E.T. L’EXTRA-TERRESTRE (1982)

Le petit film pour enfants auquel personne ne croyait et qui se mua en gigantesque phénomène de société

E.T. THE EXTRA-TERRESTRIAL

1982 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Henry Thomas, Dee Wallace-Stone, Robert MacNaughton, Drew Barrymore, Peter Coyote, K.C. Martel

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA STEVEN SPIELBERG

Après avoir tenté en vain une variation sur le thème des extra-terrestres via le projet « Nightskies » décrivant une attaque d’aliens belliqueux, Steven Spielberg est revenu à de plus paisibles rencontres du troisième type avec E.T., dont le héros, Elliot, âgé de 10 ans, est marqué par le divorce de ses parents. A deux pas de chez lui, un petit extra-terrestre amateur de plantes a été oublié sur terre par les siens. Recherché par des scientifiques avides d’informations, E.T. mourra s’il ne regagne pas rapidement sa planète. Elliot le découvre. Passée la peur naît une étrange amitié… Pour avoir adulé La Quatrième dimension pendant sa jeunesse et avoir collaboré de près avec l’un des auteurs récurrents de cette mythique série TV, Richard Matheson, à l’occasion de Duel, Steven Spielberg sait que les éléments fantastiques d’un film de science-fiction ont d’autant plus d’impact que le cadre dans lequel ils se déroulent est familier, voire banal. D’où sa propension à situer la plupart de ses intrigues dans des banlieues résidentielles américaines, où il vécut lui-même. Le déchirement du voile rassurant de la réalité n’en est que plus surprenant, sans compter le potentiel autobiographique d’une telle démarche. Or de tous ses films, le cinéaste reconnaît qu’E.T. est le plus personnel. Voilà sans doute le secret de son succès colossal et de l’empathie générée autour de son hideux héros extra-terrestre. La sincérité serait-elle donc la clef de la réussite ?

Tant pis pour les détracteurs de Spielberg, persuadés que les grosses ficelles mélodramatiques et lacrymales eurent raison d’un public trop sensible. Si E.T. touche autant, c’est qu’il raconte sans épure le rêve réel d’un enfant devenu metteur en scène, ce dernier faisant ici preuve d’une indéniable maîtrise du récit et de la dramaturgie. D’emblée, le film surprend par la qualité picturale de ses images, le soin apporté aux éclairages et l’admirable composition de chacun des cadrages. Visuellement – et musicalement avec la très belle partition aérienne de John Williams – le film est magistral. L’histoire, d’une très grande simplicité, est transcendée par la mise en scène particulièrement rigoureuse d’un réalisateur arrivé ici au sommet de son art. Assez curieusement, E.T. semble constituer une sorte de préquelle de Rencontres du troisième type, le petit extra-terrestre égaré laissant présager une venue plus massive de ses semblables.

Le faiseur de miracles mort et ressuscité

De nombreuses réminiscences bibliques sont présentes dans l’œuvre de Spielberg, et E.T. ne déroge évidemment pas à la règle. Le parcours de cet étranger faiseur de miracles, traqué, mort puis ressuscité, n’est-il pas celui d’un être christique ? Malgré la tentation et les pressions dues au succès inespéré du film, et contrairement à ce qu’annonçait un roman pour enfants publié au milieu des années 80 et narrant de nouvelles aventures du petit extra-terrestre, Spielberg eut le bon goût de ne pas en réaliser de séquelle. Il eut en revanche la très mauvaise idée d’en effectuer un remontage vingt ans plus tard, insérant d’inutiles scènes coupées, des images de synthèse anachroniques, et modifiant des séquences entières pour effacer les fusils des policiers et les remplacer par des lampes de poche !

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

UN ANGE POUR SATAN (1966)

Un récit de possession diabolique et de statue vivante illuminé par la beauté inquiétante de Barbara Steele

UN ANGELO PER SATANA

1966 – ITALIE

Réalisé par Camillo Mastrocinque

Avec Barbara Steele, Antonio Stephen, Ursula Davis, Claudfio Gora, Marina Berti, Aldo Berti, Mario Brega, Giovanna Lenzi

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Contrairement à ses confrères Mario Bava, Riccardo Freda ou Antonio Margheriti, qui furent les grands artisans du cinéma d’épouvante italien des années 60, Camillo Mastrocinque s’est surtout fait connaître comme réalisateur de comédies (il dirigea notamment le fameux acteur burlesque Toto). Du coup, Un Ange pour Satan fait presque office d’exception dans sa filmographie, même si notre homme avait déjà approché le genre avec La Crypte du vampire. Peu intimidé, il s’empare sans complexes de ce récit de possession diabolique et le dote d’une remarquable atmosphère déliquescente.

