JOSHUA (2007)

Le petit Joshua est-il un enfant maléfique aux sombres desseins, ou tout se passe-t-il dans la tête de ses parents névrosés ?

JOSHUA

2007 – USA

Réalisé par George Ratliff

Avec Sam Rockwell, Vera Farmiga, Jacob Kogan, Celia Weston, Dallas Roberts, Michael McKean, Nancy Giles, Linda Larkin

THEMA ENFANTS

A priori, Joshua Cairn n’a rien d’un monstre. Certes, l’exceptionnelle intelligence de ce garçon de neuf ans, sa passion pour l’antiquité égyptienne, ses dons pour la musique et son manque d’intérêt pour le sport le marginalisent quelque peu par rapport à ses petits camarades, mais rien d’anormal n’est à signaler… Jusqu’à la naissance de Lily, sa petite sœur. Dès lors, l’univers bien ordonné de sa famille new-yorkaise aisée commence à se détériorer. Cette inexorable descente aux enfers est-elle due à un spectaculaire « baby blues » poussant la jeune mère à une dépression paranoïaque ? Ce serait l’explication la plus logique. Mais plus les choses dégénèrent, plus le père soupçonne Joshua de mettre son esprit surdoué au service d’une machination machiavélique…

A la manière d’un Michael Haneke se réappropriant le slasher pour en livrer une vision hyperréaliste débarrassée de ses codes habituels, George Ratliff nous raconte l’enfance diabolique sous un jour étonnamment naturaliste. Empruntant ses effets de style au cinéma américain indépendant plutôt qu’au film d’épouvante, le cinéaste nous brosse le tableau d’une famille crédible, portée par des comédiens sensationnels. Brad, le père, est gestionnaire de fonds dans une compagnie d’investissements à haut risque, un self made man ambitieux et un rien arriviste issu d’un milieu catholique modeste (sa mère est évangéliste et adepte du prosélytisme). L’excellent Sam Rockwell (qui fut un méchant mémorable dans Charlie’s Angels et La Ligne verte) prête son charisme et son bagout à ce personnage pivot sur le point de basculer.

Un petit air du Damien de La Malédiction

Abby, la mère, a coupé les ponts avec ses parents et frôle dangereusement la crise de nerfs lorsque les cris de son bébé deviennent trop insistants. Bouleversante, à fleur de peau, Vera Farmiga (Un Crime dans la tête, Les Infiltrés) nous livre là une prestation proprement habitée. Quant à Joshua, dont la froideur, les cheveux bien peignés et le costume impeccable évoquent irrésistiblement le Damien de la trilogie La Malédiction, il prend les traits du quasi-débutant Jacob Kogan, dissimulant soigneusement ses émotions sous un masque glacial. Toute la subtilité du film consiste à bâtir un environnement réaliste et identifiant (les scènes de crise postnatales sentent le vécu !) pour mieux le bousculer au fil de l’intrigue. La terreur que ressentent les adultes est insidieuse, palpable, d’autant que nous ne savons jamais vraiment si l’inquiétude est justifiée ou le fruit d’une imagination trop fertile. Le chien de la maison est-il mort par hasard ? Les cris incessants du bébé sont-ils provoqués par une cause extérieure ? La panique croissante d’Abby est-elle sciemment déclenchée ? La jalousie supposée de Joshua va-t-elle aboutir au drame tant redouté ? Toutes ces interrogations trouvent leur réponse dans un dénouement saisissant, sans tambours ni trompettes mais avec quelques notes de piano, une chansonnette « innocente » et une subtilité qui nimbe le film tout entier. Joshua est un film d’horreur élégant, en quelque sorte, échappant si bien aux étiquettes qu’il fut primé non pas à Gerardmer mais au Festival du Film Indépendant de Sundance.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

LE VILLAGE DES DAMNÉS (1960)

Douze femmes d'un village britannique accouchent d'enfants d'origine extra-terrestres doués d'inquiétants pouvoirs

VILLAGE OF THE DAMNED

1960 – GB

Réalisé par Wolf Rilla

Avec George Sanders, Barbara Shelley, Martin Stephens, Michael Gwynn, Laurence Naismith, Richard Warner, Jenny Laird 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I ENFANTS

Le Village des damnés fait partie de ces classiques de la science-fiction dont chaque scène ou presque est devenue mythique. A l’origine se trouve un roman écrit en 1957 par John Wyndham, l’auteur de « La Révolte des Triffides ». Contrairement à ce que pourrait faire croire le titre du livre, « Les Coucous de Midwich », il n’est pas ici question d’ornithologie mais d’une armée d’enfants maléfiques semant la terreur chez leurs aînés. Tout commence dans le village anglais de Midwich, frappé un beau jour par un étrange phénomène de perte de conscience collective. Tous les habitants s’y endorment subitement, s’écroulant au sol sans préavis. Les tracteurs tournent en rond, les fers à repasser brûlent sur leurs planches, les robinets coulent inlassablement, et tous les êtres vivants restent inertes pendant plusieurs heures… Cette brutale narcolepsie est délimitée par une zone invisible entourant le village, et tous ceux qui y pénètrent sombrent aussitôt dans les bras de Morphée. Deux mois après cet événement inexplicable, douze femmes de Midwich se retrouvent enceintes, alors qu’aucun acte sexuel ne semble en être à l’origine.

