DEMONS (1985)

Produite par Dario Argento et réalisée par Lamberto Bava, cette œuvrette horrifique fait surgir ses créatures démoniaques d'un écran de cinéma soudain hanté

DEMONI

1985 – ITALIE

Réalisé par Lamberto Bava

Avec Urbano Barberini, Natasha Hovey, Karl Zinny, Fiore Argento, Paola Cozzo, Fabiola Toledo, Nicoletta Elmi, Stelio Candelli

THEMA DIABLES ET DEMONS I CINEMA ET TELEVISION

Un brin opportuniste, Démons a manifestement été fabriqué sur mesure pour séduire les adolescents amateurs de films d’horreur. Aux commandes de ce produit aux ingrédients savamment dosés, on retrouve Lamberto Bava, qui n’atteignit jamais le savoir-faire de son illustre père Mario (Le Masque du démon, Opération peur, Six femmes pour l’assassin, Les Trois visages de la peur) malgré un effort constant et répété dans le domaine de l’épouvante cinématographique et télévisuelle (Le Baiser macabre, La Maison de la terreur, Apocalypse dans l’océan rouge). Sur Démons, le poste de producteur est assuré par Dario Argento, dont le nom en tête d’affiche sert à la fois d’argument commercial et de légitimation du film aux yeux des fans du genre. On l’aura compris, Démons n’est pas prioritairement mû par ses ambitions artistiques et l’extrême simplicité de son scénario est au diapason de son titre laconique. Pourtant, l’implication de chacun est manifeste sur cette production familiale, Argento offrant même à sa fille Fiore l’un des rôles principaux.

Invitées par un homme mystérieux au visage partiellement métallique, façon Terminator, plusieurs dizaines de personnes se retrouvent au cinéma Metropol, afin d’assister à une séance dont ils ignorent tout. Lorsque le film commence, avec en exergue la citation de Goya « le sommeil de la raison engendre des monstres », nos spectateurs découvrent qu’ils ont affaire à un film d’horreur pas spécialement finaud. Un groupe de motards en mal de sensations fortes y explore une crypte ornée d’une inquiétante inscription déclamant : « ils feront des cimetières leurs cathédrales et les cités seront vos tombes. » Lorsqu’ils tombent nez à nez avec le tombeau de Nostradamus, les joyeux drilles découvrent non pas un corps putréfié mais un vieux grimoire et un masque grimaçant (via un double clin d’œil manifeste à Evil Dead et Le Masque du démon). Par jeu, l’un des jeunes écervelés essaie le masque et se coupe le visage, se muant aussitôt en abominable démon assoiffé de sang. Or il se trouve que dans la salle de cinéma, une jeune femme a elle aussi essayé le masque qui décorait l’entrée du Metropol. Elle subit bientôt la même hideuse métamorphose que le personnage du film, le mal s’insinuant des deux côtés de l’écran et le nombre de démons s’accroissant dangereusement.

Les maquillages dégoulinants de Sergio Stivaletti

Dès lors, Démons prend une tournure joyeusement horrifique, accumulant les transformations sanglantes (dont la plus mémorable est probablement le surgissement d’un démon déchirant l’échine de sa féminine victime) et les meurtres excessifs (égorgements à coups de griffes, calotte crânienne arrachée, énucléation très sanglante). Le maquilleur Sergio Stivaletti ne fait certes pas dans la dentelle, mais il faut bien reconnaître que ses effets dégoulinants à souhait font mouche, le tout aux accents d’une bande son énergisante concoctée en partie par les groupes de hard-rock les plus en vogue de l’époque. On peut regretter que le scénario ne tente guère d’employer avec plus de subtilité l’effet miroir et la mise en abyme, se contentant la plupart du temps d’utiliser la mécanique du film dans le film à la manière d’un simple gimmick. Mais le principe fonctionne et permet de varier à loisir les situations fantaisistes, avec au passage bon nombre de références au cinéma de genre (y compris au producteur Dario Argento, à travers le poster de Quatre mouches de velours gris qui trône dans le cinéma où se déroule le drame). Vers la fin, Démons collectionne quelques séquences un tantinet absurdes, comme l’affrontement des démons à moto ou la chute incongrue d’un hélicoptère dans la salle de cinéma, avant que le final ne nous laisse imaginer une propagation planétaire de la contamination. Une autre production de Dario Argento vient alors à l’esprit : le mythique Zombie de George Romero. Objet de culte quasi-immédiat au moment de sa sortie internationale en 1985, Démons fera l’objet de plusieurs clins d’œil ultérieurs (notamment dans le célèbre jeu « Silent Hill » qui met en scène le cinéma Metropol) et restera le meilleur souvenir de réalisateur de Lamberto Bava, ainsi qu’un de ses plus grands succès. Le film engendrera dès l’année suivante une séquelle concoctée par la même équipe.

