ANIMALS (2017)

Dans cette œuvre vertigineuse et hallucinatoire, un couple parti se retirer dans un chalet isolé perd toute notion de la réalité…

TIERE / BÊTES / ZWIERZETA

 

2017 – SUISSE / AUTRICHE / POLOGNE

 

Réalisé par Greg Zglinski

 

Avec Birgit Minichmayr, Philip Hochmair, Mona Petri, Mehdi Nebbou, Michael Ostrowski

 

THEMA MORT

C’est en 2007 que le réalisateur autrichien Jörg Kalt écrit le scénario de Animals, en s’inspirant de la célèbre peinture Relativité de M.C. Escher qui brise toutes les lois connues de l’architecture et de la gravité. Kalt entend bien réaliser le film lui-même, mais il se donne la mort juste après avoir écrit le script, à la grande surprise de son entourage. En découvrant ce script dans le cadre de son travail de commissaire à la Fondation du Film de Zurich, Greg Zglinski, ancien élève de Krzysztof Kieslowski, en tombe amoureux et décide de le porter à l’écran, en dédiant le film à la mémoire de son auteur. « Le tableau Relativité a une dynamique très particulière, c’est une image qui bouge », dit-il. « En le traduisant à l’écran, j’ai cherché à retrouver les mêmes sentiments. Le scénario de Jörg Kalt avait déjà cette forme. Je me suis senti très proche de cette histoire. Mes premiers courts métrages en super 8 ne racontaient pas d’histoires, plutôt des impressions, des rêves. Le rêve a toujours eu beaucoup d’importance dans ma vie. Avec Animals, je suis donc en territoire connu. » (1) Soutenu par l’Institut autrichien du cinéma, le Fonds du cinéma de Vienne et Film Location Austria, Animals (connu aussi sous les titres de Bêtes, Tiere ou Zwierzeta) est une coproduction européenne tournée en 2016 à Vienne, en Suisse en en Pologne.

Zglinski braque sa caméra sur deux bourgeois autrichiens dont le couple bat un peu de l’aile. Anna (Birgit Minichmayr), écrivain pour enfants, s’apprête à écrire son premier roman pour adultes. Son époux Nick (Philip Hochmair), chef cuisinier réputé, s’adonne régulièrement à l’adultère. Tous deux se retirent dans un chalet isolé dans les Alpes suisse pour se concentrer sur leurs créations respectives et tenter de sauver leur mariage fragilisé. Le temps de leur absence, ils louent leur appartement viennois à Mischa (Mona Petri), qui ressemble comme deux gouttes d’eau à Andrea, l’amante secrète de Nick, laquelle vit à l’étage du même immeuble. Sur la route, le couple heurte un mouton. Dès lors, la frontière entre la réalité et l’illusion s’estompe. Le temps, les lieux et même les personnages se confondent. Un parallèle bizarre s’établit bientôt entre le chalet et l’appartement, tous deux présentant la particularité de posséder une porte fermée qui donne sur une pièce mystérieuse.

Sens dessus dessous

Même si Roman Polanski, Alfred Hitchcock et David Lynch semblent influencer cette œuvre déroutante, Greg Zglinski affirme un style très personnel et parvient à embarquer ses spectateurs dans un voyage mental déstabilisant dans lequel les chats parlent, les oiseaux kamikazes se jettent contre les murs, les personnages se dédoublent et les situations finissent par former des boucles vertigineuses. Toutes les théories sont permises, y compris celles du rêve ou de la folie. Grâce à ses acteurs très convaincants, sa mise en scène extrêmement élégantes et son scénario aux circonvolutions hallucinatoires, le spectateur se laisse embarquer dans ce voyage mental perturbé, dans l’espoir qu’il y ait une clef derrière toute cette énigme. Il y en a effectivement une, un peu décevante dans la mesure où elle n’est pas d’une folle originalité, même si elle présente l’intérêt de rationnaliser cette intrigue de prime abord totalement incohérente. Toutes les pièces du puzzle finissent donc par s’assembler au cours d’un dénouement pragmatique, un peu comme si un filtre optique permettait de remettre de l’ordre dans les escaliers biscornus de la Relativité de M.C. Escher.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Le Temps en juillet 2018

 

© Gilles Penso

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MANIAC (1963)

Interné après avoir brûlé vif l’agresseur de sa fille avec un chalumeau, un homme revient hanter les lieux du crime…

MANIAC

 

1963 – GB / FRANCE

 

Réalisé par Michael Carreras

 

Avec Kerwin Mathews, Nadia Gray, Donald Houston, Liliane Brousse, George Pastell, Arnold Diamond, Norman Bird, Justine Lord, Jerold Wells

 

THEMA TUEURS

À contre-courant des films d’épouvante gothiques avec lesquels la compagnie Hammer s’était forgée une solide réputation, Hurler de peur s’aventurait sur un terrain différent, préférant aux châteaux hantés, aux vampires et aux savants fous une horreur psychologique contemporaine héritée de Psychose et des Diaboliques. Le succès du long-métrage de Seth Holt surprit agréablement Michael Carreras, patron de la Hammer, qui décida de poursuivre dans la même voie en passant lui-même derrière la caméra à l’occasion de Maniac. Comme pour Hurler de peur, l’intrigue se situe dans le sud de la France, plus précisément en Camargue, une région qui séduisit le producteur et scénariste Jimmy Sangster pour sa photogénie et sa nature sauvage aux vastes étendues désertes. Les moyens mis à la disposition du film restent modestes – 300 000 dollars de budget, cinq semaines de tournage -, ce qui implique un certain nombre de restrictions qui ne seront pas toujours du goût de Sangster. Ce dernier espérait en effet un résultat de plus grande envergure. Le rôle masculin principal est attribué à Kerwin Mathews (Le 7ème voyage de Sinbad, Jack le tueur de géants, Les Voyages de Gulliver), alors sous contrat chez le studio Columbia qui participe au financement du film et à sa distribution en Amérique.

