DRÔLE DE NOËL DE SCROOGE (LE) (2009)

Robert Zemeckis réinvente le célèbre conte de Dickens en sollicitant la même technologie que pour Le Pôle express et La légende de Beowulf

A CHRISTMAS CAROL

 

2009 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Jim Carrey, Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins, Steve Valentine, Daryl Sabara, Sage Ryan, Amber Gainey Meade, Ryan Ochoa

 

THEMA CONTES I FANTÔMES

Après Le Pôle express et La Légende de Beowulf, Robert Zemeckis continue de délaisser provisoirement les prises de vues réelles pour poursuivre ses expérimentations dans le domaine de la performance capture, via les technologies développées au sein de la compagnie ImageMovers Digital qu’il a fondée en 2007. « Je suis tombé amoureux du cinéma numérique lorsque j’ai réalisé Le Pôle Express », affirme-t-il. « Depuis lors, je n’ai cessé de chercher des idées de films pouvant bénéficier de ce moyen d’expression artistique. Il y a quelques années, j’ai pensé que “A Christmas Carol“ fonctionnerait parfaitement dans ce format. Je suis donc immédiatement retourné lire le livre pour me rafraîchir la mémoire. J’ai alors réalisé que la performance capture pourrait être le moyen idéal de reprendre cette histoire classique que tout le monde connaît et de la revisiter d’une manière nouvelle et passionnante ». (1) Pour prêter voix et corps aux personnages en images de synthèse du film, Zemeckis sollicite Gary Oldman, Colin Firth, Cary Elwes, Robin Wright, Bob Hoskins et surtout Jim Carrey qui hérite non seulement du rôle de Scrooge à tous les âges de sa vie mais aussi de celui des trois fantômes qui lui rendent visite la nuit de Noël.

Comme le prouve le générique de début du Drôle de Noël de Scrooge, le cinéaste est toujours adepte des mouvements de caméra vertigineux en plan-séquence. La technologie 100% numérique se met ainsi au service de sa virtuosité et laisse le champ libre à sa folle inventivité. Plusieurs scènes du film sont ainsi conçues comme des « rides » immersifs parfaitement adaptés à un visionnage en relief. Chaque apparition spectrale induit d’ailleurs une idée forte de mise en scène différente, permettant autant de déclinaisons du principe du voyage dans le temps, un thème que l’on sait cher au réalisateur de Retour vers le futur. Si l’esprit des Noëls passés nous transporte dans une envolée immersive en continuité (le plan-séquence dure près de douze minutes !), celui des Noëls présents nous offre un étrange don d’ubiquité en plaçant sa narration sur deux plans physiques superposés (Scrooge et le spectre contemplent le monde des humains qu’ils survolent depuis une pièce dont le plancher est transparent). Quant à l’esprit des Noëls futurs, il joue sur les ombres portées et les changements d’échelle, Scrooge se retrouvant soudain ramené à la taille d’une souris dans une sinistre ville fantôme.

Carrey…ment effrayant

La fameuse « uncanny valley », qui donne le sentiment désagréable que les avatars numériques ont le regard vide et le teint cadavéreux, est toujours un peu gênante pour tous les personnages aux traits humains trop réalistes. Fort heureusement, elle s’évapore lorsque les physionomies sont plus volontiers caricaturales, notamment avec Scrooge lui-même et tous les fantômes qui viennent lui rendre visite à tour de rôle. La mise en scène déborde d’idées visuelles, la musique d’Alan Silvestri dote le conte d’une dimension épique et la direction artistique de Doug Chiang est somptueuse. Le Drôle de Noël de Scrooge a donc à peu près tout pour plaire. Mais sa tonalité semble poser problème, notamment le grand nombre d’éléments sans doute trop effrayants qui le ponctuent et qui s’adaptent mal à un public d’enfants (le surgissement horrifique des spectres, le caractère macabre des « enfants de l’ignorance et de la misère », le corbillard lancé aux trousses de Scrooge, le sépulcral esprit des Noëls futurs…). Sans doute est-ce une des raisons de l’accueil très mitigé que reçut le film lors de sa sortie. Ses résultats décevants au box-office, tout comme ceux de Milo sur Mars deux ans plus tard, finirent d’ailleurs par précipiter la fermeture de la compagnie ImageMovers Digital.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Movieweb en novembre 2010.

 

© Gilles Penso


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LÉGENDE DE BEOWULF (LA) (2007)

Robert Zemeckis s’empare du célèbre conte scandinave pour en livrer une version épique et spectaculaire en images de synthèse…

BEOWULF

 

2007 – USA

 

Réalisé par Robert Zemeckis

 

Avec Ray Winstone, Anthony Hopkins, John Malkovich, Robin Wright Penn, Brendan Gleeson, Crispin Glover, Alison Lohman, Angelina Jolie

 

THEMA HEROIC FANTASY I DRAGONS

Jusqu’alors, les cinéphiles amateurs du poème épique « Beowulf » n’avaient guère que le sympathique nanar avec Christophe Lambert ou le modeste long-métrage de Sturla Gunnarsson à se mettre sous la dent. Pourtant, dès 1997, l’écrivain Neil Gaiman (« Coraline », « American Gods ») et le scénariste Roger Avary (Pulp Fiction, Killing Zoe) travaillent sur une adaptation cinématographique de cette célèbre légende germano-scandinave. Robert Zemeckis prend aussitôt une option sur leur scénario, prévoyant de produire ce film et d’en confier la réalisation à Avary. Au départ, ce Beowulf est conçu comme une aventure d’heroic fantasy au budget raisonnable, dans la veine d’Excalibur ou de Jabberwocky, deux références qu’Avary apprécie particulièrement. Mais le projet tarde à se concrétiser et ne renaît de ses cendres qu’en 2005, lorsque Zemeckis formule le souhait de le réaliser lui-même et de revoir à la hausse ses ambitions pour l’adapter à la technologie de la performance capture qu’il a expérimentée avec Le Pôle Express. Neil Gaiman et Roger Avary revoient donc leur copie en élargissant considérablement le scope des séquences d’action. Puisque le rendu final sera 100% numérique, toute folie des grandeurs est la bienvenue. Les deux auteurs ne se privent pas et lâchent complètement la bride de leur imagination.