 

© Gilles Penso

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LE LABYRINTHE DE PAN (2006)

Un conte macabre et surréaliste où s'entrechoquent l'épouvante fantasmagorique et une horreur bien réelle

EL LABERINTO DEL FAUNO

2006 – ESPAGNE

Réalisé par Guillermo del Toro

Avec Sergi Lopez, Maribel Verdu, Ivana Baquero, Doug Jones, Ariadna Gil, Alex Angulo, Roger Casamajor

THEMA CONTES

Le Labyrinthe de Pan est probablement le film le plus abouti, le plus personnel et le plus complexe de Guillermo del Toro, le point culminant du parcours presque sans faute d’un cinéaste ici au sommet de son art. Reprenant plusieurs composantes de L’Échine du diable, Del Toro mêle une fois de plus l’univers fantasmagorique de l’enfance à la réalité crue d’un contexte historique peu reluisant. Nous sommes donc dans l’Espagne de 1944. Cinq ans après la fin de la guerre civile, des rebelles continuent de s’opposer au régime fasciste de Franco. Récemment remariée, Carmen s’installe avec sa fille Ofélia chez son nouvel époux, le très autoritaire capitaine Vidal. Guère réjouie par cette nouvelle vie, la jeune fille découvre près de la grande maison familiale un mystérieux labyrinthe. Pan, le gardien des lieux, est un vieux faune cornu qui l’attendait avec impatience. Elle serait en effet la princesse disparue d’un royaume enchanté. Afin de retrouver son trône, Ofélia va devoir affronter trois épreuves dangereuses et fort inquiétantes.

Paré de décors et d’effets spéciaux magnifiques, Le Labyrinthe de Pan nous offre un bestiaire proprement extraordinaire, du vénérable Pan échappé de la mythologie grecque au terrifiant « pale man » dont les yeux sont greffés dans ses paumes griffues, en passant par le répugnant crapaud géant, les fées facétieuses et la mandragore guérisseuse. Ouvertement influencés par l’œuvre de Francisco Goya, tous s’agitent au sein de séquences inoubliables dont la beauté graphique le dispute à l’originalité et la poésie. Mais le véritable monstre du film a ici un visage humain, et c’est un Sergi Lopez absolument époustouflant qui l’incarne, détestable à souhait dans le rôle de l’abominable capitaine Vidal. Car Le Labyrinthe de Pan est avant tout un conte de fées pour adultes, un vivace plaidoyer contre le fascisme qui trouve son écho dans une poignée de scènes dont la violence est d’autant plus insoutenable qu’elle est réaliste.

L'interpénétration des deux mondes

L’exercice d’équilibrisme entre les deux univers décrits dans le film est une réussite indéniable, le spectateur s’impliquant avec la même intensité dans les péripéties cruellement réelles de cette sanglante après-guerre et dans le parcours initiatique et onirique de la jeune Ofélia. Les deux mondes s’interpénètrent ainsi au lieu de simplement se juxtaposer. Del Toro nous transporte d’un sentiment à l’autre jusqu’à nous laisser proprement lessivés au cours d’un dénouement éprouvant que chacun interprètera selon ses propres convictions. Outre ses qualités formelles, Le Labyrinthe de Pan bénéficie d’un casting irréprochable, Lopez partageant l’affiche avec plusieurs femmes dont l’indéniable charisme se mêle à une beauté rétro du plus judicieux effet, Marbel Verdu et Ariadna Gil en tête. En projet avant même que Del Toro ne réalise CronosLe Labyrinthe de Pan aura nécessité une année de préparation, quatre mois de tournage, six mois de post-production, et un déploiement technique impressionnant. Ce qui n’empêche pas cette œuvre magnifique de conserver son statut de film indépendant, fruit de l’imagination fertile d’un artiste complet et perfectionniste.

© Gilles Penso

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MASSACRE A LA TRONÇONNEUSE (1974)

Tobe Hooper décide de démarrer sa carrière avec un film d'horreur radical d'autant plus perturbant que sa mise en forme est épurée

THE TEXAS CHAINSAW MASSACRE

1974 – USA

Réalisé par Tobe Hooper

Avec Marilyn Burns, Gunnar Hansen, Allen Danziger, Paul A. Partain, William Vail, Teri McMinn

