REBELLE (2012)

Le premier film « féministe » de Pixar met en scène une jeune héroïne contestataire piégée par le maléfice d’une vieille sorcière…

BRAVE

 

2012 – USA

 

Réalisé par Mark Andrews, Brenda Chapman et Steve Purcell

 

Avec les voix de Kelly Macdonald, Billy Connolly, Emma Thompson, Julie Walters, Robbie Coltrane, Kevin McKidd, Craig Ferguson, Sally Kinghorn, Elidh Fraser

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA PIXAR

C’est à Brenda Chapman que nous devons la genèse du film Rebelle. Après avoir participé à l’écriture de plusieurs longs-métrages Disney comme La Belle et la Bête, Le Roi lion ou Le Bossu de Notre-Dame, elle rejoint les rangs du studio d’animation Dreamworks et co-réalise avec Steve Hickner et Simon Wells le remarquable Prince d’Égypte. C’est aussi pour Dreamworks qu’elle co-écrit le film Chicken Run du studio Aardman. En 2006, elle intègre l’équipe de Pixar et collabore au scénario de Cars. C’est alors qu’elle fait part à John Lasseter du projet Rebelle. L’histoire de cette princesse en butte à l’autorité lui est inspirée par sa propre relation avec sa fille. Mais le scénario du film ne prend forme qu’au bout de quatre ans de travail. A mi-parcours, Mark Andrews finalise l’écriture et co-réalise le film, à la demande de John Lasseter et Ed Catmull. Cette passation de pouvoir n’est pas très bien perçue de l’extérieur, d’abord parce que laisser les commandes d’un long-métrage à une femme aurait été une première chez Pixar, ensuite parce que cette situation évoque le départ de Jan Pinkava qui avait quitté Ratatouille dans des conditions un peu similaires. Fair-play, Brenda Chapman affirmera plus tard que Rebelle, dans sa version finale, est très proche de ce qu’elle avait initialement en tête et s’avouera fière du film.

S’éloignant du cadre contemporain habituel des films Pixar, Rebelle se déroule dans un monde ancien féerique et met en vedette une jeune fille destinée à hériter des responsabilités d’un royaume dirigé par ses parents. Son héroïne Merida s’inscrit-elle donc dans la lignée de toutes les princesses Disney dont l’aïeule fut Blanche-Neige 75 ans plus tôt ? Oui et non. Car Merida (dont le nom signifie « rebelle » en hébreu) ne chante pas et ne vit pas de relation amoureuse. Elle passe son temps à lutter pour contrôler sa destinée et donc à refuser ce statut de princesse que tout le monde aimerait lui coller à la peau. Elle prend des cours d’escrime et de tir à l’arc, monte à cheval, pratique les activités généralement prévues pour les garçons, bref cherche à tout prix à éviter la vie toute tracée d’épouse de seigneur qu’on lui réserve. Cette démarche évoque celle de l’héroïne de Mulan, même si Merida s’en distingue par une effronterie qui confine à l’insolence. Elle ne cherche pas à imiter les garçons ou à infléchir une situation insoluble. Elle veut simplement atteindre une autonomie lui permettant de décider seule de son avenir. Pour l’aider à régler ses problèmes, la princesse rend visite à une vieille sorcière recluse dans un coin isolé du royaume. Mais le résultat ne sera pas du tout celui qu’elle attendait. Car un sort transforme bientôt sa mère en grande ourse ! Dès lors, toutes deux vont devoir œuvrer ensemble pour trouver le moyen d’inverser le sort…

La grande ourse

Mi-comique mi-dramatique, cette situation pour le moins inhabituelle pose la question de la barrière sociale qui empêche tout être humain de sombrer dans la bestialité. Comment la mère de Merida peut-elle conserver son humanité et ses bonnes manières dans la peau d’un ours livré à la sauvagerie du monde extérieur mais aussi des chasseurs qui en veulent à sa peau ? Si les personnages du film gardent une stylisation « cartoonesque » chère à l’esprit de Pixar, de nombreux détails – cheveux, poils, grain de peau, regards, costumes – troublent par leur réalisme extrême. Quant aux décors, ils ressemblent comme deux gouttes d’eau à des prises de vues réelles. Les expérimentations photo-réalistes entamées dans les premières séquences de Wall-E poursuivent donc ici leur élan avec des résultats souvent étourdissants. Rebelle permet une nouvelle fois à Pixar de remporter l’Oscar du meilleur film d’animation, ainsi qu’une foule d’autres récompenses à travers le monde, dont les prestigieux Bafta Award et Golden Globe. D’une manière générale, le film est très bien accueilli par le public et la critique, même s’il semble s’éloigner quelque peu de la singularité habituelle des univers Pixar pour s’approcher de ceux de Disney. La réalisation de Rebelle ayant été marquée par la mort de Steve Jobs, le film lui est dédié et plusieurs clins d’œil au créateur d’Apple jalonnent le métrage, notamment l’utilisation du nom de famille MacIntosh et la présence d’une pomme que l’héroïne essaie régulièrement de croquer.

 

© Gilles Penso


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CARS 2 (2011)

Ce deuxième opus prend les allures inattendues d’un film d’espionnage et transforme la dépanneuse Martin en émule de James Bond !

