TOXIC (1985)

Le super-héros le plus sale, le plus violent et le plus dégoulinant de tous les temps est devenu l'emblème des productions Troma

THE TOXIC AVENGER

1985 – USA

Réalisé par Michael Herz et Lloyd Kaufman

Avec Mitch Cohen, Andree Maranda, Jennifer Babtist, Cindy Manion, Robert Prichard, Gary Schneider, Pat Ryan

THEMA SUPER-HEROS I SAGA TOXIC AVENGER

Fierté de la compagnie indépendante « Troma » dirigée avec enthousiasme par Lloyd Kaufman, et probablement inspiré par le scénario de L’Ange meurtrier de Larry Stouffer (1974), The Toxic Avenger présente l’intérêt de mettre en vedette un super-héros pour le moins inhabituel : dégoulinant, affreux, un œil plus bas que l’autre, boursouflé, vêtu d’un tutu, armé d’une serpillère, et 100% radio-actif. Ses origines sont assez improbables, puisque Toxic nait de la chute de Melvyn – la risée de ses camarades, équivalent masculin de Carrie en quelque sorte – dans un fût de produits radioactifs tranquillement exposé à l’air libre, au pied d’un club de gym fréquenté par de stupides culturistes dont il était le souffre-douleur. Après sa chute, le produit toxique pénètre la peau de Melvyn qui subit une transformation assez spectaculaire (à l’aide d’effets de « bladders » qui le déforment à loisir). Mais son visage définitif, désormais célèbre, n’apparaît que tardivement, afin de laisser d’abord au spectateur le loisir de l’imaginer d’après la réaction de ceux qui le voient. Errant à travers la ville, désormais haut de deux mètres, il retrouve ses agresseurs et les pulvérise, à grand renfort d’effets gore excessivement saignants. Pris au jeu, le vengeur toxique devient dès lors le défenseur des opprimés de la petite cité de Tromaville.

« Tous nos films, même les plus fantaisistes, s’inspirent de faits réels, d’informations lues dans les journaux ou d’événements survenus dans la société », nous confiait Lloyd Kaufman. « Avec Toxic Avenger, nous nous sommes appuyés sur une situation bien réelle : la prolifération de déchets toxiques dans le monde et les risques de contamination. L’autre thème qui nous intéressait était celui de la mode croissante des clubs de sport. Nous trouvions ironique le fait que la population décide de se sculpter un corps d’athlète tout en continuant à polluer et détruire la planète. » (1) Loin des fiers justiciers en collants des comics DC et Marvel, The Toxic Avenger est une bouffonnerie cartoonesque dans laquelle cohérence n’est pas vraiment le mot d’ordre. A l’instar de La Chose des « Quatre Fantastiques », Toxic connaît l’amour auprès d’une jolie aveugle qu’il sauve des griffes de malfrats dégénérés. Et voilà notre héros en croisade contre la pègre et la pollution. Malheureusement, la réalisation et l’interprétation du film sont très approximatives, et gâchent partiellement le potentiel comique d’un tel postulat. D’autant que les blagues de mauvais goût qui ponctuent régulièrement le scénario de Joe Ritter et Lloyd Kaufman ne sont que très moyennement drôles, malgré leur audacieux caractère subversif (le serpent caché dans les collants, le jeu de massacre des quatre motards, l’homme qui se masturbe devant des photos de victimes d’accidents de la route…). Relativement bien maîtrisées, des séquences de poursuites, de combats et de cascades rythment régulièrement le métrage, comme pour lui donner des allures pseudo-hollywoodiennes.

Des séquences horrifico-burlesques

« A l’époque, j’ai pris une décision que je n’ai jamais regrettée : engager une femme pour imaginer le design du Toxic Avenger, son visage et ses attributs physiques », raconte Kaufman. « En lui confiant le maquillage, j’espérais qu’elle le doterait d’un peu d’humanité. Je ne voulais pas simplement un visage horrible et défiguré mais quelque chose de plus subtil. » (2) Chargée de cette lourde tache, la quasi-débutante maquilleuse Jennifer Aspinall (qui allait ensuite œuvrer sur Street Trash, Spookies ou encore L’Ambulance) gratifie également le film d’effets spéciaux horrifico-burlesques volontairement outranciers (corps écrasé par une moto, membres arrachés, ventres ouverts et eviscérés…). Au cours d’un final qui n’hésite pas à en faire des tonnes, Toxic et sa dulcinée campent au milieu d’un champ où ils sont traqués par toute une armée. Mais, qu’on se rassure, c’est le bien qui triomphe, dans un dénouement béat dont il est difficile de savoir si l’aspect caricatural est volontaire ou non. Une chose est sûre : Toxic est devenu non seulement l’icône de Troma, mais aussi un véritable objet de culte, le héros d’une série animée, d’un comic book et de trois autres films tout autant déjantés.