THEMA TUEURS I CANNIBALES I SAGA MASSACRE À LA TRONÇONNEUSE

Alors que des sépultures ont été profanées dans une petite ville du Texas, Sally, Jerry, Franklyn, Pam et Kirk décident de passer quelques jours dans la région. Sur la route, ils embarquent un auto-stoppeur étrange qui leur montre son attirance pour le sang avant de s’enfuir. Les cinq amis s’arrêtent un peu plus loin pour la nuit. Manquant d’essence, ils demandent de l’aide à leurs voisins. Mais la maison la plus proche abrite l’auto-stoppeur dément et ses deux frères, trois bouchers au chômage. Depuis la fermeture des abattoirs de la région, ils détroussent les cadavres et les conservent dans leur chambre froide. Le plus dégénéré d’entre eux, surnommé Leatherface, porte un masque en chair humaine et est armé d’une tronçonneuse. Dès lors, le carnage commence… Massacre à la tronçonneuse a la réputation d’un film d’horreur ultra-sanglant, qu’il doit en grande partie à son titre fort évocateur. Or la terreur engendrée par le film provient justement de la sobriété avec laquelle sont filmées ses abominations, l’imagination du spectateur complétant efficacement les horreurs suggérées par l’habile mise en scène de Tobe Hooper. « Je ne pense pas que l’horreur graphique soit le moyen le plus efficace de faire peur, même s’il m’est arrivé d’y recourir », nous révélait le cinéaste quelque vingt ans plus tard. « Beaucoup de gens se souviennent de Massacre à la tronçonneuse comme d’un film excessivement sanglant, et pourtant la plupart des meurtres y sont simplement suggérés. » (1)

Les scènes les plus éprouvantes sont celles où l’unique survivante est poursuivie par Leatherface, armé de sa tronçonneuse et à plusieurs reprises sur le point de la rattraper, en une course-poursuite inexorable et interminable qu’on croirait issue d’un cauchemar. Mais la séquence où le grand-père grabataire, une masse à la main, essaie en vain d’achever la malheureuse, comme il le faisait jadis avec le bétail, confine à l’insoutenable. Outre ce réalisme cru et quasi-documentaire, l’épouvante naît aussi de l’incapacité pour l’héroïne à trouver un refuge pour échapper à ces assassins dégénérés et cannibales, probablement issus de mariages consanguins. Et pour cause : la belle villa et la station-service leur appartiennent. La poussée d’adrénaline s’intensifie en même temps que les hurlements stridents et interminables de Marilyn Burns, surpassant en décibels les cris mémorables de Fay Wray dans King Kong.

La filiation avec Psychose

Quand la malheureuse découvre un cadavre empaillé et que les violons déchirent soudain le silence, on ne peut s’empêcher de penser à Psychose, les deux films étant librement inspirés du même fait divers macabre. Massacre à la tronçonneuse s’achève sur une scène insolite, presque surréaliste, au cours de laquelle Sally s’enfuit à demi folle à l’arrière d’une camionnette tandis que Leatherface, exagérément apprêté et maquillé, danse sur la route, la tronçonneuse à la main, nimbé d’un lever de soleil paisible. Ce tueur anthropophage et masqué se muera vite en icône incontournable du cinéma d’horreur, générant moult imitations, trois séquelles officielles et deux remakes.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

© Gilles Penso

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DANGER PLANETAIRE (1958)

En tout début de carrière Steve McQueen affronte une entité extra-terrestre gélatineuse devenue légendaire : le Blob !

THE BLOB

1958 – USA

Réalisé par Irwin S. Yeaworth Jr

Avec Steve McQueen, Aneta Corsaut, Earl Rowe, Olin Howland, Alden Chase, John Benson, George Karas, Lee Paton

THEMA BLOB EXTRA-TERRESTRES

Tourné pour 120 000 dollars (même si le producteur Jack Harris annonçait à l’époque un budget double), Danger planétaire semble vouloir mixer la science-fiction traditionnelle avec les thématiques de La Fureur de vivre. Ici aussi, les adolescents se heurtent à l’incompréhension des adultes, bravent l’autorité et pratiquent même les courses de voiture. En ce sens, Steve McQueen marche sur les mêmes traces que James Dean, les deux comédiens partageant un penchant pour l’indocilité, la vitesse et les bolides. Lorsque le film commence, Steve Andrews (McQueen) et Jane Martin (Aneta Corsaut) flirtent sous la voûte étoilée, tandis qu’une météorite tombe à proximité. Pas plus grosse qu’une boule de bowling, elle est découverte par un vieil homme qui la triture avec un bâton. Il en extrait une substance gélatineuse qui recouvre sa main et dont il ne peut plus se défaire.

Alors qu’il s’enfuit à travers la route, nos deux tourtereaux manquent de l’écraser et décident de le transporter jusqu’au cabinet du docteur Hallen (Alden Chase). Là, ils constatent que la substance a grossi tout en prenant une teinte rouge vif. Bientôt, la substance engloutit entièrement le vieil homme, ainsi que le médecin et son infirmière. Steve et Jane s’efforcent dès lors de prévenir la police et d’alerter la population, mais bien entendu personne ne les croit. Et pendant ce temps, notre monstre glouton multiplie les victimes, gobant notamment un garagiste affairé sous un châssis. La scène la plus mythique du film est celle où le blob attaque un cinéma qui projette un film d’horreur. Il y pénètre par une grille d’aération, puis avale le projectionniste avant de s’écouler dans la salle. Alors que la foule jaillit du cinéma en hurlant, un policier livide lâche à son collègue : « c’est la chose la plus horrible que j’ai jamais vue ! » Au cours du climax, nos héros sont emprisonnés dans un petit restaurant, que le monstre s’apprête à submerger sous sa masse. Or rien ne l’arrête : ni l’acide, ni les coups de fusil, ni même le câble à haute tension qu’on abat sur lui…