Un carton d’introduction nous donne le ton : « La Camargue… une région du sud de la France où vivent les chevaux sauvages, où sont élevés les taureaux de combat et où la violence n’est jamais loin… » Nous sommes dans la petite commune (imaginaire) de Sainte-Gironde. Alors qu’elle rentre à pied de l’école, l’adolescente Annette (Liliane Brousse) croise la route de Janiello (Arnold Diamond) qui propose de la raccompagner en voiture. Mais l’homme est un pervers qui entraîne la jeune fille dans un coin de nature et la viole, sous le regard d’un jeune témoin qui va chercher le père de la victime. Celui-ci arrive aussitôt, s’empare de l’agresseur, l’enferme dans son garage et le brûle vif avec son chalumeau. Maniac démarre donc assez fort. Quatre ans plus tard, Geoff Farrell (Kerwin Mathews), un peintre américain qui vient de se disputer avec sa petite amie, débarque dans le village. Il prend une chambre dans la modeste pension où travaille Annette et commence à lui faire du gringue, ce qui n’est pas du goût de sa belle-mère Eve (Nadia Gray). Le mari de cette dernière, surnommé « le tueur à l’acétylène », a été arrêté après son crime et enfermé dans un hôpital psychiatrique près d’Avignon. Mais l’assassin s’apprête à refaire parler de lui…

« Le tueur à l’acétylène »

Les premières minutes de Maniac savent saisir le spectateur et le secouer avec efficacité. La mise en scène inventive de Carreras joue sur les ruptures, les entrées dans le champ qui redéfinissent la composition des cadres ou les effets de montage inattendus, le tout aux accents d’une musique jazz mystérieuse de Stanley Black qui évoque certains travaux de Lalo Schifrin et John Barry. Après cette entrée en matière choc, le ton change et le rythme s’alanguit, comme ensommeillé par la chaleur provençale, tandis qu’une petite rivalité amoureuse se met en place autour du peintre nonchalant qu’incarne Mathews. L’intrigue devient policière à mi-parcours, puis retrouve son caractère horrifique lorsque le tueur entre à nouveau en scène. Maniac jongle ainsi avec plusieurs genres qu’il essaie d’harmoniser du mieux qu’il peut, les manigances, les complots et les retournements de situation s’enchaînant sous l’influence manifeste des Diaboliques. On sent bien que certains personnages cachent leur jeu, mentent, tirent les ficelles, sans que nous soyons capables de comprendre le fin mot de l’histoire jusqu’à un climax très hitchcockien situé dans les carrières vertigineuses des Beaux-de-Provence. Les extérieurs captés dans le sud de la France tranchent d’ailleurs spectaculairement avec l’atmosphère habituelle des films Hammer (cavalcades à cheval sur les plages camarguaises, promenades dans le marché et les arènes d’Arles, virées entre Avignon et Marseille). Ce n’est pas la moindre singularité de ce thriller horrifique imparfait mais très prenant.

 

© Gilles Penso

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FUTURE COP 6 (2002)

Dans cette suite improbable, le policier du futur se retrouve dans le corps de sa propre fille et doit lutter contre une secte de criminels…

TRANCERS 6

 

2002 – USA

 

Réalisé par Jaey Woelfel

 

Avec Zette Sullivan, Jennifer Capo, Robert Donavan, Timothy Prindle, Jere Jon, Jennifer Cantrell, Ben Bar, James R. Hilton, Kyle Ingleman, Gregory Lee Kenyon

 

THEMA VOYAGES DANS LE TEMPS I SAGA FUTURE COP I CHARLES BAND

Future Cop 4 et 5, qui transportaient le policier du futur Jack Deth dans un moyen-âge alternatif, semblaient avoir sonné le glas de la sympathique franchise initiée par Charles Band en 1985. Huit ans plus tard, pourtant, voilà que débarque ce sixième opus, à une époque où les productions de Band sont toutes plus fauchées les unes que les autres, filmées généralement en vidéo avec des budgets ridicules. Si Future Cop 6 est tourné en 16 mm pour se conformer à l’esthétique des épisodes précédents, les cordons de la bourse restent très serrés. Le réalisateur Jaey Woelfel (Iron Thunder, Demonicus) doit se débrouiller avec un budget de 60 000 dollars et un planning de tournage de 14 jours. Autre problème de taille : Tim Thomerson, l’acteur principal des cinq films précédents, commence à se faire vieux et réclame surtout un salaire que la compagnie Full Moon ne peut pas se permettre. Woelfel et le scénariste C. Courtney Joyner trouvent donc une idée amusante. Le flic inébranlable se réincarnera cette fois-ci dans le corps de sa propre fille, incarnée par Zette Sullivan, une actrice sympathique dont ce sera pourtant le seul titre de gloire. Thomerson acceptera malgré tout de rendre visite à l’équipe de tournage pour conseiller la jeune femme, lui suggérant de jouer le personnage en s’inspirant de Steve McQueen.

Thomerson est donc absent de Future Cop 6, si ce n’est par l’entremise d’une poignée d’images extraites des opus précédents. Pour incarner son corps allongé dans la salle de « transfert temporel », on fait appel à une doublure non créditée au générique, en l’occurrence Christopher Farrell. En voyageant dans le passé, notre héros se retrouve dans le Los Angeles de 2002, transféré dans le corps de sa propre fille Josephine « Jo » Forrest, employée à l’institut météorologique. Désorienté – on le serait à moins ! -, Jack/Jo doit apprendre à survivre sous cette nouvelle identité tout en affrontant une menace plus redoutable que jamais. Une secte de criminels transforme en effet de jeunes marginaux en « Trancers » grâce à une mystérieuse météorite récemment écrasée sur Terre (le scénariste s’étant vaguement laissé inspirer par La Couleur tombée du ciel d’H.P. Lovecraft). Armés d’une technologie futuriste, ces fanatiques bombardent leurs victimes de rayons étranges, les métamorphosant en zombies surpuissants et quasi-invincibles.

