissants face à la menace animale).

Expérimentations

Le choix de l’absence de musique est plus discutable. On sait Hitchcock friand d’expériences nouvelles (le relief du Crime était presque parfait, le décor unique de Lifeboat, les plans-séquence de La Corde), mais il a également prouvé par le passé combien pouvait gagner en impact émotionnel une séquence soutenue par une partition judicieuse, surtout lorsque celle-ci est signée Bernard Herrmann. Au titre des réserves, on pourra aussi regretter des préliminaires interminables, même s’il est évident que les événements qui suivent n’en sont que plus surprenants. Les Oiseaux, en tout cas, frôle bien souvent le génie, et l’atteint même en quelques magistrales séquences, s’inscrivant dans la filmographie de son prestigieux cinéaste comme l’une de ses œuvres les plus abouties.

 

© Gilles Penso

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DUEL (1971)

Ce téléfilm haletant tiré d'une nouvelle de Richard Matheson expose déjà tout le talent d'une jeune réalisateur nommé Steven Spielberg

DUEL

1971 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Gene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert

THEMA TUEURS I SAGA STEVEN SPIELBERG

La télévision a joué un rôle majeur dans l’apprentissage de Steven Spielberg. Enfant, il y découvrit la série mythique La Quatrième dimension de Rod Serling, mais aussi des classiques hollywoodiens des années 30. En toute logique, c’est sur le petit écran qu’il fit ses premières armes, réalisant le premier coup d’éclat de sa carrière avec ce téléfilm remarquable dont le concept se résume presque à son titre laconique. « Un jour, ma secrétaire chez Universal m’a conseillé de lire le dernier Playboy » raconte-t-il. « Elle venait d’y découvrir une nouvelle écrite par Richard Matheson qui s’appelait « Le duel ». J’ai lu cette histoire étonnante, et j’ai aussitôt vu le film dans ma tête : l’homme, la voiture, le camion. Mais j’ai découvert que quelqu’un avait déjà obtenu les droits d’adaptation chez Universal. Je suis allé voir le producteur George Eckstein et lui ai montré le pilote de la série Columbo que j’avais réalisé, et dont j’étais assez fier. Il l’a beaucoup aimé et a cherché à convaincre les gens d’ABC de me laisser diriger le film. Au départ, ils m’ont trouvé trop jeune. Ils voulaient un vétéran, pas un gamin. George s’est battu pour moi, et a finalement  réussi à les persuader que j’étais l’homme de la situation. »  (1) 

Si l’on résume l’histoire de Duel, il n’y a pas à priori de quoi s’enthousiasmer. Sur une route californienne, David Mann (Dennis Weaver), un automobiliste, a remarqué qu’un énorme camion lui cherche noise, et il essaie de le semer. Bientôt, les provocations du camion dépassent les simples jets de fumée nauséabonde ou les queues de poisson. Le poids lourd tente carrément d’écrabouiller la petite automobile rouge. Terrifié, Mann cherche par tous les moyens, mais en vain, à découvrir l’identité du camionneur fou. Sur un canevas réduit ainsi à sa plus simple expression, Spielberg a bâti une œuvre à suspense aux frontières d’Alfred Hitchcock (on pense à Janet Leigh au volant de sa voiture dans Psychose ou à Cary Grant poursuivi par l’avion de La Mort aux trousses) et de La Quatrième dimension, le rapprochement avec la série de Rod Serling s’expliquant en partie par la présence de Richard Matheson au poste de scénariste. Il est évident, et il le sera encore plus dans la suite de son œuvre, que Spielberg adore plonger les personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. L’identification avec David Mann (dont le nom de famille en dit long) n’en est que plus aisée pour le spectateur, ignorant comme lui pourquoi il a été choisi somme cible par un camionneur qui restera une entité complètement mystérieuse. Le doute plane d’ailleurs jusqu’au bout quant à la nature de l’agresseur. Avons-nous affaire à un tueur psychopathe ayant troqué le couteau ou la hache contre un poids-lourd ? S’agit-il d’une entité surnaturelle, ce qui expliquerait la vitesse impensable à laquelle se déplace le semi-remorque lors de ses « accès de fureur » ? A moins qu’il n’y ait aucun chauffeur et que le camion soit animé d’une vie propre, comme le laisse imaginer la séquence du snack-bar où David Mann cherche en vain à identifier le routier alors que le véhicule semble l’attendre, seul, sur le parking ?