Une créature indescriptible

Si le terme « blob » est, depuis, entré dans le langage courant, personne ne le prononce dans le film. On parle de « chose », de « parasite », de « masse » ou de « monstre », mais la créature demeure indescriptible, comme dans un récit de Lovecraft. Les effets spéciaux mis à contribution, principalement un ballon-sonde modifié et du gel silicone coloré, sont d’une simplicité mais d’une efficacité remarquables. Face à cette masse écarlate monstrueuse qui menace de tout englober sur son passage, il n’est pas difficile de lire une métaphore du péril communiste, même si la couleur rouge a probablement été choisie de prime abord pour visualiser le sang des victimes absorbées. Grâce à Danger planétaire, Steve McQueen décrochera le premier rôle de la série Au nom de la loi avant de devenir la star que l’on sait.

 

© Gilles Penso

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LES SURVIVANTS DE L’INFINI (1955)

Le vétéran Joseph Newman nous emmène aux confins de l'espace jusqu'à la mythique planète Metaluna

THIS ISLAND EARTH

1955 – USA

Réalisé par Joseph Newman

Avec Jeff Morrow, Faith Domergue, Rex Reason, Lance Fuller, Russell Johnson, Douglas Spencer, Robert Nichols

THEMA SPACE OPERA I EXTRA-TERRESTRES I MUTATIONS

Les Survivants de l’Infini est le trentième long-métrage de Joseph Newman, spécialisé notamment dans les films d’aventure, les films de guerre et les westerns. Il allait ensuite s’adapter au format télévisé, signant notamment des épisodes de La Quatrième dimension et d’Alfred Hitchcock présente, mais malgré sa prolifique carrière, c’est cette fable de science-fiction qui demeure son œuvre la plus fameuse, son seul véritable titre de gloire. Après avoir reçu d’un mystérieux expéditeur le manuel de construction d’une machine inconnue baptisée Interociter, deux savants atomistes, Cal Meacham (Rex Reason) et Ruth Adams (Faith Domergue), accueillent dans leur laboratoire l’étrange professeur Exeter (Jeff Morrow) et son adjoint Brack (Lance Fuller). Meacham et Adams engagent contre leur gré les couple de scientifiques. C’est alors qu’Exeter et Brack se révèlent être habitants de la planète Metaluna, chargés de découvrir sur Terre l’uranium nécessaire à la lutte qu’ils mènent contre une planète rivale, Zagon. Sur Metaluna, la situation est devenue critique et Exeter est rappelé par son « moniteur ». L’extra-terrestre s’envole donc à bord d’une soucoupe volante après avoir détruit ses installations et capturé les deux humains qui tentaient de fuir. Après un voyage impressionnant, ils arrivent à Metaluna, mais il est déjà trop tard. « Ces flash de lumière… Ce sont des météorites… Des centaines de météorites ! », commente Exeter face au spectacle désolant de sa propre planète mourante. « L’intense chaleur est en train de transformer Metaluna en un soleil radioactif. »

Auréolé du statut envié de classique de la science-fiction, Les Survivants de l’infini est surtout resté dans les mémoires pour ses décors somptueux, ses couleurs flashy et une poignée de scènes mouvementées qui se concentrent principalement dans sa dernière partie. Il s’agit principalement de l’odyssée de la soucoupe volante vers la planète Metaluna en plein déclin cataclysmique, au cours de laquelle les protagonistes voyagent debout dans des cylindres transparents leur donnant l’apparence de squelettes colorés, ou encore de l’attaque du mutant cuirassé dont la tête d’insecte se prolonge par un cerveau proéminent. Cette créature, qui menace à deux reprises Faith Domergue, s’est muée en véritable icône du cinéma de SF des années cinquante grâce à son design inventif. Pour muscler un peu ce climax spatial, le vétéran Jack Arnold fut apparemment sollicité par les patrons d’Universal et tourna ainsi lui-même quelques scènes additionnelles.

Voiture contre soucoupe volante

Mais la majeure partie du métrage se déroule sur Terre, d’abord dans le laboratoire des héros, intrigués par l’avancée technologique d’une société inconnue dirigée par le mystérieux Exeter, puis dans la somptueuse demeure dudit Exeter. L’idylle entre les deux jeunes protagonistes s’avère relativement insipide, d’autant que Faith Domergue, engoncée dans un uniforme exagérément serré, ne nous frappe pas par son sex-appeal. Cela dit, le film sait multiplier les péripéties captivantes, comme la construction fébrile de l’Interociter, la voiture pourchassée par la soucoupe volante, ou encore le sacrifice final d’Exeter. Comment ne pas envier les spectateurs américains qui eurent la chance, dans la chaleur de l’été 1960, d’apprécier une double programmation des Survivants de l’Infini et de Planète interdite, spécialement conçue pour une projection en drive-in ? 

