LE PRIX DU DANGER (1983)

Une chasse à l'homme impitoyable qui annonce les dérives les plus extrêmes de la télé-réalité

LE PRIX DU DANGER

1983 – FRANCE

Réalisé par Yves Boisset

Avec Gérard Lanvin, Michel Piccoli, Marie-France Pisier, Bruno Cremer, Andrea Ferreol, Jean-Claude Dreyfus, Gabrielle Lazure

THEMA CINEMA ET TELEVISION

Très en avance sur son temps, l’auteur de science-fiction Robert Sheckley avait imaginé dès les années 50 les dérives de la télé-réalité. En 1953, il écrivait la nouvelle « The Seventh Victim », portée à l’écran douze ans plus tard par Elio Petri. En 1958, il enfonçait le clou avec « The Prize of Peril », que le réalisateur Yves Boisset se réappropria pour signer l’un de ses films les plus cinglants. Car si La Dixième victime de Petri était une farce futuriste volontiers portée sur la gaudriole, Le Prix du danger ne prête à sourire qu’au second degré, tant l’univers décrit par le film s’avère désespérément cynique. Atroce de duplicité et d’hypocrisie, Michel Piccoli incarne Frédéric Mallaire, animateur du jeu télévisé « Le Prix du Danger » que la chaîne CTV a lancé sur les ondes depuis quelques mois et qui bat tous les records d’audience. Le principe est une variante des Chasses du comte Zaroff diffusé sur les écrans du monde entier pour le plus grand plaisir de téléspectateurs avides d’émotions fortes. 

Le candidat, sélectionné parmi les chômeurs et les besogneux, a quatre heures pour rejoindre un endroit secret en évitant les cinq tueurs lancés à ses trousses. S’il réussit, il empoche la coquette somme d’un million de dollars. Mais personne n’y est encore parvenu. Les trois hommes ayant jusqu’alors tenté leur chance ont respectivement terminé leur course précipité du haut d’un immeuble, écrasé par une moto ou massacré à coup de rames. François Jacquemard (Gérard Lanvin) est tout de même prêt à essayer, malgré les violentes protestations de sa fiancée Marianne (Gabrielle Lazure). La première épreuve éliminatoire n’est déjà pas piquée par les vers, puisqu’il s’agit pour les trois finalistes de faire atterrir un avion sans s’écraser, alors qu’aucun d’eux n’a la moindre notion de pilotage ! François y parvient in extremis. La chasse à l’homme télévisée peut alors commencer…

Un constat désenchanté sur la nature humaine

Le Prix du danger tire au mieux parti d’un casting exceptionnel. Lanvin est l’idéale incarnation de l’homme seul contre tous dont rien ne semble entailler la détermination, Piccoli caricature avec délectation l’animateur vedette de l’époque Jacques Martin (qui apprécia très mal le pastiche !), Bruno Cremer s’avère détestable en directeur de chaîne dénué du moindre sentiment, Marie-France Pisier est la productrice en proie à quelques états d’âme, et Jean-Claude Dreyfus nous concocte la savoureuse prestation d’un tueur stupide. Changeant de registre, le compositeur Vladimir Cosma écrit ici une partition inspirée par celle de La Mort aux trousses« Yves Boisset était très influencé par le cinéma d’action américain », explique Cosma. « Je ne sais plus si Bernard Herrmann et Alfred Hitchcock faisaient partie de nos discussions, mais ce qui est sûr, c’est que la musique que vous entendez est le résultat de nos conversations et de nos influences respectives. » (1) Constat désenchanté sur la nature humaine, Le Prix du danger prône un réalisme plus grand que certaines œuvres voisines telles que Rollerball ou La Course à la mort de l’an 2000. La réalité ayant presque rattrapé la fiction entre-temps, cette salve violente contre l’escalade d’une télé-poubelle gorgée d’argent, de sponsors et d’arrogance n’en est que plus inquiétante.


(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 2005

© Gilles Penso

 

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LE REDOUTABLE HOMME DES NEIGES (1957)

Peter Cushing au sommet des montagnes de l'Himalaya à la recherche du Yéti dans cette production Hammer atypique

THE ABOMINABLE SNOWMAN

1957 – GB

Réalisé par Val Guest

Avec Peter Cushing, Forrest Tucker, Maureen Connell, Richard Wattis, Robert Brown, Michael Brill, Wolfe Morris, Arnold Marlé

THEMA YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS

L’équipe qui nous gratifia des deux premières aventures cinématographiques du professeur Quatermass, Le Monstre et La Marque, décidèrent dans la foulée de s’attaquer au mythe du yéti. La compagnie Hammer, le scénariste Nigel Kneale et le réalisateur Val Guest se retrouvèrent donc aux commandes d’un film fort ambitieux, peu complexé par son modeste budget. Adapté de la pièce télévisée The Creature de la BBC, le scénario emprunte des voies inattendues, même s’il semble à priori présenter de nombreuses similitudes avec l’anecdotique Abominable homme des neiges de Lee Wilder. Peter Cushing interprète ici John Rollason, un botaniste hébergé avec sa femme et son assistant dans le temple d’un lama tibétain. Lorsqu’une expédition menée par l’opiniâtre Tom Friend (excellent Forrest Tucker) décide d’explorer les montagnes de l’Himalaya à la recherche du fameux abominable homme des neiges, Rollason s’embarque avec eux, contre l’avis de son épouse et de son hôte.

