INDESTRUCTIBLES (LES) (2004)

L’arrivée de Brad Bird chez Pixar donne un nouveau souffle aux productions du studio et révolutionne même le genre du film de super-héros…

THE INCREDIBLES

 

2004 – USA

 

Réalisé par Brad Bird

 

Avec les voix de Craig T. Nelson, Holly Hunter, Samuel L. Jackson, Jason Lee, Dominique Louis, Teddy Newton, Jean Sincere, Eli Fucile, Maeve Andrews

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA PIXAR

Brad Bird était destiné à intégrer un jour ou l’autre les rangs de Pixar, mais il aura fallu du temps pour concrétiser ce ralliement. Dès ses études, Bird fréquentait John Lasseter, tous deux partageant les bancs de la prestigieuse école CalArts. Après avoir brièvement travaillé chez Disney à l’époque de Rox et Rouky, il réalise un épisode de la série Histoires fantastiques produite par Steven Spielberg, puis collabore avec l’équipe des Simpsons. Dès 1995, Lasseter lui propose de venir travailler sur 1001 pattes, mais Bird est déjà en train d’envisager son premier long-métrage pour Warner. Ce sera Le Géant de fer. John Lasseter revient ensuite à la charge, proposant à Brad Bird de réaliser pour Pixar un projet qui lui tient à cœur : Les Indestructibles. Bird envisageait initialement Les Indestructibles sous forme d’un long-métrage d’animation en 2D, un media plus conforme selon lui à ce récit nostalgique puisant son inspiration dans la culture « pulp » des années 60. Mais face à l’accueil chaleureux de Pixar, il accepte de revoir sa copie pour s’adapter à l’image de synthèse. Le générique de fin des Indestructibles, animé « à l’ancienne », donne une idée de l’approche visuelle que Brad Bird avait initialement en tête pour son film.

Le personnage central des Indestructibles est Bob Parr, qui fut jadis l’un des plus grands super-héros de la planète sous le nom de Monsieur Indestructible. Dans son uniforme moulant, le valeureux Bob sauvait chaque jour des centaines de vies et combattait le mal. C’était l’époque des « jours glorieux ». Mais suite à un projet de loi rendant illicites les activités des super-héros, il a dû raccrocher son costume et devenir un modeste expert en assurances dont les petits tracas quotidiens ont augmenté en même temps que son tour de taille. Bob mène depuis quinze ans une vie rangée avec son épouse Hélène, qui fut autrefois la vaillante Elastigirl, et s’efforce de mener une vie normale avec ses trois enfants : Violet, Dash et Jack-Jack. Frustré, rêvant de repasser à l’action, Bob saisit l’opportunité qui s’offre à lui lorsqu’une convocation énigmatique l’invite à se rendre sur une île mystérieuse pour une mission secrète de la plus haute importance. Mais c’est un piège, et l’ancien justicier un peu rouillé et bedonnant va affronter un redoutable super-vilain avide de vengeance et de destruction répondant au doux nom de Syndrome. Pour le tirer de ce mauvais pas, Bob devra compter sur sa famille.

Une famille fantastique

Pour choisir les super-pouvoirs de ses héros, Brad Bird s’appuie sur leur personnalité et sur le rôle que chacun tient au sein du groupe. Bob étant le chef de famille, il hérite d’une force herculéenne. Son épouse Helen, obligée d’assumer simultanément une foule de responsabilités, est élastique. Leur fille Violet entre dans un âge de l’adolescence où elle souhaiterait que personne ne la remarque, d’où son pouvoir d’invisibilité. Quant à l’hyperactivité de son jeune frère Dash, elle se traduit par une vitesse quasi-supersonique. Le bébé Jack-Jack, lui, ne révèlera ses élans incandescents qu’en toute fin de métrage. Ces pouvoirs – mais aussi les uniformes que portent les Indestructibles – évoquent immédiatement une famille de super-héros bien connue des amateurs de comic books : les Quatre Fantastiques créés par Stan Lee et Jack Kirby. Malgré ses nombreux emprunts (y compris au sein de l’éblouissante partition de Michael Giacchino sous haute influence de John Barry), Les Indestructibles innove sans cesse et surprend par ses inventions multiples. Au lieu d’être submergé par la vogue naissante des films de super-justiciers initiée par les triomphes respectifs des deux premiers X-Men et des deux premiers Spider-Man, Les Indestructibles sort du lot. Le public répond largement présent et finit même par le considérer comme un des meilleurs films de super-héros de tous les temps, tous genres confondus.

 

© Gilles Penso


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NOCES FUNÈBRES (LES) (2005)

Dix ans après L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Tim Burton retrouve la stop-motion pour célébrer un mariage très spécial…

THE CORPSE BRIDE

 

2005 – USA

 

Réalisé par Tim Burton et Mike Johnson

 

Avec les voix de Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Emily Watson, Tracey Ullman, Paul Whitehouse, Joanna Lumley, Albert Finney, Richard E. Grant

 

THEMA FANTÔMES I SAGA TIM BURTON

Tout le monde a gardé en mémoire L’Étrange Noël de Monsieur Jack, qui poussait jusque dans ses ultimes retranchements l’animation en volume, à une époque où Jurassic Park semblait pourtant avoir jeté aux oubliettes cette vénérable technique. Instigateur de ce projet fou qui s’inscrivait volontairement à contre-courant du tout numérique, Tim Burton décide de renouveler l’expérience dix ans plus tard avec Les Noces funèbres. En cherchant à réhabiliter la viabilité d’un long-métrage en stop-motion, Tim Burton veut prouver une fois de plus que l’image de synthèse n’est pas le seul moyen de créer de l’animation à destination du grands public, un besoin motivé par le succès colossal des films produits alors par le studio Pixar. Le scénario des Noces funèbres s’inspire d’une légende russe du 19ème siècle dans laquelle un jeune homme se fiance par erreur avec une femme revenue d’entre les morts. Cette histoire lui est rapportée par le scénariste et storyboarder Joe Ranft, qui fut justement un pilier des studios Pixar. Si, à l’époque de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Burton avait laissé le fauteuil de réalisateur à Henry Selick, il tient cette fois-ci à co-diriger le film avec Mike Johnson, talentueux animateur reconverti à la mise en scène. Étant donné qu’il mène de front plusieurs projets simultanément, il ne peut se permettre de passer trois ans sur le tournage des Noces funèbres, ce qui ne l’empêche pas pour autant de s’y impliquer totalement, tout en démarrant le tournage de Charlie et la chocolaterie.