Nous sommes à la fin du dix-neuvième siècle. Accompagnés par les violons magnifiquement mélancoliques du compositeur Francesco de Masi, trois hommes traversent en barque un lac lugubre pour atteindre bientôt la côte d’un village italien. Là, l’artiste Roberto Merigi (Antonio Stephen) a été engagé par le comte Montebruno (Claudio Gora) pour restaurer la statue d’une déesse antique qui, selon les villageois en proie à la superstition, est porteuse d’une terrible malédiction. Le comte lui-même semble attacher du crédit à ces racontars. « Sans le secours des légendes, l’art perdrait de sa force », lui rétorque Merigi, histoire d’afficher son scepticisme de manière élégante. Lorsqu’Harriet (Barbara Steele), la nièce du comte, revient de ses études en Angleterre pour reprendre possession du domaine, Roberto est frappé par sa ressemblance avec le visage de la statue. Elle accepte même de poser pour lui pour l’aider dans ses travaux de restauration. Bientôt, une idylle s’installe entre eux, mais elle est de courte durée. La jeune femme est en effet prise de brusques changements de comportements. Autoritaire, cruelle, hystérique, elle se met à séduire tous les hommes du village, à semer la discorde autour d’elle et à provoquer des morts violentes. Harriet est-elle possédée par l’esprit maléfique de la statue ?

Entre aristocratie feutrée et sadisme primaire

Inspiré d’une nouvelle de Luigi Emmanuelle, Un Ange pour Satan évoque plusieurs œuvres littéraires, notamment la fameuse « Vénus d’Ille » de Prosper Mérimée et la « Vénus de Périgon » de Clark Ashton Smith, avec lesquelles il partage plusieurs thématiques. Si Barbara Steele est connue pour ses rôles de femmes fatales à la beauté altière et glaciale, elle fut rarement aussi troublante et équivoque qu’ici, passant en un clin d’œil de l’aristocratie feutrée au sadisme le plus primaire. Plusieurs scènes équivoques ponctuent ainsi le métrage, notamment lorsqu’elle tente de séduire sa servante Rita, ou lorsqu’elle se dévêt devant l’idiot du village puis le flagelle en plein visage pour avoir osé la regarder… Mastrocinque lui-même compose habilement avec le budget étriqué à sa disposition, préférant aux visions gothiques de ses confrères une atmosphère plus naturaliste et plus austère, ce qui n’empêche pas quelques séquences d’épouvante quasi-surréalistes, notamment lorsque le visage grimaçant d’un tableau se boursoufle hideusement pendant une scène de cauchemar. Dommage que la révélation finale, un peu absurde, gâche quelque peu le sel de l’intrigue, sans toutefois altérer le charme vénéneux de cette œuvre d’exception conçue sur mesure pour la belle Barbara.

© Gilles Penso

Partagez cet article

ALWAYS (1989)

Steven Spielberg offre une nouvelle fois un rôle sur mesure à Richard Dreyfuss, celui d'un fantôme qui n'a pas encore fait le deuil de sa vie terrestre

ALWAYS

1989 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Richard Dreyfuss, Holly Hunter, Brad Johnson, John Goodman, Audrey Hepburn, Roberts Blossom

THEMA FANTÔMES I DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE I SAGA STEVEN SPIELBERG

Si de nombreux classiques du cinéma hollywoodien ont bercé les jeunes années de Steven Spielberg et ont influencé ses films, il ne s’était jusqu’alors jamais laissé tenter par l’exercice du remake. Always fait donc figure d’exception. Il faut dire que le film qui sert ici de modèle, Un nommé Joe, occupe une place particulière dans le cœur du cinéaste. Bercé depuis longtemps par les récits de son père, aviateur pendant la seconde guerre mondiale, le jeune Steven est particulièrement touché par le film de Victor Fleming lorsqu’il le découvre sur son petit écran. Il y retrouve les héros volants de la deuxième guerre mondiale qui le fascinent tant. Mais une autre composante du film le séduit : le caractère purement fantastique du scénario, qui propose une vision très originale de l’au-delà, des fantômes et des anges. Au lieu de situer Always en pleine seconde guerre mondiale, le récit est modernisé et les aviateurs de guerre sont devenus des pilotes de Canadairs. L’ennemi est désormais universel. C’est le feu qui ronge les forêts. Le film s’avère généreux en époustouflants combats contre le feu, entièrement reconstitués via des effets visuels à base de maquettes supervisés par ILM. Toutefois, la voie qu’emprunte Always s’éloigne du spectaculaire au profit d’un fantastique empreint de légèreté, de simplicité et de tendresse, voire de poésie en certains moments inspirés. Le choix des comédiens n’y est pas étranger. 

Endeuillée s’efforçant maladroitement de réfréner ses émotions, Holly Hunter est très convaincante dans le rôle de Dorinda, qui vient de perdre son bien-aimé au cours d’un de ces crashs aériens qu’elle redoutait depuis longtemps. Successeur idéal de Spencer Tracy, Richard Dreyfuss campe un fantôme très attachant, son personnage étant sans cesse partagé entre l’humour et l’amertume. Le concept qui sous-tend le film est lui-même fascinant puisqu’il s’agit d’une métaphore de l’inspiration. Pete Sandich, devenu ange gardien, doit servir de guide spirituel à un jeune pilote en s’asseyant derrière lui et en lui murmurant un code de conduite, comme le fit sans doute pour lui un autre fantôme lorsqu’il était vivant. Spielberg travaillant lui-même ici sous l’influence de Victor Fleming, la mise en abyme s’avère délectable.Entouré de son équipe habituelle (John Williams à la musique, Michael Kahn au montage, Kathy Kennedy et Frank Marshall à la production), Spielberg fait cependant appel pour la première fois au directeur de la photographie Mikael Salomon, qu’il choisit après avoir découvert son travail impressionnant sur Abyss de James Cameron, à qui Always rend un petit hommage au cours d’un climax situé sous les eaux. Cameron et Spielberg se renvoient ainsi la balle, dans la mesure où le final d’Abyss s’inspirait pour sa part de celui de Rencontres du troisième type.