La traque s’avère plus difficile que prévue, et malgré toutes les précautions prises par Friend, deux membres du groupe trouvent la mort dans d’étranges circonstance, et leur guide Kusang prend la fuite. Ils parviennent malgré tout à cerner un Yéti et à l’abattre. La gigantesque dépouille de l’animal est alors entreposée à l’intérieur d’une grotte, dans l’espoir d’attirer d’autres spécimens. Friend, qui s’avère n’être qu’un forain exploitant le sensationnalisme du public, compte en effet ramener un yéti vivant à la civilisation, ce qui n’est pas du goût de Rollason. Mais la suite des événements va lui échapper totalement… Les créatures n’apparaissent ici que très tardivement, d’abord sous forme d’une main velue géante qui fouille les armes de l’expédition sous la tente. Le trucage, fort simple mais très efficace, emploie un gant maquillé et une reconstitution à l’échelle réduite du matériel. Et nous n’en verrons guère plus, sauf au moment du climax où Cushing aperçoit deux ombres colossales et un faciès simiesque dont le regard semble étrangement paisible et bienveillant.

Un voyage avant tout initiatique

Les amateurs de films de monstres sont donc légitimement frustrés, car l’intérêt du film réside ailleurs. Le voyage des héros est avant tout initiatique, et la recherche du yéti se mue peu à peu en quête métaphysique, qui se résume en une question cruciale : quelle est la place de l’homme dans la chaîne de l’évolution ? Les scientifiques considèrent que les grands singes et les humains descendent d’un même ancêtre primate. Et s’il existait une troisième branche ? Ne nous sommes-nous pas surestimés en nous octroyant le rôle de stade ultime de l’évolution des espèces ? Partant de cette interrogation, le scénario dote les yétis d’une intelligence hors du commun et d’un pouvoir télépathique. Des voix mystérieuses s’adressent ainsi aux membres de l’expédition, notamment celle d’une radio cassée et d’un collègue décédé (ce qui évoque L’Attaque des crabes géants réalisé la même année par Roger Corman). Sous ses allures de monster movie, Le Redoutable homme des neiges nous prend donc par surprise et s’avère tout à fait digne du talent hors norme de ses initiateurs Val Guest et Nigel Kneale.

 

© Gilles Penso

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ZOMBIE (1978)

Avec cette variante sur les thématiques de La Nuit des morts-vivants qui brocarde la société de consommation, George Romero signe le film de zombies ultime

DAWN OF THE DEAD

1978 – USA

Réalisé par George A. Romero

Avec David Emge, Ken Foree, Scott H. Reiniger, Gaylen Ross, David Crawford, David Early, Richard France, Tom Savini

THEMA ZOMBIES I SAGA LES ZOMBIES DE ROMERO

Avec La Nuit des morts-vivants, on pensait que George Romero avait fait le tour de la question des zombies remis aux goûts du jour et modernisés. Or « La Nuit » n’était que le début, et en s’attaquant à « L’Aube », le cinéaste crée une suite/remake qui deviendra le film ultime sur les morts-vivants, la référence absolue en la matière. Les distributeurs européens ne s’y trompent guère, en le rebaptisant tout simplement Zombie. Ici, comme l’amorçait La Nuit des morts-vivants, les cadavres ressuscités ont envahi la terre et le monde bascule dans l’horreur. Fran, qui travaille pour la télévision, Stephen, pilote d’hélicoptère, Roger et Peter, policiers, décident de fuir loin de la ville. Malgré les attaques des morts-vivants, les quatre survivants parviennent à trouver refuge dans un centre commercial abandonné. La vie s’organise, parsemée de raids contre les zombies et de luttes pour assurer leur survie. La situation dégénère brutalement lorsqu’une horde de Hell’s Angels vient piller le supermarché…

Film d’action reposant surtout sur son rythme effréné, Zombie utilise l’horreur comme prétexte, le véritable dessein de l’œuvre étant une cinglante satire sociale. La société de consommation est banalisée (par le biais du supermarché dans lequel les héros peuvent disposer de tout ce qu’ils désirent) puis ridiculisée (par l’intermédiaire des zombies qui, en traînant sur les escaliers roulants, en se collant aux vitrines, en errant entre les rayons, sont des caricatures des humains et de leur instinct consumériste grégaire). Romero se moque de ses semblables et de leurs déambulations sans but, dénonce les répressions violentes de l’armée et de la police, condamne les politiciens et leurs projets aberrants (du style nourrir les morts-vivants jusqu’à ce qu’ils soient rassasiés ou faire exploser des bombes atomiques dans les villes où ils sont concentrés). Le rythme, d’une constance remarquable, sert magistralement le pamphlet social.