Dans la peau d’une brune

Le décalage sur lequel repose le scénario de Future Cop 6 (qui n’est pas sans évoquer le concept de Freaky Friday) permet au flic dur à cuire de se retrouver dans la peau de sa gentille fille adepte des boissons bio et conduisant une voiture pleine d’autocollants fleuris. Zette Sullivan parvient à nous dérider en incarnant ce type qui s’efforce maladroitement d’habiter le corps d’une femme, d’enfiler des bas ou de marcher sur des talons. Dans la peau d’une blonde de Blake Edwards nous revient alors en mémoire. Si le caractère comique du film fonctionne plutôt bien, on ne peut pas en dire autant du reste de l’intrigue. Les péripéties sont rapidement répétitives et incohérentes. Il est difficile de comprendre par exemple pourquoi les criminels s’obstinent à maintenir Jo en vie après l’avoir kidnappée alors qu’elle s’apprête sans cesse à leur faire faux bond. Le scénario tente bien de créer un suspense additionnel avec le corps de Jack qui, dans le futur, menace de disparaître si la mission de Jo n’est pas menée à terme. Mais tout ça n’est guère palpitant, et le manque de moyens se fait cruellement sentir. Pour raviver l’intérêt du spectateur, Jaey Woelfel se fend de quelques séquences horrifiques (le visage contrefait des cobayes d’expériences ratées, les Trancers qui dévorent une victime comme des zombies de chez Romero ou Fulci), ce qui n’empêche pas Future Cop 6 d’être l’épisode le plus anecdotique de cette petite franchise science-fictionnelle.

 

© Gilles Penso

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LA BELLE ET LA BÊTE (1978)

Dans cette version tchèque qui s’éloigne des codes du conte de fées, la Bête est une créature effrayante à tête de rapace…

PANNA A NETVOR

 

1978 – TCHECOSLOVAQUIE

 

Réalisé par Juraj Herz

 

Avec Zdena Studenkova, Vlastimil Harapes, Vaclav Voska, Jana Brejchova, Zuzana Kocurikova, Marta Hrachovinova, Vit Olmer, Jan Preucil, Frantisek Svacina

 

THEMA CONTES

À la fin des années 60, Juraj Herz fait beaucoup couler d’encre avec L’Incinérateur de cadavres, un film cynique et désenchanté qui reflète sa propre expérience de rescapé des camps de la mort nazi. Mais après l’occupation soviétique successive au Printemps de Prague, la censure veille au grain et il n’est plus possible d’aborder de manière si frontale des sujets aussi politiques au sein de la cinématographie tchèque. Herz décide alors de s’appuyer sur la métaphore pour poursuivre sa démarche artistique. Quoi de plus innocent que « La Belle et la Bête », récit pour enfants universel traduit dans toutes les langues du monde ? Si ce n’est que son approche du conte n’aura rien de féerique. Pour les besoins du film, Herz fait construire un très couteux décor de château gothique au sein des studios Barrandov. Cette édification n’est envisageable qu’à condition de l’amortir avec un autre long-métrage. Le cinéaste accepte le défi et y tourne deux films simultanément : La Belle et la Bête et Le Neuvième cœur. Sa relecture du célèbre conte popularisé par Madame Leprince de Beaumont reprend dans les grandes lignes la trame que nous connaissons. Nous avons donc affaire à un commerçant qui croule sous les dettes alors que ses deux filles aînées sont sur le point de se marier. Tandis que les huissiers vident sa maison, le pauvre homme décide de partir vers la ville la plus proche pour vendre son dernier bien : un portrait de sa défunte épouse.

La Belle et la Bête de Juraj Herz se distingue très tôt par son caractère effrayant et mélancolique, triste et singulier. Les décors naturels y apparaissent sales, lugubres, gris. La photographie est presque achrome, comme pour accentuer le spectacle désolant d’une forêt aux arbres calcinés, d’un ciel sans soleil, d’une nature à l’agonie. La musique elle-même est funèbre, rythmant un générique déstabilisant qui égrène des peintures macabres. Si, en comparaison, la place du marché dans laquelle démarre le film semble joyeuse, on y massacre du bétail et on y patauge dans la boue. On se croirait presque dans le moyen-âge crasseux de Jabberwocky. Bref, nous voilà bien loin de la poésie lumineuse de Jean Cocteau – et encore plus loin des variantes que proposera plus tard le studio Disney. On ne s’étonne donc pas de voir le voyage du commerçant emprunter les voies du cinéma d’épouvante. Après avoir traversé la forêt noire enchantée, il se retrouve dans un château sinistre au pied duquel bouillonne un étang brumeux. L’homme se réchauffe au coin du feu, se désaltère, se nourrit et y passe la nuit. Au matin, en échange du tableau, le mystérieux châtelain le couvre d’or et de bijoux. Mais le marchand a la mauvaise idée de cueillir une rose pour la ramener à sa fille cadette Julie. Il scelle ainsi son destin…

La Vierge et le Monstre

La Bête n’apparaît qu’en vue subjective au début du métrage. Seul le regard épouvanté du marchand permet d’imaginer son apparence repoussante. Quand elle débarque dans le château et qu’elle perd connaissance, Julie s’imagine en train de danser avec un beau prince au ralenti. Mais le réveil est plus rude, et la main griffue qui s’approche de sa gorge n’augure rien de bon. C’est au beau milieu du film que la Bête paraît enfin, révélant ses traits d’oiseau de proie humanoïde horriblement surréaliste, s’éloignant volontairement des représentations félines que nous connaissons. La vision de cette homme-rapace qui chevauche au milieu des arbres morts de la forêt crépusculaire a quelque chose de très perturbant, surtout lorsqu’il prend en chasse une biche pour satisfaire ses appétits. Tourmentée par une voix intérieure qui l’incite à oublier ses élans romantiques pour satisfaire ses besoins bestiaux primaires, cette créature est autant pathétique que terrifiante. Mais lorsqu’elle effleure ses griffes, Julie les transforme en mains humaines. La Belle est donc elle-même un élément magique. Aurait-elle le pouvoir de muer ce monstre en prince de ses rêves ? Et si cette Bête n’existait que dans sa tête, n’était qu’une projection de son inconscient ? Bardé de symboles psychanalytiques et ouvert à toutes les interprétations, ce film fascinant (dont le titre original peut se traduire par « La Vierge et le Monstre ») est une alternative très recommandable au chef d’œuvre de Jean Cocteau.