Les adieux d'Audrey Hepburn

 Même si les dialogues écrits par le scénariste Jerry Belson sont souvent brillants, Spielberg continue à préférer employer le langage cinématographique au lieu du texte pour véhiculer les émotions les plus fortes. Témoin la première scène d’Always, dans laquelle Dorinda manipule machinalement une petite cuiller pendant que Pete fait un atterrissage forcé dans des circonstances très risquées. Une fois qu’il est sain et sauf et qu’elle soupire, la caméra cadre la cuiller passablement tordue posée sur une table. L’ustensile quasiment plié en deux symbolise mieux que n’importe quel dialogue l’état de tension extrême vécu par le personnage. Pour autant, Spielberg ne storyboarde quasiment pas son film afin de se laisser une grande marge de manœuvre et d’improvisation pendant le tournage. Bercé par les mélodies éthérées de John Williams et les vieux standards des Platters, Always est un film débordant de charme, mais il ne rencontre guère son public et sombre dans l’oubli. Paradoxalement, le Ghost de Jerry Zucker, qui reprend de manière beaucoup moins subtile le principe du scénario d’Always et plusieurs de ses idées fortes, connaîtra un succès bien plus important. La comédie romantique amère et fantastique marque enfin les adieux d’Audrey Hepburn, qui incarne ici un ange. C’est une manière supplémentaire pour Spielberg d’affirmer que son film vit sous l’influence des anciennes gloires d’Hollywood et de lui rendre hommage à sa manière. Ce sera le dernier rôle de la star de Diamants sur canapé et My Fair Lady, avant qu’elle ne parte rejoindre à son tour les étoiles du Paradis du Cinéma.

© Gilles Penso

Partagez cet article

HOOK OU LA REVANCHE DU CAPITAINE CROCHET (1991)

Steven Spielberg met en scène un Peter Pan vieillissant qui va devoir retourner au Pays Imaginaire pour sauver ses enfants

HOOK

1991 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Dustin Hoffman, Robin Williams, Julia Roberts, Bob Hoskins, Maggie Smith, Caroline Goodall

THEMA CONTES I SAGA STEVEN SPIELBERG

Avec Hook, Steven Spielberg s’attaquait à la fois à un remake et à une suite du Peter Pan de Walt Disney, l’une des œuvres qui marquèrent durablement son enfance. Malgré sa promesse de ne jamais grandir, Peter Pan est devenu adulte. Il s’est même marié et a eu des enfants. Aujourd’hui, il vit tranquillement aux Etats-Unis, porte le nom de Peter Banning, et s’est érigé au rang de célèbre avocat. Hélas, son travail envahissant le pousse à délaisser ses enfants, et même – horreur absolue ! – à rater le match de base-ball de son fils. Un jour, il revient à Londres avec sa famille pour les vacances de Noël. Son éternel ennemi, le Capitaine Crochet, en profite pour enlever ses enfants. Peter est alors contraint de replonger dans le monde de l’enfance oubliée, le Pays Imaginaire, cet endroit magique où il s’appelait encore Peter Pan…

Steven Spielberg et Peter Pan : cette association semblait logique, voire inéluctable, d’autant que le projet traînait depuis près d’une décennie dans les tiroirs du wonder boy. Hélas, en se réappropriant l’œuvre de James Barrie, le père d’E.T. semble s’être laissé aller à une forme de paresse que nous ne lui connaissions pas. Toujours avide jusqu’alors d’innovations narratives, scéniques, scénaristiques, esthétiques, techniques, le cinéaste se repose ici sur ses acquis et n’invente plus rien. Il se paye le plus prestigieux des castings hollywoodiens de l’époque, mais pas forcément le plus judicieux. Certes, on rêvait depuis longtemps de le voir diriger Dustin Hoffman (dont le registre n’est pas si éloigné de celui de Richard Dreyfuss). Mais sous la défroque caricaturale du Capitaine Crochet, le sublime interprète du Lauréat et de Rain Man est à 10% de son potentiel.

Une fausse bonne idée ?

Quant à Julia Roberts, malgré toute la sympathie qu’elle dégage, on ne peut s’empêcher d’appréhender son incarnation de la fée Clochette comme un non-sens absolu. Une petite blonde pétillante comme Meg Ryan n’aurait-elle pas été cent fois plus adaptée au rôle ?… En fait, Spielberg pensait initialement à Carrie Fisher, mais la Princesse Leïa de La Guerre des étoiles n’avait plus vraiment l’âge requis pour jouer les fées. Elle participa cependant au film en apportant une petite touche féminine au scénario de James V. Hart. Les spectateurs les plus attentifs le remarqueront même le temps d’une apparition très furtive aux côtés de George Lucas. D’autres stars font leur petit « cameo » au fil du métrage, notamment Glenn Close et Steven Spielberg lui-même grimés en pirates. Les décors de Hook ressemblent comme deux gouttes d’eau à ceux du dessin animé de Walt Disney, c’est indéniable, mais ils passent mal le cap de la prise de vues réelle, et la féerie qu’ils veulent évoquer est bien trop artificielle pour séduire (les matte paintings 3D n’étaient alors pas aussi élaborés qu’aujourd’hui). Seule la bataille finale exhale un beau souffle épique, soutenue par une partition emphatique de John Williams. Mais c’est bien peu pour plus de deux heures de métrage, et Spielberg fut le premier à reconnaître que le résultat final n’était pas vraiment à la hauteur de ses espérances.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