Nous sommes en l’an 507, au fin fond du Danemark. Accablé par le monstre Grendel qui vient de massacrer une grande partie de ses hommes, le roi Hrothgar cherche désespérément un valeureux guerrier susceptible de se débarrasser de la bête. Le fier Beowulf se propose, persuadé qu’il saura en venir à bout et ainsi inscrire son nom dans l’Histoire. Ses hommes et lui festoient donc bruyamment dans la salle des fêtes du royaume pour attirer le monstre, qui ne tarde pas à débarquer avec perte et fracas… C’est le point de départ d’une épopée grandiose qui s’affirme d’emblée comme un spectacle pour public adulte : Grendel est en effet un troll immonde et contrefait propre à susciter les pires cauchemars, la violence des combats s’assortit de démembrements et d’abondants jets de sang, un érotisme déviant nimbe l’ensemble de l’aventure, bref Zemeckis durcit volontairement le ton. La Légende de Beowulf se distingue aussi par sa volonté d’écarter tout manichéisme. Ici, le « sauveur » est un homme imbu de lui-même que l’on peut légitimement soupçonner de mythomanie, le roi est un lâche qui couve un lourd secret, son épouse une femme glaciale qui masque silencieusement ses meurtrissures. Quant à la bête, elle autant terrifiante que pathétique. Dans ce monde, les héros ne sont donc pas si héroïques et les monstres pas toujours monstrueux.

L’antre de la bête

Certes, le recours à la performance capture autorise des folies de mise en scène qui auraient sans doute été impossibles – où trop coûteuses – à obtenir en prises de vues réelles, notamment des plans-séquence dingues comme ce long travelling qui nous transporte dans les airs depuis le royaume de Hrothgar jusqu’à la caverne de Grendel. Mais l’on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait donné un tel film si les personnages humains avaient été incarnés par des acteurs en chair et en os plutôt que par leurs avatars numériques. D’autant que la ressemblance physique de ces « clones » avec leurs modèles réels (notamment Anthony Hopkins, Robin Wright, John Malkovich, Brendan Gleeson, Alison Lohman ou Angelina Jolie) donne parfois l’impression de voir un « brouillon » du résultat final, comme une sorte d’animatique provisoire. La qualité de la direction artistique et la sophistication des images de synthèse ne sont pas en cause. Mais cette imitation presque trop parfaite de la réalité manque toujours de cette étincelle de vie qui fait la différence et crée le fameux malaise indicible connu sous le nom de « uncanny valley », la « vallée étrange », celle qui sépare le « vrai » du « presque vrai ». La Légende de Beowulf reste cependant un spectacle de très haute tenue, une saga d’heroïc-fantasy comme on n’en avait pas vue depuis longtemps, gorgée de séquence fantasmagoriques étourdissantes comme la lutte contre les monstres marins, la bataille insensée au cours de laquelle le héros nu comme un ver affronte un Grendel déchaîné, ou encore le vertigineux combat final à flanc de dragon, le tout aux accents d’une bande originale puissante d’Alan Silvestri mêlant l’orchestre symphonique à des rythmes électroniques et à des chœurs sauvages. Voilà de quoi oublier la belle coupe peroxydée de Christophe Lambert.

 

© Gilles Penso


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LIVRE DE LA JUNGLE (LE) (1967)

Le dernier long-métrage supervisé par Walt Disney est une relecture jazzy des écrits de Rudyard Kipling…

THE JUNGLE BOOK

 

1967 – USA

 

Réalisé par Wolfgang Reitherman

 

Avec les voix de Phil Harris, Sebastian Cabot, Bruce Reitherman, George Sanders, Sterling Holloway, Louis Prima, J. Pat O’Malley, Verna Felton, Clint Howard

 

THEMA EXOTISME FANTASTIQUE

Pilier du studio Disney depuis les années 1930, Bill Peet est à l’origine de quelques-uns des longs-métrages animés les plus célèbres de la compagnie. Mais le Merlin l’enchanteur de 1963 dont il écrit le scénario ne reçoit pas l’accueil enthousiaste espéré. Craignant d’avoir perdu momentanément le secret de la formule magique, tonton Walt demande à Peet de redoubler d’efforts pour l’adaptation du « Livre de la jungle », œuvre phare de Rudyard Kipling dont le studio a acquis les droits. Le scénariste s’efforce de conserver l’esprit des textes originaux mais invente plusieurs personnages additionnels, notamment une petite fille indienne prénommée Shanti et le roi Louie, « monarque » d’une troupe de singes turbulents qui, sous la plume de Kipling, vivaient sans le moindre chef et en parfaite anarchie. Soucieux de suivre de près chaque étape de fabrication du film, Disney n’apprécie guère le traitement de Peet, qu’il juge trop sérieux et trop effrayant. Le scénariste en prend ombrage, claque la porte du studio et restera fâché avec son ex-ami et employeur. C’est Larry Clemmons qui est chargé de reprendre les choses en main avec comme consigne principale d’oublier la prose de Kilpling et de s’amuser. Walt veut un long-métrage dynamique et dans l’air du temps, susceptible de plaire au plus grand nombre. Et c’est le vétéran Wolfgang Reitherman (La Belle au bois dormant, Les 101 dalmatiens, Merlin l’enchanteur) qui hérite de la mise en scène.