Dans le bureau de son co-réalisateur Mike Johnson s’accumulent vite des dizaines de cahiers remplis de dessins, du simple croquis crayonné à la splendide peinture multicolore. Beaucoup d’entre eux sont l’œuvre de Tim Burton lui-même. On y trouve l’évolution du design de tous les personnages, des décors et de certaines séquences. C’est là que naissent les idées les plus folles, comme ce squelette au thorax percé d’un énorme trou (on voit la bière y couler quand il boit !), ces cuisiniers zombies dont le visage tombe en morceaux dans les plats qu’ils préparent ou cette tête qui se déplace sur le dos de plusieurs cafards ! Dans sa forme finale, le scénario des Noces funèbres, rédigé par le fidèle John August (Big Fish, Charlie et la chocolaterie), raconte la mésaventure de Victor, revenu sur la terre de ses ancêtres pour épouser sa promise. Suite à un concours de circonstance, son alliance vient se glisser sur le doigt d’un cadavre, celui d’une femme assassinée qui surgit aussitôt d’outre-tombe pour réclamer le mariage qui vient de lui être promis. Pour remettre les choses dans l’ordre, Victor va devoir braver ses peurs et entrer dans le monde des morts… Un monde extrêmement coloré et étrangement joyeux, dans la continuité du spectacle que Burton nous offrit dans Beetlejuice et L’Étrange Noël de Monsieur Jack. Ironiquement, cette vision positive et festive de l’au-delà, inspirée en grande partie par le Jour des Morts que célèbrent les Mexicains, ressurgira bien des années plus tard dans Coco, produit par le studio Pixar, comme si la boucle n’en finissait pas de se boucler.

Des voix familières

Une fois le script définitivement établi et les dessins validés, les comédiens entrent en jeu, à l’occasion d’une longue séance d’enregistrement des voix. Et le casting des Noces funèbres a quelque chose de familier, car on y retrouve Johnny Depp, Helena Bonham Carter et Christopher Lee, déjà à l’affiche de Charlie et la chocolaterie, ainsi qu’Albert Finney (Big Fish), Joanna Lumley (James et la pêche géante) et Michael Gough (Batman). Inscrit dans un contexte proche du cinéma d’épouvante victorien (comme le prénom du héros le suggère ouvertement), Les Noces funèbres se tourne aux studios Three Mills de Londres. Près de 500 figurines d’animation sont construites pour les besoins du film, chaque personnage principal existant en de nombreux exemplaires. Si la magie n’opère pas avec la même spontanéité que L’Étrange Noël de Monsieur Jack, Les Noces funèbres fait tout de même son petit effet et nous offre de très beaux moments de poésie macabre, collectionnant les séquences incroyables et donnant la vedette à un protagoniste qui ressemble à une version adulte du Vincent des débuts de Tim Burton. Cerise sur le gâteau, Danny Elfman se fend d’une nouvelle partition délicieusement gothique qu’il constelle de chansons pleines d’emphase et de morceaux mi-comiques mi-mélancoliques.

 

© Gilles Penso


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MONSTRES ACADEMY (2013)

Le studio Pixar décide d’effectuer un flash-back pour nous raconter l’adolescence des héros de Monstres & Cie

MONSTERS UNIVERSITY

 

2013 – USA

 

Réalisé par Dan Scanlon

 

Avec les voix de Billy Crystal, John Goodman, Steve Buscemi, Helen Mirren, Peter Sohn, Joel Murray, Sean Hayes, Dave Foley, Charlie Day, Alfred Molina, Nathan Fillion

 

THEMA RÊVES I MONDES PARALLÈLES I SAGA PIXAR

Par une journée radieuse, un pigeon fend les cieux ensoleillés pour venir se poser sur le bitume. Utra-réaliste, l’image donne le sentiment d’avoir été filmée en prises de vues réelles. Pourtant, quelques petits détails semblent contredire cette première impression. Lorsque le volatile révèle soudain une seconde tête monstrueuse qui vient picorer le sol avant de pousser un rugissement, révélant une morphologie digne de l’oiseau-Roc du 7ème voyage de Sinbad, aucun doute n’est plus permis : nous sommes bien dans du cinéma d’animation pur et dur. Ce plan d’ouverture de Monstres Academy résume à lui seul toute la démarche entreprise par le studio Pixar depuis sa création, et que John Lasseter lui-même résume en ces termes : « prendre du recul sur le réalisme ». A vrai dire, si les infographistes de Pixar souhaitaient un jour concurrencer ceux d’ILM ou Weta Digital dans le domaine des effets visuels, nul doute qu’ils y parviendraient haut la main. Mais la quête de la reconstitution du réel n’est pas l’objectif des créateurs de Toy Story. En ce sens, Monstres Academy représente un véritable retour aux sources, empruntant le biais de la prequel pour défendre l’indéfectible credo du studio : la technique n’est rien sans de bons personnages. Le film opte pour le point de vue de Bob Razowski, à l’époque où il n’est encore qu’un petit écolier cyclope.