Le désordre perdure jusqu'au bout

Après l’épouvante quasi-documentaire de La Nuit des morts-vivantsZombie change donc de style, affichant ici ouvertement les horreurs visuelles (têtes qui explosent, tournevis dans l’oreille, machette dans un crâne, amputations en tout genres). « Je voulais donner au film l’aspect d’un comic book », avoue Romero. « D’un point de vue stylistique, j’ai tenté de refléter un peu le type de cinéma qu’on faisait à cette époque. Voilà pourquoi il y a des couleurs éclatantes et brillantes comme dans les films d’action des seventies. » (1) Le film se distingue aussi par une structure narrative inhabituelle, relatant un épisode parmi d’autres d’une situation cauchemardesque qui s’est amorcée bien avant les premières images et s’avère loin d’être terminée après le dénouement. « Dans la plupart des films fantastiques, le monde est perturbé par un élément surnaturel, mais à la fin l’ordre est rétabli », conclue Romero. « Dans mes films, le désordre perdure jusqu’au bout, le problème existe toujours. » (2)

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2005

© Gilles Penso

 

Pour en savoir plus

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DOOMSDAY (2008)

Le réalisateur de The Descent conçoit une aventure post-apocalyptique se référant directement aux deux fleurons du genre : Mad Max 2 et New York 1997

DOOMSDAY

2008 – GB

Réalisé par Neil Marshall

Avec Rhona Mitra, Bob Hoskins, Adrian Lester, Alexander Siddiq, David O’Hara, Malcolm McDowell, Craig Conway, Emma Cleasby 

THEMA FUTUR I CANNIBALES

Dog Soldiers nous avait enchantés, The Descent nous avait époustouflés… Autant dire que Doomsday, troisième incursion de Neil Marshall dans le cinéma fantastique, était attendu avec espoir par les amateurs du genre. Ô joie, le résultat comble tous les désirs, s’affirmant ouvertement comme une série B jouissive bourrée de références. Les prémisses du film évoquent irrésistiblement 28 semaines plus tard, dans la mesure où un nouveau virus, surnommé « La Faucheuse », vient de faire son apparition en Ecosse, annihilant la majeure partie de la population. Pour endiguer l’épidémie, le gouvernement anglais construit un mur infranchissable qui isole totalement l’Ecosse, devenue un no man’s land en ruines où les survivants sont coupés du monde. Lorsque trente ans plus tard le même virus réapparaît au coeur de Londres, un commando de choc part en mission suicide rechercher un éventuel vaccin dans une Ecosse où plusieurs gangs rivaux semblent avoir miraculeusement survécu. A la tête du commando se trouve Eden Sinclair (la splendide Rhona Mitra), une combattante émérite qui espère, à travers cette mission, retrouver des traces de sa mère, disparue trois décennies plus tôt. 
Bien vite, Marshall annonce les deux références essentielles de son film : New York 1997 et Mad Max 2, comme au bon vieux temps des Guerriers du Bronx, 2019, après la chute de New York et autres Nouveaux barbares. D’ailleurs, la violence extrême de Doomsday et son approche délibérément « rentre dedans » renvoient directement aux imitations italiennes qui proliféraient sur les écrans dans les années 80. Dès les premières minutes, c’est l’ombre de John Carpenter qui plane sur le récit. L’héroïne désabusée n’a qu’un œil (comme Snake Plissken) et passe son temps à demander des cigarettes à ceux qu’elle croise (comme le héros d’Assaut), tandis que la musique synthétique et répétitive de Tyler Bates est un hommage évident aux partitions du père d’Halloween

Surréalisme anachronique

Lorsque notre commando se heurte à une horde de barbares hystériques, punks et anthropophages, menés par l’impressionnant Sol (Craig Conway), c’est l’influence de George Miller qui prend le relais, Neil Marshall se fendant d’un vibrant hommage au cinéaste australien à travers une ébouriffante poursuite finale où cascades démentes et effets pyrotechniques à répétition lacèrent l’écran pour la plus grande joie d’un public acquis corps et âme au spectacle. En guise de clin d’œil, deux des membres du commando dirigé par Eden se nomment d’ailleurs Carpenter et Miller ! Pour autant, Doomsday ne se contente pas de juxtaposer ses références. La personnalité du réalisateur de The Descent émerge sans peine des cendres fumantes ce futur post-apocalyptique, et lorsque nos héros découvrent une communauté médiévale dirigée par le souverain Kane (Malcolm McDowell, impérial), le film bascule dans un surréalisme anachronique tout à fait inattendu. La vraie révélation de Doomsday demeure Rhona Mitra, qui n’est pas inconnue des amateurs de cinéma d’action, mais qui livre ici une de ses performances les plus physiques, sans que jamais son charisme et son charme n’en soient entachés, bien au contraire.
 