L'homme et le monstre

Le spectateur se surprend à applaudir la scène finale au cours de laquelle le camion monstrueux explose enfin, libérant le héros et le public de ce cauchemardesque poursuivant. « Road movie » d’un genre très particulier tourné en peu de temps, avec un petit budget et un matériel léger, Duel contourne ces handicaps par un découpage savant, à base de multi-angularités et de jeux sur les avant-plans qui deviendront les marques de fabrique de Spielberg. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le découpage des séquences où la voiture est prise en chasse par le poids lourd sera repris presque à l’identique dans Jurassic Park au moment où le tyrannosaure course la jeep. Car l’efficacité des cadrages et du montage ne dépend ni du budget, ni de l’époque. C’est une valeur sûre universelle. L’affiche de Duel transfigure d’ailleurs l’image du camion jusqu’à lui donner les allures d’un dinosaure carnassier, sosie du tyrannosaure du poster de Jurassic Park. Prémonition ou suite dans les idées ? A la base, Duel est un téléfilm exemplaire que bon nombre de productions conçues pour le grand écran devraient prendre pour modèle, tant sa mise en scène et son art de la capture de l’intérêt sont savamment maîtrisés. Il connaîtra d’ailleurs les honneurs d’une sortie en salle en Europe, suite à un remontage et à l’ajout de quelques scènes additionnelles.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012.

© Gilles Penso

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KING KONG CONTRE GODZILLA (1962)

Ce match au sommet entre deux des plus grands monstres de tous les temps n'est finalement qu'une petite bagarre anecdotique

KINGU KONGU TAI GOJIRA

1962 – JAPON

Réalisé par Inoshiro Honda

Avec Tadao Takashima, Kenji Sahara, Mie Hama, James Yagi, Yu Fujiki, Michael Keith, Harry Holcombe, Ichiro Arishma 

THEMA SINGES I DINOSAURES I SAGA KING KONG I GODZILLA

A l’instar des joueurs de football, les grands monstres s’échangent parfois d’une équipe à l’autre. Ainsi la compagnie nippone Toho rachète-t-elle à la RKO les droits du personnage de King Kong au début des années soixante pour qu’il affronte son champion national Godzilla. Le scénario qui préside à cet affrontement au sommet est en réalité le recyclage officieux d’un projet non abouti de Willis O’Brien, créateur des effets spéciaux du King Kong original. En 1962, au cœur de la guerre froide, un tel combat était riche en symbole, les scénaristes ne se souciant guère, par ailleurs, de la mort des deux monstres dans les films les ayant mis en vedette auparavant. L’importance était surtout de créer l’événement en capitalisant sur ces deux têtes d’affiche titanesques, mises en scène pour la première fois en couleurs et en écran large. Assez paradoxalement, la créature la plus réussie du film n’est ni le gorille géant, ni le dinosaure radioactif, interprétés avec une conviction toute relative par des comédiens dans des costumes à la coupe évasive, mais une superbe pieuvre géante, visqueuse à souhait, contre laquelle lutte King Kong sur son île. La scène est supervisée par un Eiji Tsuburaya au sommet de son art, alternant au montage un céphalopode réel ou une réplique en caoutchouc.

Découvert par les envoyés d’une compagnie pharmaceutique sur une île du Pacifique, Kong est drogué avec des baies au narcotique puis ramené en radeau au Japon. Évidemment, il ne tarde guère à s’échapper et à causer maintes destructions. Quant à Godzilla, brutalement réveillé par un sous-marin nucléaire, il surgit d’un iceberg en Arctique et se dirige lui aussi vers le Japon (la glace qui le retenait prisonnier se référant sans doute au final du Retour de Godzilla). Le dinosaure saccage un train et le gorille attaque un métro, au cours de scènes de destructions rendant des hommages respectifs au King Kong et au Godzilla originaux. Le manque de crédibilité du costume des monstres vedettes est un peu rattrapé par la beauté des maquettes et la qualité des trucages optiques. Les deux créatures géantes semblant indestructibles, les autorités décident de provoquer un affrontement entre elles. Kong est endormi, transporté dans les airs par des ballons, dans une séquence quasi-surréaliste, prélude à un match de catch antédiluvien au cours duquel les interprètes des deux monstres (Shoichi Hirose et Haruo Nakajima) s’en donnent à cœur joie. 