Fasciné par les monstres terrifiants qui œuvrent pour le bien de la cité au sein de la société « Monstres & Cie », Bob rêve de devenir l’un d’entre eux plus tard, malgré un physique qui n’a jamais effrayé personne. Devenu adolescent, il entre en première année de la prestigieuse université « Monstres Academy », une sorte d’école Poudlard qui ne serait fréquentée que par des créatures aux anatomies fantaisistes. Gonflé à bloc, Bob voit ses ardeurs réfrénées par la présence d’un autre étudiant, Jacques Sullivan, qui possède un don naturel pour faire peur et descend d’une prestigieuse lignée de monstres terrifiants. Tous deux entrent bien vite en rivalité et, à force d’essayer de se prouver mutuellement leur supériorité, finissent par menacer sérieusement leur avenir au sein de l’université. Pour s’en sortir, ils vont devoir apprendre à utiliser leurs dons complémentaires et à travailler avec un petit groupe de monstres étranges et mal assortis… Sur ce postulat, le scénario de Monstres Academy enchaîne les folles péripéties avec une bonne humeur communicative, accumulant généreusement des centaines de folles créatures, la plus impressionnante d’entre elles étant la directrice de l’école, dont l’inquiétante morphologie mixe la mante religieuse, la chauve-souris, le mille-pattes et le dragon.

La porosité des mondes

Tentacules, griffes, pinces, crocs et becs s’agitent donc joyeusement au cours du film, mais derrière la légèreté apparente, le scénario de Robert L. Baird, Daniel Gerson et Dan Scanlon nous propose une réflexion inattendue sur l’art du spectacle. Tel un comédien bourré de charisme, Sullivan crève l’écran mais perd toute contenance s’il n’est pas correctement dirigé. Bob, de son côté, n’a pas le physique adéquat pour faire des étincelles, mais en coulisse il s’avère être un metteur en scène exemplaire, dosant savamment ses effets et dirigeant ses « acteurs » avec panache. En combinant leurs talents et en s’adjoignant les services d’une équipe technique disparate (les monstres joviaux dont à priori personne ne veut), ils braveront les mille épreuves semées sur leur chemin pour devenir les véritables superstars de l’école. Au passage, ils auront appris une belle leçon d’humilité. Le parcours du combattant devient donc bien vite initiatique et, comme toujours chez Pixar, s’apprécie sur plusieurs niveaux de lecture. Les ultimes rebondissements du film transportent momentanément notre duo explosif dans un monde parallèle – le nôtre – et le spectateur se retrouve soudain face à un spectacle inattendu. Car la vision surréaliste de ces deux monstres improbables, l’un cyclope sphérique et bipède, l’autre yéti velu et bleu turquoise, isolés sur les berges d’un lac nocturne photoréaliste, s’avère extrêmement troublante. Bouclant la boucle amorcée par le gag de son plan d’ouverture, Monstres Academy nous questionne à nouveau face à la porosité des frontières séparant le fantastique du réel. A la fois artistique, technique, narrative et métaphysique, cette interrogation reste en suspens et prouve une fois de plus que les meilleures œuvres du studio Pixar sont celles qui combinent l’enchantement du tout jeune public avec des préoccupations beaucoup plus adultes.

 

© Gilles Penso


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FRANKENWEENIE (2012)

Tim Burton réinvente l’un de ses courts-métrages de jeunesse sous forme d’un film d’animation monstrueusement généreux…

FRANKENWEENIE

 

2012 – USA

 

Réalisé par Tim Burton

 

Avec les voix de Catherine O’Hara, Martin Short, Martin Landau, Charlie Tahan, Atticus Shaffer, Winona Ryder, Robert Capron, James Hiroyuki Liao

 

THEMA FRANKENSTEIN I MAMMIFÈRES I MÉDECINE EN FOLIE

Lorsqu’il réalisa le court-métrage Frankenweenie en 1982, Tim Burton envisageait dans un premier temps de recourir à l’animation image par image, comme pour son film précédent Vincent. C’était à ses yeux le mode d’expression le mieux adapté à cette relecture canine du mythe de Frankenstein, d’autant que cette technique est elle-même intrinsèquement liée au thème développé par Mary Shelley : donner vie à une matière inerte. Mais la création d’un film de 25 minutes en stop-motion était hors de sa portée, pour des raisons de budget et de timing, et il adapta donc son idée à des prises de vues réelles. Trente ans plus tard, jugeant qu’il est temps de donner une seconde vie à ce concept, le cinéaste décide de proposer à Disney une relecture de Frankenweenie au format long-métrage d’animation en noir et blanc. Et le studio accepte. Le logo d’ouverture du film annonce la couleur : le château de la Belle au Bois dormant et la version orchestrale de « When You Wish Upon a Star », qui sont devenus depuis longtemps les marques de fabrique de Disney, se transforment soudain. L’image vire au noir et blanc, muant le beau bâtiment en sombre bâtisse gothique, et la symphonie s’achève sur un accord brutal à l’orgue. Le ton est donné. Burton s’apprête à casser les codes du studio pour y insérer son propre univers. Cette démarche passera par des choix très marqués, tant d’un point de vue artistique (le noir et blanc, l’animation en volume) que narratif, comme s’il fallait inconsciemment rattraper les fautes de goût d’Alice au pays des merveilles.

La première partie du film calque assez fidèlement ses péripéties sur le court-métrage. Tout commence par un film amateur en super-8 dans lequel le jeune Victor a reconstitué dans son jardin et avec ses jouets une sorte de remake du Rodan de Inoshiro Honda. Un ptérodactyle en plastique sème la terreur, jusqu’à ce qu’une sorte de Godzilla canin n’intervienne. Celui-ci est incarné par Sparky, le chien de Victor, son seul véritable ami, compagnon de jeu fidèle et indéfectible. Mais la vie du jeune garçon bascule lorsque Sparky meurt, écrasé accidentellement par une voiture. Inconsolable, Victor traîne dès lors sa morosité sans retrouver sa joie de vivre, jusqu’au jour où son professeur de sciences montre en plein cours comment une grenouille morte s’anime lorsqu’elle est soumise à des rayons électriques. Impressionné, Victor décide de reproduire ce phénomène à plus grande échelle. Il déterre donc Sparky et le transporte discrètement dans son grenier reconverti en laboratoire de savant fou. Une table à repasser sert de table d’opération, un vélo, une horloge, un ventilateur, un tourne-disque, un grille-pain et des cerfs-volants lui servent à capter l’électricité venue de la foudre. A l’issue de cette relecture « domestique » de la fameuse expérience du premier Frankenstein de James Whale, le défunt chien est frappé de plein fouet par un éclair… et ressuscite ! Les personnages de Frankenweenie s’inscrivent avec cohérence dans l’univers graphique auquel Tim Burton nous a familiarisés. Victor et ses parents présentent une évidente filiation avec le héros de Vincent, Sparky est une sorte de croisement entre le chien de L’Étrange Noël de Monsieur Jack et celui des Noces funèbres, le professeur de sciences ressemble à une caricature de Vincent Price. Quant aux élèves, ils semblent tous échappés d’un film d’horreur (l’un ressemble au monstre de Frankenstein, un autre au bossu Igor, une troisième à un fantôme blafard).