© Gilles Penso

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FUNNY GAMES U.S. (2007)

Michael Haneke réalise lui-même le remake de son film sordide sans chercher à en atténuer la violence brute et banalisée

FUNNY GAMES U.S.

2005 – USA

Réalisé par Michael Haneke

Avec Naomi Watts, Tim Roth, Michael Pitt, Brady Corbet, Siobhan Fallon, Boyd Gaines, Todd Gearhart, Robert Lupone

THEMA TUEURS

Film choc de l’année 1997, Funny Games était, de l’aveu même de son réalisateur, principalement destiné au public américain. Mais les Etats-Unis étant souvent rétifs aux cinématographies en langue étrangère, le quatrième long-métrage de Michael Haneke s’enferma dans le ghetto des salles d’art et essai et ne trouva ses spectateurs qu’en Europe. C’est pour lui donner une seconde chance outre-Atlantique que le réalisateur décida d’en tourner lui-même un remake, sans changer grand-chose au film original. Ainsi, à l’exception du casting et de la langue anglaise, les deux Funny Games se ressemblent comme deux gouttes d’eau, souvent au plan près. Loin de la démarche d’un Gus Van Sant, qui reprenait servilement le découpage de Psychose mais perdait en cours de route toute l’essence de son modèle, Funny Games n’a rien perdu de son impact en émigrant sur le continent américain, et la présence de superstars en tête d’affiche n’affecte en rien son approche hyperréaliste. Il faut dire que Naomi Watts et Tim Roth s’avèrent remarquablement crédibles dans le rôle d’Anna et George, deux époux amateurs d’opéra qui décident de passer des vacances près d’un lac avec leur fils Georgie (Devon Gearhart, lui aussi confondant de justesse malgré son tout jeune âge). Tout se passe à merveille jusqu’à l’intrusion de deux adolescents, Paul (Michael Pitt) et Peter (Brady Corbet), qui s’apprêtent à les séquestrer et les torturer à mort.

Oppressant d’un bout à l’autre, garni de séquences de suspense éprouvantes qui ne laissent aucun échappatoire aux victimes, Funny Games U.S. est une claque, un coup de poing dans le ventre du spectateur qui vit là une expérience souvent déplaisante. La violence étant toujours hors champ, le film ne peut certes pas être taxé de complaisant, et s’inscrit même à contre-courant des « torture shows » sanglants façon Saw et Hostel. Mais l’absence d’horreurs visuelles ne décuple que davantage l’horreur psychologique. Et en ce domaine, Haneke excelle. 

Des meurtres divertissants ?

On ne nous ôtera pas de l’idée qu’il y prend un certain plaisir, à l’image de ce duo d’adolescents presque sympathiques qui nous prennent même à témoin, le temps de quelques coups d’œil à la caméra, pour nous enjoindre à bien profiter du spectacle. Et lorsqu’Anna leur demande pourquoi ils ne les tuent pas tout de suite, Paul rétorque en souriant : « il ne faut pas sous-estimer l’importance du divertissement ». Ce cynisme s’adresse-t-il aux réalisateurs et aux spectateurs des films d’horreur, avide de meurtres et de sang ? La violence banalisée est-elle ici condamnée ? Si c’est le cas, force est de reconnaître que le message passe bien mal, et avec aussi peu d’efficacité que dans le très brouillon Assassin(s) de Mathieu Kassovitz. Haneke semble vouloir nous dire que la haute société engendre des monstres, que la jeunesse est en perte de repères, que les médias ne font qu’accroître cette dérive inexorable… Pourquoi pas ? Ces réflexions justifient-elles pour autant un film se délestant de tous les apparats traditionnels du cinéma de genre pour nous donner à voir une sorte de faits-divers sordide filmé sans le moindre recul ? Il est permis d’en douter.