Or cette immaculée conception n’a pas une origine divine mais extra-terrestre, comme en prélude à une invasion massive et parasitaire. D’où la référence aux coucous, connus pour déposer leurs œufs dans les nids des autres oiseaux. Les douze enfants issus de ces grossesses mystérieuses s’avèrent différents du commun des mortels. Parfaitement développés d’un point de vue physique, ils arborent tous une crinière blonde platine bien peignée et un regard glacial. Aucune chaleur humaine ne se dégage d’ailleurs de cette progéniture à l’intelligence bien au-dessus de la moyenne. Lorsqu’ils révèlent leur capacité à lire dans les pensées d’autrui et à influer sur leur comportement, poussant ceux qui les gênent à se suicider brutalement, la menace devient tout à fait tangible. Mais comment lutter contre des enfants capables par simple suggestion de vous inciter à précipiter votre voiture contre un mur, à vous tirer une balle en pleine tête ou à vous immoler ? Le professeur Gordon Zellaby (George Sanders), lui-même père d’une de ces redoutables têtes blondes, va tenter le tout pour le tout…

Le mur de briques…

L’efficacité du récit imaginé par John Wyndham est ici relayée par une mise en scène efficace, nerveuse et dénuée de fioritures. Entrée au panthéon des séquences clef de l’histoire du cinéma fantastique, la vision très inquiétante des enfants fixant sur les adultes un regard lumineux hypnotisant fut obtenue en incrustant sur le visage des jeunes comédiens l’image en négatif de leurs propres pupilles. Quant à leur perruque blonde, les maquilleurs les conçurent autour d’une structure conique laissant subtilement imaginer un crâne surdéveloppé. Mais toutes ces trouvailles n’auraient été que d’ingénieux artifices sans le jeu extraordinaire des acteurs en culottes courtes, dominés par un Martin Stephens tout à fait étonnant. Le suspense final, au cours duquel notre héros s’efforce de se concentrer sur l’image d’un mur de briques pour ne pas laisser les petits monstres pénétrer dans ses pensées, clôt magnifiquement ce chef d’œuvre incontesté.


© Gilles Penso

Partagez cet article

LA NUIT DES MASQUES (1978)

Le film le plus rentable de John Carpenter est aussi celui qui a lancé officiellement la vogue du slasher

HALLOWEEN

1978 – USA

Réalisé par John Carpenter

Avec Jamie Lee Curtis, Donald Pleasence, Nancy Loomis, P.J. Soles, Charles Cyphers, Kyle Richards, Brian Andrews

THEMA TUEURS I SAGA HALLOWEEN I JOHN CARPENTER

Souvent galvaudée, l’expression « film culte » s’adapte pourtant à merveille à certains longs-métrages entrés dans la légende. Halloween en fait partie. D’abord titré La Nuit des Masques lors de sa première sortie en salles chez nous, à une époque où la fête des citrouilles n’avait pas encore gagné la France, le slasher de John Carpenter est emblématique par bien des aspects : sa musique électronique, son tueur muet, son masque blanc recyclant celui du capitaine Kirk, sa jeune héroïne incarnée par une Jamie Lee Curtis à l’aube de sa carrière… L’histoire commence comme une légende urbaine, au milieu des années soixante. La petite ville américaine d’Haddonfield, dans l’Illinois, est frappée par un crime abominable : celui d’une jeune fille par son frère Michael Myers, âgé d’à peine six ans, en plein soir d’Halloween. Dix-sept ans plus tard, l’assassin s’échappe de l’institut psychiatrique où il était interné et revient sur les lieux de son crime. La vogue du psycho-killer, annoncée par Psychose, aura été définitivement lancée par Halloween, qui en a dicté les principes majeurs. Rançon de la gloire : aux yeux du jeune public, le film de John Carpenter, qui faisait office de précurseur lors de sa sortie, ne se distingue plus beaucoup désormais de sa trop prolifique descendance, ses mécanismes ayant notamment été galvaudés par la franchise Vendredi 13. Carpenter nous avouait avec le recul : « A l’époque, personne n’avait encore vu de film utilisant de tels artifices : la musique, le rythme du montage… A présent, c’est le lot quotidien du cinéphile. Tous les films d’horreur contiennent désormais ces effets de mise en scène. Au moment de sa sortie, les gens criaient en voyant ce film, mais plus maintenant. » (1) 