« It’s alive ! »

Le caractère fantastique du monde familier du jeune Victor fait écho à la vision du monde que Tim Burton lui-même avait lorsqu’il était enfant. Frankenweenie insiste d’ailleurs symboliquement sur la manière dont la perception de la réalité est altérée chez Victor. C’est ce qu’atteste cette séquence dans laquelle ses parents regardent à la télévision un extrait du Cauchemar de Dracula. Dans cet univers en stop-motion, les extraits du classique de Terence Fisher sont les seules images en prises de vue réelle, comme si les films d’horreur étaient plus réels que le reste du monde aux yeux du jeune héros. En un sens, Frankenweenie se positionne ainsi comme l’un des longs-métrages les plus autobiographiques de son auteur. Le film regorge d’idées visuelles cartoonesques désopilantes, comme l’eau qui fuit par les cicatrices de Sparky lorsqu’il boit de l’eau, ou la « crinière » de la chienne de la voisine qui est frappée par l’électricité et ressemble soudain aux cheveux d’Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein. Mais c’est surtout au cours du dernier acte de Frankenweenie que le délire bat ouvertement son plein. Prolongeant les péripéties racontées dans son court-métrage, Tim Burton imagine de nouveaux rebondissements liés aux camarades de Victor qui, ayant découvert la résurrection de Sparky, décident de reproduire la même expérience avec d’autres animaux dans l’espoir de remporter un prix scientifique. Les conséquences sont évidemment désastreuses et permettent à Burton de multiplier les hommages au cinéma qu’il aime. Avec cette succession de monstres référentiels superbement animés sous la supervision de Trey Thomas, Tim Burton semble presque prendre une revanche sur Mars Attacks !, rendant enfin hommage à la SF des années 50 avec la technique adéquate.

 

© Gilles Penso


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VICE-VERSA (2015)

Que se passe-t-il exactement dans la tête d’une jeune fille en pleine crise d’adolescence ? La réponse est franchement surprenante !

INSIDE OUT

 

2015 – USA

 

Réalisé par Pete Docter et Ronnie del Carmen

 

Avec les voix de Amy Poehler, Lewis Black, Mindy Kaling, Bill Hader, Phyllis Smith, Kaitlyn Dias, Diane Lane, Kyle MacLachlan, Lori Alan, Paris Van Dyke

 

THEMA CONTES I SAGA PIXAR

L’histoire de Riley Anderson, une fille de dix ans bouleversée par son déménagement à San Francisco dû aux nouvelles obligations professionnelles de son père, est à priori naturaliste et dénuée de tout élément fantastique. A priori seulement. Car les petits génies de Pixar ont choisi de nous raconter les tourments de la jeune collégienne depuis l’intérieur de sa tête. Or dans le scénario co-écrit par Pete Docter et Michael Arndt, le cerveau humain ressemble à une espèce de tour de contrôle où s’efforcent de cohabiter cinq personnages hauts en couleur représentant les cinq émotions « de base » telles que les ont définies les psychologues : la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût. Vice-Versa est donc un de ces « films concepts » dont les créateurs de Toy Story se sont fait une spécialité mais qui, généralement, sont déclinés sous forme de courts-métrages. On se souvient encore avec enthousiasme des lampes vivantes de Luxo Jr, des états d’âme du bonhomme de neige de Knick-Knack, des tours de prestidigitation hilarants de Presto ou de l’affrontement de la lumière et de l’obscurité dans Jour et nuit. Le principe narratif incroyablement audacieux de Vice-Versa allait-il parvenir à nous captiver pendant une heure et demie ?

Au début, le doute est permis. Les bons sentiments règnent en effet dans la vie et dans l’esprit de Riley, sous la supervision de son émotion principale, c’est-à-dire la joie. La famille, l’amitié, le sport, l’honnêteté sont donc les valeurs positives que semble glorifier le film avec une béatitude presque suspecte. Mais ce n’est qu’un leurre. Car dans la tête de la préadolescente, le chaos commence à s’immiscer, et dès lors tout son équilibre – en même temps que celui du film – se met à vaciller. Tandis que dans le quartier général qui lui sert de cerveau, un enchaînement d’incidents tourne à la catastrophe, dans sa vie quotidienne le trouble est semé, et plus rien ne sera désormais comme avant. La fausse naïveté cède ainsi le pas à un constat d’une grande lucidité : lorsque l’individu quitte la petite enfance pour tendre vers l’adolescence, toutes les vérités qui semblaient absolues se disloquent, et la dépression guette ceux qui ne sauraient gérer les vents contraires de leurs émotions.