LE MONDE PERDU : JURASSIC PARK (1997)

Après La Liste de Schindler, Steven Spielberg signe la suite de Jurassic Park, mais on sent que le cœur n'y est plus…

THE LOST WORLD – JURASSIC PARK

1997 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Jeff Goldblum, Julianne Moore, Richard Attenborough, Peter Postlethwaite, Richard Attenborough, Vince Vaughn 

THEMA DINOSAURES I SAGA JURASSIC PARK I STEVEN SPIELBERG

Deux périodes distinctes partagent la carrière de Steven Spielberg. La première s’achève avec Jurassic Park. La seconde commence avec Le Monde perdu. Entre les deux, une œuvre définitive, bouleversante, irréversible, marqua à tout jamais le cinéaste : La Liste de Schindler. Reculant sans cesse la réalisation de ce projet qui l’effrayait, essayant même de convaincre Roman Polanski ou Martin Scorcese de le réaliser à sa place, il le prit finalement à bras le corps en en fit le chef d’œuvre que l’on sait. Mais en braquant ses caméras sur la Shoah, il changea sa manière d’appréhender le cinéma. Ecartant désormais les cadrages larges au Cinémascope, les éclairages trop artificiels (comment oublier les nuits sublimement irréelles de Rencontres du troisième type ou E.T. ?), les partitions chargées de thèmes épiques à la Richard Wagner, les figures héroïques trop archétypales, il se mit en quête de réalisme, ce qu’Il faut sauver le soldat Ryan allait confirmer avec un immense brio. Du coup, Le Monde Perdu : Jurassic Park s’est imprégné de la noirceur de La Liste de Schindler, ne serait-ce qu’à travers son traitement visuel. Désormais, Janusz Kaminski est l’alter ego visuel de Spielberg, signant la photographie de tous ses films. Et son approche de la jungle préhistorique arpentée par les humains transpire la moiteur, la peur et le sang. 

« J’interviens toujours sur la lumière », précise Spielberg. « J’essaie de l’utiliser en tant qu’outil de narration. Je décide de l’emplacement de la caméra, de l’optique. Souvent, Janusz et moi sommes d’ailleurs en désaccord sur le choix de la focale, mais ce sont toujours des discussions constructives. Je m’occupe toujours moi-même de la composition des plans que je soumets ensuite au cadreur, pour qu’il comprenne ce que j’essaie d’obtenir. Mais je n’éclaire rien moi-même. Je laisse Janusz faire des miracles avec la lumière. » (1) Mais la richesse du traitement graphique du Monde perdu ne suffit pas à sauver le film. Il faut dire qu’avec le médiocre roman de Michael Crichton comme point de départ (tellement moins palpitant que le précédent), Spielberg partait entravé d’un sérieux handicap. Le scénario de David Koepp s’éloigne donc du matériau littéraire, reprend quelques éléments du premier livre (l’attaque de la petite fille par les minuscules compsognathus, le ptéranodon qui menace les héros) et semble surtout conçu pour accumuler les scènes qui firent le succès du film précédent : la première apparition en plein jour des gigantesques herbivores, les véhicules des héros attaqués en pleine nuit et sous la pluie par un tyrannosaure, l’assaut final des vélociraptors dans les locaux du parc…

Hommages répétés à King Kong

L’effet de surprise ne jouant plus, seules quelques idées visuelles font vraiment mouche, notamment la battue des raptors qui se camouflent dans les hautes herbes pour mieux fondre sur leurs victimes ou la chasse aux dinosaures, variante antédiluvienne de celles d’Hatari. Le trop-plein de protagonistes empêche toute identification de la part du spectateur, et le summum de l’absurde est probablement atteint dans cette scène impensable où la fille adoptive de Ian Malcolm effectue des figures d’acrobatie sur des barres parallèles pour affronter les raptors ! Si le premier Jurassic Park entretenait de nombreuses similitudes avec King Kong, cette séquelle se pare d’allusions encore plus flagrantes au classique de Schoedsack et Cooper. Cette fois-ci, le tyrannosaure vedette est carrément ramené en ville dans un navire baptisé « Venture », comme celui qui transportait le gorille géant en 1933, et saccage la cité comme tout bon dinosaure qui se respecte (est-ce pour justifier le titre de Monde perdu emprunté sans vergogne à Arthur Conan Doyle ?). Renforçant la référence, la partition de John Williams oublie en grande partie les thèmes composés dans le premier Jurassic Park pour imiter les accents martiaux de la musique de Max Steiner. Spielberg s’épanouissant dans la diversité, il alternera dès lors les œuvres sombres et les exercices de style plus légers.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2012.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article

A.I. INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (2001)

En 2001 - année ô combien symbolique - Steven Spielberg reprend un projet que lui avait confié Stanley Kubrick pour s'interroger sur l'âme des créatures artificielles