Mais pour qui se replonge dans la prodigieuse atmosphère bâtie par Carpenter, Halloween n’en finit plus de révéler ses trésors de mise en scène et ses trouvailles visuelles. Le film s’ouvre sur un long plan-séquence en caméra subjective qui se conclue de fort surprenante manière. Puis le film donne la vedette à Jamie Lee Curtis, dans un rôle de baby-sitter ingénue. Sa présence dans le film est très symbolique dans la mesure où elle est la fille de Janet Leigh, héroïne de Psychose. La suite immédiate de sa carrière la confirmera d’ailleurs comme « star des slashers » (Le Bal de l’horreur, Le Monstre du train, Déviation mortelle). Dans le rôle du psychiatre Loomis, Donald Pleasence déambule dans le film en ne cessant de ressasser à qui veut l’entendre que Michael Myers n’est pas un homme mais le mal personnifié. Comme toujours, John Carpenter gère avec beaucoup de maestria l’unité de lieu (une rue avec deux maisons adjacentes) et de temps (la nuit d’Halloween), ainsi que les apparitions furtives et inquiétantes du tueur – connues du spectateur mais pas des protagonistes – sur lesquelles repose une bonne partie des effets de suspense. La musique synthétique, sommaire et répétitive de Carpenter accentue la tension du film. Elle s’est muée depuis en véritable classique du genre.

La naissance d'une légende

Malgré le prologue nous le présentant enfant, il est difficile d’appréhender le personnage de Myers comme un tueur classique, rien n’expliquant son invulnérabilité aux balles ou ses motivations meurtrières. À moins qu’il ne soit pas un simple humain – ce que Loomis se tue à dire aux autorités – mais une sorte de croquemitaine surnaturel ? C’est en tout cas la voie que prendront progressivement les épisodes ultérieurs de la saga. Par ailleurs, la perplexité nous gagne face à cette tendance à préserver ou punir les personnages selon qu’ils font preuve de chasteté ou non. Étant donné qu’il est difficile de soupçonner de puritanisme un cinéaste aussi peu politiquement correct que John Carpenter, sans doute faut-il voir dans cette équation sexe = mort la concrétisation d’une obsession commune à maints tueurs en série, témoin Jack l’éventreur qui n’assassinait que des prostituées. Quinze ans après la sortie d’Halloween, John Carpenter déclarait : « Je n’arrive toujours pas à croire qu’on ait réussi à faire ce film pour 300 000 dollars en 22 jours ! » (2) Et de conclure : « Les autres films de la série Halloween n’étaient que des photocopies du film original. Mais la présence de Donald Pleasence suffit à les rendre intéressants. » (3) Toujours est-il que La Nuit des masques est entré dans la légende, tandis qu’aucune de ses séquelles ne laissa de trace marquante dans l’histoire du cinéma fantastique.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

PSYCHOSE (1960)

Alfred Hitchcock adapte le roman de Robert Bloch et crée l'ancêtre de tous les slashers de la décennie suivante

PSYCHO

1960 – USA

Réalisé par Alfred Hitchcock

Avec Janet Leigh, Anthony Perkins, Vera Miles, John Gavin, Martin Balsam, John McIntyre

THEMA TUEURS I SAGA PSYCHOSE

La Mort aux trousses était une superproduction colossale aux moyens impressionnants et au casting prestigieux. Pour son film suivant, Alfred Hitchcock décida de revoir ses ambitions à la baisse, pour éviter la surenchère. Psychose est donc une œuvre plus minimaliste, et son impact n’en est que plus fort. Le scénario de Joseph Stefano adapte assez fidèlement le roman homonyme de Robert Bloch, édité l’année précédente. Mais là où l’écrivain évacuait tout glamour, décrivant son héroïne Mary Crane avec « un visage ravagé, aux traits tirés » et affublant son anti-héros Norman Bates d’« un gros visage à lunettes d’où sortait une voix hésitante et douce », Hitchcock opte pour des choix plus séduisants. Mary – rebaptisée Marion – a désormais les traits particulièrement avenants de Janet Leigh, et Norman le visage sympathique et la silhouette svelte d’Anthony Perkins. Pourquoi ? Pour l’agrément du spectateur, sans doute, mais aussi et surtout pour que le choc gigantesque, surgissant à un tiers du métrage, n’en soit que plus fort. Car Psychose est une véritable montagne russe horrifique.

Lorsque le film commence, Marion demande à son amant de l’épouser. Mais il a des difficultés d’argent. Elle se rend alors à son travail, vole à son patron une forte somme d’argent et s’enfuit en voiture. La nuit tombée, elle trouve refuge dans un motel dirigé par un jeune homme sympathique mais un peu timide, Norman Bates, dont la vieille mère vit dans la grande bâtisse qui se dresse près du motel. Alors qu’elle prend une douche, Marion est sauvagement assassinée par une silhouette féminine qui s’enfuit rapidement. En découvrant le cadavre, Norman s’affole, semble croire que sa mère est responsable, et s’empresse de dissimuler le corps… Le film le plus célèbre du réalisateur le plus célèbre du monde, maintes fois copié, plagié et refait, est donc un formidable exercice de style sur la manipulation du spectateur et le faux-semblant.