Pour les besoins de ce Livre de la jungle « new-look », la caractérisation de chaque personnage principal s’appuie sur une exubérance assumée, les dessinateurs et les animateurs étant invités à s’inspirer fortement de leurs interprètes vocaux pour dresser leurs portraits visuels. L’ours Baloo, devenu un bon vivant candide, la panthère Bagheera, représentant la voix de la sagesse, et le redoutable tigre Shere-Khan sont donc des caricatures respectives des comédiens Phil Harris, Sebastian Cabot et George Sanders. Le désopilant roi Louie (survivant du premier scénario de Bill Peet) est fidèlement modelé autour de la personnalité du chanteur Louis Prima. Le quatuor de vautours qui recueille le jeune héros, quant à lui, est un clin d’œil aux Beatles qui sont censés les interpréter mais qui finissent par passer leur tour. Leur look et leurs coupes de cheveux resteront volontairement influencés par les « Fab Four ». Le rôle vocal de Mowgli, de son côté, est confié à Bruce Reitherman, le fils du réalisateur.

Il en faut peu pour être heureux

Si l’on tient compte de son développement chaotique et du cahier des charges imposé par Walt Disney, on aurait pu logiquement s’attendre à un résultat balourd modernisant maladroitement sa source d’inspiration littéraire pour s’adapter aux goûts du public des sixties. Certes, les amoureux de Kipling ont de quoi crier au sacrilège. Pourtant, le miracle opère et le charme du film de Reitherman emporte l’adhésion dès ses premières secondes. Le voyage initiatique que vit Mowgli tout au long de cette aventure mouvementée et ses légitimes crises identitaires (sa place est-elle parmi les humains ou au milieu des animaux de la jungle ?) nous touchent d’autant plus qu’elles s’inscrivent dans une mise en forme visuellement très attrayante qui doit sans doute beaucoup à la version de Zoltan Korda. La bande originale exotique de George Bruns et les chansons inoubliables des frères Sherman contribuent bien sûr énormément au succès du Livre de la jungle et à la bonne humeur qu’il procure – laquelle contamina une grande partie des artistes à l’œuvre sur le film. « Quand nous avons travaillé sur la chanson “I wanna be like you“ que chantent le roi Louie et Baloo, tous les animateurs s’agitaient, sautaient sur les tables et dansaient ! » confirme Floyd Norman, qui signa les storyboards des séquences clés du film (1). Walt Disney s’éteignit avant que le film ne soit achevé, provoquant une grande inquiétude au sein du studio. La compagnie de Mickey allait-elle survivre à son créateur ? Le succès gigantesque du Livre de la jungle prouva que oui. À ce jour, il s’agit d’un des longs-métrages animés Disney les plus aimés du public, toutes générations confondues.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2018

 

© Gilles Penso


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MARS EXPRESS (2023)

Une détective privée et son partenaire robotique mènent l’enquête sur la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars…

MARS EXPRESS

 

2023 – FRANCE

 

Réalisé par Jérémie Perin

 

Avec les voix de Léa Drucker, Mathieu Amalric, Daniel Njo Lobé, Marie Bouvet, Sébastien Chassagne, Marthe Keller, Geneviève Doang, Thomas Roditi

 

THEMA ROBOTS I FUTUR

Suite au succès de la série d’animation Lastman, écrite par Laurent Sarfati et réalisée par Jérémie Périn d’après la bande dessinée de Balak, le producteur Didier Creste envisage d’en tirer un long-métrage et contacte logiquement les deux hommes pour plancher sur le projet. Mais Périn et Sarfati ont une autre idée en tête : un film d’animation futuriste s’appuyant sur un concept original. « La toute première idée était de faire de la science-fiction », explique le réalisateur. « Mais pas n’importe laquelle : de la hard SF. Le vertige que ce genre peut procurer nous manquait avec Laurent Sarfati. On visionnait toujours les mêmes films de SF qu’on adorait, et on en voulait d’autres » (1). La « hard science-fiction », autrement dit celle qui se met en quête d’un certain réalisme en s’appuyant sur des connaissances scientifiques tangibles, n’est pas la plus facile à traiter. Mais le défi n’effraie pas les duettistes, qui décident de spéculer sur les évolutions possibles de la robotique et de l’intelligence artificielle en insufflant à leur récit les codes hérités du film noir et du polar. Cette approche peut faire penser à Blade Runner, mais Mars Express parvient presque miraculeusement à échapper à l’influence du classique de Ridley Scott pour bâtir son propre univers.

Dans les années 2200 de Mars Express, l’humanité côtoie de près les « synthétiques », autrement dit des robots aux formes et aux fonctions multiples. La technologie a fait tellement de progrès que toutes les variantes sont possibles : des duplications de soi-même (pour abattre deux fois plus de travail grâce à un double cybernétique), des « augmentations » (qui permettent de muer les gens en cyborgs aux capacités physiques améliorées) ou des « sauvegardés » (des humains décédés répliqués sous forme d’androïdes au visage holographique). Or une nouveauté est en train de faire son apparition sur le marché : les « organiques », autrement dit des créations étranges qui n’utilisent aucune composante métallique et sembleraient presque issues d’un film de David Cronenberg. C’est dans ce contexte en pleine évolution qu’Aline Ruby, détective privé, et Carlos Rivera, version robotique de son partenaire mort depuis cinq ans, mènent l’enquête autour de la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars. Leurs investigations mettent à jour des trafics et des secrets aux ramifications complexes…

Le parfait équilibre

Mars Express nous offre le plaisir rare de découvrir un film de science-fiction qui ne ressemble à rien de connu, qui ne cligne de l’œil vers aucun classique de la culture populaire ni ne s’inscrit dans aucune franchise de studio. Et même si Jérémie Périn assume et cite ses sources (Terminator 2, Ghost in the Shell, Métal Hurlant), elles ne viennent jamais contaminer sa propre esthétique, très personnelle, aux confluents des classiques de l’animation française et japonaise. « On n’échappe jamais aux influences extérieures quand on réalise un film, et c’est normal », confesse-t-il. « J’avais envie de trouver une esthétique qui donne une impression de réel au dessin » (2). La quête du réalisme (dans les mouvements, les expressions, les perspectives, les architectures) s’équilibre d’ailleurs parfaitement avec une certaine simplicité de traits qui, comme dans J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, s’approprie les techniques de l’animation 3D tout en retrouvant la saveur du dessin animé « à l’ancienne », dans les pas d’un René Laloux ou d’un Jean-François Laguionie. La mise en scène millimétrée de Périn (débordant d’idées visuelles et narratives) s’associe ici aux rebondissements d’un scénario qui ne cesse de surprendre en changeant plusieurs fois en cours de route de point de vue et donc de protagoniste principal, achevant de positionner Mars Express aux côtés des meilleurs longs-métrages animés de SF, toutes origines confondues.