A.I. ARTIFICIAL INTELLIGENCE

2001 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Haley Joel Osment, Jude Law, Frances O’Connor, Brendan Gleeson, Sam Robards, William Hurt, Jake Thomas

THEMA ROBOTS I FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG

Lorsqu’il découvre la nouvelle “Les Supertoys durent tout l’été“, Stanley Kubrick décide d’en tirer un film. Pendant longtemps, le réalisateur d’Orange mécanique et l’écrivain Brian Aldiss travaillent sur la transformation du texte original en scénario. Mais après maintes réunions de travail, les deux hommes ne parviennent à rien de concret. En 1984, Stanley Kubrick parle du projet à Steven Spielberg, qui le trouve intéressant mais peine à entrer en phase avec cet univers noir et désespéré. Quinze ans plus tard, Spielberg se sent enfin prêt à reprendre le projet, avec la bénédiction du vénérable réalisateur de 2001. Mais ce dernier meurt le 7 mars 1999. Spielberg s’emploie alors à reprendre les rênes de ce projet dont rêvait Kubrick et se livre à un exercice qu’il n’avait pas pratiqué depuis plus de vingt ans : l’écriture de scénario. Il veille aussi à respecter l’envie farouche de Kubrick d’intégrer dans le film le motif de Pinocchio et de la Fée Bleue. 

L’objet du film, ambitieux, est un questionnement sur l’émotion chez les robots. Hélas, le résultat pèche par trop d’ambition, mais aussi par une incapacité manifeste à savoir sous quel angle aborder sa thématique. Ainsi A.I. renferme-t-il plusieurs films en un, qui ne s’apprécient pas comme autant de niveaux de lecture parallèles, mais plutôt comme diverses approches du même sujet, pas forcément complémentaires, juxtaposées de manière un peu arbitraire. Cette sensation est due au respect des volontés initiales de Kubrick, qui souhaitait diviser le film en trois chapitres distincts. Mais la fluidité du récit en souffre terriblement. Nous sommes en l’an 2142. La plupart des villes côtières du monde ont été submergées par les océans suite au réchauffement climatique. Réfugiés à l’intérieur des terres, les survivants ont créé les « méchas », des androïdes qui imitent à la perfection l’anatomie et le comportement humain. Lorsque le professeur Hobby (William Hurt) finit par créer le premier enfant robot, David (Haley Joel Osment), on propose que ce dernier soit adopté par un couple dont le petit garçon souffre d’une maladie qui le cloue dans un caisson. Tout se passe à merveille, jusqu’au jour où le petit garçon est guéri et retrouve ses parents. S’ensuivent la jalousie, la rivalité et la cruauté enfantine, qui vont pousser le petit androïde à commettre une erreur et à être abandonné dans la forêt, comme un Petit Poucet solitaire. Nous qui espérions un film sur la difficulté d’intégration sociale des robots au sein des groupes humains, nous en sommes pour nos frais.

Un grand film malade

Car à partir de là, c’est une toute autre histoire qui commence. Égaré dans les bois, David semble devenir un nouveau de ces « enfants perdus » si chers à Spielberg, livré à lui-même à cause de l’absence de ses parents. Il rencontre tout un tas de freaks – en fait des robots en partie détruits qui se réparent comme ils peuvent en fouillant les décharges publiques – ainsi que Joe, un androïde gigolo interprété par Jude Law. Alors qu’ils sont en cavale, les deux robots échappent de peu à la « Foire de la Chair », une kermesse ultra-violente au cours de laquelle les humains détruisent les robots de mille et une manières. Cette ambiance post-apocalyptique façon Mad Max est soulignée par de maladroites guitares électriques que John Williams intègre comme il peut à sa partition trépidante. Malgré quelques idées visuelles saisissantes, nous sommes pour le moins déstabilisés. Il nous semble même assister à une sorte de mise à mort du cinéma de Spielberg tel que nous le connaissions jusqu’alors. La Lune par exemple, symbole de la liberté et de l’imagination des enfants spielbergiens, change soudain de signification. Ce n’est plus le cercle de lumière féerique devant lequel Eliott et E.T. passent avec leur vélo volant dans le logo d’Amblin, ni celui sur lequel repose l’enfant pêcheur de Dreamworks. C’est désormais un signe de mort et de destruction, une illusion sinistre, une montgolfière maquillée en astre pour mieux traquer, capturer et abattre les fugitifs ! Le film bascule peu à peu dans le chaos, s’achevant sur un étrange hommage au final de 2001, et laissant le spectateur complètement déboussolé. Séparément, Kubrick et Spielberg avaient su plonger dans une délicieuse ambigüité teintée d’espoir le climax de leurs deux chefs d’œuvre de science-fiction respectifs, 2001 l’odyssée de l’espace et Rencontres du troisième type. Mais la fusion de leurs deux univers n’aura pas été aussi heureuse. Kubrick jugeait le sujet trop chaleureux pour lui et c’est pour cette raison qu’il le confia à Spielberg. Ce dernier, à force de vouloir respecter les volontés, le style et l’univers de son mentor, semble s’être perdu lui-même. Ni l’ironie de Kubrick, ni la chaleur de Spielberg n’ont survécu à ce mariage de raison. On en trouve seulement des simulacres, dans un grand film malade où le pessimisme et la mélancolie s’immiscent de toute part et où les sentiments exprimés semblent finalement aussi artificiels que l’intelligence du petit David.