Un magistral faux départ

En ce sens, la première partie de Psychose est l’un des plus magistraux faux départs qu’il nous ait été donnés de voir. Nous sommes trompés à la fois sur le genre du film, sur son sujet et sur le personnage principal. En effet, ce qui ressemblait à un récit policier bascule brusquement dans l’épouvante, l’argent volé et la fuite ne sont qu’anecdotiques, et celle qui semblait être l’héroïne meurt en plein milieu du film ! Les scènes de meurtres sont d’autant plus efficaces qu’Hitchcock les suggère sans rien montrer, les violons déchirants de Bernard Herrmann décuplant leur impact. Tourné avec une équipe réduite, un budget de téléfilm et une pellicule en noir et blanc, Psychose contourne en beauté ces contraintes, le réalisateur ayant concentré ses efforts sur quelques scènes clefs qui resteront à tout jamais gravées dans la mémoire des spectateurs, tout particulièrement le meurtre sous la douche, l’assassinat d’Arbogast et le coup de théâtre final, donnant soudain un sens nouveau à l’ensemble de l’intrigue. Anthony Perkins est si convaincant en schizophrène inhibé qu’il aura dès lors bien du mal à changer de registre, les réalisateurs l’ayant un peu vite catalogué sous l’étiquette exclusive des tueurs psychopathes.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

TERMINATOR (1984)

Avec un budget très modeste et un acteur principal pas encore devenu superstar, James Cameron crée une véritable légende

THE TERMINATOR

1984 – USA

Réalisé par James Cameron

Avec Arnold Schwarzenegger, Linda Hamilton, Michael Biehn, Paul Winfield, Lance Henriksen, Dick Miller

THEMA ROBOTS I VOYAGES DANS LE TEMPS I FUTUR I SAGA TERMINATOR

Véritable figure emblématique du cinéma d’action et de science-fiction, Terminator est né dans l’imagination de James Cameron sous la forme d’une seule image : le squelette métallique d’un robot surgissant d’un brasier. C’est cette idée visuelle qui guida Cameron dans l’écriture du scénario. Son récit s’amorce en 2019, au cœur d’un futur post-apocalyptique dirigé par des ordinateurs qui ont signé l’arrêt de mort de la race humaine. D’énormes machines roulent dans les montagnes, qui ne sont que d’abominables charniers humains, avec pour mission de détruire les derniers rebelles. Ces “guérilleros”, menés par John Connor, arrivent cependant à percer les lignes de défense des oppresseurs mécaniques et leur victoire est proche. Les machines envoient alors dans le passé un Terminator, cyborg mi-humain mi-mécanique, pour éliminer Sarah Connor, la mère du chef rebelle, empêchant ainsi la naissance de John. Les rebelles envoient à leur tour un des leurs à la poursuite de la machine tueuse. Le Terminator et son poursuivant, le soldat Reese, nus et désarmés, débarquent donc dans le Los Angeles contemporain et se livrent une bataille dont ils sont les seuls à connaître l’enjeu. Ancien homme à tout faire au sein du département effets spéciaux de New World, la compagnie de Roger Corman, James Cameron n’était pas encore considéré comme cinéaste au début des années 80, sa seule incursion dans la mise en scène s’étant résumée au très anecdotique Piranhas 2.

Quant à l’acteur auquel il souhaitait donner la vedette, le sculptural Arnold Schwarzenegger, il n’était alors connu que par le rôle titre de Conan le barbare. La mise en chantier de Terminator n’était donc guère aisée, mais la productrice Gale Anne Hurd tomba vite amoureuse du scénario, et la compagnie Hemdale alloua finalement à Cameron un très modeste budget de six millions et demi de dollars. Si on le schématise à l’extrême, Terminator n’est qu’une longue course-poursuite. Mais l’intrigue prend déjà une toute autre dimension de par l’enjeu de cette course-poursuite (la survie de la race humaine) et grâce à de savoureux paradoxes temporels, dignes de la pentalogie de La Planète des Singes, liant en une boucle complexe présent et futur. « J’ai toujours été féru de science et d’ingénierie, et c’est la raison pour laquelle la technologie a toujours une place importante dans mes films », déclare James Cameron. « Pourtant, c’est en imaginant des personnages forts et en m’entourant d’acteurs de talent que je trouve le plus de plaisir. » (1)

Naissance d'une icône

Arnold Schwarzenegger était un Conan idéal. Il s’avère tout aussi parfait en cyborg dénué d’émotion qui ne recule absolument devant rien pour accomplir la destructrice mission pour laquelle il a été programmé, reprenant à la puissance dix les attributs du robot tueur quasi-indestructible interprété par Yul Brynner dans Mondwest. James Cameron montre enfin l’ampleur gigantesque de son talent, maîtrisant en virtuose les scènes d’action extrêmement mouvementées et les effets spéciaux complexes. Maquillages (l’œil et le bras arrachés du Terminator), effets mécaniques (les parties robotisées du cyborg qui apparaissent au fur et à mesure de ses altérations physiques) et animation image par image (les vaisseaux spatiaux du futur, et surtout la fabuleuse séquence finale montrant le squelette du robot mis à nu) se mêlent avec une exemplaire homogénéité. Le film aurait pu – aurait dû ? – rester une œuvre unique et singulière sans suite. Mais le succès fut tel qu’une saga multiforme en découla et se propagea bientôt sur tous les écrans. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2009