 

© Gilles Penso

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LE MONSTRE DES TEMPS PERDUS (1953)

Cet ancêtre américain de Godzilla a révélé au grand jour le talent du magicien des effets spéciaux Ray Harryhausen

THE BEAST FROM 20 000 FATHOMS

1953 – USA

Réalisé par Eugène Lourié

Avec Paul Christian, Paula Raymond , Cecil Kellaway, Kenneth Tobey, Jack Pennick, Lee Van Cleef, Donald Woods

THEMA DINOSAURES

Très librement inspiré d’une nouvelle de Ray Bradbury publiée à l’époque dans le “Saturday Evening Post”, Le Monstre des temps perdus met en scène un dinosaure carnivore réveillé par une explosion nucléaire en Arctique. Le monstre atomique nage dans le brouillard jusqu’à la côte new-yorkaise où il provoque maints et maints dégâts. Malgré les interventions répétées de l’armée, la bête semble indestructible. Les scientifiques tentent alors une solution ultime… Armés d’un budget ridicule et un scénario ramené à sa plus simple expression, le réalisateur Eugène Lourié (ancien directeur artistique de talent) et le créateur d’effets spéciaux Ray Harryhausen (qui effectue là ses premiers pas en solo) conçoivent avec Le Monstre des temps perdus l’un des meilleurs films sur le sujet pourtant largement galvaudé de la créature géante qui attaque le ville. Le monstre, un dinosaure inventé de toute pièce qui porte le nom imaginaire de Rhedosaurus, ressemble à un tyrannosaure quadrupède au regard particulièrement féroce. « Un vrai dinosaure n’aurait pas été assez grand pour les séquences que nous avions prévues », nous explique Harryhausen. « Nous avons donc conçu un dinosaure imaginaire. Nous étions plus préoccupés par les vertus dramatiques et spectaculaires de cette bête que par sa crédibilité scientifique » (1).

A la demande du producteur Hal Chester, soucieux d’amortir la maquette du monstre, et malgré les protestations du scénariste Fred Freiberger, attaché à une narration plus progressive, la bête apparaît dès le début du film, mais de manière d’abord furtive : derrière des glaciers au milieu d’une tempête de neige, la nuit sur la côte maritime, ou encore dans les fonds marins. La superbe séquence de la destruction du phare, en ombres chinoises, est la seule qui soit directement inspirée de la nouvelle de Bradbury. La scène suivante, dans laquelle le Rhedosaurus attaque New-York en plein jour, est très spectaculaire, compte tenu des maigres moyens du film. La foule en panique est à peine interprétée par 25 figurants et 12 voitures, mais le savoir-faire d’Eugène Lourié fait parfaitement illusion.

La solution vient de la science

L’armée intervient, certes, mais nous n’avons pas droit à l’éternel défilé d’armes et de véhicules de combat destiné à exposer fièrement toute la force de l’US Army, d’autant que les militaires s’avèrent incapables de détruire le monstre. Ce sont finalement les scientifiques, les premiers à avoir vu l’animal monstrueux et à avoir cru en son existence, qui ont raison de lui, au cours d’un final d’anthologie au sommet d’une montagne russe. Les cinéastes japonais s’inspireront très largement du Monstre des temps perdus pour mettre en chantier, dès l’année suivante, la prolifique série des Godzilla« En fait, l’histoire et le dinosaure de Godzilla ont été entièrement copiés sur Le Monstre des temps perdus. C’est pratiquement une copie carbone » (2), corrobore Ray Harryhausen qui, pour sa part, aurait bien mérité l’Oscar des effets spéciaux. Cette injustice, hélas, se répètera tout au long de sa carrière.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en février 2004.

© Gilles Penso

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LA QUATRIÈME DIMENSION (1983)

Steven Spielberg s'adjoint les services de trois talentueux réalisateurs pour rendre hommage à la série qui a bercé son enfance

TWILIGHT ZONE – THE MOVIE

1983 – USA

Réalisé par Steven Spielberg, John Landis, Joe Dante et George Miller

Avec Vic Morrow, John Lithgow, Scatman Crothers, Dan Aykroyd, Kevin McCarthy, Kathleen Quinlan, Helen Shaw 

THEMA MONDES VIRTUELS ET MONDES PARALLELES I VOYAGES DANS LE TEMPS I POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA STEVEN SPIELBERG

Créée par Rod Serling et diffusée sur les petits écrans américains entre 1959 et 1964, La Quatrième dimension est probablement la série de science-fiction la plus marquante et la plus influente de tous les temps. Véritable vivier de scénaristes, de réalisateurs et de comédiens, elle variait à l’infini la confrontation de personnages ordinaires à des phénomènes extraordinaires, et achevait chacun de ses épisodes sur une chute vertigineuse jouant notamment sur la théorie de la relativité et les faux-semblants. Steven Spielberg, John Landis, Joe Dante et George Miller font partie des innombrables réalisateurs profondément inspirés par La Quatrième dimensionPortés aux nues par les succès respectifs de E.T. l’extra-terrestreLe Loup-Garou de Londres, Hurlements et Mad Max 2, les quatre hommes ont décidé en 1983 de rendre hommage à Serling à travers un film à sketches reproduisant quatre de leurs épisodes préférés. Et comme on pouvait le craindre, malgré une telle conjugaison de talents, un budget conséquent et des effets spéciaux haut de gamme, le résultat pâlit de la comparaison avec son illustre modèle. Il y avait, dans la série initiale, une créativité de tous les instants palliant le manque évident de moyens. Or ici, les quatre golden boys, visiblement trop confiants, semblent s’être reposés sur leurs lauriers.