© Gilles Penso 

Partagez cet article

MINORITY REPORT (2002)

Dans un monde futuriste où les criminels sont arrêtés avant leurs forfaits, quelle place reste-t-il pour le libre-arbitre ?

MINORITY REPORT

2002 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Tom Cruise, Colin Farrell, Steve Harris, Max Von Sydow, Samantha Morton, Kathryn Morris, Jessica Capshaw

THEMA FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG

A.I. ayant divisé l’opinion, cette seconde incursion de Steven Spielberg dans la SF futuriste était attendue avec une prudente circonspection. Mais c’était sans compter sur le formidable sens de l’innovation et que cultive inlassablement l’auteur de Rencontres du troisième type. Et de fait, Minority Report, inspiré d’une nouvelle de Philip K. Dick, démarre sur des chapeaux de roue. Nous sommes en 2054, et la police de Washington possède une division dite de « pré-crime » qui permet d’intervenir avant que les délits ne soient commis, grâce à trois êtres doués de pouvoir de divination, les précogs. Au service de cette unité spéciale, John Anderton (Tom Cruise) apprend un jour qu’il est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas encore commis. Devenu fugitif, il se retrouve pourchassé par sa propre équipe… Dans le futur terriblement plausible de Minority Report, des caméras scannent les yeux des passants pour les abreuver de messages publicitaires personnalisés, les dessins sur les paquets de céréales s’animent en chantant, les policiers sont équipés de réacteurs dorsaux et de matraques provoquant les vomissements, les images holographiques en relief sont omniprésentes… « L’idée était de poser un dilemme au spectateur : le pré-crime représente-t-il une avancée technologique pour le bien de la société, ou une menace pour la liberté individuelle ? », nous raconte le chef décorateur Alex McDowell. « Pour que le public ait le sentiment que les événements décrits dans le film pourraient un jour arriver, il fallait les situer dans un environnement réaliste, directement inspiré du monde que nous connaissons. » (1)

Au milieu des multiples trouvailles du film, on trouve de moins convaincantes voitures aérodynamiques qui arpentent par milliers l’asphalte et les façades des buildings. Cette figure futuriste, qui semble imposée depuis Blade Runner et ses imitations (Le Cinquième élément, La Menace fantôme), donne lieu à une poursuite peu crédible, laquelle semble n’exister que pour relancer une action sans doute jugée pas assez nerveuse. Cette petite réserve mise à part, Minority Report est une formidable réussite, Spielberg s’étant efforcé de rester fidèle à l’esprit de Philip K. Dick, tout en payant son tribut à la meilleure adaptation cinématographique de l’auteur à ce jour, l’incontournable  Blade Runner. Du coup, tout comme le film de Ridley Scott, Minority Report est un film noir déguisé en récit de SF, nimbé d’une étonnante photographie quasi monochrome. Spielberg revient également à ses influences de jeunesse, autrement dit les films d’Hitchcock, comme au bon vieux temps de Duel et des Dents de la mer, et John Williams renforce le trait en composant une partition qui cligne par moments de l’œil vers Bernard Herrmann.

L'individu au cœur de la technologie

Au fil du récit, on sent aussi des réminiscences de Brian de Palma (le formidable coup de théâtre dans l’hôtel), de Strange Days (le protagoniste drogué aux souvenirs vidéo) ou de L.A. Confidential (la véritable identité du vilain), mais Minority Report n’en perd jamais son identité et sa foncière originalité. Réflexion vertigineuse sur le libre-arbitre et sur la place de l’individu au sein d’une société ultra-technologique, cette œuvre d’exception multiplie les motifs métaphoriques et les récurrences à l’univers de son cinéaste. L’une des plus belles images du film est peut-être la plus simple : Anderton et Agatha s’étreignent, chaque visage tourné dans une direction opposée, symbole du choix cornélien qui s’impose. Quelle direction prendre ? Cette image nous renvoie quelques années plus tôt, à l’époque d’Indiana Jones et la dernière croisade, lorsqu’Indy et son père s’avéraient incapables de choisir entre deux destinations, l’une signifiant la régression confortable, l’autre la progression vers le danger et l’inconnu. Quels que soient les genres et les thèmes abordés, Spielberg prouve ainsi une étonnante constance. C’est la marque des grands auteurs.

(1) propos recueillis par votre serviteur en juillet 2005

© Gilles Penso

Partagez cet article

LA GUERRE DES MONDES (2005)

Steven Spielberg réinvente le classique de H.G. Wells en proposant un film catastrophe à hauteur d'homme

WAR OF THE WORLDS

2005 – USA

Réalisé par Steven Spielberg

Avec Tom Cruise, Dakota Fanning, Justin Chatwin, Miranda Otto, Tim Robbins, Rick Gonzalez, Yul Vazquez, Lenny Venito 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA STEVEN SPIELBERG

L’annonce d’une nouvelle Guerre des mondes signée Steven Spielberg avait de quoi laisser perplexe. D’abord parce que les écrans ont été saturés d’invasions d’extra-terrestres agressifs depuis des décennies, ensuite parce que le cinéaste a toujours opté pour une vision pacifiste du sujet, comme le prouvent ses deux chefs d’œuvre Rencontres du troisième type et E.T. l’extra-terrestre. Mais ces deux arguments volent en éclat face à l’inventivité constante dont a toujours su faire preuve Spielberg, et à la noirceur qu’ont acquis ses films depuis La Liste de Schindler. Contrairement au célèbre film de Byron Haskins, qui réadaptait très librement le texte d’H.G. Wells, le scénario de David Koepp suit ici fidèlement les étapes de l’invasion extra-terrestre décrite par le romancier. Mais le contexte a été modernisé, et les personnages recentrés sur deux thématiques chères au réalisateur : l’individu ordinaire confronté à une situation extraordinaire, et les liens qui unissent une famille recomposée.