© Gilles Penso

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BENNY’S VIDEO (1992)

Michael Haneke dresse le portrait glaçant d'un jeune adolescent qui bascule dans le meurtre avec indifférence

BENNY’S VIDEO

1992 – AUTRICHE

Réalisé par Michael Haneke

Avec Arno Frisch, Angela Winkler, Ulrich Mühe, Ingrid Stassner, Stephanie Brehme, Stefan Polasek, Christian Pundy, Max Berner

THEMA ENFANTS I CINEMA ET TELEVISION

Une mise en scène austère, un rythme lent, des comédiens sobres, une quête permanente d’hyperréalisme… Les films de Michael Haneke sont moins des spectacles que des tranches de vie… ou plutôt des tranches de viande, tant le cinéaste autrichien semble attiré par la violence meurtrière qui couve dans les milieux bourgeois aseptisés. Benny’s Video se rattache d’ailleurs à une sorte de trilogie que le cinéaste a baptisé la « saga de la glaciation émotionnelle », aux côtés du Septième continent et de 71 fragments d’une chronologie du hasard. Les thématiques d’Haneke, qui prennent souvent appui sur des faits divers réels, sont d’ailleurs sensiblement identiques d’un film à l’autre : le fossé entre les générations, l’indifférence des adultes et la dérive des enfants, laquelle prend souvent une tournure sanglante.

Le lycéen Benny (Arno Frisch), coupé de toute communication avec des parents trop souvent absents, s’est enfermé dans l’univers de la vidéo. Il passe ses journées à filmer son entourage, à braquer des caméras vidéo dans sa rue et dans sa chambre, à monter avec son magnétoscope high-tech les images qu’il collecte et à louer des films au vidéoclub. C’est là qu’il rencontre une fille de son âge (Ingrid Stassner) qui ne le laisse pas indifférent. Il l’invite chez lui pour l’après-midi, lui montre tout son équipement, déjeune avec elle, puis lui fait voir les images de la mise à mort d’un cochon qu’il a lui-même filmées dans une ferme. Le spectacle est assez insoutenable (y compris pour le spectateur, car cette scène est dénuée du moindre trucage), mais elle semble laisser indifférents les deux adolescents, apparemment blasés par des images de mort dont la télévision et le cinéma les abreuvent sans doute à outrance.

« Qui pourrait soupçonner un enfant ? »

Peu après, en jouant avec le pistolet d’abattage qu’il a récupéré dans la ferme, Benny blesse la lycéenne. Ses hurlements (hors champ) deviennent insupportables, et pour les faire cesser l’adolescent finit par la tuer, tandis que le caméscope de sa chambre continue à filmer sans discontinuer. Pas traumatisé outre mesure, Benny conserve le cadavre dans sa chambre et reprend ses activités comme si de rien n’était. Plus que la violence de l’acte, c’est ici sa gratuité qui choque, ainsi que l’impensable froideur qui l’accompagne. Y compris de la part des parents qui sont finalement mis dans la confidence par leur fils, preuve vidéo à l’appui. Au lieu de la réaction d’horreur qu’on aurait pu supposer, ces derniers demeurent désespérément insensibles et pragmatiques. « Qui pourrait soupçonner l’enfant ? » lâche avec un calme intolérable le père (Ulrich Mühe, future tête d’affiche du magnifique La Vie des autres). Comme la plupart des films d’Haneke, Benny’s Video emprunte les thèmes du film d’horreur sans jamais sacrifier à leurs codes. Mais en se plaçant volontairement à contre-courant de toute dramaturgie digne de ce nom, il finit par manquer la plupart de ses objectifs, son propos nous échappant en grande partie. « Je ne sais pas » est la réponse que Benny donne le plus souvent tout au long du film, que la question porte sur ses sentiments, ses envies ou ses motivations. Ce pourrait être également celle du public face aux intentions de Michael Haneke.

 

© Gilles Penso

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ERAGON (2006)

Cette adaptation du best-seller de Christopher Paolini imite tant La Guerre des étoiles qu'elle en perd toute personnalité

ERAGON

2006 – USA

Réalisé par Stefen Fangmeier

Avec Ed Speelers, Jeremy Irons, Sienna Guillory, Robert Carlyle, Djimon Hounsou, John Malkovich et la voix de Rachel Weisz

THEMA HEROIC FANTASY I DRAGONS

La genèse d’Eragon est déjà un conte de fées, puisque Christopher Paolini, l’auteur du best-seller à l’origine du film, fit modestement publier son ouvrage par ses parents alors qu’il avait 19 ans, avant que les éditeurs de chez Knopf le propulsent en tête des ventes dans 40 pays. Rassurée par la renommée de ce matériau littéraire (largement inspiré par les romans d’Anne McCaffrey), la Fox confia le scénario de l’adaptation à Peter Buchman (dont le seul titre de gloire était la co-écriture de Jurassic Park 3) et la réalisation à Stefen Fangmeier, un vétéran des effets spéciaux qui signe là sa première mise en scène. Or il ne suffit pas d’être un bon faiseur ou un technicien doué pour insuffler une âme à un long-métrage. Eragon est donc un film rondement mené, mais qui souffre d’un manque cruel de personnalité. S’il pâtit de la comparaison avec la trilogie de Peter Jackson, Eragon surprend surtout par l’aliénation de son scénario à celui de La Guerre des étoiles