 
© Gilles Penso

Partagez cet article

LA MACHINE A EXPLORER LE TEMPS (1960)

Une adaptation flamboyante du roman d'Herbert George Wells, sous la direction de George Pal

THE TIME MACHINE

1960 – USA

Réalisé par George Pal

Avec Rod Taylor, Yvette Mimieux, Alan Young, Sebastian Cabot, Whit Bissell, Doris Lloyd, Tom Helmore 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS

Après avoir signé plusieurs merveilles sur pellicule telles que les Pupetoons et Les Aventures de Tom Pouce, George Pal s’attaque à H.G. Wells, d’abord en produisant l’apocalyptique La Guerre des mondes, puis en réalisant lui-même l’adaptation du roman « La Machine à Explorer le temps », publié en 1895. Cette ambitieuse production, réalisée avec un modeste budget de 830 000 dollars, a rapidement atteint le statut de classique du genre. Le scénario se situe le 31 Décembre 1899. Dans un confortable appartement londonien, les amis de George (Rod Taylor, future vedette des Oiseaux), un célibataire épris de recherche scientifique, le voient surgir les vêtements déchirés, le visage et le corps meurtris. Ce dernier leur explique qu’il vient de faire une incursion dans le futur à bord d’une machine à explorer le temps secrètement mise au point dans son laboratoire. Incrédules, ses amis acceptent tout de même son invitation à dîner pour le 5 janvier 1900. Ce jour-là, George raconte aux convives son incroyable aventure. Grâce à son invention, il a pu traverser le temps sans changer d’espace. Via un trucage sommaire mais ô combien inventif, George Pal nous montre ainsi le mannequin d’un magasin de mode qui n’en finit plus de changer de tenue, témoin de la futilité et de la rapidité des modes vestimentaires.

Notre héros se projette ensuite en 1917, 1943 et 1966, où une catastrophe nucléaire ravage la planète, via un emploi intensif de maquettes et d’effets pyrotechniques. George et sa machine se retrouvent prisonniers dans une montagne, qui ne s’érodera que bien plus tard. George arrête alors sa machine le 12 octobre 802701. La vie y semble paradisiaque, la nature a repris ses droits et les humains semblent insouciants et joyeux. Mais ce n’est hélas qu’une apparence, car les hommes, qui répondent au nom d’Elois, n’ont plus aucune émotion dans cet avenir imaginaire, et se sont mués en bétail servant de nourriture à une race de monstrueux mutants troglodytes et nyctalopes, les Morlocks. George, révolté, fomente alors une rébellion, éveillant chez les Elois des sentiments humains enfouis depuis des millénaires, et tombe amoureux de la belle Weena (Yvette Mimieux).

une infinité d'effets spéciaux artisanaux

Technicolor chatoyant, décors dantesques, séquences d’action mouvementées, La Machine à explorer le temps assume pleinement son statut de grand spectacle et de divertissement de tous les instants. Et puis, élément récurrent de l’œuvre de Pal, il comporte une flopée d’effets spéciaux inventifs et surprenants. Le film se permet même une petite incursion dans l’horreur graphique, via cette vision singulièrement gore du cadavre d’un Morlock qui se décompose à toute vitesse, grâce à un effet d’animation image par image. « Tous ces effets étaient très artisanaux », nous raconte Wah Chang, leur superviseur. « Nous n’avions pas d’ordinateur à l’époque, c’étaient des manipulations manuelles. A mon avis, pour réaliser ce type de trucage en image de synthèse, il faudrait beaucoup plus de temps qu’il ne nous en a fallu avec nos maquettes. » (1) En 1960, La Machine à explorer le temps remporte l’Oscar des meilleurs effets spéciaux et s’avèrera être le plus gros succès financier de George Pal. 


(1) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 1998. 

© Gilles Penso

Partagez cet article

RE-ANIMATOR (1985)

Stuart Gordon éclabousse l'écran de gore, d'humour noir et d'érotisme à l'occasion de cette adaptation très libre de l'univers d'H.P. Lovecraft

RE-ANIMATOR

1985 – USA

Réalisé par Stuart Gordon

Avec Jeffrey Combs, Bruce Abbott, Barbara Crampton, David Gale, Robert Sampson, Gerry Black, Carolyn Purdy-Gordon 

THEMA ZOMBIES I MEDECINE EN FOLIE I SAGA RE-ANIMATOR CHARLES BAND

Porter à l’écran l’écrivain H.P. Lovecraft, réputé « maître de l’indicible », n’était pas une tâche aisée. Le réalisateur Stuart Gordon, le producteur Brian Yuzna et les scénaristes Dennis Paoli et William Norris ont relevé le défi avec culot, en reprenant les personnages et les événements décrits dans le roman à épisodes « Herbert West, réanimateur », publié en 1921. Afin d’adapter le récit initial aux goûts de l’époque, Gordon et son équipe ont resserré les péripéties dans le temps (la nouvelle s’étale sur 16 ans) et les ont transposées en 1985. Pour couronner le tout, le cinéaste a insufflé à son film deux éléments résolument étrangers à l’univers lovecraftien : la comédie et le sexe. Même si, convenons-en, l’humour est ici très noir et l’érotisme plutôt morbide. Le style de l’écrivain n’est donc pas fidèlement restitué, mais le résultat est une vraie réjouissance, accommodée de surcroît aux débordements du gore cher aux années 80, via une accumulation de séquences d’horreur trop excessives pour ne pas être drôles. La réussite de Re-Animator est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du premier long-métrage de cinéma de Stuart Gordon, jusqu’alors connu pour ses activités théâtrales au sein de l’Organic Theater Company de Chicago.