 

(1) et (2) Extraits d’une interview publiée sur CNC.fr en mai 2024

 

© Gilles Penso


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AVENTURES DE IMPY LE DINOSAURE (LES) (2006)

Un zoologue excentrique vit tranquillement avec ses animaux sur une île volcanique jusqu’au jour où un œuf préhistorique s’échoue sur la plage…

URMEL AUS DEM EIS

 

2006 – ALLEMAGNE

 

Réalisé par Reinhard Klooss & Holger Tappe

 

Avec les voix de P.J. Battisti, Madeleine Blaustein, Wigald Boning, Pete Bowlan, J. David Brimmer, James Carter Cathcart, Anke Engelke, Florian Halm

 

THEMA DINOSAURES

Les romans pour enfants de Max Kruse, publiés dans les années 70, sont de véritables institutions en Allemagne. Le plus fameux d’entre eux est « Urmel aus dem Eis », traduit en France sous le titre « Plodoc, diplodocus de choc », vendu à des millions d’exemplaires et suivi par pas moins de onze volumes. Très vite, le petit dinosaure germanique se décline en produits dérivés et en série télévisée, mais son arrivée sur le grand écran s’avère bien tardive. Il faut attendre le développement des images de synthèse outre-Rhin et l’impulsion du studio Bavaria pour que l’adaptation cinéma de « Plodoc » voit enfin le jour. Aux commandes des Aventures d’Impy le dinosaure, on trouve les réalisateurs Reinhard Klooss et Holger Tappe. Le premier est surtout connu pour ses activités de producteur (sur des œuvres aussi diverses que Prince Vaillant, Astérix et Cléopâtre contre César ou Mortel transfert), le second est un transfuge du film publicitaire et du jeu vidéo (qui co-réalisa Le Monde de Gaya avec Lenard F. Krawinkel) et le projet a tout d’une superproduction. Même le compositeur Hans Zimmer, superstar internationale du monde de la bande originale, est à pied d’œuvre pour superviser la musique du film, confiée au talentueux James Michael Dooley.

Face aux moyens considérables mis en chantier pour assurer un succès immédiat au dinosaure vert et à ses compagnons de tous poils, nous étions en droit d’attendre un fier rival des productions Pixar ou Dreamworks. La déception est donc de taille. Malgré trois années de développement intense et soixante infographistes recrutés à temps plein pour gérer l’animation 3D et les sessions de motion capture, la qualité graphique des Aventures de Impy le dinosaure surpasse à peine celle d’un Oui-Oui ou d’un Adibou, et souffre sérieusement de la comparaison avec Le Manège enchanté produit à l’époque en nos contrées par les studios Pathé. Le design des personnages laisse perplexe, les textures manquent singulièrement de finesse et l’animation est loin d’être en phase avec les progrès du début des années 2000. Si l’on jette un coup d’œil rétrospectif à Toy Story, premier long-métrage du genre – réalisé il quatorze ans plus tôt -, force est de constater qu’aucune séquence de Impy n’arrive à la cheville du chef d’œuvre de John Lasseter.

Dino Junior

Ces carences techniques trouvent leur écho dans les errances du scénario de Oliver Huzly, Reinhard Kloos et Sven Severin, qui s’encombre de personnages inutiles (Tim, le neveu du professeur, n’a clairement aucun rôle à jouer ici) et de changements de personnalités illogiques (le roi Pumponell, tour à tour cruel ou sympathique). Une grande part des faiblesses du film s’évapore pourtant aux yeux du public auquel il est destiné, autrement dit les cinéphiles en culotte courte âgés de trois à sept ans. Contrairement à certaines idées reçues, ces spectateurs-là sont aussi exigeants que leurs homologues adultes, mais ils ne placent évidemment pas leurs critères de goût au même niveau. L’exubérance des personnages, la vivacité multicolore de l’univers visuel et la variété infinie des péripéties sont propres à faire de Impy un spectacle très agréable pour la tranche d’âge qu’il cherche à séduire. A la différence d’un Shrek ou d’un Ratatouille, et malgré quelques clins d’œil destinés aux « grands » (le générique de fin au cours duquel tout le monde danse sur le tube « We are family »), Les Aventures de Impy le dinosaure ne trouvera donc faveur qu’auprès de ceux n’ayant pas encore atteint leurs dix printemps.