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2018

© Gilles Penso 

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HULK (2003)

Dans la foulée de X-Men et Spider-Man, Ang Lee s'attaque à l'adaptation des aventures du titan vert de Marvel, à qui il donne le visage d'Eric Bana

HULK

2003 – USA

Réalisé par Ang Lee

Avec Eric Bana, Jennifer Connely, Nick Nolte, Sam Elliott, Josh Lucas, Paul Kersey, Cara Buono, Todd Tesen, Kevin O. Rankin

THEMA SUPER-HEROS I SAGA HULK I MARVEL

L’accueil chaleureux qui accompagna les adaptations des X-Men et de Spider-Man conforta les pontes de Marvel dans la transposition sur grand écran de toutes leurs vedettes dessinées. Le prochain sur la liste fut Hulk, héros d’une série télévisée assez populaire dans les années 70, et confié ici aux bons soins d’Ang Lee, auteur du magnifique Tigre et Dragon. Le scénario assez curieux de ce Hulk nouvelle génération prend le parti d’aborder l’histoire du docteur Bruce Banner sous deux angles différents. D’un côté nous avons l’accident qui inonde de rayons Gamma le bon docteur (incarné par le monolithique Eric Bana), son amourette avec Betty Ross (la délicieuse Jennifer Connely), ses déboires avec le général Ross (Sam Elliott), père de cette dernière, et son affrontement avec l’armée, via d’époustouflantes séquences d’effets spéciaux dans lesquelles un Hulk tout en 3D fait des bonds de cent mètres de haut, envoie valdinguer des tanks comme s’il s’agissait de yoyos et joue à cache-cache avec des missiles.

Cette approche, fidèle à la bande dessinée originale de Stan Lee et Jack Kirby, aurait amplement suffi à réjouir tous les fans du géant vert. Mais les scénaristes James Schamus, John Turman et Michael France se sont crus obligés de rajouter une seconde intrigue, qui n’est pas complémentaire mais plutôt antithétique de la précédente. Ce récit parallèle tourne autour du père de Banner, interprété par Nick Nolte, qui se modifie génétiquement et transmet cette lourde hérédité à son fils, puis crée des chiens mutants comme un savant fou de sérial, et finalement se mue lui-même un monstre multiforme, carrément ! Tout ceci n’apporte que confusion, lourdeur et ralentissements à l’intrigue initiale. Pour être honnête, le film, long de presque deux heures et demi, supporterait fort bien un remontage l’épurant de tout ce surplus. Le scénario aurait ainsi pu se concentrer davantage sur la romance complexe qui lie le couple Bruce-Betty, et sur la thématique de la Belle et la Bête, joliment amorcée au cours d’une rencontre nocturne qui évoque beaucoup King Kong, mais trop vite escamotée.

Nick Nolte en roue libre

Pour rappeler le support dessiné duquel est issu le colosse verdâtre, Ang Lee a paré sa mise en scène de facéties très ludiques, à base de split-screens et de transitions inventives ultra-dynamiques. Dommage qu’il n’ait pas autant soigné sa direction d’acteurs, car Bana et Connelly sont assez inexpressifs (eux qui étaient si bouleversants dans des œuvres telles que, respectivement, Chopper et Un Homme d’exception), et Nolte, en roue libre, part dans tous les sens sans la moindre retenue. La musique, elle, est l’œuvre de Danny Elfman, un choix peu imaginatif de la part des producteurs (Elfman a signé les BO de BatmanDarkman, Flash, Spider-Man), mais il faut reconnaître que le compositeur a renouvelé quelque peu son registre, intégrant dans sa trépidante partition du didgeridoo australien, des rythmiques électroniques et des chœurs aériens emphatiques. Petit détail amusant destiné aux fans purs et durs : Stan Lee et Lou Ferrigno, inoubliable interprète de Hulk dans les années 70, font une apparition en vigiles au début du film !

 

© Gilles Penso

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LES QUATRE FANTASTIQUES (2005)

Cette première transposition à gros budget des aventures du célèbre quatuor de Marvel souffre d'un scénario trop évasif pour convaincre

FANTASTIC FOUR

2005 – USA

Réalisé par Tim Story

Avec Ioan Gruffudd, Jessica Alba, Chris Evans, Michael Chiklis, Julian McMahon, Hamish Linklater, Kerry Washington

THEMA SUPER-HEROS I SAGA MARVEL

Voici l’adaptation à gros budget du célèbre comic book qui condamna aux oubliettes le Fantastic Four produit par Roger Corman. Comme on pouvait s’y attendre, la Fox a mis le paquet, nous offrant des effets spéciaux époustouflants et des séquences d’action d’anthologie. Mais derrière le spectacle numérico-pyrotechnique, force est de constater que cette version n’a pas beaucoup plus d’ambition scénaristique que la précédente, lui empruntant même un certain nombre d’idées. Le destin du docteur Victor Von Fatalis et des quatre futurs super-héros sont donc liés d’emblée, tous étant irradiés par des rayons cosmiques dans une station en orbite autour de la Terre. De retour sur Terre, Reed Richards se mue en homme élastique, Suzanne Storm en femme invisible, Johnny Storm en torche humaine et Ben Grimm en golem de pierre. Quant à Fatalis, financier de l’expédition, il connaît une mutation plus insidieuse. Sa peau intègre peu à peu des composantes métalliques et électroniques (version soft de Tetsuo) et il semble peu à peu capable de contrôler l’électricité. Sa raison vacillant et sa mégalomanie s’accroissant, ses compagnons d’infortune vont devoir se liguer contre lui, formant désormais un inséparable quatuor aux belles combinaisons bleu électrique.