 

© Gilles Penso

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MADHOUSE (1974)

Vincent Price et Peter Cushing partagent la vedette de ce film rocambolesque où un acteur spécialisé dans l’horreur est accusé de meurtres sanglants…

MADHOUSE

1974 – GB / USA

Réalisé par Jim Clark

Avec Vincent Price, Peter Cushing, Robert Quarry, Adrienne Corri, Natasha Pyne, Linda Hayden, Barry Dennen, Ellis Dale, Catherine Willmer, Michael Parkinson

THEMA TUEURS I CINÉMA ET TÉLÉVISION

 

Relativement peu connu malgré la présence en tête d’affiche de deux des plus grandes stars du cinéma d’épouvante des années 60/70, Madhouse n’est jamais sorti en salles en France. Le film s’inspire du roman Devilday d’Angus Hall dont Samuel Z. Arkoff, patron de la compagnie AIP, achète les droits en confiant le rôle principal à Vincent Price. En s’associant à la firme Amicus, Arkoff met sur pied une coproduction anglo-américaine et envisage dans un premier temps de confier la réalisation à Robert Fuest (L’Abominable docteur Phibes). Mais Fuest se désiste et laisse son poste vacant à Jim Clark, monteur très respectable (Les Innocents, Macadam Cowboy, Marathon Man) dont les travaux de mise en scène se limitaient jusqu’alors à quelques comédies polissonnes très anecdotiques. Pour donner la réplique à Price, les producteurs engagent Peter Cushing. C’est un événement, dans la mesure où les deux stars ne s’étaient encore jamais directement confrontées à l’écran. Tout semble donc bien engagé. Hélas, le scénario de Greg Morrison est jugé catastrophique et donc réécrit au fur et à mesure pendant le tournage par Ken Levison. Le fait que Price s’entende très mal avec le troisième rôle masculin principal, Robert Quarry (Comte Yorga), n’arrange pas non plus les choses.

Dans un rôle savoureusement autobiographique, Vincent Price incarne Paul Toombes, acteur spécialisé dans les films d’horreur qui doit sa popularité à une série de longs-métrages consacrés au maléfique « Doctor Death », un personnage imaginé par son ami scénariste Herbert Fley (Peter Cushing). Le film démarre à « Hollywood, quelques années auparavant », comme nous l’indique un carton introductif. Nous sommes le soir du nouvel an, et une petite sauterie mondaine organisée entre gens du cinéma permet de visionner le dernier opus de la saga « Doctor Death ». Toombes profite de cette soirée pour présenter publiquement sa nouvelle épouse. Mais il déchante en apprenant qu’elle a démarré sa carrière en jouant dans des films pornographiques. Soudain, le docteur Death pénètre dans le monde réel et commence à massacrer ceux qui tombent sous son couteau. S’agit-il de Toombes, devenu fou ? Ou de quelqu’un cherchant à le faire accuser ? Tandis que le mystère s’épaissit et que l’intrigue nous transporte en Angleterre, la liste des victimes s’allonge, chaque meurtre s’inspirant d’une scène de la série des « Docteur Death »…

Horror star

Ayant fait de la mise en abîme son maître-mot, Madhouse semble avoir été conçu comme un hommage à la carrière de Vincent Price, presque un film-testament. En puisant dans le patrimoine des productions AIP, Samuel Arkoff met à disposition de Jim Clark des extraits de L’Empire de la terreur, Le Corbeau, La Chambre des tortures, La Chute de la maison Usher ou La Malédiction d’Arkham. Dans le scénario, ces images sont censées provenir des films de la série « Doctor Death ». Boris Karloff et Basil Rathbone y apparaissent, ce qui nous vaut une étrange mention au générique les annonçant comme guest stars (alors que les deux comédiens sont décédés quelques années plus tôt). On sent aussi l’influence de L’Homme au masque de cire (la silhouette de Doctor Death y fait beaucoup penser) tandis que quelques autres clins d’œil ponctuent le métrage (lors d’une soirée costumée, Peter Cushing est habillé en Dracula et Robert Quarry en comte Yorga). Le problème majeur de Madhouse est son caractère anachronique. À l’heure où L’Exorciste et Massacre à la tronçonneuse sont en train de redéfinir les contours du cinéma d’horreur, ce « whodunit » à l’ancienne qui cultive une ambiance macabro-poétique héritée du cycle Poe/Corman et des films gothiques italiens (chandeliers, toiles d’araignée, vieilles voutes, brume sépulcrale) semble daté dès sa sortie. Les rebondissements improbables du dernier acte et les traits forcés des personnages (Price en fait des tonnes comme s’il rejouait le Lioneheart de Théâtre de sang) jouent aussi en défaveur de Madhouse, qui précipitera le double déclin d’AIP et d’Amicus. Pour autant, le film n’est pas dénué de charme et s’apprécie comme une petite bulle insolite et hors du temps.