Le personnage central, Herbert West, jeune étudiant en médecine, débarque fraîchement à l’université d’Arkham. Il a trouvé le moyen de ressusciter les morts mais préfère pour l’instant en garder le secret. Assez rapidement, West se choisit une demeure qu’il va partager avec Dan, un autre étudiant, et couve déjà d’un œil cupide la cave qui servira à ses hérétiques expériences. Il s’en prend d’abord au chat de la maison qui, de cadavre conservé au frigo, se transforme bientôt en bête meurtrière avant d’être écrabouillé. Devant Dan, West démontre l’efficacité de son produit fluorescent qui, par simple injection, fait revenir à la vie le cadavre mutilé. Bien qu’il soit effrayé, Dan accepte d’aider West. Un corps robuste est donc réanimé à la morgue de l’université et se jette frénétiquement sur Alan Halsey, père de la fiancée de Dan et administrateur de l’école. West élimine le mort-vivant avec un trépan électrique et ressuscite aussitôt Halsey. Mais les morts, après leur résurrection, n’ont plus du tout le comportement qu’ils avaient de leur vivant. D’où une cascade de situations virant du vaudeville au cauchemar le plus intense. 

La folie d'Herbert West

Dans la peau de l’ambigu Herbert West, personnage très sombre mais qui, peu à peu, gagne la sympathie des spectateurs, Jeffrey Combs révèle un grand talent, trouvant là indiscutablement le rôle de sa vie. Pour Stuart Gordon, Re-Animator est également une œuvre d’exception, sans doute la plus aboutie de toute sa carrière. La compagnie Empire produisant le film, Charles Band eut son mot à dire sur plusieurs aspects du long-métrage, imposant notamment le chef opérateur Mac Ahlberg et le compositeur Richard Band (son propre frère). Autre familier des productions Empire, John Buechler agrémente le film d’effets spéciaux gore particulièrement spectaculaires. Au cours du climax, sommet de frénésie et de démesure, West est carrément attaqué par les entrailles d’un cadavre qui tentent de l’étouffer comme un anaconda ! « Le premier montage de Re-Animator montrait un film très sérieux, sans humour du tout », nous explique Brian Yuzna. « Mais dès que Richard Band a composé la bande originale, certaines séquences ont pris un second degré comique, lorgnant même parfois du côté du cartoon. » (1) Quant au thème du générique, c’est un hommage très appuyé à celui de Psychose. Le sujet du film évoque irrésistiblement Frankenstein, et la suite, réalisée par Yuzna en personne, officialisera quasiment cette parenté. 

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1994

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

EVIL DEAD (1981)

Avec ce premier long-métrage, Sam Raimi déclare son amour au cinéma d'horreur en le marquant d'un style très personnel

THE EVIL DEAD

1981 – USA

Réalisé par Sam Raimi

Avec Bruce Campbell, Ellen Sandweiss, Hal Delrich, Betsy Baker, Sarah York

THEMA ZOMBIES I DIABLE ET DEMONS I SAGA EVIL DEAD

Evil Dead est le premier et sans doute le meilleur film de Sam Raimi, le mètre étalon du cinéma d’épouvante des années 80, un véritable phénomène salué à l’époque par des commentaires dithyrambiques de Stephen King en personne. Et pourtant, qui aurait misé sur un scénario aussi basique et convenu ? Les protagonistes sont cinq amis (deux couples et une jeune femme un peu solitaire) qui ont loué une cabane dans la montagne. L’endroit est sinistre, recouvert d’une épaisse brume et envahi par une végétation très dense. Dans la cave de la maison, où l’horloge s’est subitement arrêtée, ils découvrent un vieux grimoire dont la couverture grimaçante semble être faite avec de la peau humaine, un gros magnétophone et une bande enregistrée par le dernier locataire. Celui-ci faisait des études sur la sorcellerie, et a vraisemblablement provoqué la colère de démons qui hantent l’endroit. En remettant en marche le magnétophone, une formule rappelant les démons est prononcée à voix haute. La chose monstrueuse qui vient de se réveiller dans les bois va transformer le séjour en véritable cauchemar. Les arbres, soudain animés d’une vie propre, violent Cheryl, mutilent Scott, et tous deux se muent bientôt en morts-vivants, tout comme Linda et Shelley. Seul survivant, Ash devra farouchement lutter contre ses anciens amis transformés en monstres hideux et hystériques…