L’intrigue prend donc une tournure des plus classiques, ne s’embarrassant guère de profondeur ni de finesse. En ce sens, nous sommes à des années-lumière d’un Spider-Man, le film étant visiblement ici destiné à un public peu regardant en matière de construction psychologique et dramatique. Cette approche exclusivement récréative était assumée dès les slogans sur les posters présentant les personnages principaux (du genre « il peut sauter à l’élastique sans élastique ! » ou encore « il fait fuir les méchants… et les filles ! »). Johnny Storm et Ben Grimm sortent tout de même du lot, par la grâce de leurs interprètes respectifs (Chris Evans, sorte de jeune Tom Cruise mixant habilement l’arrogance et la sympathie, et Michael Chiklis, héros bourru de la série The Shield), par les problématiques qu’ils véhiculent (une quête absolue d’indépendance qui passe par l’inconscience et l’absence de responsabilité pour l’un, la volonté de se soustraire au regard des autres malgré un besoin de reconnaissance pour l’autre), et par la grande réussite des effets spéciaux qui visualisent leurs pouvoirs.

Un Fatalis monolithique

Reed et Suzan sont bien en deçà, malgré une histoire d’amour frustré induite dans leur passé commun. Mais le grand perdant, en matière de caractérisation, reste le docteur Fatalis, et ce malgré le charisme de son interprète Julian McMahon (chirurgien séducteur de la série Nip/Tuck). Taillé d’un seul bloc, évacuant tout dilemme et toute dualité, il est traité par-dessus la jambe. Ses origines n’ont pas grand-chose à voir avec la BD originale, ses pouvoirs restent mal définis, sa panoplie semble sortir de nulle part, et ses motivations s’avèrent des plus basiques. Et si l’on est sensible à l’adage d’Alfred Hitchcock associant la réussite d’un film à celle de son méchant, on conviendra que ces Quatre Fantastiques loupent un peu le coche, malgré un casting de choix et quelques séquences fort impressionnantes.

 

© Gilles Penso

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SPIDER-MAN (2002)

Sam Raimi déclare son amour au comic book de son enfance en permettant à l'Homme-Araignée de faire ses premiers pas au cinéma

SPIDER-MAN

2002 – USA

Réalisé par Sam Raimi

Avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, Willem Dafoe, James Franco, Cliff Robertson, Rosemary Harris, J.K. Simmons, Joe Manganiello

THEMA SUPER-HEROS I ARAIGNEESSAGA SPIDER-MAN

« Désiré » aurait pu être le sous-titre de ce Spider-Man, car le public l’attendait depuis des décennies. Après le dessin animé culte des années 60, les téléfilms ratés des années 70 et la série d’animation des années 90, cette première transposition des aventures du « monte-en-l’air » sur grand écran a bien failli ne jamais voir le jour, suite à un inextricable imbroglio juridique. Acquis par Menahem Golan et Yoram Globus au milieu des années 80, le projet est passé entre les mains de James Cameron dix ans plus tard, pour finalement échoir à Sam Raimi. On imagine à peine la pression qu’a dû subir le créateur d’Evil Dead, mais au vu du résultat il peut dormir sur ses deux oreilles. Non seulement l’adaptation est réussie, mais son Spider-Man figure sans conteste parmi les meilleurs films de super-héros jamais portés à l’écran. Le secret de son succès ? Avoir concentré toute son attention sur son jeune héros (magnifiquement incarné par Tobey Maguire, dans un registre très proche de son personnage de Pleasantville), sur sa vie, ses amis, ses amours, sa famille, ses problèmes d’adolescent, comme l’avait si bien fait le comic book de Stan Lee et Steve Ditko. « J’ai toujours pensé qu’il n’était pas intéressant de lire des histoires de super-héros s’ils passaient la majeure partie de leur temps à affronter les méchants », nous expliquait d’ailleurs Stan Lee. « Je voulais savoir ce que faisait le héros quand il vivait sa vie normale. Où vivait-il ? Quels problèmes personnels avait-il ? Qui étaient ses amis, ses ennemis ? Comment gagnait-il sa vie ? Comment payait-il le loyer ? Si j’étais capable d’imaginer des super-héros possédant une vie personnelle aussi intéressante que leur vie héroïque, j’en concluais qu’ils étaient bien définis, qu’ils n’étaient pas de simples personnages de papier mais des personnes presque réelles capables de susciter l’intérêt. » (1) Une fois ce contexte réaliste mis en place, la science-fiction peut s’immiscer en douceur, et le processus d’identification fonctionne à plein régime. Lorsque Peter Parker est mordu par l’araignée, nous découvrons ses pouvoirs avec lui, nous grimpons aux murs, nous sautons de toit en toit, nous lançons la toile…

Avec beaucoup de finesse, Raimi emploie la métaphore des super-pouvoirs pour raconter le passage de la puberté, la sortie de l’enfance et l’accès à l’âge adulte, reprenant à son compte le leitmotiv de la BD : « de grands pouvoirs engendrent de grandes responsabilités. » Le défi technique est remporté haut la main, Spidey voltigeant dans les airs avec la même agilité que son alter-ego dessiné, ce qui provoque forcément des cris de joie chez les fans qui n’en croient pas leurs yeux. Mais c’est le défi narratif qui est le plus surprenant. Car en deux heures, Raimi et son scénariste David Koepp ont résumé trois décennies d’aventures de l’homme-araignée, liant entre eux les épisodes clef de l’âge d’or : la découverte des pouvoirs de Peter, la première rencontre avec Mary-Jane Watson, la révélation de l’identité du Bouffon Vert et la mort de Gwen Stacy. Sauf qu’ici la rousse Mary-Jane remplace la blonde Gwen, qui fut le grand amour de Peter Parker dans les années 70, et que l’issue de l’aventure est moins tragique. Après la mort de l’oncle Ben, une deuxième perte douloureuse eut sans doute exagérément noirci le ton du film, qui oscille habilement entre le drame et la comédie. D’autant que le traumatisme du 11 septembre 2001 était encore très prégnant au moment de la conception du film, et l’onde de choc s’en ressent parfois à travers le traitement de la ville de New York et de ses habitants.