 

© Gilles Penso

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CRYPTZ (2002)

Trois aspirants rappeurs se retrouvent une nuit dans un club privé où les danseuses sont en réalité de redoutables vampires…

CRYPTZ

 

2002 – USA

 

Réalisé par Danny Draven

 

Avec Choice Skinner, Rick Irvin, Dennis Waller, Lunden De’Leon, Andre McCoy, Ty Badger, Olimpia Fernandez, Archie Howard, Chocolate, Lemar Knight, Fylicia Renee King

 

THEMA VAMPIRES I SAGA CHARLES BAND

Charles Band et Mel Johnson Jr. avaient inauguré en 1999 une série de films d’horreur « urbains » (autrement dit mettant en scène un casting 100% afro-américain sur fond de musique rap et RnB) pour tenter de surfer sur une sorte de seconde vague de la Blaxploitation. Ainsi étaient nés Ragdoll, The Horrible Doctor Bones, Killjoy et The Vault sous le label « Big City ». Mais l’entreprise ne s’était pas révélée aussi juteuse que prévu, n’attirant guère les foules dans les vidéoclubs. Johnson Jr. décida donc de tirer sa révérence, ce qui n’empêcha pas Band de tenter d’exploiter encore un peu le filon en produisant Killjoy 2 et Cryptz, qui sera le tout dernier de la série. La mise en scène est assurée par Dany Draven, un habitué des budgets microscopiques et du système D qui signe là son troisième long-métrage après Horrovision et Hell Asylum. Confié à Scott Phillips (The Boy with the X-Ray Eyes), le scénario est écrit en cinq jours à peine et tente de recycler un sujet déjà abordé dans des films comme Vamp ou Une nuit en enfer, autrement dit le club de strip-tease qui abrite les activités nocturnes d’une horde de vampires. Avec 30 000 dollars à sa disposition, Draven a pour mission de tenter d’en tirer un film à peu près regardable.

Comme dans Ragdoll et The Horrible Doctor Bones, les héros de Cryptz sont des aspirants rappeurs, mais Danny Draven a le bon goût de nous épargner les morceaux de RnB médiocres qui encombraient les bandes originales des films précédents. Tymez Skwair (Choice Skinner), Fuzzy Down (Rick Irvin) et Likrish (Dennis Waller) sont des trainards qui veulent faire carrière dans la musique mais ne semblent déployer aucun effort pour y parvenir. Un jour, ils croisent dans la rue une séduisante inconnue, Stesha (Lunden De’Leon), qui cache un terrible secret derrière son sourire enjôleur. D’un simple pincement sur la joue de Tymez, elle le « marque » sans qu’il comprenne l’ampleur de ce geste. Mais, à peine la nuit tombée, une douleur fulgurante le réveille en sursaut. Paniqué, il sent une force mystérieuse l’attirer vers un club de strip-tease énigmatique, « Cryptz », entraînant avec lui ses deux amis. Là-bas, le trio découvre que les danseuses ne sont autres que des vampires assoiffés de sang. Et pour couronner le tout, la redoutable cheffe des suceuses de sang, Kulada (Ty Badger), découvre que Tymez détient sans le savoir la clé du règne absolu des créatures de la nuit…

Strip tease, gore et arts martiaux

Le générique en images de synthèses bas de gamme ne laisse rien augurer de bon. Et effectivement, dès que Cryptz commence, l’exaspération nous saisit. De tous les films labellisés « Big City », il s’agit sans doute du plus stéréotypé et du plus caricatural. Ni drôles, ni charismatiques, les trois héros marchent, bougent et s’expriment comme des pantins simplistes et réducteurs. Le club de strip-tease lui-même, qu’on imagine décrit comme un lieu envoûtant et sophistiqué dans le script, ressemble à une pièce minuscule aménagée rapidement avec les moyens du bord. Le film tente alors d’égayer ses spectateurs en jouant la carte de l’érotisme soft, via ses actrices peu pudiques, et de l’horreur graphique. En sollicitant Mark Bautista, le même maquilleur spécial que sur Hell Asylum, Danny Draven s’autorise ainsi quelques fulgurances gore furtives mais efficaces. Au passage, le réalisateur affiche sa cinéphilie en accrochant un poster de La Planète des singes dans un des décors et fait de l’autocitation en montrant des extraits de Ragdoll et Horrorvision. Au cours d’un climax parfaitement improbable, un chasseur de vampires spécialiste des arts martiaux incarné par Andre McCoy (sous le pseudonyme de Chyna) vient prêter main forte à nos héros. La fin du film est très ouverte, mais Cryptz restera sans suite. Ce n’est sans doute pas plus mal.

© Gilles Penso

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LA LAMPE (1987)

Un génie malfaisant s’échappe d’une lampe magique pour massacrer un groupe d’amis venus festoyer dans un musée d’histoires naturelles…

THE OUTING / THE LAMP

1987 – USA

Réalisé par Tom Daley

Avec Deborah Winters, James Huston, Andra St. Ivanyi, Scott Bankston, Red Mitchell, André Chimène, Damon Merrill

THEMA MILLE ET UNE NUITS I DIABLE ET DÉMONS

La Lampe est né d’un souvenir d’enfance du producteur Warren Chaney. « Je me rappelle d’un vieux livre de la collection McGuffey Reader que me lisait ma mère quand j’avais quatre ou cinq ans », raconte-t-il. « On y trouvait l’histoire d’Aladin et de sa lampe. Le dessin qui représentait le génie n’avait rien à voir avec l’image habituellement amicale avec laquelle nous sommes familiers. C’était une créature effrayante mi-humaine mi-animale. Tout est parti de là. » (1) Au milieu des années 80, Chaney tire de ce souvenir un scénario de long-métrage qu’il décide de produire. Son épouse Deborah Winters, non contente d’être productrice associée, jouera trois rôles dans le film : l’héroïne principale, une jeune femme arabe dans le prologue et une vieille femme recouverte de prothèses. Voilà qui démontre une belle implication. Il faut dire que La Lampe est produit de manière indépendante avec des moyens modestes. Tom Daley, réalisateur de clips et de spots publicitaires dont ce sera le premier et unique long-métrage, doit en effet se débrouiller avec un planning de moins de six semaines de tournage et un budget dépassant à peine les deux millions de dollars. Les prises de vues sont principalement réalisées au Texas, en particulier dans le musée des sciences naturelles de Houston mis à disposition de l’équipe ainsi qu’en studio pour certaines séquences.