Voyage au centre de la tête

Il fallait être particulièrement téméraire pour oser traiter un sujet aussi adulte, aussi sérieux et aussi intime sous l’angle d’une aventure fantastique déjantée à grand spectacle. Mais Pete Docter, déjà réalisateur de Monstre et compagnie et Là-haut, n’est plus à un défi près. Dans l’esprit de Riley, le parcours du combattant de la joie et de la tristesse, perdues toutes deux dans les méandres de son subconscient, de ses sentiments refoulés, de ses phobies et de ses cauchemars, se transforme en odyssée mouvementée à mi-chemin entre « Alice au pays des merveilles » et « Voyage au centre de la Terre ». Véritable traité psychanalytique doublé d’un conte tout public rythmé par la musique trépidante de Michael Giacchino, Vice-Versa porte la marque des plus grandes réussites de Pixar, l’un des seuls studios capables d’offrir des films offrant à ses spectateurs autant de niveaux de lectures et autant d’innovations. Et pour prouver que l’alchimie a fonctionné à merveille, l’épilogue nous tire autant de larmes de joie que de tristesse, comme si les deux personnages principaux du film s’étaient invités dans notre propre esprit !

 

© Gilles Penso


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MAD GOD (2021)

Le génial créateur d’effets spéciaux Phil Tippett signe un cauchemar surréaliste qui fera date dans l’histoire du cinéma d’animation…

MAD GOD

 

2021 – USA

 

Réalisé par Phil Tippett

 

Avec Alex Cox, Niketa Roman, Satish Ratakonda, Harper Taylor, Brynn Taylor, Hans Brekke, Brett Foxwell, Chris Morley, Anthony Ruivivar, Phil Tippett

 

THEMA RÊVES

C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement. Avant de concevoir et d’animer les insectes extra-terrestres de Starship Troopers, les dinosaures de Jurassic Park, les machines de Robocop ou les créatures de Star Wars, avant même d’entrer dans le monde professionnel, Phil Tippett portait déjà en germe l’univers de Mad God. Il suffit de regarder ses dessins d’enfance et d’adolescence pour s’en convaincre : des personnages bizarres, des environnements hostiles, un humour noir désespéré, des visions monstrueuses surgies d’ailleurs… De temps en temps, au détour d’un projet avorté (comme l’adaptation à l’écran de « Mars Attacks » avant que Tim Burton ne s’en empare), ces images folles ressurgissent furtivement. Mais ce n’est qu’à la fin des années 80, alors qu’il est à l’œuvre sur l’un des films les plus complexes de sa carrière (Robocop 2) que Phil Tippett décide enfin de donner corps à ce projet obsessionnel. Mad God est d’abord un court-métrage que Tippett tourne sur pellicule avec la technique qui est devenue sa spécialité, la stop-motion. Les quelques images qu’il met en boîte semblent fusionner les mondes de David Lynch et de Jan Svankmajer, en un mélange troublant d’horreur, de fantasmagorie, de science-fiction et de comédie. Mais les activités croissantes du Tippett Studio et l’arrivée de la technologie numérique mettent un terme au projet. Mad God aurait pu en rester là, perdu dans les limbes des films inachevés.

Trente ans plus tard, de manière inattendue, le film redémarre. « Un jour, des gars du studio ont regardé mes archives et ont eu envie de relancer le projet », raconte Tippett. « Ils ont proposé d’y participer et de tourner quelques plans. Nous avons accumulé de plus en plus de volontaires au fil du temps et les choses ont grandi d’elles-mêmes » (1). Tous les week-ends, une petite équipe se réunit donc dans le studio, met la main à la pâte, construit des décors, bricole des accessoires et anime des séquences au long d’un processus lent et organique, comme si le film s’imaginait et se fabriquait de lui-même à la manière d’un cheval fou incontrôlable. Le personnage central de Mad God est un « assassin », un homme mystérieux portant un masque à gaz et une mallette, dont le parcours l’emmène toujours plus profondément dans les entrailles d’un monde inconnu, au fil d’une odyssée qui prend des allures de descente aux enfers… Financé en partie par le biais d’une campagne participative, Mad God prend la forme d’une série de courts-métrages que Phil Tippett réunira finalement pour en faire un film complet. Et quel film !

Les monstres de l’inconscient

Mad God est insaisissable parce que sa structure narrative n’obéit à aucune des règles que nous connaissons. S’il y a un sens, il est caché, comme dans les rêves les plus abscons. Aucun mot ne saurait rendre pleinement justice à l’expérience de son visionnage. L’élaboration du scénario du film n’a pourtant rien de la démarche des écritures automatiques ou des « cadavres exquis » chers aux surréalistes. Il s’agit plutôt pour Phil Tippett de collecter des images inconscientes qui flottent dans son esprit au moment où la capacité de jugement s’étiole, dans cette zone floue située à mi-parcours de la veille et de l’endormissement. Paradoxalement, l’emploi des techniques artisanales (la stop-motion, les figurines articulées, les maquettes, les décors miniatures) donne une qualité tactile et tangible à ce cauchemar fiévreux. Les influences de Mad God sont multiples et s’affichent de manière plus ou moins explicite. On pense à Metropolis, 2001 l’odyssée de l’espace, aux films de Ray Harryhausen ou au « 1984 » de George Orwell. Mais ces citations ne prennent jamais la forme de clins d’œil postmodernes. La démarche de Mad God est tout autre. Il s’agit avant tout d’un plaidoyer pour la créativité pure et radicale, sans entrave ni garde-fou. Ce film-somme ne ressemble à rien de connu et c’est là toute sa force. C’est l’œuvre d’une vie. Littéralement.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso


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CORALINE (2009)

Le réalisateur de L’Étrange Noël de monsieur Jack et de James et la pêche géante nous entraîne dans un conte de fées qui vire au cauchemar…

CORALINE

 

2009 – USA

 

Réalisé par Henry Selick

 

Avec les voix de Dakota Fanning, Teri Hatcher, Jennifer Saunders, Dawn French, Keith David, John Hodgman, Robert Bailey Jr, Ian McShane

 