L'adaptation ultime

Autres libertés prises par Raimi et Koepp : l’araignée qui mord Peter n’est plus radio-active mais génétiquement modifiée, et la toile du super-héros n’est pas un produit chimique de son invention mais un des pouvoirs que lui a transmis l’arachnide. Au titre des réserves, on pourra regretter que le Bouffon Vert ait été affublé d’une cuirasse en plastique qui semble tout droit sortie d’un épisode des Power Rangers. Une peau reptilienne en latex eut été plus heureuse et plus proche du personnage original. Les premiers essais effectués par le studio d’effets spéciaux ADI allaient d’ailleurs dans ce sens, mais le résultat fut probablement jugé trop effrayant pour le public le plus jeune, d’autant que Willem Dafoe rechignait à l’idée de devoir enfiler une combinaison moulante. Du côté de la musique, Danny Elfman évacue volontairement l’idée d’un thème principal trop frontal, comme il l’avait brillamment abordé avec Batman, pour évoquer métaphoriquement l’idée d’un destin qui se tisse progressivement et se déploie avec de plus en plus d’ampleur. Ses chœurs aériens, ses contrepoints à la basse et ses violons galopants font mouche (si l’on peut dire !). Bref, voici l’ultime adaptation des aventures de Peter Parker, auprès de laquelle toutes les autres tentatives feront bien pâle figure. L’œuvre d’un fan réalisé pour des fans. Sincère, ludique et intelligent. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2013

 

© Gilles Penso

 

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BATMAN (1989)

Tim Burton casse l'image colorée du Batman des sixties pour le muer en héros sombre et tourmenté

BATMAN

1989 – USA

Réalisé par Tim Burton

Avec Michael Keaton, Jack Nicholson, Kim Basinger, Pat Hingle, Billy Dee Williams, Michael Gough, Robert Wuhl

THEMA SUPER-HEROS I SAGA BATMAN I DC COMICS I TIM BURTON

L’homme chauve-souris imaginé par Bob Kane s’anima dans deux serials des années 40 avant de devenir le héros d’une série télévisée semi-parodique au milieu des années 60. Pour relancer la franchise, les studios Warner décident au cours des années 80 de revenir aux sources du comic book. Le double succès de Pee-Wee et Beetlejuice finissent de convaincre les cadres du studio que la personnalité atypique de Tim Burton et les suffrages qu’elle s’attire en font le candidat idéal pour restituer la vision gothico-futuriste de la bande dessinée originale. Les producteurs convoquent deux superstars, Jack Nicholson dans le rôle du Joker et Kim Basinger pour incarner la journaliste Vicki Vale. En acceptant un tel casting, Burton peut imposer son acteur principal : Michael Keaton, ex-fantôme hystérique de Beetlejuice. Là où l’on imagine un athlète musclé (Alec Baldwin, Mel Gibson, Charlie Sheen et Pierce Brosnan sont tour à tour envisagés), le cinéaste prend ainsi le spectateur par surprise et lui offre le super-héros le plus humain qui soit. A l’annonce de ce choix de casting, une spectaculaire levée de boucliers s’amorce auprès de la large communauté des fans de comic books qui ne sont pas toujours réputés pour leur ouverture d’esprit. Des dizaines de milliers de lettres de protestations inondent les bureaux de Warner et la presse s’empare même de l’affaire qui prend des proportions alarmantes. Mais Tim Burton tient bon et le studio est solidaire de ce choix. Et de fait, les meilleures scènes du film sont probablement celles qui mettent en scène Bruce Wayne sans son masque. Car selon le raisonnement du cinéaste, un personnage athlétique et héroïque n’aurait nul besoin de cacher sa fragilité physique et psychologique sous le costume d’une chauve-souris effrayante.

La schizophrénie du héros de Batman est sans doute l’aspect qui intéresse le plus Burton. Voilà pourquoi le réalisateur et son chef costumier Bob Ringwood redéfinissent complètement le costume du super-héros, optant pour une panoplie aux allures d’armure sombre, bien loin du costume bleu et souple de la série TV. « Je dois avouer que les gens du studio croyaient que mon Batman serait trop noir », nous raconte Burton. « Mais maintenant, comparé à ce qui se fait aujourd’hui, c’est un manège pour enfants ! » (1) Les réinventions graphiques de l’univers de Batman ne s’arrêtent pas là. Assumant l’influence du Los Angeles de Blade Runner, Burton demande au directeur artistique Anton Furst de donner corps à un Gotham City nocturne et gothique aux tonalités presque monochromes. « A l’époque, je dessinais le moindre cadrage, le moindre mouvement de caméra, le moindre regard des personnages », explique Burton. « Aujourd’hui encore, je continue à dessiner des choses et d’autres tout au long de la préparation des films. Je fais quelques aquarelles montrant les personnages principaux. Ça m’aide dans mes recherches et ça fait partie du processus. » (2) D’un point de vue visuel, Batman est donc une pure merveille. Le compositeur Danny Elfman se met au diapason, troquant la chanson pop « Batman » qui était jadis sur toutes les lèvres contre un thème menaçant et alerte très inspiré. Mais un déséquilibre se fait sensiblement sentir tout au long du métrage, Burton alternant les séquences de comédie presque intimistes (Bruce Wayne qui cherche le moyen de dire à Vicky Vale qu’il est Batman sans y parvenir) avec des passages mouvementés certes bien menés mais souvent dénués de personnalité. A l’image de son héros tourmenté, le réalisateur semble en proie à la schizophrénie, soucieux de rester fidèle à son sens de l’exubérance tout en respectant les demandes du studio. Certaines séquences semblent ne pas savoir sur quel pied danser, comme ces moments d’action époustouflants qui s’enchaînent avec des gags absurdes (le Joker qui abat la Batwing avec un pistolet par exemple). Du coup le combat final, qui aurait dû être épique, n’est qu’une bouffonnade digne d’un cartoon qui se prive d’enjeux dramatiques dignes de ce nom.