En 1893, une jeune fille et sa mère embarquent clandestinement sur un navire en provenance du Moyen-Orient et à destination de Gavelston, Texas. Mais à bord, un mal ancestral sommeille. La mère, porteuse d’un mystérieux bracelet, se retrouve impuissante lorsqu’un djinn malveillant se déchaîne, massacrant l’équipage à tour de bras. Dans le chaos, sa fille parvient à s’enfuir, emportant avec elle le bracelet et une lampe en cuivre. Des décennies plus tard, un manoir isolé devient la cible de trois criminels. Leur victime, une femme âgée, tente de leur résister, mais elle est assassinée par l’un des intrus armé d’une hachette. Dans un coffre, ce dernier découvre une lampe ancienne, ignorant qu’en la touchant, il vient de libérer une force tapie depuis des siècles. Le djinn s’empare alors du cadavre de la vieille femme et élimine un à un les trois cambrioleurs. Lorsque la police découvre la scène du crime, les objets retrouvés – la lampe et le bracelet – sont envoyés au Musée des sciences naturelles de Houston pour être étudiés. Or un soir, la fille de l’archéologue du musée pénètre clandestinement dans les lieux avec ses amis, profitant de l’obscurité pour explorer les galeries désertes et y passer du bon temps. Entre squelettes de dinosaures et artefacts millénaires, l’excitation est à son comble. Mais leur insouciance va leur coûter cher : sans le savoir, ils viennent de réveiller le djinn…

Le génie du mal

Passé relativement inaperçu, à cause de sa production modeste et de son réseau de distribution limité, La Lampe est une surprise plutôt agréable. S’il n’évite pas quelques clichés visuels (fumigènes, caméras subjectives, yeux lumineux) et un certain nombre de maladresses, le film de Tom Daley est solidement mis en scène et parvient à jouer la carte de l’originalité. La première idée savoureuse est celle du génie malfaisant dans la lampe hérité des contes des mille et une nuits, qui nous surprend non seulement par son caractère monstrueux (en décalage avec l’imagerie traditionnelle) mais aussi par son intégration dans un contexte moderne. La seconde trouvaille est le lieu du drame dans lequel se déchaîneront les forces maléfiques : le fameux muséum d’histoire naturelle. Non seulement il constitue un décor pittoresque, mais en outre il permet une série de meurtres particulièrement surprenants. On retiendra en particulier les deux cobras qui sortent de leur bocal de formol pour attaquer une fille dans son bain ou encore le corps momifié qui se met à dévorer une malheureuse victime qui a le malheur de croiser son chemin. Le clou du spectacle est bien sûr le génie lui-même, monstre démoniaque très convaincant servi, comme le reste, par de remarquables effets spéciaux supervisés par Gabe Bartalos (Frère de Sang) et Jim Gill (Jason le mort-vivant). Sorti d’abord en salles en Grande-Bretagne sous le titre The Lamp, puis quelques mois plus tard sur le territoire américain avec une autre appellation (The Outing), le film existe dans deux versions légèrement différentes, celle distribuée aux États-Unis étant raccourcie de deux minutes.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Fangoria (n°67)

 

© Gilles Penso

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HELL ASYLUM (2002)

Cinq jeunes femmes acceptent de passer la nuit dans un vieil immeuble hanté pour pouvoir remporter une récompense d’un million de dollars…

HELL ASYLUM

2002 – USA

Réalisé par Danny Draven

Avec Debra Mayer, Tanya Dempsey, Sunny Lombardo, Stacey Scowley, Olimpia Fernandez, Timothy Muskatell, Joe Estevez, Brinke Stevens, Paul Darrigo

THEMA FANTÔMES I CINEMA ET TÉLÉVISION SAGA CHARLES BAND

Hell Asylum est le second long-métrage de Danny Draven, après le très brouillon Horrorvision déjà produit par Charles Band. D’abord titré Prison of the Dead 2 (même s’il n’entretient aucun lien avec le premier), ce petit film d’horreur fauché connaît plusieurs appellations fantaisistes (Brides of the Dead, Hotel Hell) avant de trouver son nom définitif (que l’on peut traduire par « l’asile de l’enfer »). Trent Haaga et Tammi Sutoon (respectivement acteur principal et réalisatrice de Killjoy 2) participent à Hell Asylum, l’un en tant que scénariste, l’autre comme chef décoratrice et co-productrice. Draven, lui, joue une fois de plus les couteaux suisses en assurant la réalisation, la lumière, les prises de vues et le montage. Tourné en huit jours pour un budget anémique de 35 000 dollars, Hell Asylum reprend le concept de La Nuit de tous les mystères de William Castle en le remettant au goût du jour. Son scénario tire parti du phénomène alors en plein essor de la télé-réalité et de la diffusion à succès d’émissions telles que Fear Factor, qui fit les beaux jours de NBC à partir de 2001 et fut rapidement déclinée sur plusieurs continents.