 

© Gilles Penso


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INDESTRUCTIBLES 2 (LES) (2018)

Quatorze ans après leur première aventure, les super-héros à l’uniforme rouge orné d’un « i » font leur grand retour…

INCREDIBLES 2

 

2018 – USA

 

Réalisé par Brad Bird

 

Avec les voix de Craig T. Nelson, Holly Hunter, Sarah Vowell, Huck Milner, Catherine Keener, Eli Fucile, Bob Odenkirk, Samuel L. Jackson, Michael Bird

 

THEMA SUPER-HÉROS I SAGA PIXAR

Brad Bird est un artiste à part qui semble résolument refuser de vivre dans son temps, ou du moins d’inscrire son œuvre dans une époque contemporaine. En se penchant sur sa filmographie, on y découvre une propension quasi-systématique à plonger ses intrigues dans un cadre historique situé généralement au milieu du vingtième siècle, tout en y intégrant souvent des éléments futuristes. Déjà son court-métrage Family Dog, diffusé dans le cadre de la série Histoires fantastiques produite par Steven Spielberg, avait-il les allures d’un dessin animé échappé de l’époque Hanna Barbera. Avec Le Géant de fer, il nous immergeait dans les années 50 de la Guerre Froide pour y faire surgir un robot digne de Jules Verne ou H.G. Wells. Dans Les Indestructibles, il contait les exploits de super-héros déjà passés de mode dans des sixties alternatives inspirées de celles des premiers James Bond. A l’occasion de Ratatouille, il brossait le portrait d’un Paris atemporel empreint de nostalgie. A la poursuite de demain, quant à lui, se situait à cheval entre l’année 1964 et un monde futur parallèle, l’époque actuelle n’étant visiblement qu’un sas entre ces deux périodes. Même Mission Impossible : protocole fantôme n’est contemporain qu’en apparence, puisque le film s’inspire de la série TV créée par Bruce Geller dans les années 60 et l’agrémente d’une technologie en avance sur son temps. En toute logique, Les Indestructibles 2 creuse ce sillon en jouant même la carte de la mise en abyme. En effet, les événements du film se déroulent immédiatement après ceux de son prédécesseur alors que quatorze années séparent la réalisation des deux longs-métrages.

Comme Toy Story 3 en son temps, Les Indestructibles 2 parvient à respecter l’esprit et le style du premier film tout en intégrant les bonds technologiques survenus entre-temps dans le domaine des images de synthèse. Le scope est bien plus large, les décors plus vastes, les scènes d’action plus spectaculaires, mais le minimalisme des années 60 cher à Brad Bird est toujours au cœur de l’univers visuel du film. Ce parti pris radical est d’ailleurs annoncé dès le pré-générique, qui réinvente dans un style proche de celui de la série Mad Men les logos de production de Walt Disney et de Pixar. Le nœud dramatique de l’intrigue se dessine après un combat homérique qui laisse la cité en bien piteux état. Consternées par ces détériorations considérables, les autorités refusent que les super-héros continuent à pratiquer la justice et interdisent à nouveau leurs activités.  Helen va bientôt connaître un essor important dans ses activités de super-héroïne, poussant Bob à rester à la maison pour s’occuper des enfants. Cette réorganisation des tâches domestiques est de toute évidence la partie du récit qui intéresse le plus Brad Bird, les super-pouvoirs et les combats contre les vilains agissant du coup comme métaphores des responsabilités du couple au sein de la cellule familiale. Le thème principal du film reste celui de la difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle, avec en filigrane les sacrifices que l’un des parents doit faire pour laisser la carrière de l’autre s’épanouir.

Family Business

Portées par une musique enthousiasmante de Michael Giacchino, les aventures des héros et des vilains du film s’agrémentent d’un discours passionnant sur le rôle qu’occupent les écrans dans nos sociétés. Jouant une fois de plus la carte du paradoxe temporel, Brad Bird mélange les préoccupations du milieu du vingtième siècle – l’arrivée en masse des téléviseurs dans les foyers du monde entier – avec celles du monde actuel – marqué par l’omniprésence des écrans – pour délivrer un message qu’il place ironiquement dans la bouche de son super-vilain. Car l’Hypnotiseur accuse ses contemporains de consommer par procuration la vie des autres, face à leurs téléviseurs, au lieu de sortir vivre eux-mêmes leurs propres aventures. Et pour appuyer son propos, le malfaiteur utilise les écrans pour annihiler la volonté de ses victimes. Malicieux, Brad Bird met même en scène une version rétrofuturiste des caméras go-pro et insère dans son film un extrait du générique de la série des années 60 Au-delà du réel dans lequel des entités extraterrestres prennent le contrôle des téléviseurs. Le passé, le présent et le futur s’entremêlent encore et toujours, marque de fabrique d’un cinéaste à l’univers décidément hors du commun… et du temps.

 

© Gilles Penso


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COCO (2017)

Un conte gorgé d’émotion qui s’appuie sur les traditions mexicaines pour nous emporter dans le monde des morts…

COCO

 

2017 – USA

 

Réalisé par Lee Unkrich et Adrian Molina

 

Avec les voix de Anthony Gonzalez, Gael Garcia Bernal, Benjamin Bratt, Alanna Ubach, Renee Victor, Jaime Camil, Alfonso Arau, Herbert Siguenza, Gabriel Iglesias

 

THEMA MORT I SAGA PIXAR

C’est Lee Unkrich, réalisateur de Toy Story 3, qui se voit confier la mise en scène de Coco, dont le développement aura été assez long. Son héros Miguel est un jeune Mexicain de douze ans qui n’a qu’un seul rêve dans la vie : devenir un musicien comme son idole Ernesto de la Cruz, mort sur scène et désormais adulé comme un demi-dieu. Le problème est que la famille de Miguel a banni la musique, à cause d’une vieille histoire remontant quelques générations en arrière. Mais le jeune mélomane refuse de tourner le dos à son destin. Le soir de la fête des morts, Miguel subtilise la guitare de Ernesto de la Cruz, en espérant qu’elle l’inspire et lui donne le même don. Mais les conséquences ne sont pas du tout celles qu’il attendait. Il disparaît du monde des vivants pour entrer dans celui des morts, un univers coloré et très animé qui n’est pas sans rappeler par son exubérance bigarrée l’au-delà décrit par Tim Burton dans Les Noces funèbres. Désormais, Miguel doit se faire passer pour un trépassé en espérant trouver le moyen de rentrer chez lui. Mais sa quête est semée d’embûches et de surprises, la moindre n’étant pas la rencontre avec le grand Ernesto.