Un justicier tapi dans l'ombre

Pour que Batman soit une pleine réussite, sans doute aurait-il fallu que Burton s’intéresse autant à son héros qu’à son vilain, car le Joker vole systématiquement la vedette au justicier masqué et le transforme souvent en pantin insipide. Mais pour être honnête, le réalisateur a sans doute péché par excès de fidélité à l’essence même des personnages. Tels qu’ils sont définis dans le comic book d’origine, Batman aime en effet rester tapi dans l’ombre tandis que le Joker adore se placer sous les feux des projecteurs. Malgré ses nombreux déséquilibres (qui feront plus tard dire à Burton que Batman est l’un de ses films dont il se sent le moins proche), le succès est au rendez-vous, aidé sans aucun doute par l’une des campagnes publicitaires les plus colossales de l’histoire du Septième Art. A l’époque, il est en effet difficile de mettre un pied dehors sans voir placardé sur les murs de toutes les grandes villes du monde le célèbre logo en forme de chauve-souris ou sans entendre la « Batdance » de Prince alors diffusée en boucle sur toutes les radios. A ce triomphe public s’ajoute une reconnaissance de la profession, le film remportant en 1990 l’Oscar des meilleurs décors, attribué à Anton Furst et à son décorateur de plateau Peter Young.


(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2008

© Gilles Penso

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X-MEN (2000)

Grâce au savoir-faire de Bryan Singer, les super-héros de l'univers Marvel font enfin leurs premiers pas sur grand écran

X-MEN

2000 – USA

Réalisé par Bryan Singer

Avec Patrick Stewart, Hugh Jackman, Ian McKellen, Halle Berry, Famke Janssen, James Marsden, Rebecca Romijn-Stamos

THEMA SUPER-HEROS I MUTATIONS I SAGA X-MEN I MARVEL

Après tant d’adaptations modestes (L’Incroyable Hulk), ratées (Captain America) voire catastrophiques (L’Homme Araignée) de l’univers Marvel, X-Men apparaît comme une bouffée d’air frais. Stan Lee trouve enfin une fière transcription de ses héros de papier sur grand écran, un mouvement amorcé par le Blade vivifiant (malgré ses nombreux défauts) que réalisa Stephen Norrington en 1998. Certes, X-Men est loin d’être parfait. La faute en incombe principalement à la nature même de la BD originale : mettre en vedette un large groupe de héros, qui par ailleurs n’a pas cessé de changer et d’évoluer au cours des années. Difficile, en deux heures, de s’attacher à chacun d’entre eux. Le film pèche donc par excès de protagonistes, et faute de les traiter tous, il se contente de les survoler. Cyclope et Tornade ne sont que figurants, Malicia est un peu abandonnée en cours de route, Xavier n’intervient que par intermittence… Seul Wolverine a droit à un traitement de faveur, et on en vient à se demander si le film n’aurait pas dû se concentrer davantage sur lui.

La structure globale du scénario souffre des mêmes problèmes. Témoin le prologue à tiroirs qui s’ouvre sur l’enfance de Magnéto, puis sur les déboires amoureux de Malicia, puis sur la vie bohème de Wolverine… La thématique générale du film elle-même, qui tourne autour du racisme et de l’intolérance, ne parvient pas non plus à se développer par manque de place. C’est d’autant plus dommage que les intentions de Bryan Singer, le talentueux réalisateur et scénariste d’Usual Suspect, étaient on ne peut plus honorables. « Peu importent le nombre d’effets spéciaux ou le genre de bande dessinée dont on s’inspire », déclare-t-il. « Ce qui m’intéresse de prime abord dans un scénario, c’est l’aspect humain. A mes yeux, les gens sont comme des oignons : chaque couche révèle de nouvelles facettes. Voilà ce qui me fascinait notamment chez les X-Men. Il faut creuser pour apprendre à les connaître, quel que soit le camp qu’ils ont choisi. » (1)