THEMA CONTES I MONDES PARALLÈLES

Henry Selick est un artiste à contre-courant. En 1994, alors que tout le monde ne jure plus que par l’image de synthèse grâce aux exploits techniques de Jurassic Park, il réalise sous l’égide de Tim Burton L’Étrange Noël de Monsieur Jack où s’animent des centaines de figurines articulées. Trois ans plus tard, il continue à expérimenter les bonnes vieilles techniques manuelles sur James et la pêche géante alors que l’animation vient pourtant de connaître un tournant définitif avec Toy Story, le premier long-métrage 100% numérique. En 2009, alors que même les irréductibles créateurs de Wallace et Gromit délaissent momentanément la pâte à modeler au profit de l’ordinateur (pour Souris City), Henry Selick persiste et signe, magnifiant la « stop-motion » grâce à Coraline qui reste probablement dans les mémoires comme un véritable tour de force artistique et technique. Le roman de Neil Gaiman, auteur du célèbre « American Gods », était le matériau idéal pour les expérimentations de Selick. On y trouve en effet les composantes majeures de l’univers du cinéaste : une approche inquiétante et cauchemardesque du conte de fées, un jeune protagoniste plongé dans un univers parallèle dans lequel chaque élément de son propre monde trouve une correspondance fantasmagorique, des décors et des personnages colorés et exubérants… Bref, du pain béni pour cet ancien animateur de Walt Disney et de MTV à l’imagination débordante et à la créativité en perpétuelle ébullition.

Certes, le film s’avère moins angoissant que le livre, mais cette « édulcoration » existe moins pour des raisons consensuelles que dans le souci d’une meilleure progression dramatique et de la mise en place de nombreux rebondissements narratifs. Coraline et ses parents viennent d’emménager dans une étrange maison en lisière de forêt. Délaissée par un père et une mère trop occupés, la fillette découvre un jour une porte condamnée qui la fait basculer dans un univers parallèle joyeux… Mais les apparences sont trompeuses ! Car en pénétrant dans « l’autre monde », Coraline découvre une réplique euphorisante de sa propre maison. Sa mère n’est plus une working girl autoritaire mais une femme joyeuse et volubile, son père a perdu sa maladresse d’écrivaillon introverti pour se muer en musicien guilleret, des mets succulents abondent sur la table, les lieux regorgent de couleurs pétillantes, bref la morosité s’est transformée en véritable parc d’attractions familial. Il y a bien ces sinistres boutons qui remplacent les yeux des personnages, mais à ce détail près, Coraline exulte de l’autre côté du mur de sa maison. Ce n’est que plus tard que la véritable nature du cauchemar se révèle, faisant ouvertement basculer le long-métrage dans l’épouvante et ravivant chez les spectateurs (tous âges confondus) les peurs primales de leur petite enfance.

L’étrange voyage de Monsieur Selick

Artistiquement, Coraline est une pure merveille. La direction artistique du film, confiée au designer Tadahiro Uesugi, tranche avec le look habituel des films de marionnettes, et l’expressivité des personnages – Coraline en tête – est stupéfiante. Le moindre rictus, le moindre soulèvement de sourcil, le moindre plissement de joue révèlent la finesse du travail des animateurs dirigés par Selick et permettent de mesurer les progrès techniques obtenus depuis Les Noces funèbres de Tim Burton, pourtant à peine plus vieux de quatre ans. Et puis, grande première, Coraline est le premier long-métrage d’animation en volume à bénéficier d’un tournage en relief stéréoscopique. Déjà bien implantée dans le domaine de l’image de synthèse (comme viennent alors de le prouver Volt et Monstres contre Aliens), cette technique prend une toute autre mesure en stop-motion. Car ici les figurines et les décors existent réellement, et leur présence physique est quasiment palpable. Selick aura donc eu le bon goût et l’intelligence de marier l’artisanat à la haute technologie pour faire rêver et voyager son public. Pari réussi, une fois de plus.

 

© Gilles Penso


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CHICKEN RUN : LA MENACE NUGGETS (2023)

23 ans après leur première aventure, les poules conçues par les créateurs de Wallace et Gromit font leur grand retour…

CHICKEN RUN: DAWN OF THE NUGGETS

 

2023 – GB / USA

 

Réalisé par Sam Fell

 

Avec les voix de Zachary Levi, Thandiwe Newton, Bella Ramsey, Romesh Ranganathan, David Bradley, Daniel Mays, Jane Horrocks, Imelda Staunton

 

THEMA REPTILES ET VOLATILES

Sorti en 2000, Chicken Run est le premier long-métrage du studio Aardman et son plus gros succès. L’idée d’une suite naît très tôt dans l’esprit des trublions britanniques mais tarde à se concrétiser. Entretemps, ils développent les aventures sur petit et grand écran de Shaun le mouton et Wallace et Gromit ainsi que d’autres projets joyeusement délirants comme Souris City, Cro Man ou Les Pirates ! Bons à rien mauvais en tout. Ce n’est qu’au printemps 2018 qu’est annoncée officiellement la suite de Chicken Run, produite conjointement par Aardman, Pathé Films et StudioCanal (Dreamworks ayant entretemps cessé son partenariat avec le studio anglais). Signe des temps, le film ne sortira pas en salles mais sera directement diffusé sur Netflix. Si Peter Lord et Nick Park, réalisateurs du premier opus, sont toujours présents au poste de producteurs exécutifs, ils cèdent le fauteuil du réalisateur à Sam Fell, un spécialiste de l’animation qui dirigea Souris City, La Légende de Despereaux et L’Étrange pouvoir de Norman. Le scénariste du film original, Karey Kirkpatrick, est toujours de la partie, épaulé cette fois-ci par John O’Farrell et Rachel Tunnard. Les interprètes vocaux des deux personnages principaux, Mel Gibson et Julia Sawalha, sont un temps envisagés pour reprendre leurs rôles, mais ils sont finalement remplacés par des acteurs plus jeunes : Zachary Levi et Thandiwe Newton.