Tom Cruise interprète donc Ray Ferrier, un docker new-yorkais divorcé qui entretient des relations épisodiques avec son fils de dix-sept ans Robbie et sa fille de onze ans Rachel. Alors qu’il se voit confier leur garde le temps d’un week-end, un puissant orage éclate et la panique s’empare soudain de la ville. Car une monstrueuse machine vient de surgir du bitume, désintégrant tous ceux qui passent à sa portée et annonçant une inéluctable offensive… Les séquences de destruction massive qui s’ensuivent atteignent les sommets du traumatisme spectaculaire, mais l’ambition de Spielberg n’est ni pyrotechnique, ni numérique. La grande force de son film est de se situer à échelle humaine, ne nous décrivant l’ampleur du cataclysme que du point de vue de son héros. Ici, nul montage parallèle décrivant des dizaines de protagonistes qui obéissent aux sempiternels quotas sociaux et raciaux, nul débat d’éminents scientifiques, nulle réunion au pentagone, nul discours du président des États-Unis. Laissant ces clichés à Independence Day, Spielberg enterre ainsi Roland Emmerich, l’un de ses plus fervents imitateurs, et invente quasiment un nouveau genre : le film catastrophe intimiste !

Le choc de l'ordinaire et de l'extraordinaire

Ce qui ne l’empêche pas pour autant de livrer au public quelques nouvelles preuves de sa maestria visuelle, notamment lors du surgissement du premier tripode hors du sol, lors des séquences d’émeutes hystériques, ou lors de l’attaque nocturne du ferry-boat. Sans compter cette longue et éprouvante scène de suspense dans la cabane, qui nous renvoie à la fameuse intrusion des raptors dans la cuisine de Jurassic Park. Abandonnant son approche mélodique et thématique, John Williams nous livre ici une partition nerveuse, sourde et inquiétante, empreinte d’influences classiques comme « Le Sacre du Printemps » de Stravinsky ou le « Sigfried » de Wagner. Quant à Janus Kaminski, il crée pour les besoins du film une lumière très contrastée, laissant briller les regards dans l’obscurité comme dans les films noirs des années 40. En bonus, la chaleureuse voix de Morgan Freeman introduit et conclut le film, en reprenant quasiment mot à mot le texte d’H.G. Wells.

© Gilles Penso

Partagez cet article

CALTIKI, LE MONSTRE IMMORTEL (1959)

Une imitation italienne du Blob qui transporte le monstre visqueux aux confins de la jungle mexicaine

CALTIKI, MOSTRO IMMORTALE

1959 – ITALIE

Réalisé par Riccardo Freda

Avec John Merivale, Didi Sullivan, Gerard Herter, Daniella Rocca, Giacomo Rossi-Stuart, Daniele Vargas

THEMA BLOB

Les succès successifs de La Marque et Danger planétaire incitent bien vite les producteurs italiens à en initier une imitation. Le vétéran Ricardo Freda (sous le pseudonyme de Robert Hampton) la réalise en 1959 sous le titre Caltiki, le monstre immortel. Mais si le monstre ici mis en scène est très proche des blobs d’Irwin S. Yeaworth Jr et Val Guest, le cadre dans lequel il surgit n’a pas grand-chose à voir avec celui de ses modèles. Dans un somptueux noir et blanc, les membres d’une expédition archéologique étudient les ruines mayas de la cité de Tikal, au cœur de la jungle mexicaine. A la faveur d’une éruption volcanique, ils mettent à jour une caverne souterraine inconnue. Là trône la statue de la déesse antique Caltiki. Pour une raison mystérieuse, le site semble avoir été déserté il y a des siècles par la peuplade ayant bâti la cité.

Au cours de l’une des scènes les plus mémorables du film, des visions sous-marines de ce temple somptueusement gothique nous révèlent de nombreux squelettes épars. Bientôt un monstre visqueux et informe, vieux de vingt millions d’années, émerge du lac pour attaquer les savants. Deux d’entre eux découvrent à leurs dépens que le contact de ce blob antédiluvien s’avère particulièrement corrosif. Le film nous gratifie alors de quelques effets gore au cours desquels le visage d’un plongeur est affreusement décomposé et le bras d’un malheureux rongé jusqu’à l’os. « Je n’ai jamais rien vu de tel en médecine » déclare un chirurgien une heure plus tard. « La chose a absorbé dans le bras toute la substance vitale. » La curiosité du professeur John Fielding (John Merivale) n’en est que plus accrue. Ramenant de l’expédition un échantillon du monstre, il le conserve dans son bureau pour pouvoir l’étudier.