« Chill Challenge » est un programme de télé-réalité dont l’idée est simple : cinq jeunes candidates doivent passer la nuit dans un vieil immeuble hanté, la Mason House. Celle d’entre elles qui remportera les épreuves sans être éliminée raflera une récompense d’un million de dollars. Selon la légende, ce bâtiment aurait appartenu au 19ème siècle à un homme bien peu recommandable, Phineas Mason, coupable de nombreuses atrocités, véritable Barbe Bleue ayant séquestré et assassiné chacune de ses femmes. Plus tard, l’immeuble aurait été reconverti en institut psychiatrique à la sinistre réputation. Pour inaugurer cette nouvelle émission, Stacey (Stacey Scowley), Rainbow (Sunny Lombardo), Amber (Tanya Dempsey), Marti (Olimpia Fernandez) et Paige (Debra Mayer) se portent volontaires. Filmées par une centaine de caméras disposées un peu partout dans le bâtiment, elles s’apprêtent à braver leurs phobies, tandis que Max (Tim Muskatell), le producteur, tire les ficelles dans sa petite salle de contrôle et observe tout tel un émule de Big Brother. Mais un danger imprévu hante les murs de la Mason House…

Gore Factor

L’entame de Hell Asylum nous offre un effet de mise en abyme amusant. Le producteur qui vante les mérites de son concept au décideur d’une chaine de télévision (des frissons, des jeunes femmes en tenues sexy, des caméras partout) ressemble à une sorte de Charles Band qui essaierait de promouvoir son film auprès d’un financier ou d’un distributeur. Le film s’appréhende d’ailleurs souvent au second degré, l’humour noir qui le nimbe aidant partiellement les spectateurs à passer outre son image hideuse, ses effets vidéo cheap, sa mise en scène approximative et le jeu modérément convaincant des cinq actrices principales. Régulièrement au cours de cette télé-réalité improbable, des silhouettes encapuchonnées surgissent pour massacrer méthodiquement ceux (et surtout celles) qui passent à leur portée. Là, Draven se montre très généreux en effets gore, multipliant les séquences de têtes arrachées, de crânes transpercés, de visages déchiquetés ou de corps éviscérés avec une étonnante générosité. Certes, les effets sont visiblement bricolés à la va-vite par un Mark Bautista coutumier du genre (Witchouse 3, Killjoy 2, Dead & Rotting), les intestins ressemblent à des spaghettis et le montage épileptique de ces scènes sert visiblement de cache misère. Mais ces excès jouent en faveur de Hell Asylum, le réalisateur ayant visiblement fait quelques progrès depuis Horrorvision. Il enchaînera avec Cryptz, toujours pour Charles Band.

 

© Gilles Penso

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LES DÉMONS DU MAÏS (2020)

Le réalisateur d’Equilibrium et Ultraviolet s’empare de la nouvelle de Stephen King - déjà adaptée dix fois - pour en livrer sa propre version…

CHILDREN OF THE CORN

2020 – USA

Réalisé par Kurt Wimmer

Avec Elena Kampouris, Kate Moyer, Callan Mulvey, Bruce Spence, Stephen Hunter, Jayden McGinlay, Ashlee Juergens, Sisi Stringer, Joe Klocek, Orlando Schwerdt

THEMA ENFANTS I DIABLE ET DÉMONS I SAGA LES DÉMONS DU MAÏS I STEPHEN KING

 

Réalisateur du thriller dystopique Equilibrium, Kurt Wimmer avait un peu disparu des radars après Ultraviolet, cette dernière expérience lui ayant laissé un goût très amer vis-à-vis de la politique des studios hollywoodiens. Absent derrière les caméras depuis ce blockbuster frustrant, il prêta entretemps sa plume aux scénarios d’une poignée de remakes fort dispensables comme Total Recall : mémoire programmée ou Point Break. Le voir repasser à la mise en scène était une bonne nouvelle, mais pourquoi avoir choisi de diriger un énième opus de l’interminable saga des Démons du maïs ? Était-il encore possible d’apporter une quelconque pierre artistique à cet édifice disparate de dix longs-métrages vaguement inspirés d’une courte nouvelle de Stephen King ? Pour calmer la perplexité ambiante, le producteur Lucas Foster se fend à l’époque d’une déclaration officielle affirmant que cette nouvelle adaptation du texte original n’a aucun lien avec les épisodes précédents, ni même avec le tout premier Démons du maïs de Fritz Kiersch qui inaugurait en 1984 la franchise. « Notre film n’a presque rien à voir, même si nous nous appuyons sur la même nouvelle », déclare-t-il. « Nous avons repris l’histoire et l’avons très librement réinterprétée. » (1) Tourné en Australie au beau milieu du confinement imposé en 2020 par la crise du Covid-19, Les Démons du maïs de Wimmer aura nécessité des précautions sanitaires drastiques et le recours à de multiples polices d’assurance.

L’histoire se déroule dans la petite ville de Rylstone, au fin fond du Nebraska. Après avoir erré dans un grand champ de maïs, un adolescent en sort enfin, le regard halluciné. Armé d’un couteau, il massacre tous les adultes d’un foyer pour enfants. Pour tenter de l’arrêter, les autorités décident d’utiliser un gaz anesthésiant. Résultat : quinze enfants morts. La petite Eden survit à cette hécatombe en se cachant pendant quatre jours consécutifs dans le champ de maïs, avant d’être recueillie par le pasteur local qui l’adopte. Encore marquée par cette tragédie, la bourgade dépérit peu à peu. Les vastes cultures de maïs qui faisaient sa fierté sont en train de se dessécher inexorablement. Sans doute les OGM que les habitants ont accepté d’utiliser n’y sont pas pour rien. La population décide alors de raser l’intégralité des champs pour toucher les subventions de l’état et repartir à zéro. Mais les enfants de Rylstone en ont décidé autrement…

« Celui qui marche »