CARS 2

 

2011 – USA

 

Réalisé par John Lasseter et Brad Lewis

 

Avec les voix de Owen Wilson, Larry the Cable Guy, Michael Caine, Emily Mortimer, Eddie Izzard, John Turturro, Brent Musburger, Joe Mantegna

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA PIXAR

C’est au cours de la tournée promotionnelle de Cars aux quatre coins du monde que John Lasseter commence à réfléchir à l’idée d’une séquelle. Le projet lui tient tellement à cœur qu’il souhaite le réaliser lui-même, quitte à renoncer à la mise en scène de Toy Story 3 qui échoit donc à Lee Unkrich, avec le succès que l’on sait. Mais Lasseter veut éviter la redite et surtout prendre ses spectateurs par surprise, quitte à faire démarrer Cars 2 de manière déstabilisante. L’entrée en matière du film nous transporte en effet dans une intrigue d’espionnage pastichant les aventures de James Bond avec force poursuites de voitures, gadgets et explosions spectaculaires, le tout au beau milieu d’une plateforme pétrolière où se jouent des rivalités dont l’enjeu nous échappe de prime abord. Parmi les nouveaux venus dans cette séquelle, on note principalement la voiture espionne britannique Finn McMissile, dont le design s’inspire de la fameuse Aston Martin DB5 de Goldfinger (et dont les dialogues sont prononcés par le vénérable Michael Caine), la charmante Holley Shiftwell, bourrée de gadgets high-techs, et le maléfique professeur Z, un tacot affublé d’un monocle et d’un fort accent allemand.

Flash McQueen, lui, prend quelques jours de repos à Radiator Springs lorsqu’il est défié en direct à la télévision par Francesco Bernoulli, une arrogante Formule Un qui lui propose de se mesurer à lui lors d’une grande course organisée à Tokyo. Poussé par Sally, McQueen accepte le défi et voyage jusqu’au Japon en compagnie de son fidèle ami Martin. Mais suite à un quiproquo, ce dernier est pris pour un agent secret américain. Car ici, fait assez original, la gaffeuse dépanneuse rouillée qui n’était qu’un personnage secondaire de Cars occupe désormais le rôle principal, se muant malgré lui en espion aussi improbable que Pierre Richard dans Le Grand blond avec une chaussure noire. L’intrigue tourne bientôt autour d’un nouveau carburant écologique, l’Alinol, que les vilains veulent bannir pour écouler les stocks d’essence dont ils ont le monopole. L’aventure transporte bientôt les protagonistes roulants aux quatre coins du monde, du Japon à la France en passant par la ville italienne imaginaire de Porto Corsa et enfin les rues de Londres.

Rien que pour vos pneus

Cars 2 est très généreux en scènes de suspense et d’action inédites et spectaculaires, comme cette course contre la montre à Porto Corsa, où les vilains à la solde du Professeur Z tirent sur les concurrents avec un rayon électromagnétique, provoquant un immense carambolage sur le circuit, pendant que Flint McMissile essaie de stopper les effets du canon et que Martin, sous couverture, est immergé dans le repaire des méchants. Le morceau de bravoure reste cependant la gigantesque poursuite finale dans les rues de Londres, où les carrosseries des véhicules dévoilent une infinité de gadgets inventifs tandis que Martin menace d’exploser à cause d’une bombe embarquée sous son capot. Pour accompagner ces folles péripéties, le compositeur Michael Giacchino rend de nombreux hommages aux musiques des films d’espionnage des années 60. L’exercice est compliqué par le fait que Giacchino avait déjà cligné de l’œil vers le travail de John Barry pour Les Indestructibles. Il parvient à éviter les redites en déchaînant son orchestre avec une dynamique un peu différente et en laissant la part belle à une guitare surf, en hommage à celle utilisée par Vic Flick pour le fameux James Bond Theme. La critique boudera un peu cette séquelle, jugée moins inventive que son modèle. Il faut reconnaître que Cars 2 vaut beaucoup plus pour sa mise en scène et ses nombreuses trouvailles visuelles que pour son histoire, finalement très anecdotique. Mais le public répond largement présent, permettant au film d’être largement bénéficiaire, et les produits dérivés de la franchise se vendent mieux que jamais.

 

 

© Gilles Penso


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PÔLE EXPRESS (LE) (2004)

Robert Zemeckis s’empare de la technologie de la motion capture pour mettre en scène un conte de Noël d’un genre très particulier…

THE POLAR EXPRESS

 

2004 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Tom Hanks, Michael Jeter, Daryl Sabara, Josh Hutcherson, Nona Gaye, Tinashe, Peter Scolari, Jimmy Bennett, Matthew Hall, Eddie Deezen

 

THEMA CONTES

Le Pôle Express est un film en avance sur son temps. C’est à la fois sa plus grande qualité et son plus grand défaut. Robert Zemeckis a toujours su s’emparer des technologies d’avant-garde pour servir la virtuosité de sa mise en scène. Qui d’autre que lui aurait pu mettre en image les folles idées de Qui veut la peau de Roger Rabbit, La Mort vous va si bien ou Forrest Gump ? Mais pour la première fois de sa carrière, le cinéaste s’appuie sur des outils qui ne sont pas encore suffisamment matures pour concrétiser ses visions. D’où un résultat imparfait mais incroyablement audacieux. L’idée du Pôle Express est de pousser dans ses retranchements la méthode de la motion capture qui consiste à enregistrer les mouvements des comédiens pour pouvoir ensuite réadapter ces données sur des avatars numériques. Balbutiante dans les années 90, la motion capture est portée aux nues par l’équipe néo-zélandaise de Weta Digital qui s’en sert pour donner naissance au Gollum du Seigneur des Anneaux. Mais Zemeckis veut aller plus loin et bâtir un long-métrage entier autour de cette technologie, quitte à bouleverser les codes habituels du cinéma d’animation.

Le scénario du Pôle Express, co-écrit par Zemeckis et William Broyles Jr, s’appuie sur un roman pour enfants de Chris Van Allsburg. Le personnage principal est un petit garçon qui commence à grandir et n’est plus tout à fait sûr de croire au Père Noël, contrairement à sa sœur cadette. Alors qu’il est en proie au doute le soir de Noël, il est réveillé par une vision incongrue : un vieux train à vapeur qui s’arrête juste devant la porte de sa maison. Il s’agit du Pôle Express, qui ne prend que des enfants comme passagers, est dirigé par un contrôleur tatillon sur les horaires, conduit par deux techniciens à côté de la plaque et hanté par un personnage fantomatique qui vit sur son toit. Le train se dirige tout droit vers le pôle Nord pour aller rendre visite au Père Noël et à son armée de lutins.