Un casting idéal

Or il y avait matière à de nombreux approfondissements en puisant dans le riche matériau créé par Stan Lee et Jack Kirby, et partiellement hérité du roman « A la poursuite des Slans » d’A.E. Van Vogt (1946) dans lequel les mutants étaient déjà objets de haine et de jalousie à cause de leurs capacités paranormales les reléguant automatiquement au rang d’êtres anormaux aux yeux du commun des mortels. Restent quelques séquences d’anthologie, comme l’apesanteur des armes qui se retournent contre leurs possesseurs ou la brève altercation entre Cyclope et le Crapaud dans la gare. Notons aussi un casting très judicieux, qui a permis à chaque héros de papier de trouver un visage en chair et en os, Hugh Jackman et Patrick Stewart en tête. Au final, X-Men ressemble au pilote d’une série TV luxueuse plus qu’à un film à part entière, et le dénouement très ouvert est d’ailleurs construit en ce sens. Toujours est-il que le film de Bryan Singer a su revigorer un genre en sérieuse perte de vitesse – le film de super-héros – et donner une seconde chance cinématographique au patrimoine Marvel, dont le point culminant allait être le prodigieux Spider-Man de Sam Raimi.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en juillet 2006

 

© Gilles Penso

 

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SUPERMAN LE FILM (1978)

En 1978, Christopher Reeve est devenu l'incarnation parfaite de "l'homme d'acier" pour les spectateurs du monde entier

SUPERMAN THE MOVIE

1978 – USA

Réalisé par Richard Donner

Avec Christopher Reeve, Margot Kidder, Marlon Brando, Gene Hackman, Valerie Perrine, Susannah York, Terence Stamp

THEMA SUPER-HEROS I SAGA SUPERMAN I DC COMICS

Pour célébrer le quarantième anniversaire de Superman, le producteur Ilya Salkind décide d’offrir au super-héros un film colossal. Certes, « l’homme d’acier » avait déjà crevé l’écran avec la série animée des frères Fleischer, les serials de 1948 et 1950 et le long-métrage Superman and the Mole Men de Lee Sholem en 1951. Mais l’avancée des effets spéciaux démontrée par les films catastrophe des années 70 et par La Guerre des étoiles laisse augurer une nouvelle adaptation spectaculaire. Salkind met le paquet : un budget de 55 millions de dollars, onze équipes de tournage et mille techniciens répartis sur les trois continents où s’établit un tournage d’un an et demi. « Sur ce film, nous étions toute une armée de directeurs artistiques » confirme le chef décorateur Stuart Craig (1). Quelques superstars figurent dans le film, notamment Marlon Brando (dont le salaire de quatre millions de dollars pour dix minutes d’apparition à l’écran fait couler beaucoup d’encre à l’époque) et Gene Hackman. Mais pour le rôle-titre, on se perd en conjectures. Toutes les têtes d’affiches du moment sont envisagées, de Warren Beatty à Robert Redford en passant par Nick Nolte, Clint Eastwood, James Caan, Jon Voight et même Sylvester Stallone, qui rêve d’endosser le costume rouge et bleu. Mais le rôle est finalement confié à Christopher Reeve, un quasi-débutant qui se livre à un entraînement intensif pour que sa musculature puisse rivaliser avec celle de son modèle dessiné. Son coach n’est rien moins que David Prowse, l’homme qui prête sa silhouette altière à Dark Vador !

Il ne reste plus qu’à trouver le réalisateur idéal. Steven Spielberg et Guy Hamilton sont fortement pressentis, jusqu’à ce que Richard Donner, fort du succès de La Malédiction, n’hérite de la mise en scène. Le scénario de Mario Puzo (Le Parrain) revient aux origines du héros. En début de film, la planète Krypton agonise. Avant sa totale destruction, le juge Jor-El (Brando) envoie son bébé sur la Terre pour qu’il puisse survivre. Grâce au soleil de notre galaxie, l’enfant acquiert des pouvoirs incroyables. Il est élevé par un couple de fermiers du Middle West, les Kent, et prend plus tard l’identité de Clark Kent, journaliste au Daily Planet. Dès qu’une catastrophe menace la population, il devient Superman, héros invincible au collant rouge et bleu, et s’oppose au maléfique Lex Luthor (Hackman).

Le plus gros succès de la Warner

Les effets visuels époustouflants, combinaison de maquettes, d’incrustations et de projections frontales, permettent la matérialisation de séquences folles, comme le sauvetage de l’hélicoptère, la promenade romantique au-dessus de la ville ou le vol supersonique autour de la Terre pour faire remonter le temps. Et Christopher Reeve a indéniablement « la gueule de l’emploi », épousant le personnage avec un charisme immédiat. Dommage que le scénario et la mise en scène ne soient pas toujours à la hauteur, assurant le service minimum en se réfugiant derrière les exploits techniques. A l’occasion du film, John Williams retrouve le London Symphonic Orchestra de La Guerre des étoiles pour diriger une partition héroïque de toute beauté. Avec ses 300 millions de dollars de recette, Superman sera longtemps le plus gros succès de la Warner.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2005

 

© Gilles Penso

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HELLRAISER, LE PACTE (1987)

L'écrivain Clive Barker réalise lui-même cette adaptation d'un de ses écrits et révèle au grand public l'inquiétante étrangeté de son univers

HELLRAISER

1987 – USA

Réalisé par Clive Barker

Avec Ashley Laurence, Andrew Robinson, Clare Higgins, Olivier Smith, Sean Chapman

THEMA DIABLE ET DEMONS I SAGA HELLRAISER

L’univers de Clive Barker a souvent été comparé à celui de Stephen King, mais au milieu des années 80, l’écrivain n’avait pas encore eu les adaptations cinématographiques qu’il méritait (Transmutations et Rawhead Rex de George Pavlou n’étaient pas d’exemplaires réussites). Alors, prenant le taureau par les cornes, Barker décida, après avoir tourné deux courts-métrages, de réaliser lui-même un film tiré de son roman « The Hellbound Heart ». Tourné en Angleterre sous le titre de travail « Sadomasochists from Beyond the Grave » (« Les sado-masochistes d’outre-tombe » !), Hellraiser raconte l’emménagement de Larry Cotton (Andrew Robinson) et de sa femme Julia (Clare Higgins) dans une maison délabrée où est mort quelques années plus tôt Frank (Sean Chapman), le jeune frère de Larry. Julia se laisse convaincre en se remémorant la violente passion qu’elle avait vécue avec Frank.