Dans Coco, les squelettes qui hantent le monde des morts jouent un rôle prépondérant, s’agitant avec beaucoup plus d’élasticité et de souplesse que les guerriers d’outre-tombe conçus par Ray Harryhausen pour Le 7ème voyage de Sinbad et Jason et les Argonautes, même si ces derniers restent la référence absolue en matière de « sacs d’os » animés. Parmi les autres créatures qui hantent le monde des morts de Coco, les « Alebrijes » s’avèrent particulièrement étonnants. Ce sont des animaux aux couleurs très vives qui s’inspirent directement de la mythologie mexicaine. Non contents de doter le film d’une touche légendaire et colorée du plus bel effet, ces créatures volantes et hybrides jouent un rôle clé au moment de dénouer le drame qui se construit dans le monde de l’au-delà. La musique joue ici un rôle prépondérant, puisqu’il s’agit d’un des thèmes principaux du film. L’une des idées initiales est de confier l’intégralité de la bande originale à un compositeur mexicain. Mais après réflexion, on opte pour une solution mixte. Le très talentueux Michael Giacchino (Les Indestructibles, Ratatouille, Là-haut) supervise la musique et compose tous les morceaux originaux, tandis que de nombreuses chansons émaillent le film. Le co-réalisateur Adrian Molina s’associe à cet effet à la compositrice Germaine Franco pour écrire certaines les chansons du répertoire d’Ernesto de la Cruz. Pour l’anecdote, le chef d’orchestre du spectacle qu’Ernesto donne dans l’au-delà a été conçu comme une caricature de Michael Giacchino.

Le devoir de mémoire

Les films Pixar n’ont jamais été ouvertement politisés, mais cette déclaration d’amour pour la culture mexicaine est entrée en production pendant une période de tension forte entre le gouvernement de Donald Trump et celui de Peña Nieto, les deux pays étant sur le point d’être séparés par un mur de 1600 kilomètres de long. Or c’est un pont – donc le contraire d’un mur – qui sépare les deux mondes décrits dans Coco, celui des vivants (le présent) et celui des morts (le passé), tous deux se nourrissant sans cesse l’un de l’autre. Les vivants ont besoin du souvenir des morts pour connaître leurs racines, et les morts ont besoin d’exister dans la mémoire des vivants pour ne pas s’évaporer dans les limbes. D’où la nécessité de préserver cette tradition mexicaine selon laquelle les gens décédés doivent être honorés un jour par an en déposant des offrandes près de leur photographie. Coco parle donc de l’importance du devoir de mémoire, du poids de la famille, de la responsabilité, de la passion, de l’individualisme et du difficile équilibre qu’il faut savoir conserver entre le désir et le devoir. Si les anciens ont la responsabilité de transmettre leur histoire aux jeunes générations (un motif qu’on trouve déjà dans Cars 3), la jeunesse a la responsabilité de porter ce flambeau et de le transmettre à son tour. Il est difficile de ne pas se laisser toucher par le récit ni de verser une petite larme lors d’un final poignant. Immense succès à travers toute la planète, Coco remporte l’Oscar du meilleur long-métrage et de la meilleure chanson originale. Deux de plus dans la grande collection d’Academy Awards acquise au fil des ans par les artistes de Pixar.

 

© Gilles Penso


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CARS 3 (2017)

Depuis ses débuts dans Cars, Flash McQueen est devenu un vétéran de la route, mais saura-t-il rivaliser avec la jeune génération motorisée ?

CARS 3

 

2017 – USA

 

Réalisé par Brian Fee

 

Avec les voix de Owen Wilson, Cristela Alonzo, Chris Cooper, Nathan Fillion, Larry the Cable Guy, Armie Hammer, Ray Magliozzi, Tony Shalhoub, Bonnie Hunt

 

THEMA OBJETS VIVANTS I SAGA PIXAR

Après les écarts du second volet de la saga Cars, transformant les héros à quatre roues de la bourgade de Radiator Springs en émules de James Bond, cette troisième aventure revient aux sources du concept initial défini par John Lasseter, Joe Ranft et Jorgen Kluben. Flash McQueen revient donc sur le devant de la scène pour se lancer à vive allure sur les circuits et assumer son rôle de voiture de course vedette. Mais cette fois-ci, un jeune coureur arrogant, Jackson Storm, va lui faire de l’ombre jusqu’à susciter une totale remise en question. Car Flash n’est plus le jeune véhicule fringuant que nous avons découvert en 2006. Désormais c’est un vétéran de la piste. Saura-t-il se mesurer à la jeune génération, mieux équipée et plus agressive que lui ? Saura-t-il encore séduire son public ? N’est-il pas sur le point de sombrer progressivement dans l’oubli ? Ces thématiques ont déjà été abordées par le passé chez Pixar, et ce dès le premier Toy Story dans lequel l’arrivée d’un jouet flambant neuf dans une chambre d’enfant remettait en cause la popularité d’un jouet plus ancien. Quant à la problématique du souvenir et de la peur de sombrer dans l’oubli, elle irradie tout le scénario du Monde de Dory et sera le pivot dramatique central du film suivant du studio, Coco.

Pour revenir sur le devant de la scène et montrer qu’il a encore de la puissance sous son capot, McQueen accepte de se faire coacher par Cruz Ramirez, une voiture hispanique qui ne le ménage pas. Cette tentative de reconquête du public par un sportif vieillissant nous rappelle irrésistiblement plusieurs opus de la saga Rocky. Ce n’est pas un hasard. La séance d’entraînement sur la plage, dans laquelle Cruz et McQueen se défient l’un l’autre, est un hommage direct à une scène très similaire mettant en scène Sylvester Stallone et Carl Weathers dans Rocky III : l’œil du tigre. Comme toujours chez Pixar l’émotion est au rendez-vous, notamment au sein de la relation complexe qui se tisse entre McQueen et son coach sportif. Mais il faut avouer qu’il est toujours plus difficile de ressentir des sentiments forts pour des voitures déconnectées d’un univers humain plutôt que pour d’autres types de protagonistes anthropomorphes.