Un train d’avance

Dès les premières minutes du film, on sent bien que quelque chose cloche. Les héros humains, quasiment tous incarnés par Tom Hanks, bougent de manière hyper-réaliste. Leur texture de peau, leurs vêtements, leurs cheveux, leurs regards se calquent étrangement sur le naturalisme des prises de vues réelles… mais sonnent pourtant faux. Ce phénomène, que les spécialistes allaient bientôt surnommer « uncanny valley », s’applique aux personnages en images de synthèse qui essaient à tout prix d’imiter les êtres humains mais n’y parviennent pas tout à fait, à cause de menus détails qui dévoilent la supercherie. Conscients de cet écueil, les artistes de Pixar avaient eu le bon goût d’éviter la quête de l’hyper-réalisme avec les humains de Toy Story en optant pour la stylisation et l’exagération. Mais Zemeckis est victime de ses propres ambitions et se retrouve dans une impasse. Il serait pourtant injuste de limiter Le Pôle Express à ce péché d’audace. La mise en scène demeure incroyablement inventive et immersive, plongeant les spectateurs dans un enchaînement de séquences d’action démentielles dignes du plus vertigineux des rides de parc d’attraction, osant des plans-séquence inimaginables (l’odyssée du billet de train, prolongement du célèbre voyage de la plume de Forrest Gump), nous invitant sans cesse au voyage et à l’émerveillement. Alors certes, les limitations techniques sautent aux yeux et un étrange malaise s’installe souvent face à ces clones digitaux qui imitent les humains. Mais il fallait bien Le Pôle Express pour paver la voie des Aventures de Tintin et d’Avatar.

 

© Gilles Penso


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MONDE DE NEMO (LE) (2003)

La quête d’indépendance d’un poisson trop couvé par son père, au cœur de fonds marins regorgeants de surprises et de dangers…

FINDING NEMO

 

2003 – USA

 

Réalisé par Andrew Stanton et Lee Unkrich

 

Avec les voix de Albert Brooks, Alexander Gould, Ellen DeGeneres, Willem Dafoe, Brad Garrett, Allison Janney, Austin Pendleton, Stephen Root, Vicki Lewis

 

THEMA MONSTRES MARINS I SAGA PIXAR

Élément clé de l’écriture de Toy Story, 1001 pattes et Monstres & Cie, Andrew Stanton se lance à son tour dans la réalisation en prenant à bras le corps un projet qui lui tient particulièrement à cœur. Pour le mener à bien, il plonge dans ses souvenirs d’enfance, à l’époque où il observait les poissons d’un aquarium dans la salle d’attente de son dentiste et imaginait qu’ils préparaient secrètement un plan d’évasion. Stanton s’inspire aussi de ses relations avec son fils et de sa propre attitude qu’il juge parfois trop protectrice. Ainsi naît Le Monde de Nemo, qui cache derrière ce titre semblant vouloir se référer à Jules Verne une parabole de la lutte des enfants pour acquérir leur indépendance. Une vaste galerie de personnages variés s’anime dans l’environnement aquatique du film, notamment le poisson clown Nemo qui ne rêve que de découvrir le monde, à ses risques et périls, son père Marin qui s’est juré de veiller sur lui coûte que coûte, quitte à le surprotéger avec une prudence excessive, le « poisson-chirurgien » Dory qui les accompagne avec bienveillance, malgré de sérieux troubles de la mémoire immédiate, ainsi que toute une faune de créatures marines plus ou moins amicales.

Les poissons n’étant pas des animaux auxquels il est simple de donner des expressions faciales, les animateurs s’inspirent souvent des chiens, et certaines des mimiques adoptées par les héros à nageoires rappellent parfois celles du poisson tropical Polochon de La Petite sirène. Les prisonniers qui vivent dans l’aquarium, quant à eux, se réfèrent à tout un pan du cinéma des années 70. De l’aveu même de l’équipe de Pixar, leur groupe névrosé s’inspire de Vol au-dessus d’un nid de coucou, leur meneur Gill est calqué sur Clint Eastwood et le poisson « gonflable » Boule imite George Kennedy dans Luke la main froide. Quant aux requins qui croisent la route de nos héros, ils clignent bien sûr de l’œil vers Les Dents de la mer (le chef s’appelle Bruce, surnom que Spielberg avait donné au monstre animatronique de son film) et lorsqu’il se met à poursuivre Dory avec un regard fou, c’est à Shining que Le Monde de Nemo fait allusion. Des références plutôt inattendues dans un film pour enfants !

La fête des mers

Le Monde de Nemo regorge de séquences mémorables et de morceaux d’anthologie, de la traversée marine au milieu de plus de deux-cents tortues jusqu’au magnifique mais très dangereux champ de méduses fluorescentes en passant par l’attaque des mouettes et la grande évasion finale. Pour autant, ce cinquième film estampillé Pixar n’a pas le même grain de folie ni la même originalité que ses prédécesseurs. En arpentant une voie plus classique et plus linéaire, en empruntant son point de départ à Bambi, en s’adressant de toute évidence à un public un peu plus jeune, le film d’Andrew Stanton et Lee Unkrich fait preuve d’une certaine « sagesse » qu’on aurait plus tendance à attribuer aux films Disney qu’à ceux de Pixar. Cette tendance trouve son écho dans la bande originale de Thomas Newman. A contre-courant de l’approche mi-jazzy mi-épique de son cousin Randy, le compositeur d’American Beauty écrit une bande originale planante et introspective qui, si elle ne manque pas de charme, s’éloigne du style trépidant et tumultueux de Toy Story1001 pattes et Monstres & Cie. Pour autant, Le Monde de Nemo est un triomphe spectaculaire. C’est à l’époque le plus gros succès du studio, battant même les recettes jusqu’alors indétrônables du Roi lion. Aucun film d’animation ne s’était jusqu’alors aussi bien comporté au box-office. Pour couronner cet accueil enthousiaste, l’Oscar du meilleur film d’animation lui est décerné en 2004.