Le héros est un jeune fermier blond vivant paisiblement avec son oncle jusqu’à ce qu’une mystérieuse princesse ne lui fasse parvenir un message de la plus haute importance (ici sous forme d’un œuf d’où éclot une mignonne dragonne). Après que son oncle ait été assassiné par les sbires du maléfique Durza, à la solde du roi Galbatorix, Eragon accepte de rejoindre les rebelles. Sa formation est assurée par Brom, un ancien guerrier cachant son passé sous la défroque d’un vagabond solitaire. Lorsqu’il se sent prêt, le jeune homme chevauche son beau dragon (équivalent heroïc-fantaisiste du vaisseau spatial) et part sauver la princesse prisonnière de la forteresse de Galbatorix. Tandis qu’un jeune hors-la-loi brun et fougueux se rallie à la cause d’Eragon, Brom affronte Durza (pas au sabre laser mais presque), alors que se prépare l’ultime bataille entre les rebelles et les oppresseurs.

Déjà vu

Le sentiment de déjà-vu imprègne donc l’œuvre dans sa quasi-totalité, ce qui ne l’empêche pas de bénéficier d’un certain nombre de qualités formelles, notamment un casting de premier choix. Le débutant Ed Speleers dégage un charisme indéniable dans le rôle titre, Jeremy Irons assure avec finesse le rôle du mentor (sa prestation dans Donjons et Dragons nous laissait pourtant craindre le pire), Robert Carlyle est très impressionnant en sorcier surpuissant, et Sienna Guillory convainc tout à fait dans le rôle de la belle Arya. Quant au dragon Saphira, qui constitue évidemment l’attraction principale du film, il s’agit d’une extraordinaire réussite technique, fidèle à la fameuse illustration ornant le livre de Christopher Paolini, même s’il manque dans son regard l’étincelle de vie qui nous fait oublier les images de synthèse. Le film jouit en outre d’une belle partition épique de Patrick Doyle, plus habitué aux œuvres intimistes qu’aux superproductions. « Les compositeurs de musiques de films doivent pouvoir s’adapter à tous les styles et à tous les genres », dit-il à ce propos. « Nous sommes de véritables caméléons. » Fort de ses nombreux attraits, nul doute qu’Eragon séduise le public adolescent pour lequel il semble avoir été consciencieusement formaté. Les spectateurs plus âgés, pour leur part, préfèreront revenir à leurs classiques, l’original valant toujours mieux que la copie.

 

© Gilles Penso

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SŒURS DE SANG (1972)

Avec ce thriller horrifique aux répercussions psychanalytiques, Brian de Palma affirme son style et son univers

SISTERS

1972 – USA

Réalisé par Brian de Palma

Avec Margot Kidder, Jennifer Salt, Charles Durning, William Finley, Lisle Wilson, Barnard Hughes

THEMA DOUBLES I TUEURS

Cinq ans avant d’interpréter la fiancée de Superman, Margot Kidder s’illustrait avec talent dans ce drame horrifique marquant les débuts de Brian de Palma dans le double domaine du thriller et du fantastique. Sœurs de sang affirme aussi pour la première fois ses récurrentes influences hitchcockiennes, renforcées par le choix d’une partition de Bernard Herrmann. Dans la peau de Danielle Breton, une mannequin québécoise fraîchement installée à Staten Island qui fait la connaissance du sympathique Philip dans un jeu télévisé et se laisse séduire par lui, Margot Kidder est délicieuse. Son accent français est craquant et tout s’amorce comme une gentille comédie romantique new-yorkaise. Mais la musique tourmentée d’Herrmann annonce un drame imminent, et la vilaine cicatrice qui couture la jolie hanche de Danielle provoque un étrange sentiment chez le spectateur, cocktail inattendu de séduction et de répulsion.