Qui a gagné le combat ?

Comme à l’époque du premier Godzilla, les distributeurs américains rajoutent des plans explicatifs truffés de détails psuedo-scientifiques risibles où il est question de « dinosaurus rex », de « spigosaurus » et de « plésioridé », tandis que la bande originale de ce nouveau montage emprunte des extraits musicaux de L’Étrange créature du lac noir. Même si la rumeur laisse entendre que le vainqueur du combat final diffère selon le montage japonais ou américain, c’est une fausse idée. Kong gagne dans les deux versions – Godzilla étant encore considéré comme une force maléfique à l’époque – et poursuivra ses aventures nippones en 1967 dans King Kong s’est échappé. La seule différence à noter se situe dans la bande son. Dans la version originale, le rugissement des deux monstres retentit, laissant imaginer la survie de Godzilla. Chez les Américains, en revanche, seul le grondement du grand singe est audible…

 

© Gilles Penso

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LES SOUCOUPES VOLANTES ATTAQUENT (1956)

Le magicien des effets spéciaux Ray Harryhausen visualise une armada extra-terrestre bien décidée à conquérir notre planète

EARTH VS. THE FLYING SAUCERS

1956 – USA

Réalisé par Fred F. Sears

Avec Hugh Marlowe, Joan Taylor, Donald Curtis, Morris Ankrum, John Zaremba, Thomas Browne Henry

THEMA EXTRA-TERRESTRES

La mode étant aux soucoupes volantes au milieu des années 50, le producteur Charles Schneer décida de se pencher sur le sujet en s’inspirant de l’ouvrage « Flying Saucers From Outer Space » du major Donald E. Keyhoe, un récit prétendument véridique dont le titre servit de nom au projet. Dans la première version du script, un groupe d’explorateurs découvrait l’épave d’une soucoupe au milieu de la jungle. Après réécriture, le film s’ouvre sur le survol d’un centre de contrôle de missiles américains Avant que les ovnis ne puissent atterrir, les militaires de la base ouvrent le feu, mais ils sont rapidement désintégrés par les rayons extra-terrestres. Le docteur Russel Marvin est alors contacté par un des envahisseurs. Les extra-terrestres, d’une constitution fragile mais protégés par une armure en métal, habitent une planète mourante et désirent s’installer sur Terre. Après que Marvin se soit concerté avec ses coéquipiers et avec le général Hanley, une bataille contre les envahisseurs s’amorce, au cours de laquelle la Terre est sauvagement attaquée par les soucoupes. Entre-temps, l’une des créatures de l’espace passe l’arme à gauche. L’examen de son corps prouve la sensibilité de ces êtres aux hautes fréquences radio. Conçues selon ce principe, des armes sont alors employées afin d’abattre les soucoupes meurtrières…

Même si, avec l’impitoyable recul des années, Les Soucoupes volantes attaquent a pris un sacré coup de vieux, il faut savoir qu’il procura une véritable peur panique à l’époque de sa sortie, en pleine période de guerre froide et de frayeur relative aux phénomènes d’ovnis. Les soucoupes volantes créées, animées et incrustées par le génial Ray Harryhausen sont restées dans toutes les mémoires, malgré la profusion de vaisseaux spatiaux à l’époque, à tel point que Tim Burton les imitera fidèlement pour son Mars Attacks !. Les scènes finales, au cours desquelles les monuments de Washington sont démolis les uns après les autres, s’avèrent particulièrement impressionnantes. Seul film sans monstre au palmarès de Harryhausen, Les Soucoupes volantes attaquent souffre quelque peu de cette absence. « Nous voulions faire un film aux allures semi-documentaires », nous explique-t-il. « L’une des grosses difficultés était donc d’intéresser les spectateurs non pas à des créatures vivantes mais à des ronds de métal. » (1)