 

© Gilles Penso


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MILLE ET UNE PATTES (1998)

Après les jouets, l’équipe de Pixar s’intéresse aux insectes et livre une version très personnelle des fables d’Ésope et de La Fontaine…

A BUG’S LIFE

 

1998 – USA

 

Réalisé par John Lasseter et Andrew Stanton

 

Avec les voix de David Foley, Kevin Spacey, Julia Louis-Dreyfus, Hayden Panettiere, Phylis Diller, Richard Kind, David Hyde Pierce, Joe Ranft

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA PIXAR

Certains moments apparemment anodins sont amenés à marquer durablement l’histoire du cinéma. C’est le cas d’un fameux déjeuner qui a lieu au cœur de l’été 1994, alors que Toy Story est en pleine post-production et que John Lasseter, Andrew Stanton, Pete Docter et Joe Ranft réfléchissent à leurs prochains films. Entre deux bouchées, les têtes pensantes de Pixar esquissent des concepts qui, plus tard, deviendront Toy Story 2, Monstres & Cie, Le Monde de Nemo et Wall-E. Parmi toutes ces idées, l’une paraît plus faisable que les autres : une réadaptation de la fable « La Cigale et la fourmi » d’Ésope popularisée par Jean de la Fontaine. Cette fois-ci, Lasseter co-signe le film avec Andrew Stanton, qui travaille étroitement avec lui depuis le début des années 90. L’un des premiers titres de travail est presque une boutade, puisqu’il s’agit de Bug Story, avant qu’on opte finalement pour A Bug’s Life, autrement dit « Une vie d’insecte ». En se réappropriant la fable initiale, les scénaristes transforment la cigale en une nuée de sauterelles qui décident de contraindre les fourmis travailleuses à leur donner le fruit de leur récolte. Pour sauver les siens, Tilt, « Géo Trouvetout » du monde des fourmis, décide de partir à la recherche de guerriers susceptibles de les défendre contre leurs oppresseurs. Le principe des Sept mercenaires se greffe ainsi à la fable, si ce n’est qu’un quiproquo vient compliquer les choses. En effet, le groupe de « valeureux combattants » que Tilt réunit est en réalité une troupe de cirque ambulante qui n’a jamais combattu personne et pense avoir été engagée pour un spectacle.

Si le casting vocal ne regorge pas de superstars, John Lasseter aimerait une voix connue pour incarner Hopper, le grand méchant du film. Après le refus de Robert de Niro, il propose le rôle à Kevin Spacey, qui s’empare avec brio du personnage. Roddy McDowall lui-même, inoubliable Cornelius de La Planète des singes, prête sa voix à Monsieur Sol, le meneur de la colonie. Ce sera le dernier rôle du vénérable comédien, qui s’éteindra un mois avant la sortie du film. Même si chacun sait que les insectes ont six pattes, les auteurs du film se soucient peu du réalisme entomologique, auquel ils préfèrent largement la force dramaturgique. Pour éviter l’effet répulsif que provoquent souvent les insectes, ils choisissent un design lisse et rond pour les fourmis, quitte à supprimer une paire de pattes et jouer ouvertement la carte de l’anthropomorphisme. Même leur couleur a été modifiée, le noir ayant été remplacé par un doux bleu lavande. Il en va autrement des sauterelles, à la morphologie épineuse et à la texture rugueuse. 1001 pattes s’avère techniquement beaucoup plus difficile que Toy Story, puisqu’il faut parfois créer des scènes de foule impliquant des milliers de fourmis mais aussi des interactions avec l’eau et le feu.

Un travail de fourmi

Comme si ces complications ne suffisaient pas, les réalisateurs décident de donner à 1001 pattes des dimensions épiques en le dotant d’un format Cinémascope, chose alors très rare dans le domaine du cinéma d’animation (à l’époque, seuls La Belle au bois dormant, Taram et le chaudron magique et Anastasia avaient connu un tel traitement). Tous ces choix techniques et artistiques s’avèrent payants. 1001 pattes est une merveille d’humour (grâce à sa galerie de personnages irrésistibles), de suspense (les sauterelles sont des antagonistes effrayants) et d’action (les séquences avec l’oiseau friand d’insectes sont à couper le souffle), le tout rythmé sur une bande originale trépidante de Randy Newman. Le succès du film n’est pourtant pas assuré, dans la mesure où un concurrent de poids vient lui barrer la route : Fourmiz, initié par Jeffrey Katzenberg pour le département d’animation de Dreamworks. John Lasseter est furieux, persuadé que Katzenberg lui a volé son idée, d’autant que Fourmiz s’avère d’excellente facture et bénéficie d’un casting vocal particulièrement impressionnant (Woody Allen, Sylvester Stallone, Sharon Stone, Gene Hackman, Jennifer Lopez, Christopher Walken, Danny Glover, Dan Aykroyd, Anne Bancroft, excusez du peu !). Mais 1001 pattes séduit un public beaucoup plus large, rapportant deux fois plus que son concurrent.