Lorsque le film commence, il nous semble entrevoir ce qui a séduit Kurt Wimmer. Cette onzième adaptation s’éloigne en effet du tout-venant en prenant les atours de la chronique sociale désenchantée d’une petite ville agricole affrontant une crise qui semble insurmontable. Les enjeux sont bien définis, servis par des acteurs très convaincants, et tout s’amorce de manière prometteuse. Lorsque l’intrigue bascule dans le fantastique et dans l’horreur, le parti pris du cinéaste est une approche brutale, à la fois visuellement et psychologiquement, ne rechignant pas devant un recours au gore pour décrire des mises à mort souvent gratinées. Personnage central du drame, Bo (Elena Kampouris) se situe à mi-chemin entre les enfants et les adultes, ce qui lui confère un statut complexe. « C’est eux contre nous », lui dit Eden (Kate Myer, adorablement détestable). « Dans quel camp es-tu ? » Malheureusement, plus le récit avance, plus les incohérences s’installent. Le fameux démon du maïs, que les gamins diaboliques surnomment « celui qui marche », prend corps de manière tangible au cours du dernier acte. Mais au lieu de la créature lovecraftienne qu’évoquait Stephen King, nous sommes en présence d’une sorte d’arbre géant rugissant qui se comporte comme un dinosaure de Jurassic Park. Digital Domain, qui a assuré la production exécutive, prend en charge les effets visuels du film, lesquels sont parfois convaincants, d’autres fois beaucoup moins, preuve que le budget et le temps alloués à leur confection se réduisirent sans doute comme peau de chagrin. Parti sous de bons augures, Les Démons du maïs cru 2020 s’achève de manière très décevante, nouvelle preuve que cette franchise bancale n’a que trop duré.

(1) Extrait d’une interview publiée dans Variety en juin 2020

© Gilles Penso

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SCANNER COP 2 (1995)

Le cinquième opus de la saga initiée par David Cronenberg s’attache aux méfaits ultra-gore d’un Scanner psychopathe…

SCANNER COP 2 : VOLKIN’S REVENGE / SCANNERS : THE SHOWDOWN

 

1995 – CANADA

 

Réalisé par Steve Barnett

 

Avec Daniel Quinn, Patrick Kilpatrick, Khrystyne Haje, Stephen Mendel, Robert Forster, Brenda Swanson, Jerry Potter, Jewel Shepard, Tony Fasce, Terrie Snell

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX I SAGA SCANNERS

Contrairement à tous les épisodes précédents de la franchise Scanners, qui s’appréhendent comme des films autonomes ne partageant qu’un thème commun, cet ultime opus reprend des personnages que nous connaissons déjà, puisqu’il se positionne comme une suite directe de Scanner Cop. Sam Staziak, le policier aux pouvoir parapsychiques incarné par Daniel Quinn (avec ses faux airs de Brad Dourif), est donc de retour, tandis qu’un échange de dialogues se réfère directement aux événements survenus dans le premier Scanners. Pierre David continue de produire, mais il cède cette fois-ci la mise en scène à Steve Barnett. Ce dernier s’était distingué en supervisant la version américaine du Déclic et en réalisant le film de science-fiction Mindwarp avec Bruce Campbell. Il allait plus tard se spécialiser dans la production exécutive, la direction de production et la post-production de gros films de studios tels que Spy Kids, Avatar, Miss Peregrine ou Alita Battle Angel. Pour offrir à notre héros un adversaire de poids, Patrick Kilpatrick (l’un des redoutables enseignants robots de Class of 1999) entre dans la peau de Karl Volkin, un Scanner surpuissant qui vide les autres Scanners de leur énergie vitale, accroissant sans cesse sa puissance et laissant derrière lui des cadavres desséchés. Nous voici donc face à la même mécanique narrative que Highlander et ses suites.

Le scénario nous apprend que Volkin s’est évadé d’un institut psychiatrique avec la ferme intention de se venger de Staziak, qui l’a arrêté par le passé au cours d’une opération ayant provoqué la mort de son frère. Bien décidé à mettre la main sur ce psychopathe redoutable, notre « super flic » est aidé par Carrie Goodart (Khrystyne Haje), qui travaille au Trans-Neural Center de Los Angeles, un centre d’aide pour les Scanners. En début de métrage, Staziak se révèle plus puissant que Volkin, mais ce dernier gagne en capacités au fur et à mesure qu’il « siphonne » ses congénères et finit par devenir quasiment invincible. L’enquête s’annonce donc complexe et particulièrement dangereuse, le supérieur de Staziak (incarné par le toujours très charismatique Robert Forster) lui laissant la bride sur le cou pour mener cette mission comme il l’entend… Scanner Cop 2 est le film de tous les excès. Ses nombreuses péripéties nous permettent ainsi de découvrir les nouveaux pouvoirs surprenants du policier télépathe, comme manipuler des malfrats à travers leurs écouteurs (ce qui provoque la décomposition de leurs oreilles), désamorcer une bombe à distance, faire dessiner un portrait-robot à une femme dans le coma, localiser un appel téléphonique ou même ranimer des cadavres !

Le vampire télépathe

Mais ce cinquième opus se distingue surtout par ses débordements gore dépassant en outrance tous ceux des films précédents. Le ton est donné lorsque Volkin s’en prend à sa première cible dans une ruelle. Le corps du malheureux se boursoufle puis se déchire et dégouline en fumant avant de se décharner en se recouvrant d’horribles brûlures. D’autres scènes du même acabit ponctuent régulièrement le film, Volkin variant parfois les plaisirs en aspirant la vie des autres Scanners via un baiser mortel, comme Matilda May dans Lifeforce. D’où cette phrase de Sam résumant la situation lors d’un échange avec Carrie : « Volkin détourne l’énergie vitale de ses victimes dans le but de se ressourcer, comme un vampire. » On note aussi cette vision horriblement surréaliste de deux corps fondus qui fusionnent en fumant, ou ce visage qui se déchire en deux (repris sur certains posters du film). Sollicité pour les maquillages du film, John Carl Buechler (Re-Animator, From Beyond) s’en donne à cœur joie. De fait, même si l’histoire de Scanner Cop 2 n’a rien de très captivant, ses débordements horrifiques combleront tous les amateurs d’effets spéciaux cosmétiques à l’ancienne.

 

© Gilles Penso

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