Seul le sketch de John Landis surnage réellement. Il met en vedette un irascible raciste interprété par Vic Morrow, qui se retrouve subitement dans la peau d’un Noir au milieu du ku-klux-klan, puis à la place d’un Juif parmi les nazis… Terrifiant et cynique, ce segment fut frappé, au cours de son tournage, par un accident dramatique qui coûta plusieurs vies, dont celle de Morrow, et bouleversa John Landis à tout jamais. Joe Dante et George Miller, de leur côté, s’attaquent à des récits mixant épouvante et comédie. Le premier raconte l’histoire d’un enfant doté de pouvoirs inquiétants qui terrorise sa famille tout entière, en faisant notamment apparaître un monstre aux côtés de son oncle apprenti-magicien et en effaçant la bouche de sa sœur trop bavarde. Le second narre la mésaventure du passager d’un avion qui panique en apercevant une hideuse créature occupée à détruire l’un des réacteurs de l’appareil. Panique d’autant plus aiguë qu’il est le seul à voir la scène…

Un film inégal frappé par une tragédie

La mise en scène de ces deux sketches est très soignée, et le casting des plus convaincants, mais le souvenir des vieux épisodes dont ils s’inspirent, plus sobres et plus efficaces, joue en leur défaveur. Quant à Spielberg, une fois n’est pas coutume, il tombe dans le piège de la mièvrerie larmoyante en attaquant trop frontalement une thématique qu’il maîtrise pourtant d’habitude : la préservation coûte que coûte d’une âme d’enfant. Du coup, son histoire de vieillards retombant en enfance grâce à une boîte magique tombe à plat. Curieusement, le quasi-remake qu’il produira deux ans plus tard, le fameux Cocoon, sera bien plus abouti. Bref, une initiative inégale, qui prouve une fois de plus combien la série de Rod Serling demeure unique au monde, atemporelle et inégalable.
© Gilles Penso

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JURASSIC PARK (1993)

Steven Spielberg s'empare du roman de Michael Crichton et réalise le film ultime sur les dinosaures

JURASSIC PARK

1993 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Sam Neill, Laura Dern, Jeff Goldblum, Richard Attenborough, Joseph Mazello, Ariana Richards, Samuel L. Jackson

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK I STEVEN SPIELBERG

Adapté du palpitant roman de Michael Crichton, Jurassic Park marque le retour de Spielberg dans le domaine de l’épouvante et du suspense, ses premières incursions dans le genre (Duel, Les Dents de la mer) figurant parmi ses plus belles réussites. À partir de moustiques conservés dans de l’ambre depuis l’ère secondaire, des chercheurs ont réussi à obtenir la molécule d’ADN de dinosaures dont ils ont reconstitué quinze espèces par clonage. Le richissime John Hammond a donc décidé de créer sur une île du Costa Rica un parc d’attractions peuplé de dinosaures vivants. Avant l’ouverture officielle, Hammond invite dans le parc le paléontologue Alan Grant, la paléobotaniste Ellie Sattler, le mathématicien Ian Malcolm, et ses petits-enfants, Tim et Lex. La première partie du film, qui présente chacun des acteurs du drame, ne laisse guère imaginer à quel point le récit s’apprête à basculer dans la peur, la violence et la panique. Grâce aux progrès combinés de l’animatronique et de l’image de synthèse, les magiciens des effets spéciaux réussissent à créer les dinosaures les plus crédibles jamais vus à l’écran. « Nous nous sommes efforcés de faire ressembler nos dinosaures à des animaux réels », nous explique Phil Tippett, qui a supervisé leur animation. « La difficulté était de les rendre malgré tout intéressants du point de vue du comportement et de la chorégraphie. C’était donc un exercice d’équilibre permanent entre la réalité paléontologique et l’intérêt dramatique. Notre tyrannosaure croque quand même un personnage à belles dents, comme dans un bon vieux film de Ray Harryhausen ! » (1)

Spielberg calque les ambitions de son film et du spectacle qu’il représente sur l’un de ses personnages, le businessman Hammond. Tous deux ambitionnent de faire fortune en offrant à un large public la vision de vrais dinosaures vivants et ils relèvent – chacun à sa manière – le défi. Cette adéquation du parc d’attractions dans le film avec le film lui-même apparaît complètement lorsque les héros, en voiture, entrent dans le parc jurassique par deux portes monumentales qui sont les répliques presque exactes de celles de King Kong. Dès lors, le spectateur entre lui aussi dans le parc, impatient de découvrir les merveilles qu’on lui a promises. La première apparition d’un gigantesque brachiosaure, vu sous toutes ses coutures, broutant paisiblement au sommet d’un arbre, relève presque du miracle.