 

© Gilles Penso


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LÀ-HAUT (2009)

L’un des films les plus surprenants – mais aussi les plus émouvants - produits par Pixar est une aventure fantastique hors du commun…

UP

 

2009 – USA

 

Réalisé par Pete Docter et Bob Peterson

 

Avec les voix de Edward Asner, Christopher Plummer, Jordan Nagai, Bob Peterson, Delroy Lindo, Jerome Ranft, John Ratzenberger, Elie Docter, Jeremy Leary

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE I SAGA PIXAR

Spécialiste des concepts originaux et des défis scénaristiques, Pete Docter, à qui nous devons Monstres & Cie, se lance avec Là-haut dans une aventure tout aussi surprenante. La première image qui lui vient à l’esprit est celle d’une maison volante. C’est à partir de cette vision que l’histoire se dessine peu à peu. Là-haut commence par un film d’actualités des années 30 vantant les exploits de l’aventurier Charles Muntz, adulé par l’opinion publique lorsqu’il découvre les Chutes du Paradis, une terre perdue à l’autre bout du monde qui ressemble comme deux gouttes d’eau au plateau préhistorique du Monde perdu réalisé en 1925 par Harry O’Hoyt. Mais Muntz tombe dans le discrédit lorsque la communauté scientifique se rend compte que le squelette d’oiseau antédiluvien qu’il a ramené de son expédition est un faux. Qu’importe : les aventures de Muntz fascinent le tout jeune Carl Fredericksen, qui rêve de devenir lui aussi un aventurier lorsqu’il sera grand, bravant sa timidité maladive. Lorsqu’il se rend compte que la volubile Ellie (un moulin à parole hilarant, avec une bouche édentée et une tignasse folle) partage exactement les mêmes passions que lui, c’est le coup de foudre. La séquence qui suit cette rencontre est entrée dans les mémoires. Sans dialogue, soutenue par une magnifique musique de Michael Giacchino, elle raconte en dix minutes la vie commune de Charles et Ellie, jalonnée de joies et de peines, et s’achevant d’une manière tellement triste qu’elle prend tout le monde par surprise.

Après cette entrée en matière poignante, le spectateur est déboussolé, presque abasourdi par ce trop-plein d’émotion. Le retour au « temps réel » joue sur l’effet de rupture en se gorgeant d’humour, lequel repose notamment sur le caractère exagérément acariâtre de Carl, devenu désormais un vieil homme aigri. Mais c’est un humour un peu désespéré, parce qu’il tourne principalement autour de la vieillesse de son personnage principal (comme en témoigne la scène interminable où il descend un escalier sur un siège électrique, aux accents d’une reprise d’un extrait du « Carmen » de Bizet), et parce que nous conservons encore fraîchement en mémoire le triste destin de sa compagne Ellie. L’intrigue bascule définitivement lorsque Carl, menacé de finir ses jours dans une maison de retraite, attache des milliers de ballons à sa maison et la transforme en objet volant pour partir s’installer à l’autre bout du monde, aux Chutes du Paradis, comme il rêvait de le faire avec Ellie. Mais il découvre soudain que Russell, un petit boy scout qui s’est fixé comme mission d’aider une personne âgée, s’est embarqué avec lui…

Le paradis perdu

Suivant le modèle de Wall-E, le scénario de Là-haut marque une très forte rupture entre sa première et sa seconde partie. Si le premier quart d’heure s’inscrit dans un cadre réaliste et narre des péripéties résolument « terre à terre » (au propre comme au figuré), la suite du métrage bascule dans le fantastique pur, puisque nous y découvrons une terre préhistorique, un oiseau coureur géant d’une espèce inconnue, un vieil explorateur ayant découvert le secret de la jeunesse éternelle et des chiens équipés d’une technologie leur permettant de parler. Rien n’interdit d’ailleurs d’interpréter cette seconde partie comme le rêve que s’invente un vieil homme pour échapper à une réalité trop inacceptable. Cette théorie expliquerait pourquoi ce monde fantastique ressemble aux serials que Carl regardait dans sa jeunesse, et pourquoi des ballons gonflés à l’hélium sont capables de transporter sa maison, comme dans les dessins de son enfance. Mais ce serait une vision très pessimiste de ce récit féerique que Pete Docter a tendance à décrire comme une métaphore de la renaissance et du retour à la vie. Comme souvent, les deux lectures de cette histoire – au premier ou au second degré – sont possibles. Fruit de quatre ans de travail, Là-haut est le premier film Pixar qui ait été réalisé en 3D, la stéréoscopie intervenant surtout pour faire vivre aux spectateurs l’immersion des héros dans cette jungle fantastique, le vertige procuré par les Chutes du Paradis et le surréalisme du voyage au milieu des nuages. Présenté en ouverture du soixante-deuxième festival de Cannes, Là-haut est un triomphe. En plus de son succès, il remporte deux Oscars, celui du meilleur film d’animation et de la meilleure musique.

 

© Gilles Penso


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WALL-E (2008)

Le réalisateur de 1001 pattes et du Monde de Nemo met en scène une fable de science-fiction liant deux robots dans un monde futuriste dévasté…

WALL-E

 

2008 – USA

 

Réalisé par Andrew Stanton

 

Avec les voix de Ben Burtt, Elissa Knight, Jeff Garlin, Fred Willard, MacInTalk, John Ratzenberger, Kathy Najimy, Sigourney Weaver, Brian Cummings, Karleen Griffin

 