Les stars du film sont des ronds de métal

Les seules créatures présentées aux spectateurs sont des extra-terrestres en combinaisons de caoutchouc grossières, maladroits démarquages de l’imposant Gort du Jour où la Terre s’arrêta. Leur vrai visage, mixage entre l’imagerie de l’alien tel que le décrivent les témoignages et des caractéristiques reptiliennes, n’apparaît qu’une seule fois dans le film, très furtivement. Le film de Sears demeure un intéressant témoignage sur la SF des fifties, qui prenait très au sérieux ce qui, passé au filtre du temps, ne peut que difficilement s’apprécier sans second degré. Sa sortie en double programme avec The Werewolf, en juillet 1956, lui assura même un meilleur score au box-office que celui du Monstre vient de la mer, la précédente collaboration de Schneer et Harryhausen.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004.

 

© Gilles Penso

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LE MONSTRE VIENT DE LA MER (1955)

Tous aux abris ! Une pieuvre géante surgit dans la baie de San Francisco et détruit le pont du Golden Gate…

IT CAME FROM BENEATH THE SEA

1955 – USA

Réalisé par Robert Gordon

Avec Kenneth Tobey, Faith Domergue, Donald Curtis, Ian Keith, Dean Maddox Jr, Chuck Griffiths, Harry Lauter, Del Courtney

THEMA MONSTRES MARINS

Assez impressionné par Le Monstre des temps perdus et par son succès au box-office, le producteur Charles H. Schneer décida en 1955 de se lancer dans un film racontant à peu près la même histoire, si ce n’est qu’une pieuvre géante remplaçait le dinosaure atomique et que San Francisco relayait New York. Schneer réussit à intéresser au projet le génie des effets spéciaux Ray Harryhausen et obtint de lui quelques dessins préparatoires éloquents qu’il présenta à Sam Katzman, afin de trouver un financement. Il parvint ainsi à débloquer quelque 150 000 dollars, un bien maigre budget qu’il géra au mieux, aidé largement par l’inventivité de Ray Harryhausen. Celui-ci passa de longues heures à étudier le comportement de pieuvres réelles en aquarium, afin de reproduire fidèlement leurs déplacements et d’en capter les postures les plus « dramaturgiques ». Par souci d’économie, il construisit un monstre à six tentacules au lieu de huit. « Eviter de construire et d’animer deux tentacules permettait à la fois un gain de temps et d’argent », nous confirme-t-il. « Je pense que personne n’y prête attention, dans la mesure où il y a toujours au moins un tentacule en mouvement ». (1)

Le film commence dans l’océan Pacifique, où un sous-marin dirigé par le capitaine Pete Mathews (Kenneth Tobey) est attaqué par une force radio-active inconnue. Le docteur Lesley Joyce (Faith Domergue, héroïne des Survivants de l’infini) pense que le submersible est entré en collision avec une pieuvre gigantesque. De fait, un gros morceau de chair irradiée est retrouvé accroché au bâtiment. La taille de la créature semble due à des particules radio-actives qu’elle aurait absorbées. Bientôt, le monstre fait surface à la baie de San Francisco… Le maire de la ville ayant interdit au réalisateur Robert Gordon et à son équipe de filmer le pont du Golden Gate, promis à un sort cataclysmique dans le scénario, une grande quantité de stock-shots d’archive et de maquettes furent mis à contribution. En mêlant habilement la figurine animée, les décors miniatures et les prises de vues réelles, Harryhausen nous offre des visions dantesques comme celle où le monstre tentaculaire attaque un navire en pleine nuit, une image qui semble issue des gravures du siècle dernier dans lesquelles le légendaire Kraken engloutissait d’infortunés bâtiments.