Le véritable ton de Sœurs de sang est donné, et tout est en place pour la séquence d’anthologie, figure de style que De Palma inaugure ici avec maestria. Il s’agit d’un meurtre extrêmement brutal, auquel assiste depuis sa fenêtre la journaliste Grace Collier (Jennifer Salt), et que la mise en scène visualise à travers un usage très audacieux du split-screen. Les actions habituellement parallèles sont du coup simultanées et les effets du suspense en sont accrus. Ce procédé narratif, que De Palma emprunte notamment à Richard Fleischer, ne cessera de s’affiner au fil de ses films ultérieurs. A ce stade de l’intrigue, le spectateur est déjà sérieusement secoué, et nous ne sommes pourtant qu’à une demi-heure de métrage ! Bientôt, tout porte à croire que l’assassin est Dominique Breton, la sœur jumelle de Danielle, jalouse et volontiers encline aux actes de violence. Mais les choses ne sont pas si simple, et une vérité fort inquiétante se cache sous les apparences…

L'influence déterminante d'Hitchcock

Le cinéphile n’a aucun mal à constater à quel point la structure de Psychose se calque fidèlement sur celle de Sœur de sang. La scène du nettoyage du meurtre par Emil Breton (William Finley), l’ex-mari de Danielle, rappelle d’ailleurs fortement celle qui mettait en scène Anthony Perkins treize ans plus tôt, et l’enquête de Grace Collier évoque celle que menait jadis Vera Miles. Fenêtre sur cour (l’espionnage aux jumelles des voisins suspects), La Corde (le cadavre caché au milieu de l’appartement) et La Maison du Dr Edwards (l’approche surréaliste du traitement psychiatrique) viennent aussi à l’esprit. Mais De Palma n’en perd pas pour autant sa personnalité, Hitchcock fonctionnant chez lui moins comme un modèle à imiter que comme une sorte de révélateur lui permettant d’affirmer son propre style. De fait la dernière partie du film emprunte des chemins bien moins balisés. Venu de la comédie (l’un de ses premiers films, Le Mariage, était un hommage au splastick mettant en scène un Robert de Niro débutant), le cinéaste soigne particulièrement ses personnages, et les relations conflictuelles qu’entretient la jeune journaliste avec sa mère ou avec son détective privé sont particulièrement savoureuses. Ainsi Sœurs de sang marque-t-il le coup d’envoi d’une carrière inégale mais passionnante.

 

© Gilles Penso

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DOGMA (1999)

Face à la caméra de Kevin Smith, Ben Affleck et Matt Damon incarnent deux anges déchus que Dieu a condamnés à errer sur la Terre

DOGMA

1999 – USA

Réalisé par Kevin Smith

Avec Ben Affleck, Matt Damon, Linda Fiorentino, Jason Mewes, Chris Rock, Alan Rickman, Jason Lee, Salma Hayek, Kevin Smith

THEMA DIEU, LES ANGES, LA BIBLE

Cinéphile compulsif, fan de comic books et de télévision, Kevin Smith fait partie de cette génération de cinéastes biberonnés à la pop culture, quelque part à mi-chemin entre Quentin Tarantino et Edgar Wright. En réalisant Clerks en 1994, il crée un petit événement et inaugure à l’occasion les premiers exploits de deux personnages caricaturaux amenés à apparaître dans tous ses films : Jay et Silent Bob. Respectivement incarnés par Jason Mewes et Smith lui-même, ils forment un duo de traînes savate hilarants et antithétiques, la volubilité vocale de l’un compensant avec le quasi-mutisme de l’autre. Futurs héros d’une bande dessinée et d’une série animée à leur nom, ils jouent rien moins que des prophètes dans Dogma, une comédie particulièrement originale, assortie d’un casting de haut niveau. 

Nous y découvrons Loki et Bartleby (Matt Damon et Ben Affleck, starifiés par Will Hunting), deux anges déchus que Dieu a condamnés à errer indéfiniment sur terre. Mais le jour où s’inaugure une nouvelle église dans le New Jersey, les choses risquent de changer. Au cours d’une grande journée consacrée à la rédemption, une ouverture inespérée leur permettra en effet de réintégrer le Paradis. Cette fêlure dans le système divin risque de prouver que Dieu n’est pas infaillible et d’avoir pour conséquence l’anéantissement de toute vie sur terre. Pour éviter une telle catastrophe, l’ange Metatron (Alan Rickman), qui n’est autre que la voix de Dieu, s’introduit en pleine nuit dans la chambre à coucher d’une employée d’un centre IVG, Bethany Sloane (Linda Fiorentino), au cours d’une séquence mémorable (pour prouver son identité, il déploie ses ailes puis baisse son pantalon, exhibant une absence totale de sexe !). Elle seule semble susceptible d’enrayer le drame. Pourquoi ? « Le sang qui coule dans tes veines a un chromosome en commun avec celui que tu appelles Jésus », lui offre en guise de réponse Rufus (Chris Rock), le treizième apôtre dont aucun texte sacré ne semble vouloir parler. Bethany est en effet la dernière descendante vivante du Christ, et d’autres personnages pittoresques lui prêteront main-forte au cours de sa quête : Serendipity (Salma Hayek), une ancienne muse devenue strip-teaseuse, ainsi que les incontournables Jay et Silent Bob…