THEMA ROBOTS I FUTUR I SAGA PIXAR

L’idée de Wall-E remonte à 1994, époque où le projet s’appelait encore Trash Planet. Pete Docter et Andrew Stanton travaillaient sur ce film avant même que Toy Story ne sorte sur les écrans, et il aura fallu de nombreuses années pour qu’il puisse enfin se concrétiser. Même s’il s’adresse en priorité à un jeune public, Wall-E s’inscrit dans la vogue des grands films de science-fiction écologiques des années 70, dont l’un des fers de lance est le Silent Running de Douglas Trumbull, tout en intégrant la prise de conscience environnementale des années 2000. En s’appuyant sur l’observation sans concessions d’une humanité autocentrée et vouée à sa propre perte, le scénario de Stanton décrit un monde futuriste d’autant moins rassurant qu’il est tout à fait envisageable. Devenue un dépotoir géant jonché de montagnes de poubelles hautes comme des buildings, la Terre a été abandonnée par les humains qui sont partis fonder des colonies dans l’espace. Seuls sont restés sur place des robots de la série Wall-E qui ont pour mission de nettoyer la planète en attendant un éventuel retour des Terriens. Mais après 700 ans, un seul de ces robots est encore activé et continue inlassablement de collecter les déchets, au fil d’une tâche quotidienne, routinière et dérisoire. La vie de ce tas de ferraille monté sur chenilles est soudain bouleversée par l’apparition d’un magnifique robot femelle au design épuré et aérien, EVE.

Pour imaginer le look des deux robots principaux du film, le principe établi dès les premières phases de design est la rupture : Wall-E et EVE doivent être les plus dissemblables possibles, prélude à une sorte de relecture futuriste et cybernétique de la Belle et la Bête. Pour EVE, blanche, épurée et immaculée, on sollicite Jonathan Ive, vice-président senior des concepts industriels d’Apple. Wall-E, de son côté, est envisagé comme une sorte de mixage contre-nature entre R2-D2 et Buster Keaton. C’est en effet un clown triste qui sait se montrer particulièrement expressif malgré un jeu facial très limité. Alors qu’il avait évité le photoréalisme des fonds marins pour Le Monde de Nemo, Stanton change son fusil d’épaule avec Wall-E, dont la première partie se déroule dans un univers tellement crédible – du point de vue de l’imitation de la réalité physique – que nous n’avons pas l’impression d’avoir affaire à un film d’animation. Ce sentiment est renforcé par l’utilisation d’acteurs réels, une grande première chez Pixar. Le comédien Fred Willard apparaît ainsi sur un écran dans le rôle du président de la multinationale Buy-n-Large, pour expliquer le départ des humains vers l’espace. D’autres acteurs sont sollicités pour montrer les terriens du futur, heureux de quitter leur planète natale pour vivre la grande aventure spatiale dans un confort idyllique et aseptisé. Ce choix artistique peut surprendre, car dès que l’action se transporte dans l’espace et que nous découvrons enfin ce qu’est devenu l’humanité – des bibendums apathiques assis sur des sièges volants et les yeux rivés sur des écrans – les acteurs réels disparaissent au profit de personnages animés volontairement caricaturaux.

Détour vers le futur

Cette vision d’une population en surpoids, incapable de marcher et intégralement assistée par les machines et l’intelligence artificielle est terrible parce qu’elle est plausible. Et même si la ligne graphique adoptée par Andrew Stanton et ses équipes s’oriente volontairement vers le cartoon, le rire reste un peu coincé dans la gorge des spectateurs face à ce reflet un peu trop inquiétant de ce que nous pourrions devenir. A l’allure que prennent les choses, comment empêcher que la Terre devienne une poubelle et ses habitants des êtres sans autonomie réduits à l’état de corps mous et enflés ? Telle est la question que pose en substance Wall-E. De nombreuses allusions à 2001 l’odyssée de l’espace ponctuent le film, notamment l’utilisation dans la bande originale du « Beau Danube Bleu » de Johann Strauss et Auto, l’ordinateur de bord du vaisseau spatial, qui présente beaucoup de similitudes avec Hal 9000. Pour boucler le jeu des influences science-fictionnelles, Auto a la voix de Sigourney Weaver, star d’Alien dont l’ordinateur de bord s’inspirait déjà de celui de 2001. S’extrayant du simple statut de film d’animation pour s’affirmer comme une grande œuvre de science-fiction, Wall-E permettra à la vaste collection d’Oscars du studio Pixar de s’orner d’une nouvelle statuette.

 

© Gilles Penso


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RATATOUILLE (2007)

Un rat s’installe à Paris avec sa famille de rongeurs pour devenir l’un des plus grands chefs cuisiniers de la ville !

RATATOUILLE

 

2007 – USA

 

Réalisé par Brad Bird et Jan Pinkava

 

Avec les voix de Patton Oswalt, Ian Holm, Lou Romano, Brian Dennehy, Peter Sohn, Peter O’Toole, Brad Garrett, Janeane Garofalo, Will Arnett, Julius Callahan

 

THEMA MAMMIFÈRES I SAGA PIXAR

Ratatouille marque une étape importante dans la vie de Pixar puisque c’est le premier long-métrage du studio après son rachat par Disney en 2006. L’idée d’un rat qui ambitionnerait de devenir chef cuisinier est à mettre au crédit de Jan Pinkava, qui permit à Pixar de remporter en 1998 l’Oscar du meilleur court-métrage grâce à son remarquable Joueur d’échecs. Emballé par le concept, John Lasseter laisse Pinkava développer cette idée et en tirer un scénario, mais son flair lui dicte d’aller chercher un renfort artistique. Il fait donc appel à son vieux camarade Brad Bird, à qui Pixar doit le succès des Indestructibles. La personnalité forte et l’imagination fertile de Bird se déploient alors à toute allure pour articuler l’histoire de cet apprenti cuisinier et de ce rat gastronome qui collaborent secrètement pour redonner de l’éclat au restaurant d’un vieux chef français. Plus il s’implique dans le projet, plus il en prend la tête, et Pinkava finit par jeter l’éponge, quittant à la fois le film et le studio Pixar. 