Si le premier Chicken Run réinventait sous un angle parodique le principe narratif de La Grande évasion dans un univers de basse-cour, le scénario de Chicken Run : la menace nuggets en inverse le processus. Ici, il ne s’agit pas de s’échapper d’un environnement pénitentiaire mais d’y pénétrer. Lorsque le film commence, le coq Rocky et la poule Ginger vivent paisiblement sur une petite île en compagnie de toute la volaille qui s’est évadé du poulailler de la sinistre Mrs Tweedy. C’est dans cet environnement paradisiaque que naît Molly, la fille du couple vedette. Lorsqu’elle grandit, la turbulente progéniture décide d’aller voir ce qui se passe au-delà de l’île, malgré l’interdiction de ses parents. Molly part donc explorer le monde extérieur et s’embarque à l’intérieur d’un des camions de « Fun Land », qu’elle croit être un parc d’attractions où les poules passent leur temps à s’amuser. Mais il s’agit en réalité d’un poulailler industriel qui a vocation de transformer toutes ses « pensionnaires » en nuggets…

Prises de bec

Dès les premières minutes du film, force est de constater que le charme ne s’est pas dissipé avec les années. La bonne vieille stop-motion à l’ancienne, les figurines en plastiline et les décors miniatures ont même tendance à se bonifier avec le temps. De fait, ce Chicken Run donne presque l’impression d’avoir été réalisé dans la foulée du premier, tant l’esprit, le grain de folie et la mise en forme quasi-artisanale sont similaires. L’usage plus intensif des images de synthèse en renfort de l’animation traditionnelle est d’ailleurs suffisamment discret pour se fondre dans la masse. Même si Peter Lord et Nick Park ne sont plus aux commandes, la patte Aardman est toujours là, avec cet humour « so british » pince-sans-rire, ces dialogues absurdes, ces séquences de poursuites et d’action délicieusement outrancières et cet inimitable sens du timing. Au fil de son scénario, Chicken Run : la menace nuggets s’amuse à pasticher Mission impossible et la saga James Bond, cette fabrique de nuggets ayant tout du repaire ultra-sécurisé d’un super-vilain façon docteur No ou Blofeld. On pense aussi au Pinocchio de Disney, à travers ce parc d’attractions faussement idyllique qui attire notre jeune héroïne désobéissante en l’entraînant vers sa perte. Rien n’empêche d’ailleurs d’y voir aussi une parabole de l’abrutissement des masses par des programmes de divertissement stupides annihilant la capacité de jugement en entretenant un état de béatitude permanent. Bref, voilà une nouvelle réussite à mettre à l’actif des joyeux drilles d’Aardman, l’un des studios d’animation les plus inventifs et les plus décomplexés de sa génération.

 

© Gilles Penso


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SPIDER-MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE (2023)

Encore plus loin, encore plus fort, encore plus fou, encore plus de Spider-Men ! Une suite qui ne recule devant aucune surenchère…

SPIDER-MAN ACROSS THE SPIDER-VERSE

 

2023 – USA

 

Réalisé par Joaquin Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson

 

Avec les voix de Shameik Moore, Hailee Steinfeld, Brian Tyree Henry, Lauren Vélez, Jake Johnson, Jason Schwartzman, Issa Rae

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA MARVEL COMICS I SPIDER-MAN

Le miracle de Spider-Man New Generation allait-il se produire une seconde fois ? La fraîcheur, l’originalité, la folie, les incroyables audaces artistiques et narratives du film précédent ne risquaient-elles pas de perdre de leur spontanéité à l’occasion d’une suite s’efforçant de retrouver les mêmes ingrédients et la même alchimie ? Si le premier film était le fruit d’un pari osé sans aucune garantie de succès, il faut désormais composer avec les énormes attentes d’un public qui espère beaucoup et a revu à la hausse le niveau de ses exigences. Le scénario prend le parti de nous surprendre dès l’entame en adoptant non pas le point de vue de Miles Morales mais celui de Gwen Stacy – du moins celle qui vit dans un univers où son alter-ego est Spider-Woman, très éloignée donc du personnage qui vécut et mourut dans les comic books des années 70 consacrés à l’homme-araignée. Son destin et celui de Miles se croisent à nouveau, non seulement à cause des nouveaux dangers qui guettent les multivers mais aussi parce que leurs parcours et leurs difficultés personnelles entrent en résonnance. Ainsi, si Spider-Man Across the Spider-Verse entend bien redoubler d’inventivité dans la mise en scène de ses séquences d’action, il approfondit aussi ses personnages pour mieux explorer leurs états d’âme, leurs failles et le difficile choc des générations inhérent à l’âge de l’adolescence.

Cette nouvelle exploration des univers parallèles sollicite l’emploi d’une multitude de styles esthétiques qui sautent aux yeux des spectateurs avec un foisonnement à deux doigts de nous donner le tournis. Car à trop vouloir surpasser son modèle, Spider-Man Across the Spider-Verse a des tendances boulimiques qui finissent par se révéler contre-productives. Autant être honnête, nous frôlons parfois la crise d’épilepsie ! Certes, le film est une merveille visuelle qui prend presque les allures d’un showcase de tout ce que le pop’art a pu produire depuis le début des années 60. Revers de la médaille : le spectateur perd parfois le fil, tant subjugué par cette performance artistique en perpétuelle mutation qu’il finit par relâcher son implication dans l’intrigue elle-même. Ce problème se répercute sur tous les aspects du film, y compris dans son accumulation de personnages. Si Spider-Man New Generation nous offrait une demi-douzaine de versions alternatives du tisseur de toiles, ici, ce sont des milliers de Spider-Men qui se déchaînent simultanément à l’écran, du plus « nostalgique » (celui du dessin animé des années 60) au plus invraisemblable (la variante punk).