Des effets spéciaux signés Mario Bava

La prophétie inscrite dans le temple souterrain affirmait « Caltiki est une et immortelle, et quand l’époux du ciel viendra, la puissance de Caltiki détruira le monde ». Si le blob semble correspondre à Caltiki (c’est une créature monocellulaire et millénaire), qui est donc ce mystérieux époux ? La réponse ne tarde pas. Car une comète chargée en radio-activité, qui ne passe à proximité de la terre que tous les 1352 ans, s’apprête à apparaître dans les cieux. Pour couronner le tout, Max (Gerard Herter), le survivant du massacre, se laisse peu à peu gagner par la folie meurtrière et s’évade de l’hôpital où il était soigné. Quant au blob lui-même, il atteint d’inquiétantes proportions, se déploie et se multiplie… Les déplacements du monstre visqueux s’avèrent particulièrement réussis, même si les décors miniatures qu’il engloutit dans son inexorable avancée ressemblent bien souvent à des jouets (tout comme les véhicules qui explosent au fil du film ou les tanks qui encerclent le monstre pendant le climax). Ces effets spéciaux sont l’œuvre de Mario Bava, qui prêta main-forte à Ricardo Freda pour la réalisation de certaines séquences (voire de la majorité du film selon certaines sources), un an avant de diriger son chef d’œuvre Le Masque du démon. Sa patte est aisément reconnaissable dans les séquences les plus atmosphériques de cet étrange mixage de science-fiction et de mythologie antique.


© Gilles Penso

Partagez cet article

LA NUIT DE TOUS LES MYSTERES (1959)

Cinq volontaires acceptent de passer une nuit dans une maison hantée en échange d'une forte somme d'argent…

HOUSE ON HAUNTED HILL

1959 – USA

Réalisé par William Castle

Avec Vincent Price, Carolyn Craig, Richard Long, Elisha Cook Jr, Carol Ohmart, Alan Marshal, Julie Mitchum, Leona Anderson

THEMA FANTÔMES

Grand amateur d’épouvante exubérante et de gadgets en tous genres, William Castle a bâti chaque pièce de sa filmographie comme autant de manèges d’un parc d’attractions. Avec La Nuit de tous les mystères, il pousse encore plus loin son goût du gimmick en élaborant un scénario-prétexte orchestré par le grand Vincent Price. Alors à l’aune d’une prolifique carrière vouée au fantastique, le charismatique moustachu incarne Frederick Loren, un milliardaire excentrique qui, pour honorer sa quatrième épouse, met au point un étrange pari. Il propose ainsi la somme de 10 000 dollars à celui qui osera passer une nuit dans son inquiétante et vaste demeure, laquelle est nimbée d’une fort inquiétante réputation. Il réunit donc cinq volontaires, qui peuvent encore changer d’avis tant que n’ont pas sonné les douze coups de minuit. Au-delà de cette heure fatidique, les portes et les fenêtres seront verrouillées, empêchant toute évasion. Fort d’un tel point de départ, le film s’apprécie dès lors comme un tour de train fantôme, pas vraiment effrayant dans la mesure où chacun de ses effets choc est appuyé par une mise en scène théâtrale évacuant tout potentiel réellement horrifique. 

Et en matière de clichés liés à la thématique de la maison hantée, William Castle ne recule devant rien : lustre qui tombe, cuve pleine d’acide, apparitions de spectres grimaçants, têtes ensanglantées dans une valise, assommage mystérieux d’un des invités, tache de sang qui suinte au plafond, pendaison spectaculaire, main velue derrière un mur, orgue qui joue tout seul, orage tonitruant, passages secrets… Tout y est, jusqu’à cette séquence étonnante où un squelette surgit de la cuve d’acide pour s’attaquer à l’une des infortunées héroïnes. Castle utilise là un fort efficace trucage mécanique, moins impressionnant qu’une animation image par image à la Ray Harryhausen (comme dans Le 7ème voyage de Sinbad sorti un an plus tôt), mais bien plus logique en regard de la suite de l’intrigue.

Un film gadget au succès remarquable

Et comme Castle est un farceur invétéré, il mit en place à l’époque un procédé désormais célèbre, qui consistait à équiper les salles de cinéma projetant le film de rails au plafond afin qu’un squelette grandeur nature vienne glisser au-dessus des spectateurs et les faire sursauter ! Aucun cinéaste n’oserait ça aujourd’hui, surtout à l’ère des multiplexes et du home cinéma. Une machination à la Diaboliques vient se greffer au scénario, qui s’achève brutalement, un peu en queue de poisson, comme si William Castle avait épuisé toutes ses munitions avant de pouvoir bâtir un dénouement digne de ce nom. La Nuit de tous les mystères demeure une véritable curiosité, un film catalogue qui aura au moins contourné un des lieux communs du genre : délaisser la traditionnelle maison victorienne au profit d’un bâtiment moderne et géométrique, en l’occurrence la Samuel Freeman House, un monument édifié à Los Angeles par Frank Lloyd Wright. Le succès remarquable du film eut une conséquence inattendue : inciter Alfred Hitchcock à réaliser lui-même un film d’horreur à petit budget l’année suivante, le magistral Psychose.  

© Gilles Penso

Partagez cet article