En plus du rat Remy et de son abondante famille rampante, Ratatouille met en scène une truculente galerie de personnages. Depuis Les Indestructibles, Pixar ne craint plus de mettre en vedette des humains et les animateurs s’en donnent ici à cœur joie, entre la maladresse touchante du jeune commis Alfredo Linguini, la bonhomie posthume du fantôme de Gusteau, le charme très parisien de la cuisinière Colette ou la suffisance délicieusement insupportable du critique culinaire Anton Ego. Ce dernier, incarné en anglais par Peter O’Toole, est un antagoniste un peu particulier. Malgré sa propension à mettre des bâtons dans les roues des héros en usant de son influence et de son mauvais caractère, c’est un homme de goût qui finit par apprécier les mets concoctés par Remy et Linguini, au cours d’une scène d’une magnifique simplicité où, le temps d’une bouchée, cet homme aigri retombe littéralement en enfance. « Ces plats ont changé mes idées préconçues sur la grande cuisine en me touchant au cœur » dira-t-il. Le véritable « vilain » est ailleurs, et ne se révèle que plus tard au cours d’un coup de théâtre qui est devenu un des grands classiques narratifs de Pixar depuis Monstres & Cie.

Le rat des goûts

Attaché au réalisme du comportement des rats, Bird pousse ses animateurs à reproduire du mieux qu’ils peuvent les contorsions incroyables dont sont capables les rongeurs. A cette occasion, les ingénieurs de Pixar créent un nouveau logiciel baptisé Collison. Mais Bird aime aussi l’animation traditionnelle en 2D. Comme pour Les Indestructibles, il concocte donc un générique de fin en dessin animé créé par des animateurs spécialisés dans cette discipline « à l’ancienne ». Si le studio Disney est très heureux du premier film issu du rachat de Pixar, le marketing de Ratatouille n’est pas simple, car aucune enseigne alimentaire ne souhaite être associée à un rat. Ce qui n’empêche pas le film d’être un énorme succès et de remporter l’Oscar du meilleur film d’animation, récompense que Brad Bird avait déjà gagnée avec Les Indestructibles. Car Ratatouille est un véritable délice, poussant jusqu’au bout son concept fou pour mieux déclarer sa flamme aux artistes du goût. D’ailleurs, à travers les facéties de ce rongeur perfectionniste qui ne cesse de multiplier les expériences pour ravir ceux qui découvrent ses créations, comment ne pas deviner un reflet de Brad Bird lui-même ?

 

© Gilles Penso


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CARS (2006)

Après les jouets vivants, les animaux parlants, les monstres et les super-héros, Pixar aborde une nouvelle facette du cinéma fantastique…

CARS

 

2006 – USA

 

Réalisé par John Lasseter et Joe Ranft 

 

Avec les voix de Owen Wilson, Paul Newman, Bonnie Hunt, Larry the Cable Guy, Cheech Marin, Tony Shalhoub, Guido Quaroni, Jenifer Lewis, Paul Dooley

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA PIXAR

« Je pense qu’il n’existe pas d’objet qui ne puisse devenir un personnage » disait John Lasseter à l’époque de Toy Story. Cette assertion s’adapte parfaitement à Cars, dont le concept repose sur plusieurs sources d’inspirations complémentaires. Lasseter lui-même est passionné par les voitures depuis son enfance. Son père était en effet l’un des directeurs d’une usine de pièces détachées automobiles de la marque Chevrolet à Whittier, en Californie. L’idée d’un film d’animation mettant en scène des voitures lui trotte donc dans la tête depuis longtemps. A la fin des années 90, lors d’une excursion sur la route 66 avec sa femme et ses enfants, Lasseter commence à formuler des idées qui, plus tard, s’intègreront dans le scénario de Cars. Le film se déroule dans un monde qui ressemble au nôtre, à une différence près : il n’y a aucun être vivant dans cet univers, uniquement des machines ! Les voitures sont « l’espèce dominante » de ce monde alternatif et les plus célèbres d’entre elles sont championnes de course automobile. Dans cette discipline particulière, Flash McQueen est le coureur le plus prometteur de sa génération.

Ce jeune véhicule ambitieux (dont le nom rend bien sûr hommage au comédien Steve McQueen, grand passionné de course automobile, mais aussi à l’animateur Glenn McQueen, pilier de Pixar qui décéda en 2002) rêve de remporter la fameuse Piston Cup et d’intégrer l’écurie Dinoco. Mais alors qu’il est lancé à pleine vitesse et domine tous ses rivaux, l’éclatement de ses pneus le ralentit à la dernière seconde. Il franchit du coup la ligne d’arrivée en même temps que deux autres voitures. Pour les départager, une nouvelle course est organisée à Los Angeles. Tandis que McQueen est transporté au milieu de la nuit par son fidèle ami le camion Mack, il s’égare et se retrouve accidentellement dans la petite bourgade de Radiator Springs. Il y découvre d’autres valeurs que la simple compétition et oublie peu à peu son arrogance et son égocentrisme pour se forger de belles amitiés, notamment avec Martin, dépanneuse rouillée et gaffeuse. Il rencontre même l’amour sous la forme de la belle Porsche Sally qui se laissera séduire par son bagout.

Un récit post-apocalyptique ?