En bout de piste

D’autant qu’à force de vouloir trop prêter aux véhicules des comportements humains, certaines incohérences finissent par jalonner le récit. Cruz, par exemple, a renoncé à ses rêves de course parce qu’elle manquait d’audace et de confiance lorsqu’elle était petite. Mais comment des voitures ont-elles pu être « petites » ? Pendant son entrainement sur la plage avec McQueen, elle refuse de rouler sur le sable de peur d’écraser des crabes. Y’a-t-il donc des crustacés dans ce monde où toute vie organique semble pourtant avoir disparu ? A moins qu’il ne s’agisse de minuscules véhicules à pinces, comme la « luciole Volkswagen » que l’on voit apparaître dans le court-métrage Martin et la lumière fantôme ? On le voit, le concept de Cars finit par trouver ses limites lorsqu’on le pousse un peu trop loin. Du côté des scènes d’action, bien sûr, l’inventivité est toujours au rendez-vous et la force créatrice des équipes de Pixar atteint encore des sommets, comme pendant cette course brutale dans la boue au fin fond de l’Amérique profonde qui restera l’un des plus gros morceaux de bravoure du film. Le dénouement, qui s’appuie sur la notion de transmission et de passation de pouvoir, est d’autant plus marquant qu’il semble avoir des répercussions sur le monde réel. Lorsque Flash cède sa place sur la piste à une autre coureuse moins expérimentée que lui, il est difficile de ne pas penser à John Lasseter, mis à mal par de sérieux problèmes personnels et contraint de passer le relais à Brian Fee pour réaliser le film à sa place.

 

© Gilles Penso


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MONDE DE DORY (LE) (2016)

Extrêmement populaire depuis sa première apparition dans Le Monde de Nemo, le poisson amnésique a droit à son propre long-métrage…

FINDING DORY

 

2016 – USA

 

Réalisé par Andrew Stanton et Angus MacLane

 

Avec les voix de Ellen DeGeneres, Albert Brooks, Ed O’Neill, Kaitlin Olson, Hayden Rolence, Ty Burrell, Diane Keaton, Eugene Levy, SLoane Murray, Idris Elba

 

THEMA MONSTRES MARINS I SAGA PIXAR

Malgré le succès du Monde de Nemo et les innombrables réclamations des fans, Andrew Stanton n’a jamais voulu donner de suite à l’odyssée de son poisson clown pour pouvoir se concentrer sur des sujets différents. Mais un jour il redécouvre le film, redistribué en salles pour fêter ses dix ans dans une version en 3D. Là, face au spectacle transcendé par la stéréoscopie et devant la réaction enthousiaste du public, Stanton se dit qu’il y a encore une histoire à raconter : celle de Dory. Un autre facteur joue sur sa décision. Après avoir réalisé son premier film en prises de vues réelles pour Disney, l’ambitieux péplum de science-fiction John Carter, Stanton pensait se mettre au travail sur le scénario d’une autre aventure martienne du héros imaginé par le romancier Edgar Rice Burroughs. Mais John Carter est un échec cuisant au box-office, annulant toute possibilité d’une séquelle. Stanton se tourne alors vers une autre suite promise à un avenir beaucoup plus radieux, celle du Monde de Nemo. Le personnage de Dory était sans conteste l’une des plus belles trouvailles du Monde de Nemo, le trouble dont elle était affublée (des pertes de mémoire immédiates) étant à la fois vecteur de rire et d’émotion. C’est donc sur ce double registre que joue Le Monde de Dory, une sorte de spin-off dans lequel nous nous intéressons à ses pérégrinations sous-marines avant, pendant et surtout après les aventures racontées dans Le Monde de Nemo.

 

Le récit commence lorsque Dory a soudain un souvenir fugitif de ses parents. L’image qu’elle perçoit est très furtive et difficile à identifier, mais sa force est suffisante pour que Dory décide de traverser l’océan dans l’espoir de les retrouver. C’est un nouveau prétexte pour une grande aventure sous-marine semée de rencontres inattendues et d’embûches. Selon un principe proche de celui adopté par Cars 2, Le Monde de Dory fait passer à l’arrière-plan le héros du premier film, en l’occurrence Nemo, et transforme son « sidekick » en personnage principal. La quête de ses parents devient pour Dory une sorte d’enquête policière passionnante dont chaque indice est une bribe de souvenir qu’il faut décoder et identifier. C’est aussi pour l’attachant poisson à la mémoire si fragile une introspection, le tout sous forme d’un jeu de piste mouvementé qui se poursuit dans les méandres labyrinthiques d’un institut océanographique. Le titre original Finding Dory (« A la recherche de Dory ») peut sembler inapproprié, dans la mesure où ici ce n’est pas Dory qu’on recherche mais ses parents. Cependant, au-delà du jeu de miroir avec Finding Nemo, ce titre nous fait bien comprendre que le scénario a été conçu sous forme d’un voyage initiatique à l’issue duquel Dory se sera retrouvée elle-même.

La quête des origines

Lorsque les poissons vedettes du film pénètrent dans l’institut océanographique et entrent en contact avec le monde des humains, le rendu visuel est si réaliste qu’il devient difficile de savoir si nous avons affaire à de l’image de synthèse ou à des prises de vues réelles. Mais cette fois-ci, contrairement au Voyage d’Arlo, le mixage entre l’hyper-réalisme et la caricature fonctionne à merveille. Le personnage de Hank en est le meilleur exemple. Ce poulpe désopilant qui fomente une infinité de plans pour s’évader de l’institut et regagner l’océan, muni de seulement sept tentacules (hommage à la pieuvre animée par Ray Harryhausen dans Le Monstre vient de la mer), est un pur personnage de cartoon. Pour autant, la texture humide de sa peau est incroyablement réaliste, presque palpable. Un autre céphalopode intervient plus tôt dans le film. Il s’agit d’un calamar cyclope géant qui attaque nos héros au cours d’une séquence très impressionnante. Ce monstre s’avère être le sosie de celui de 20 000 lieues sous les mers de Richard Fleischer, une allusion à Jules Verne qui ne manque pas de sel quand on sait d’où vient le nom Nemo. Adulé par le public et par une grande partie de la presse, Le Monde de Dory réalise un démarrage spectaculaire dès sa sortie en salles (plus de 130 millions de dollars pour son premier week-end, soit un record absolu dans le domaine du cinéma d’animation) et séduit bien vite les spectateurs du monde entier preuve de la santé encore excellente à l’époque du studio Pixar.