L'alternance du spectaculaire et de la suggestion

Mais ce miracle ne serait justement qu’une attraction de foire si le réalisateur n’en avait accru la portée par une mise en scène des plus efficaces. Là où le cinéaste atteint les sommets, c’est lorsque son découpage joue sur les nerfs des spectateurs, alternant les effets spectaculaires et la suggestion pure. D’où deux séquences prodigieuses, l’attaque du T-Rex sur la route pluvieuse et l’agression des enfants par deux vélociraptors dans la cuisine, de purs morceaux d’anthologie à l’impact encore inégalé aujourd’hui. Pour contrebalancer avec ces moments d’épouvante, Spielberg dote son film d’une ironie permanente, en particulier à travers le personnage de Malcolm, à qui l’excellent Jeff Goldblum prête ses traits. Œuvre d’exception, Jurassic Park prouve encore, comme si c’était nécessaire, la virtuosité et l’éclectisme de son réalisateur.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 1998.

 

© Gilles Penso

 

Pour en savoir plus

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LES OISEAUX (1963)

Le plus fantastique des films d'Alfred Hitchcock raconte l'agressivité soudaine et inexplicable d'une nuée de volatiles

THE BIRDS

1963 – USA

Réalisé par Alfred Hitchcock

Avec Tippi Hedren, Rod Taylor, Jessica Tandy, Suzanne Pleshette, Veronica Cartwright, Ethel Griffies, Charles McGraw

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Si Alfred Hitchcock a souvent flirté avec le fantastique, notamment à travers les cauchemars surréalistes de La Maison du docteur Edwards ou l’atmosphère d’épouvante qui nimbe Rebecca et Les Amants du Capricorne, ses films les plus directement rattachés au genre sont les célèbres Psychose et Les Oiseaux, paradoxalement tous deux issus d’un fait divers réel. Alors que les cinéastes de SF des années 50 jetèrent leur dévolu sur les insectes et les reptiles mutants, l’auteur de La Mort aux trousses prend le pari d’effrayer son public avec des animaux à priori inoffensifs, voire des symboles habituels de la paix et de l’harmonie, ce qui constitue en soi un véritable tour de force. L’héroïne du film, Mélanie Daniels, fait la connaissance chez un marchand d’oiseaux de Mitch Brenner. Séduite par ce bel avocat, elle le rejoint sur l’île de Bodega Bay. En traversant un bras de mer, une mouette la blesse au front. Le lendemain, des oiseaux attaquent les enfants réunis pour l’anniversaire de Cathy, la jeune sœur de Mitch. Ce n’est que le prologue d’une menace qui s’étend bientôt à toute la région…

Le passage le plus mémorable des Oiseaux est probablement cette séquence apparemment anodine au cours de laquelle Mélanie, assise sur un banc, attend patiemment la sortie des classes, tandis que peu à peu les corbeaux s’amoncellent derrière elle jusqu’à atteindre un nombre démesuré, faisant basculer l’anecdote dans l’épouvante en l’espace de quelques minutes. La structure du scénario tout entier est à l’image de cette scène mémorable, jouant avec minutie la carte du crescendo. Car si la première attaque ne concerne qu’une seule mouette sur le port, le final offre la vision dantesque d’une véritable marée de volatiles envahissant littéralement tout l’espace vital des héros. Avec, au beau milieu du métrage, une délirante séquence de destruction autour d’une pompe à essence. Là, le film affirme ouvertement son appartenance au fantastique, nous offrant l’étonnante vision subjective des oiseaux contemplant le monde des humains qu’ils viennent de dévaster, grâce à une superbe peinture sur verre signée Albert Whitlock. Le dénouement, quant à lui, évite le double cliché des explications scientifiques (nous ne saurons jamais pourquoi les oiseaux attaquent) et des solutions miracles de dernier recours (pour une fois les humains sont impuissants face à la menace animale).

Expérimentations

Le choix de l’absence de musique est plus discutable. On sait Hitchcock friand d’expériences nouvelles (le relief du Crime était presque parfait, le décor unique de Lifeboat, les plans-séquence de La Corde), mais il a également prouvé par le passé combien pouvait gagner en impact émotionnel une séquence soutenue par une partition judicieuse, surtout lorsque celle-ci est signée Bernard Herrmann. Au titre des réserves, on pourra aussi regretter des préliminaires interminables, même s’il est évident que les événements qui suivent n’en sont que plus surprenants. Les Oiseaux, en tout cas, frôle bien souvent le génie, et l’atteint même en quelques magistrales séquences, s’inscrivant dans la filmographie de son prestigieux cinéaste comme l’une de ses œuvres les plus abouties.