S’il séduit toutes les générations, le concept de Cars est pour le moins étrange. Car ce monde où règnent les voitures et où les humains semblent avoir disparu donne l’impression d’un futur indéterminé où notre espèce aurait été éradiquée suite à une guerre contre les machines. Cars se déroulerait-il dans un univers où, comme dans Maximum Overdrive de Stephen King, les véhicules se seraient emparés de la planète et auraient éliminé les hommes pour régner seuls sur Terre ? Serions-nous dans une configuration proche des événements narrés dans Terminator et Matrix, à la différence près que cette fois-ci nous aurions perdu face aux machines ? Pourquoi pas ? Quoiqu’il en soit, il est clair que les véhicules présents dans Cars n’ont pas été prévus pour accueillir le moindre conducteur ou passager humain. Pour les directeurs artistiques, un difficile équilibre entre le réalisme mécanique et l’anthropomorphisme reste à trouver. Lasseter s’inspire alors d’un vieux dessin animé de Disney qu’il adore depuis longtemps, Susie le petit coupé bleu réalisé en 1952 par Clyde Geronimi. C’est de là que vient l’idée des yeux placés sur le pare-brise des voitures. La folie du concept de Cars était osée et ne garantissait pas son succès (le public était-il prêt à s’attacher à des voitures ?). Or c’est un véritable triomphe qui se propage logiquement dans les magasins de jouets. Avec plus de cent modèles de voitures différentes dans le film, c’est une manne inespérée pour les fabricants de produits dérivés, et le début d’une nouvelle franchise pour Pixar.

 

© Gilles Penso


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FAMILLE ADDAMS (LA) (2019)

Le premier long-métrage animé consacré à la célèbre famille macabre de Charles Addams…

THE ADDAMS FAMILY

 

2019 – USA

 

Réalisé par Greg Tiernan et Conrad Vernon

 

Avec les voix de Oscar Isaac, Charlize Theron, Chloë Grace Moretz, Finn Wolfhard, Nick Kroll, Bette Midler, Allison Janney, Martin Short, Catherine O’Hara, Snoop Dogg

 

THEMA FREAKS I MAINS VIVANTES

En 2010, Illumination Entertainment (Moi moche et méchant, Les Minions) fait l’acquisition des droits d’adaptation des dessins de Charles Addams et prépare un long-métrage animé qui – contrairement aux habitudes du studio franco-américain – n’est pas prévu en images de synthèse mais en stop-motion, à la manière de L’Étrange Noël de Monsieur Jack ou des Noces funèbres, et ce pour une raison très particulière : Tim Burton est censé le réaliser. Hélas, le projet n’aboutit pas. Burton s’en va alors réaliser Frankenweenie et les droits de La Famille Addams atterrissent chez Metro-Goldwyn-Meyer. Retour donc à la case départ et à l’animation digitale, finalement confiée aux compagnies Cinesite et Nitrogen. Greg Tiernan (Sausage Party) et Conrad Vernon (Monstres contre Aliens) assurent la mise en scène de ce long-métrage conçu principalement pour le jeune public friand de gentils frissons. Pour mettre toutes les chances de son côté, la MGM sollicite un casting vocal de premier ordre, avec notamment Oscar Isaac (Gomez), Charlize Theron (Morticia), Chloë Grace Moretz (Mercredi), Bette Midler (la grand-mère), Martin Short et Catherine O’Hara (les parents de Morticia) ou même Snoop Dogg (qui assure les gargarismes du cousin Machin).

Le pré-générique est une savoureuse « origin story » qui commence par le mariage de Gomez et Morticia, interrompu par des villageois en colère désireux de chasser les Addams loin de leurs terres. Les fuyards rencontrent sur leur route Lurch, échappé d’un hôpital psychiatrique puis reconverti en fidèle majordome, et découvrent dans la foulée un sinistre asile gothique abandonné qui devient leur nouvelle maison, foyer idéal pour leurs futurs rejetons Mercredi et Pugsley. En quelques minutes, le décor est donc planté. Si le cadre nous est familier, le film offre quelques nouveautés comme l’arbre vivant Ichabod, la plante carnivore Cléopâtre, le poulpe Socrate (variante de celui présent dans la série des années 60), le lion Kitty, des têtes réduites chanteuses et l’esprit de la maison qui grogne régulièrement pour en chasser les habitants. L’intrigue tourne autour des manigances de Margaux Needler, une animatrice de télé-réalité spécialisée dans la décoration qui cherche à chasser les Addams pour éviter d’entacher la communauté aseptisée sur laquelle elle règne fièrement. Parallèlement, Pugsley se prépare à un rite de passage ancestral, la Mazurka, pour lequel tous les cousins, oncles et tantes de la famille Addams se réuniront. Une belle pagaille en perspective, donc…

Expressionisme caricatural

À travers l’atmosphère de cette Famille Addams, il n’est pas difficile de reconnaître l’influence (consciente ou non) de Tim Burton, et donc d’avoir un petit aperçu de ce qu’aurait donné le film tel qu’il était initialement prévu. Certaines séquences, comme celle des grenouilles zombies dans la classe de sciences naturelles, semblent d’ailleurs directement échappée de Frankenweenie. Voir La Famille Addams s’animer en stop-motion aurait évidemment été un délice, l’image de synthèse n’offrant pas le rendu tactile et artisanal qu’on aurait pu espérer. Mais il faut reconnaître que les designs des personnages sont intéressants, revenant aux sources des dessins de Charles Addams, et que l’animation numérique sait éviter la quête vaine du naturalisme pour pencher vers une certaine forme d’expressionnisme caricatural. Saluons aussi la bande originale aux accents tziganes de Jeff et Mychael Danna qui réinterprètent à leur manière le fameux thème musical de Vic Mizzy. Le problème du film vient surtout de son intrigue faible et distendue qui ne tient pas vraiment la distance, surtout si l’on compare avec les deux films live de Barry Sonnenfeld. Greg Tiernan et Conrad Vernon accumulent donc un grand nombre de gags visuels et sonores, de clins d’œil référentiels et de numéros musicaux dans l’espoir de combler les lacunes scénaristiques, sans y parvenir totalement. Sympathique à défaut d’être inoubliable, La Famille Addams remportera un succès suffisant pour générer une suite sortie sur les écrans en 2021.

 

© Gilles Penso


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