Or ce dernier n’a pas tout à fait passé l’arme à gauche. Hantant le grenier dans un état embryonnaire, il est ranimé par une goutte de sang de Larry. La résurrection de Frank est l’un des moments forts du film, sollicitant les talents variés du créateur d’effets spéciaux Bob Keen. A l’aide d’effets de plateau, de maquillages spéciaux, de marionnettes et d’animation image par image, une créature poisseuse et squelettique émerge du plancher puis se recouvre progressivement de chair gluante. C’est sous forme d’un écorché digne du Monstre qui vient de l’espace que le revenant apparaît à Julia. « J’ai besoin de sang pour retrouver mon apparence » brame-t-il avec une voix gutturale. « Ça nourrit mon corps. S’il te plaît, guéris-moi ! » Julia se met alors à draguer des hommes dans les bars du coin, les ramène chez elle puis les assassine à coup de marteau. Alors que Frank reprend peu à peu forme humaine, nous apprenons qu’il revient d’une dimension parallèle peuplée de démons, les Cénobites, lui ayant fait découvrir les joies du plaisir mêlé à la douleur. C’est en faisant l’acquisition d’une boîte mystérieuse en forme de casse-tête chinois qu’il a ouvert la porte de ces monstres qui, désormais, sont sur ses traces…

Les clous du spectacle

Particulièrement sanglant, Hellraiser anticipe sur les excès gore des Saw et Hostel en nous montrant sans concession des crochets s’enfonçant en gros plan dans des chairs ou des cadavres salement décomposés. Les clous du spectacle sont bien entendu les Cénobites, qui apparaissent ici sous quatre visages différents : une créature obèse arborant des lunettes de soleil, une espèce d’alien aux dents qui claquent, un androgyne adepte du piercing et le célèbre Pinhead au visage recouvert de clous. Dans le registre des monstres, on se souviendra également de cette bestiole innommable qui poursuit la jeune Kirsty (Ashley Laurence) dans une chambre d’hôpital. Tourné pour un budget d’à peine un million de dollars, Hellraiser n’est pas exempt de maladresses et souffre d’un scénario quelque peu filiforme. Mais l’univers qu’il décrit est suffisamment intrigant pour emporter l’adhésion et susciter la curiosité. Rapportant vingt fois sa mise, il devint dès lors le premier épisode d’une longue saga horrifique.

 

© Gilles Penso

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GODZILLA (1954)

Concentré de toutes les peurs du peuple japonais, Godzilla est le précurseur d'un nouveau genre : le "Kaiju Eiga" ou "film de grands monstres"

GOJIRA

1954 – JAPON

Réalisé par Inoshiro Honda

Avec Akira Takarada, Takashi Shimura, Momoko Kawauchi, Akihiko Hirata, Takashi Shimura, Fujuki Murakami

THEMA DINOSAURES I SAGA GODZILLA

Ami de longue date d’Akira Kurosawa, Inoshiro Honda réalisa son premier film en 1951, mais ce n’est qu’en 1954 qu’il entra dans la légende en donnant corps à Godzilla, métaphore rugissante des horreurs d’Hiroshima qui traumatisèrent le jeune cinéaste alors qu’il était mobilisé sur le front. Mine de rien, peu de réalisateurs peuvent se vanter d’avoir créé un mythe ayant perduré à travers les décennies, ainsi qu’un genre cinématographique à part entière, le « kaiju eiga », autrement dit le film de monstres japonais. Inspiré au producteur Tomoyuki Tanaka par le succès de King Kong et par le scénario du Monstre des temps perdusGodzilla raconte les méfaits d’un reptile préhistorique qui dormait depuis un million d’années au fond des mers avant d’être réveillé par des expériences atomiques. Le monstre gagne le Japon à la nage et sème la mort et la désolation dans Tokyo, écrasant les habitations et broyant les trains. L’armée est impuissante contre lui, car son corps semble être chargé d’électricité. Tanks, camions, bateaux, pièces d’artillerie, rien ne résiste aux assauts répétés du monstre antédiluvien. Les scientifiques perplexes se réunissent, mais la population s’affole. Alors que tout espoir semble perdu, le docteur Serizawa trouve le moyen d’éliminer le dinosaure en détruisant l’oxygène autour de lui. Il donnera sa vie pour tuer le monstre en provoquant une explosion sous-marine.