On dit que tout le talent d’un auteur transparaît déjà à travers sa première œuvre, fut-ce un petit film d’horreur tourné avec une équipe de jeunes amateurs, du matériel 16 mm et un budget étriqué. Evil Dead confirme l’assertion, tant le résultat, étonnamment maîtrisé, recèle déjà en substance le génie de Sam Raimi et la quintessence de ses travaux futurs. Recyclant un thème d’une banalité pourtant effarante, Evil Dead se détourne bien vite des mécanismes d’un Vendredi 13 auquel son prologue peut faire penser pour faire monter lentement l’épouvante à coups de chocs visuels surprenants, dont certains semblent s’inspirer de L’Exorciste, jusqu’à une explosion d’horreur où les scènes les plus éprouvantes ne sont pas épargnées au spectateur. Le décor réel extrêmement sobre, les acteurs débutants au jeu très effacé, le grain de l’image, tout concourt à faire d’Evil Dead un film au climat très anxiogène.

L'opéra de la terreur

Mais c’est surtout la manière révolutionnaire qu’adopte Sam Raimi pour filmer son histoire qui restera dans les mémoires : travellings vertigineux accompagnés de rugissements indéterminés pour montrer la vision subjective du démon, panoramiques étonnants conçus en boucles fermées, très gros plans, angles de prise de vue des plus inattendus, jeux constants sur les effets sonores (la voiture qui avance silencieusement au milieu des arbres qui craquent, la balançoire qui frappe la porte de la cabane dans un vacarme assourdissant)… Tout ce déploiement de techniques insolites, déjà expérimenté dans le court-métrage Within the Woods qui servit de brouillon du film, sera utilisé comme leitmotiv dans l’œuvre ultérieure de Raimi. Notons qu’Ethan Coen, futur réalisateur de talent (Sang pour sang, Fargo, Le Grand saut), fit lui aussi ses premières armes sur Evil DeadEvil Dead fera sensation en 1982 au marché du film de Cannes et au Festival du Film Fantastique de Paris, puis deviendra un hit des vidéoclubs, alors en pleine expansion. Porté par le succès inattendu de son film, Sam Raimi en réalisera deux séquelles officielles, exploitant le caractère comique de l’intrigue sans se priver d’horreur graphique et d’outrances visuelles.

 

© Gilles Penso

 

A découvrir

Partagez cet article

LA NUIT DES MORTS-VIVANTS (1968)

George Romero s'inscrit dans les préoccupations de la société de la fin des années 60 et invente le cinéma d'horreur moderne

NIGHT OF THE LIVING DEAD

1968 – USA

Réalisé par George A. Romero

Avec Duane Jones, Judith O’Dea, Karl Hardman, Marilyn Eastman, keith Wayne, Judith Ridley, Kyra Schon 

THEMA ZOMBIES I SAGA LES ZOMBIES DE ROMERO

Après plusieurs décennies de zombies créés par des savants fous émules du docteur Frankenstein, praticiens du vaudou ou apprenti sorciers jouant avec l’atome, George Romero propose sa propre version du mythe, le révolutionnant à tout jamais en y injectant une bonne dose de satire sociale très en accord avec les mentalités de cette fin des années 60. « J’ai emprunté l’idée au roman « Je suis une légende » de Richard Matheson », avoue Romero. « Le livre commençait alors qu’il ne restait plus qu’un seul homme sur terre. Je me suis donc dit qu’il serait intéressant de raconter ce qui a pu se passer avant cette situation critique. » (1) Le film s’amorce assez abruptement. Alors qu’ils se rendent au cimetière, Barbara et son frère Johnny sont attaqués par un zombie qui tue Johnny, carrément. Barbara, terrifiée, s’enfuit avec sa voiture mais un accident la rend inutilisable. Elle poursuit sa course à pied et trouve refuge dans une maison abandonnée où elle rencontre Ben, qui résiste lui aussi contre une horde de morts ranimés soudainement sans explication logique. La radio évoque bien une expérience atomique, ou les retombées d’un satellite envoyé par la Terre, mais rien n’est confirmé. Ce qui est sûr, c’est que toute personne blessée ou tuée par un des morts-vivants devient l’un des leurs. Dans la cave de la vieille maison se sont réfugiés deux couples et une petite fille. Les survivants devront donc à la fois lutter contre les cadavres ambulants qui les assaillent, mais aussi régler les guerres intestines qui, peu à peu, se développent au sein de l’angoissant huis-clos.

La photographie achrome et les cadrages à l’épaule donnent à La Nuit des morts-vivants une patine réaliste et pseudo-documentaire qui a le don de singulièrement déranger le spectateur. Malgré un argument de science-fiction qui ne constitue à vrai dire qu’un prétexte, l’invasion des morts-vivants est traitée avec une sobriété et une crédibilité qui rendent très palpable la terreur des protagonistes. Point d’effet de mise en scène appuyé (si l’on excepte la tonitruante partition musicale) ni d’effets spéciaux spectaculaires (quelques impacts de balle et des maquillages blafards surexposés) ne viennent troubler cette sensation de réalisme. Romero joue ainsi la carte de la retenue et de l’austérité. 