Une profession de foi

L’humour de Dogma fonctionne sur plusieurs registres : le gag visuel (l’apparition du Golgothan, un démon fait d’excréments qui surgit hors des toilettes d’un club de strip-tease), le dialogue décalé (Damon et Affleck argumentent pour savoir lequel a le plus bossé sur la destruction de Sodome, avant que ce dernier n’affirme : « y’a pas plus crevant qu’un génocide, sauf le football »), ou encore la référence cinéphilique (La Guerre des étoiles, E.T., Maman j’ai raté l’avion, Une Créature de rêve, Les Ailes de l’enfer, Indiana Jones et la dernière croisade, tout y passe). Mais sous le délire apparent, Smith délivre son message, qui pourrait se résumer dans cette phrase de Rufus à propos de Dieu : « Ce qui l’énerve avec l’humanité, c’est les saloperies qui se commettent en son nom : guerres, bigoteries, télé-évangélisme… » Car tout en étant ouvertement anticlérical, Dogma clame à pleine voix la foi inébranlable de son auteur.

 

© Gilles Penso

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LE JOUR D’APRÈS (2003)

Le réchauffement climatique provoque une série de catastrophes planétaires que Roland Emmerich filme avec un savoir-faire indiscutable

THE DAY AFTER TOMORROW

2003 – USA

Réalisé par Roland Emmerich

Avec Dennis Quaid, Jake Gyllenhaal, Sela Ward, Ian Holm, Emmy Rossum, Dash Mihok, Jay O. Sanders, Austin Nichols 

THEMA CATASTROPHES

En réalisant The Patriot, fresque guerrière réaliste et brutale, Roland Emmerich amorçait ouvertement un virage dans sa carrière de cinéaste. Il était donc logique qu’on éprouve un sentiment de machine arrière et de déjà-vu en le voyant emprunter à nouveau les chemins balisés du film catastrophe. Fort heureusement, sans tout à fait transcender le genre, Le Jour d’après porte le sceau d’un Roland Emmerich plus mature qu’à l’accoutumée. Fidèle à ses habitudes, le réalisateur de Stargate fait démarrer son film sur une séquence visuellement très forte. Une petite expédition en Arctique, menée par le climatologue Jack Hall (Dennis Quaid), y fait face à un monumental glissement de terrain creusant une fissure de plusieurs kilomètres de long dans la glace. Cet étrange phénomène n’est que le premier d’une série de dérèglements climatiques frappant peu à peu les quatre coins de la Terre. Pessimiste, Hall voit là les prémisses d’un nouvel âge de glace, mais il se heurte à l’incrédulité de ses pairs, et à celle d’un vice-président têtu refusant de s’intéresser à ses alarmantes théories. Hélas, la suite des événements conforte le climatologue dans ses craintes.

Le Japon étant frappé par une averse de grêle et la Californie par une armada de monstrueuses tornades, la situation devient franchement préoccupante. Le froid gagne peu à peu tout l’hémisphère nord de la planète, gelant sur place tous les malheureux restés dehors. Tandis que le président des États-Unis concède enfin à faire évacuer les États du Nord, Jack Hall décide de traverser tout le pays par –20° afin d’aller sauver son fils, réfugié avec une poignée de survivants dans une bibliothèque au beau milieu d’une ville de New York dévastée… Comme on pouvait s’y attendre, Le Jour d’après vaut surtout pour sa collection de séquences spectaculaires, dirigées ici avec une maestria propre à ébouriffer les spectateurs les plus blasés. Point culminant de ce festival d’effets spéciaux audacieux, le gigantesque raz-de-marée qui frappe New-York s’est d’emblée imposé comme un incroyable morceau d’anthologie, intégrant des idées magnifiquement surréalistes comme ce cargo arpentant les rues de Manhattan muées en fleuves glacés.

Humanisme et cynisme

On sent bien, ça et là, des réminiscences de L’Aventure du PoséidonTremblement de terre, TitanicDaylightVertical Limits et même Independence Day, mais Emmerich parvient cette fois-ci à transcender ses influences au lieu de se contenter d’un patchwork de plagiats. Comme en outre le scénario prône un humanisme apparemment sincère et se permet quelques écarts cyniques du meilleur effet (les bibliothécaires triant les livres qu’ils acceptent de brûler pour se réchauffer, l’immigration illégale s’inversant à la frontière américano-mexicaine), Le Jour d’après se distingue de ses pairs trop ancrés dans le premier degré. Le film souffre malgré tout d’un travers inhérent au genre catastrophe : à trop vouloir concentrer son attention sur ses personnages principaux, le scénario donne rapidement l’impression que ce cataclysme planétaire ne touche finalement que deux pays américains et une dizaine de protagonistes, amenuisant du coup l’impact de son propos.

 

© Gilles Penso

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