Très sombre, parfois carrément mélodramatique, le film utilise le monstre comme moteur central d’une tragédie classique où se nouent des liens sentimentaux entre les jeunes protagonistes, où l’on se sacrifie, où l’on tire des leçons de morales désenchantées de la situation (« A trop vous moquer des légendes, vous allez finir en pâture » déclame un vieillard qui sent poindre à l’avance la colossale menace). L’impact de Godzilla au milieu des années 50 fut impressionnant, d’autant qu’il défrichait un terrain alors totalement vierge dans le paysage cinématographique japonais. Symbole des phobies nippones de l’époque (le péril nucléaire mais aussi les catastrophes naturelles et une certaine idée du fléau planétaire venu de l’irresponsabilité de l’Occident), le monstre possède la tête d’un tyrannosaure, le corps d’un iguanodon et les plaques dorsales d’un stégosaure, même si son aspect général évoque surtout le dragon traditionnel asiatique.

La suspension d'incrédulité

La présence de l’acteur Haruo Nakajima dans le costume reste évidente, malgré l’utilisation du ralenti destiné à lui donner un pas lourd, et malgré les magnifiques maquettes de la ville de Tokyo vouées à la destruction. Mais c’est une sorte de convention passée entre le cinéaste et ses spectateurs, une « suspension d’incrédulité » qui permet d’accepter la tangibilité de cette créature et la réalité de ses méfaits. Artisan des mémorables effets spéciaux donnant corps au monstre, Eiji Tsuburaya porte une grande partie du succès du film sur ses épaules. Dans la version américaine de Godzilla, le comédien Raymond Burr fait de la présence passive, afin que les spectateurs occidentaux puissent voir un visage familier au milieu de tous ces acteurs japonais inconnus. Le procédé, douteux, sera souvent employé par les distributeurs américains pour d’autres films fantastiques nippons. Il faudra plusieurs années pour que le public américain et européen puisse à nouveau visionner le film d’Inoshiro Honda dans sa version originale, expurgée de ces compléments facultatifs.

 

© Gilles Penso

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LE MONSTRE EST VIVANT (1974)

Ce premier film d'horreur de Larry Cohen ose briser le tabou de l'enfance monstrueuse avec son nouveau-né anthropophage

IT’S ALIVE !

1974 – USA

Réalisé par Larry Cohen

Avec John P. Ryan, Sharon Farrell, James Dixon, William Wellman Jr, Shamus Locke, Andrew Duggan, Guy Stockwell

THEMA ENFANTS

« Il est né il y a trois jours. Il a tué sept personnes. Ses parents sont des êtres humains. Quoique ce soit, c’est vivant ! » C’est accompagné de ce slogan intrigant que sortit Le Monstre est vivant en 1974. Après trois longs-métrages d’exploitation (Bone, Black Caesar et Hell-Up in Harlem), l’auteur/réalisateur/producteur Larry Cohen attaquait ainsi pour la première fois son genre de prédilection, l’épouvante, à travers un concept pour le moins audacieux. A Los Angeles, Lenore Davis met au monde un bébé monstre qui, dès sa naissance, sectionne avec ses dents acérées son cordon ombilical, tue médecins et infirmières de la clinique d’accouchement, puis s’échappe aussitôt, épargnant sa mère. Fruit de mutations liées à des produits commercialisés pour le grand public, le monstre tue plusieurs fois sur son passage, traqué par la police. Puis il est instinctivement guidé vers une maison… Celle de ses parents. Frank, le père de ce bébé mutant, se joint aux policiers pour retrouver sa trace et l’empêcher définitivement de nuire. Mais bientôt, des sentiments contraires animent l’infortuné géniteur…

Assez proche des angoisses chirurgicales et organiques de David Cronenberg, ce film phare de Larry Cohen distille une angoisse très efficace, via une juxtaposition thématique aux frontières du tabou : le nouveau-né et la monstruosité. Le traitement est novateur, dans la mesure où le bébé monstre, né dans une scène d’accouchement assez éprouvante, est un tueur mutant avide de chair et de sang, dont les relations avec sa famille (le père, la mère, le frère) sont très ambiguës, partagées entre l’amour et la haine, la peur et la compassion. Le jeu très intériorisé de John P. Ryan participe à cette ambiguïté. Conçue par Rick Baker, la créature s’avère très efficace, même si elle manque de finitions (en particulier au niveau des mains), probablement à cause d’un budget anémique. Avec intelligence, Larry Cohen, homme à tout faire sur le film, comme souvent, filme son bébé monstre avec parcimonie, jouant sur l’ombre, les avant-plans et le montage nerveux.

« It's alive ! »

Le final, au cours duquel la police traque le mutant dans les égouts de la ville, évoque celui de Des Monstres attaquent la ville réalisé vingt ans plus tôt par Gordon Douglas. Les cadrages approximatifs à l’épaule, la lumière peu travaillée et le montage parfois maladroit trahissent les faibles moyens du film, mais n’atténuent aucunement son impact. Cet impact est d’ailleurs amplifié par la partition du grand Bernard Herrmann qui, après ses collaborations avec Orson Welles, Alfred Hitchcock et Ray Harryhausen, signait ici l’un de ses derniers joyaux. Le titre original, It’s Alive !, se réfère à la célèbre réplique de Colin Clive lorsqu’il voit sa créature s’animer dans le légendaire Frankenstein de James Whale (Cohen y fait d’ailleurs allusion, à travers le dialogue de deux personnages dissertant sur la célèbre confusion que le public entretient entre le nom du docteur et celui de son monstre). La dernière réplique de Le Monstre est vivant laisse bien comprendre que la menace reste en suspens, et annonce déjà la possibilité d’une séquelle, ce que les confortables recettes du film au box-office permirent de concrétiser aussitôt avec la bénédiction de la Warner.

 

© Gilles Penso

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