Une version moderne du Kraken

Le clou du film demeure cependant la destruction du Golden Gate Bridge, cédant sous les assauts répétés des infernaux tentacules. A l’origine, il fut question de tourner le film en relief, un procédé très en vogue à l’époque, mais le temps et l’argent nécessaires à une technique de ce type jouèrent finalement en sa défaveur. Pour se placer dans la mouvance du succès d’It Came From Outer Space (Le Météore de la nuit) de Jack Arnold, le film, baptisé pendant le tournage « The Monster From the Sea », est retitré pour sa sortie It Came From Beyond the Sea. Présenté en double programme avec La Créature au Cerveau Atomique d’Edward L. Cahn, le film de Robert Gordon se comporte plutôt bien au box-office, sans atteindre cependant les scores de celui du Monstre des temps perdus, dont il demeure une imitation un peu appauvrie.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004.

© Gilles Penso

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LES DENTS DE LA MER (1975)

Le premier blockbuster de l'histoire du cinéma fit jaillir aux yeux du monde entier le talent précoce de Steven Spielberg

JAWS

1975 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Roy Scheider, Robert Shaw, Richard Dreyfuss, Lorraine Gary, Murray Hamilton, Carl Gottlieb, Jeffrey Kramer

THEMA MONSTRES MARINS I SAGA LES DENTS DE LA MER I STEVEN SPIELBERG

Après Duel et Sugarland Express, Steven Spielberg s’attaque à l’adaptation de « Jaws », un best-seller de Peter Benchley, et signe un remarquable exercice de style sur le thème pourtant éculé des attaques animales, dont le modèle phare demeure Les Oiseaux. A cause de l’irresponsabilité du maire d’Amity, petite station balnéaire de la Côte Est des Etats-Unis, avide de sauvegarder la réputation de celle-ci, et de l’entêtement des commerçants attirés par l’afflux touristique, un gigantesque requin blanc, déjà coupable de la mort d’une nageuse, d’un pêcheur et d’un petit garçon, va pouvoir continuer à se repaître tranquillement des amateurs de baignade venus en foule sur la plage restée ouverte. Après une nouvelle attaque mortelle du poisson carnassier, le shérif Martin Brody décide de braver une fois pour toutes les autorités municipales et d’affronter le monstrueux mangeur d’hommes. Il s’octroie pour ce faire l’aide de l’océanographe Matt Hooper et du pêcheur Quint.

La première heure du film est faite d’angoisses collectives, d’apparitions, de fausses alertes et de magistraux effets de mise en scène, dont le point culminant est une scène d’attente pesante sur une plage bondée. Spielberg y transpose ses phobies les plus intimes, notamment une peur panique de l’eau et de ce qui peut s’y cacher. Puis le film prend, pour sa seconde moitié, la tournure d’un huis-clos mettant en valeur le talent des trois acteurs principaux. La progression psychologique du trio, leurs oppositions, leurs confidences, décrites parallèlement aux apparitions choc du monstre, sont des modèles de narration, et surclassent aisément tout ce que les films catastrophes, omniprésents à l’époque, ont décrit en la matière.

Un cauchemar logistique mué en succès miraculeux

Pour éviter de montrer trop souvent le requin (qui ne supporte guère les gros plans prolongés sans dévoiler sa nature mécanique), Spielberg use avec bonheur de la métonymie, l’aileron ou la bouée accrochée à son flanc évoquant le monstre entier à tout moment. Cette méthode a également l’avantage de laisser s’exprimer l’imagination du spectateur, plus efficace que n’importe quel effet spécial. Elle sera d’ailleurs réutilisée pour le tyrannosaure de Jurassic Park, dont la présence pesante sera suggérée par le tremblement de l’eau dans un gobelet en plastique. Le succès du film est d’autant plus miraculeux que son tournage fut un cauchemar logistique sans précédent, les conditions météorologiques s’avérant hostiles. « J’ai travaillé avec des enfants et avec des animaux au fil de ma carrière », raconte Spielberg, « et je n’ai jamais trouvé ça difficile. Ce qui est vraiment difficile, insurmontable, c’est de travailler avec l’eau. Je n’ai jamais refait un seul film dans l’eau depuis Les Dents de la mer, parce que c’est impossible ! Vous ne pouvez rien faire ! » (1) Il faut bien sûr mentionner la formidable contribution de John Williams à la puissance et l’efficacité du film. L’inoubliable thème en crescendo que le compositeur a écrit pour souligner chaque apparition du requin participe autant à la mise en scène que le moindre cadrage ou effet de montage.
 
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012
  
© Gilles Penso

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