Romero s'inspire d'Orson Welles

« J’ai cadré le film moi-même », raconte-t-il, « et j’avais en tête les films d’Orson Welles, notamment ses adaptations de Shakespeare aux images noir et blanc contrastées et aux longues ombres portées. » (2) L’aspect volontairement anecdotique du récit (nous ne nous intéressons qu’à une poignée de personnages sans savoir ce que devient le monde pendant ce temps) et le choix d’un décor étouffant et étriqué décuplent le potentiel angoissant du récit. Et comme Romero ne se fait guère d’illusions sur la nature humaine, il nous montre les survivants s’entredéchirer au lieu de se soutenir, et les chasseurs courser les zombies comme du gibier avec une bonne humeur inquiétante. Quant à la chute finale, monstrueusement injuste, elle laisse pantois. Maintes fois copié et plagié, La Nuit des morts-vivants connaîtra plusieurs suites signées par Romero lui-même, et un nombre incalculable de fausses séquelles et de remakes en tout genres.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2005

 

© Gilles Penso

 

Pour en savoir plus

Partagez cet article

REC (2008)

Jaume Balaguero et Paco Plaza relancent la vogue du « found footage » avec cette histoire de zombies en caméra subjective

[REC]

2008 – ESPAGNE

Réalisé par Jaume Balaguero et Paco Plaza

Avec Manuela Velasco, Ferran Terraza, Jorge Yamam, Carlos Lasarte, Pablo Rosso, David Vert, Vicente Gil, Martha Carbonell

THEMA ZOMBIES CINEMA ET TELEVISION I SAGA [REC]

Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est en tournant ensemble un documentaire sur un jeu de télé-réalité – l’équivalent espagnol de notre « Star Academy » – que Jaume Balaguero et Paco Plaza, talentueux défenseurs d’un cinéma fantastique décomplexé (Fragile pour l’un, L’Enfer des loups pour l’autre), trouvent l’idée de co-réaliser un film d’horreur en vidéo haute définition. « Le but initial était de faire le film le plus terrifiant possible en adoptant un point de vue inhabituel », raconte Balaguero. « Nous voulions plonger le spectateur à l’intérieur du film, le rendre acteur, faire du visionnage de [Rec] une véritable expérience. Nous nous sommes laissés influencer par les jeux vidéo, qui apportent une véritable interactivité. » (1) Prenant la relève de Cannibal Holocaust et Le Projet Blair Witch, et s’inscrivant dans une nouvelle vogue du « cinéma à la première personne » mis en application quasi-simultanément dans Cloverfield et Diary of the Dead[Rec] s’intéresse à Angela, journaliste pour une télévision locale barcelonaise qui, accompagnée de son cameraman, relate le quotidien de ceux qui travaillent la nuit. Ce soir, elle a choisi de s’intéresser à une caserne de pompiers. La nuit s’annonce désespérément calme, jusqu’à un énigmatique appel au secours en provenance d’un vieil immeuble. Sur place, Angela, son cadreur et les pompiers découvrent des voisins paniqués et perçoivent des cris inquiétants qui proviennent des étages supérieurs. Le cauchemar est sur le point de commencer…

Si le scénario de [Rec], une fois mis à plat, se démarque à peine des innombrables films de zombies ayant éclaboussé les écrans du monde entier dans le sillage du travail de George Romero, l’extrême méticulosité de sa mise en scène et le naturel désarmant de ses comédiens le dotent d’un statut tout à fait à part. En obligeant le spectateur à adopter le point de vue d’un cameraman ignorant tout du drame qui couve, Balaguero et Plaza créent un véritable train fantôme qui ne cesse de surprendre et s’avère extrêmement effrayant. Quoi de plus inquiétant qu’un lent travelling avant dans un couloir sombre et silencieux d’où ne tardera pas à surgir un monstre vorace et hystérique ? Calquant leurs méthodes sur celles d’un William Friedkin, les deux cinéastes réservent une large part du tournage aux improvisations, ne donnent pas toutes les informations aux comédiens et au cadreur, et obtiennent ainsi des réactions d’une très grande justesse.

La double influence de Romero et Lovecraft

L’exploit de [Rec] réside du coup dans sa capacité à s’extraire des codes habituels du genre (effets de montage, musique stressante, lumières travaillées) tout en décuplant l’impact de ses séquences horrifiques, articulées au sein de longs plans séquence. La dernière partie du film, particulièrement oppressante, ajoute à l’influence de Romero celle d’H.P. Lovecraft. « J’ai lu « L’Affaire Charles Dexter Ward » un mois avant le tournage », raconte Paco Plaza. « La manière dont Lovecraft écrit, avec ces petites notes, ces extraits de journaux et de carnets intimes, nous a inspiré le décor final » (2). Réalisé avec des moyens très réduits et tourné en vingt jours, [Rec] partage avec L’Orphelinat le titre de plus gros succès cinématographique espagnol de l’année 2007, entraînant aussitôt la mise en chantier d’un remake américain.

 

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2008

 

© Gilles Penso

Partagez cet article