Spidey dans tous ses états

Cette surenchère déborde bien sûr de générosité, mais c’est plutôt dans les moments intimistes que Spider-Man Across the Spider-Verse parvient à nous captiver, en particulier lorsque ses jeunes héros se confrontent à leurs parents et s’efforcent maladroitement de ne pas rompre le fil de la communication. L’un des enjeux majeurs du personnage tel qu’il fut initialement créé par Stan Lee et Steve Ditko est la non-révélation de son identité secrète et les innombrables dilemmes qui en découlent. Si le Marvel Cinematic Universe a fait le choix – très discutable – de se passer de cette problématique (tout le monde finit par savoir que Spidey et Peter Parker ne font qu’un), le film de Joaquin Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson en fait l’un de ses moteurs dramatiques clés. C’est lorsqu’il se débarrasse de son trop-plein de clins d’œil et d’effets graphiques et qu’il revient à une forme plus pure de narration que Spider-Man Across the Spider-Verse s’avère le plus prenant et le plus touchant. Au bout de plus de deux heures de péripéties tumultueuses, le film s’achève en plein cliffhanger, nous promettant une suite palpitante sous le titre Spider-Man Beyond the Spider-Verse.

 

© Gilles Penso


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MONSTRES ET COMPAGNIE (2001)

Pixar repousse les limites avec ce film au concept fou revisitant une des frayeurs enfantines les plus récurrentes : le monstre dans le placard…

MONSTERS, INC.

 

2001 – USA

 

Réalisé par Pete Docter, David Silverman et Lee Unkrich

 

Avec les voix de John Goodman, Billy Crystal, Mary Gibbs, Steve Buscemi, James Coburn, Jennifer Tilly, Bob Peterson, John Ratzenberger, Frank Oz, Daniel Gerson

 

THEMA RÊVES I MONDES PARALLÈLES I SAGA PIXAR

Rançon du succès et conséquence des exigences techniques toujours plus grandes des films en production chez Pixar, les effectifs du studio ont considérablement augmenté depuis Toy Story. A l’aube des années 2000, les employés sont désormais 500. Les trois premiers longs-métrages de l’équipe ayant démontré le savoir-faire des membres clé de l’équipe, malgré les nombreux obstacles dressés sur leur chemin, John Lasseter est suffisamment confiant pour laisser quelqu’un d’autre que lui à la tête du quatrième film estampillé Disney/Pixar. C’est donc à Pete Docter, co-scénariste des deux Toy Story, que revient l’honneur de s’asseoir sur le fauteuil du réalisateur. Il sera épaulé par David Silverman, vétéran de la série Les Simpsons pour laquelle il a longtemps officié en tant qu’animateur et réalisateur, et par Lee Unkrich. Quel sera le sujet du prochain Pixar ? Après les jouets vivants, Pete Docter pense à une autre constante de l’imagination enfantine : le monstre dans le placard. Il travaille sur cette idée alors que les équipes sont encore à l’œuvre sur 1001 pattes, et le scénario sera réécrit de nombreuses fois jusqu’à la version que nous connaissons. Au départ, Docter se penche sur l’histoire d’un trentenaire qui retrouve le carnet de croquis où il dessinait des monstres lorsqu’il était enfant. Dès lors, les créatures nées de son imagination apparaissent dans la réalité et l’accompagnent partout, sans que personne d’autre que lui ne puisse les voir. On le voit, il aura fallu bien des réécritures pour arriver au scénario définitif, lequel n’a finalement plus grand chose à voir avec l’idée initiale.

Le personnage humain principal évolue beaucoup au fil des versions. C’est d’abord une fille de six ans, puis un petit garçon, et enfin une fillette d’à peine deux ans qu’on surnomme Boo. Le monstre James Sullivan (alias Sully) apparaît très tôt dans le script, mais son comparse Bob Razowski n’est imaginé qu’au bout d’un an d’écriture, et tous deux passent par de nombreuses étapes de design. Monstres & Cie se situe donc dans la cité foisonnante de Monstropolis, dont l’énergie est fournie par les cris des enfants. Plusieurs spécialistes de la terreur sont chargés d’entrer dans notre monde – à travers des portes ouvrant dans des dimensions parallèles – pour effrayer les enfants en pleine nuit et recueillir leurs hurlements. Sully, un grand monstre sympathique à la fourrure turquoise, est un champion dans ce domaine. Mais un jour, une petite fille pénètre accidentellement à Monstropolis. Passée la panique, Sully et son ami Bob (un globe oculaire vert sur pattes) s’emploient à trouver un moyen de la ramener chez elle en toute discrétion. La tâche ne sera évidemment pas aisée…

Opération peur

Monstres & Cie regorge de créatures délirantes, du lézard-caméléon Randall Boggs au vénérable Henry Waternoose aux yeux multiples et au corps de crustacé, en passant par la vieille limace antipathique Roz et le bibendum velu George Sanderson qui fera le premier les frais de l’intrusion de Boo à Monstropolis. Pour concevoir cette galerie de créatures fantaisistes dignes de la Cantina de La Guerre des étoiles ou de la cour de Jabba dans Le Retour du Jedi, les designers laissent libre cours à leur imagination sans se laisser brider par la moindre contrainte anatomique ou biologique. Le concept fou et incroyablement original de Monstres & Cie permet des séquences de délire pur, dont le point d’orgue est une course poursuite vertigineuse à travers une multitude de portes dont chacune s’ouvre sur un monde parallèle différent. Dans la lignée des gags référentiels de Toy Story 2, Monstres & Cie rend hommage à un certain nombre d’œuvres passées, et notamment au maître de l’animation Ray Harryhausen. Le personnage de Bob Razowski est un clin d’œil (c’est le cas de le dire !) au cyclope du 7ème voyage de Sinbad et Celia, la gorgone aux cheveux-serpents dont il est épris, se réfère à la Méduse du Choc des Titans. Pour ceux qui n’auraient pas saisi les allusions, le nom du restaurant chic dans lequel Bob invite sa dulcinée est Harryhausen ! Rythmé sur une musique jazzy trépidante de Randy Newman, Monstres & Cie sera un énorme succès, le plus gros pour un film d’animation à l’époque, remportant au passage l’Oscar de la meilleure chanson et celui du meilleur sound design. C’est d’autant plus remarquable que son scénario connut de nombreux faux départs et que cinq longues années furent nécessaires à sa concrétisation. A ce jour, c’est encore l’un des films les plus aimés du studio Pixar.

 

© Gilles Penso


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