 

© Gilles Penso

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DUEL (1971)

Ce téléfilm haletant tiré d'une nouvelle de Richard Matheson expose déjà tout le talent d'une jeune réalisateur nommé Steven Spielberg

DUEL

1971 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Gene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert

THEMA TUEURS I SAGA STEVEN SPIELBERG

La télévision a joué un rôle majeur dans l’apprentissage de Steven Spielberg. Enfant, il y découvrit la série mythique La Quatrième dimension de Rod Serling, mais aussi des classiques hollywoodiens des années 30. En toute logique, c’est sur le petit écran qu’il fit ses premières armes, réalisant le premier coup d’éclat de sa carrière avec ce téléfilm remarquable dont le concept se résume presque à son titre laconique. « Un jour, ma secrétaire chez Universal m’a conseillé de lire le dernier Playboy » raconte-t-il. « Elle venait d’y découvrir une nouvelle écrite par Richard Matheson qui s’appelait « Le duel ». J’ai lu cette histoire étonnante, et j’ai aussitôt vu le film dans ma tête : l’homme, la voiture, le camion. Mais j’ai découvert que quelqu’un avait déjà obtenu les droits d’adaptation chez Universal. Je suis allé voir le producteur George Eckstein et lui ai montré le pilote de la série Columbo que j’avais réalisé, et dont j’étais assez fier. Il l’a beaucoup aimé et a cherché à convaincre les gens d’ABC de me laisser diriger le film. Au départ, ils m’ont trouvé trop jeune. Ils voulaient un vétéran, pas un gamin. George s’est battu pour moi, et a finalement  réussi à les persuader que j’étais l’homme de la situation. »  (1) 

Si l’on résume l’histoire de Duel, il n’y a pas à priori de quoi s’enthousiasmer. Sur une route californienne, David Mann (Dennis Weaver), un automobiliste, a remarqué qu’un énorme camion lui cherche noise, et il essaie de le semer. Bientôt, les provocations du camion dépassent les simples jets de fumée nauséabonde ou les queues de poisson. Le poids lourd tente carrément d’écrabouiller la petite automobile rouge. Terrifié, Mann cherche par tous les moyens, mais en vain, à découvrir l’identité du camionneur fou. Sur un canevas réduit ainsi à sa plus simple expression, Spielberg a bâti une œuvre à suspense aux frontières d’Alfred Hitchcock (on pense à Janet Leigh au volant de sa voiture dans Psychose ou à Cary Grant poursuivi par l’avion de La Mort aux trousses) et de La Quatrième dimension, le rapprochement avec la série de Rod Serling s’expliquant en partie par la présence de Richard Matheson au poste de scénariste. Il est évident, et il le sera encore plus dans la suite de son œuvre, que Spielberg adore plonger les personnages ordinaires dans des situations extraordinaires. L’identification avec David Mann (dont le nom de famille en dit long) n’en est que plus aisée pour le spectateur, ignorant comme lui pourquoi il a été choisi somme cible par un camionneur qui restera une entité complètement mystérieuse. Le doute plane d’ailleurs jusqu’au bout quant à la nature de l’agresseur. Avons-nous affaire à un tueur psychopathe ayant troqué le couteau ou la hache contre un poids-lourd ? S’agit-il d’une entité surnaturelle, ce qui expliquerait la vitesse impensable à laquelle se déplace le semi-remorque lors de ses « accès de fureur » ? A moins qu’il n’y ait aucun chauffeur et que le camion soit animé d’une vie propre, comme le laisse imaginer la séquence du snack-bar où David Mann cherche en vain à identifier le routier alors que le véhicule semble l’attendre, seul, sur le parking ?

L'homme et le monstre

Le spectateur se surprend à applaudir la scène finale au cours de laquelle le camion monstrueux explose enfin, libérant le héros et le public de ce cauchemardesque poursuivant. « Road movie » d’un genre très particulier tourné en peu de temps, avec un petit budget et un matériel léger, Duel contourne ces handicaps par un découpage savant, à base de multi-angularités et de jeux sur les avant-plans qui deviendront les marques de fabrique de Spielberg. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le découpage des séquences où la voiture est prise en chasse par le poids lourd sera repris presque à l’identique dans Jurassic Park au moment où le tyrannosaure course la jeep. Car l’efficacité des cadrages et du montage ne dépend ni du budget, ni de l’époque. C’est une valeur sûre universelle. L’affiche de Duel transfigure d’ailleurs l’image du camion jusqu’à lui donner les allures d’un dinosaure carnassier, sosie du tyrannosaure du poster de Jurassic Park. Prémonition ou suite dans les idées ? A la base, Duel est un téléfilm exemplaire que bon nombre de productions conçues pour le grand écran devraient prendre pour modèle, tant sa mise en scène et son art de la capture de l’intérêt sont savamment maîtrisés. Il connaîtra d’ailleurs les honneurs d’une sortie en salle en Europe, suite à un remontage et à l’ajout de quelques scènes additionnelles.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012.

© Gilles Penso

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