 

© Gilles Penso


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VOYAGE D’ARLO (LE) (2015)

Et si la météorite qui heurta la Terre pendant la préhistoire avait raté son objectif, laissant les dinosaures cohabiter avec les humains ?

THE GOOD DINOSAUR

 

2015 – USA

 

Réalisé par Peter Sohn

 

Avec les voix de Raymond Ochoa, Jack Bright, Jeffrey Wright, Frances McDormand, Jack McGraw, Peter Sohn, Steve Zahn, A.J. Buckley

 

THEMA DINOSAURES I SAGA PIXAR

En développement pendant six ans, Le Voyage d’Arlo connaît une genèse un peu compliquée. Sa première date de sortie est prévue en 2013, puis repoussée d’un an. C’est alors Bob Peterson, co-réalisateur de Là-haut, qui est censé le mettre en scène. Mais le scénario est jugé insatisfaisant, notamment son troisième acte que l’équipe de Pixar ne parvient pas à structurer correctement. Le film est donc décalé d’une année supplémentaire. Dans l’intervalle, le film est repris par Peter Sohn, qui avait réalisé le très beau court-métrage Passages nuageux. L’histoire du Voyage d’Arlo (dont le titre français semble vouloir se rapprocher de celui du Monde de Nemo) se déroule pendant la préhistoire, alors que les dinosaures dominent encore la Terre. Mais il s’agit d’un monde parallèle au nôtre. Car ici, la fameuse météorite qui aurait mis fin au règne des grands sauriens passe à côté de notre planète, évitant de justesse l’extinction de masse. Bien des années plus tard, les dinosaures sont toujours là et continuent de fouler le sol. Entretemps, ils sont devenus intelligents, construisent des objets, des outils, des abris, cultivent la terre et élèvent d’autres espèces animales. C’est dans cet univers alternatif que les humains font timidement leur apparition. Arlo, le plus jeune d’une famille de brontosaures, se prend d’affection pour Spot, un petit humain qui devient pour lui une sorte d’animal de compagnie.

Amateurs de viande, les tyrannosaures sont ici des cowboys éleveurs de troupeaux de bisons, mais les chasseurs les plus redoutables sont les vélociraptors, dont le corps est couvert de plumes, conformément à quelques-unes des découvertes paléontologiques les plus récentes. Les ptérodactyles charognards ne sont pas beaucoup plus rassurants, vénérant les tempêtes qui leur apportent de la nourriture à foison. Heureusement, des créatures pacifiques et végétariennes paissent aussi dans cette jungle antédiluvienne, comme ce styracosaure peureux qui se fond dans le paysage et dont les cornes abritent toute une foule de petits animaux de la forêt. Jouant presque la carte de l’auto-citation, le dinosaure vedette du film ressemble comme deux gouttes d’eau à celui du logo de la station-service Dinoco, vue dans Toy Story, et auquel il est fait allusion dans la majorité des films produits par Pixar. Membre d’une fratrie qui comporte deux sauropodes plus forts et plus puissants que lui, Arlo semble fragile, presque frêle, et sollicite toute l’attention de ses massifs parents. Paradoxalement, et comme le laisse imaginer un scénario un peu prévisible, c’est le plus « faible » qui aura le plus grand destin.

Une préhistoire post-apocalyptique ?

Les choix artistiques du Voyage d’Arlo marquent un décalage très fort entre le rendu des décors, ultraréalistes jusque dans leurs détails géologiques et botaniques les plus fins, et celui des personnages, presque aussi caricaturaux que ceux d’un film en pâte à modeler animé par l’équipe d’Aardman. S’il fonctionnait dans les autres films Pixar, ce fossé visuel entre les protagonistes et leur environnement crée ici une impression étrange, comme si ces deux éléments cohabitaient mal au sein du même film. Ce décalage se ressent aussi dans l’histoire elle-même. Le concept initial d’un monde parallèle où les dinosaures n’auraient pas disparu est prometteur, mais il faut reconnaître que le scénario ne sait trop qu’en faire. Les brontosaures deviennent fermiers et les tyrannosaures éleveurs (au sein d’une imagerie américaine à la Norman Rockwell qui s’éloigne beaucoup de l’universalité généralement de mise chez Pixar) et les humains restent sauvages. Mais tout finira par rentrer dans l’ordre. Car ce monde alternatif n’est que provisoire et ne se déploie pas avec l’audace et les surprises qu’il faudrait, comme si personne n’assumait jusqu’au bout l’idée servant de base au film. Certains spectateurs du film ont même bâti une théorie selon laquelle le monde du Voyage d’Arlo ne serait pas préhistorique mais post-apocalyptique, situé donc des dizaines de millions d’années après le passage de la météorite. Il est vrai que nous ne sommes pas si loin du futur de La Planète des singes, dans lequel les animaux règnent tandis que les humains sont retournés à la sauvagerie. Sorti la même année que Vice-versa, Le Voyage d’Arlo ne connaît pas le même succès et se comporte moins bien au box-office que la plupart des autres films du studio Pixar. Mais il aura tendance à être réévalué à la hausse quelques années plus tard.

 

© Gilles Penso


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