MON AMI ROBOT (2023)

L’audacieux réalisateur espagnol multi-primé Pablo Berger anime le volumineux roman graphique à succès de l’américaine Sara Varon…

ROBOT DREAMS

 

2023 – ESPAGNE / FRANCE

 

Réalisé par Real

 

Avec la voix de Ivan Labanda

 

THEMA ROBOTS

Diplômée de l’Art Institute of Chicago, Sara Varon déménage à New York City pour poursuivre ses études à l’école d’Art : The School of Visual Arts. Autrice reconnue, auréolée de prix prestigieux comme le Eisner Award, plus à l’aise à croquer des animaux que des humains, son univers anthropomorphique représente un tendre bestiaire illustré qui séduit autant les adultes que les enfants. Pour preuve, Pablo Berger, collectionneur passionné d’ouvrages sans paroles, est tombé sous le charme de Robot Dreams, paru en 2007 chez l’éditeur First Second Books. Le cinéaste y a retrouvé les émotions de son film Blancanieves, librement adapté du conte des frères Grimm, et Prix Goya du meilleur film et du meilleur scénario en 2013. Après Abracadabra, son troisième long-métrage sorti en 2017, présenté comme une comédie fantastique et émancipatrice sur le thème de l’hypnose, il rédige alors un scénario et rencontre l’illustratrice qui, après avoir pris connaissance de l’univers du réalisateur, lui donne carte blanche pour adapter son œuvre. Pour son premier film d’animation, l’auteur se verra honoré d’une Première mondiale au 76ème Festival de Cannes en mai 2023, et du Grand prix contrechamp au 47ème Festival d’Annecy en juin. C’est donc sous les meilleurs auspices que le film prépare sa sortie pour les fêtes de fin d’année sous le titre Mon ami Robot.

Dans son cosy appartement de Manhattan, le chien Dog comble sa solitude en regardant la télévision. Ainsi, il découvre une publicité pour un robot en kit qu’il s’empresse de commander. Une fois assemblé, Robot devient le meilleur ami du chien et transforme sa vie. Lors d’une journée sur la plage de Coney Island, Robot, qui ne refuse rien à son compagnon, se retrouve rouillé et à l’arrêt après s’être risqué à une baignade dans la mer. Pourtant inséparables, Dog se voit contraint d’abandonner momentanément son ami sur le sable. A nouveau seul, tentant de s’adapter aux circonstances, il sera pris de remord et retournera armé de sa boîte à outils pour réparer son ami délaissé. Mais, la saison estivale étant terminée, l’accès à la plage lui sera interdit. Au fil des saisons, Robot, paralysé puis mutilé, sera livré à toutes les intempéries et au pillage. Prisonnier de ses rêves (et de ses cauchemars), il ne lui restera que le ciel pour s’évader en pensée, la compagnie d’oiseaux venus nicher près de lui, et l’espoir de retrouver un jour celui dont il fut le complice éphémère.

Une poignante étude de sentiments

Sous des aspects de films pour enfants, Mon ami Robot est une poignante étude de sentiments et d’émotions qui vont de la joie et de l’euphorie de partager les bonheurs de l’existence avec son alter-égo, au désenchantement et l’amertume de l’abandon, jusqu’à la reconstruction grâce aux hasards de la vie et à la faculté de résilience. On apprécie dans cette exploration la peinture détaillée des rues de la Grande Pomme où le réalisateur a vécu et rencontré sa femme lors de ses études dans les années 80-90. Soucieux de rendre hommage à la ville telle qu’il l’a connue, il s’est appliqué à soigner les arrière-plans à l’instar du maître Miyazaki. On notera d’ailleurs de nombreux clins d’œil cinéphiliques dans des séquences qui évoquent le cinéma de Jacques Tati, muet lui aussi, ou les ballets de Busby Berkeley. Si le film a pris des libertés par rapport à son support original, il le respecte dans les ressentis émotionnels qui en font toute la force et qui tournent autour de ces questions : Qu’est-ce que l’amitié ? La fidélité ? Lorsqu’un seul être vous manque, le monde est-il vraiment dépeuplé, comme le dit le poète ? Un ami est-il jetable ou remplaçable tel un objet que l’on oublie sur la plage, ou un robot qui obéirait à tous nos désirs ? L’amitié serait-elle périssable, destinée à ne pas survivre à la fin de l’été ? Les pensées de Dog et de Robot sont palpables dans ce film sans paroles, et leurs questionnements semblent s’adresser à un public plus adulte qu’enfantin. Mais c’est là que les animaux permettent une distance pour aborder des thèmes qui interrogent aussi l’enfance, comme l’absence de l’autre ou le temps qui transforme les choses et les êtres sur son passage. Avec sa longueur assumée, ses ballades dans la Cité (où l’on peut voir les Twin Towers encore intactes), le choix de répéter la chanson September d’Earth Wind & Fire à côté de la bande originale, Mon ami Robot, est un feu d’artifices émotionnel qui invite à l’introspection.

 

© Quélou Parente


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WISH : ASHA ET LA BONNE ÉTOILE (2023)

Un Disney en mode mineur qui, malgré tous les ingrédients du conte de fées traditionnel, n’aura pas su rameuter les foules…

WISH

 

2023 – USA

 

Réalisé par Chris Buck et Fawn Veerasunthorn

 

Avec les voix de Ariana DeBose, Chris Pine, Alan Tudyk, Angelique Cabral, Victor Garber, Natasha Rothwell, Harvey Guillen, Evan Peters, Ramy Youssef

 

THEMA CONTES

Malgré ses indéniables qualités et les efforts de son scénario confié à Jennifer Lee, réalisatrice (avec Chris Buck) de La Reine des neiges, qui fut le dessin-animé le plus rentable de ces dernières années, Wish : Asha et la bonne étoile, le film de Noël dont la pandémie nous avait privés, ne crée pas l’enchantement quasi-unanime qu’ont pu provoquer les plus gros succès des studios Disney. En effet, en voulant jouer sur plusieurs tableaux, le dessin-animé qui clôture l’année de la célébration du 100ème anniversaire du géant de l’animation peine finalement à trouver son public, avec une histoire très complexe pour les plus jeunes et un message qui, s’il se veut plus engagé et réaliste, ne fait pas forcément mouche chez les adultes en quête de rêve, pourtant habituellement conquis par la féérie et l’anthropomorphisme mignon de chez Disney.

Star est une petite étoile qui tombe du ciel pour exaucer les vœux d’Asha, 17 ans (Ariana DeBose en V.O., Océane Demontis en V.F.), notre jolie héroïne typée à la chevelure tressée et au caractère rebelle. Jusque-là, tout va très bien et les moments les plus réussis du film sont ceux qui mettent en scène ce duo de charme qui ravira les petites filles jusque-là en mal de modèle leur ressemblant dans les fictions de la firme hollywoodienne. Mais le manichéisme l’emportant, le roi Magnifico (Chris Pine/Lambert Wilson), méchant de l’histoire, passant d’un idéalisme forcené à une irresponsabilité mégalomaniaque, nous entraîne dans des péripéties laborieuses dont l’enjeu est de contrôler les vœux des habitants afin qu’aucun d’eux ne contrarie sa soif de contrôle et de puissance, exauçant au compte-gouttes les souhaits les plus insipides. Asha ne l’entend pas de la sorte et se confronte à lui pour restituer les prisonniers à leurs propriétaires.

Faites un vœu

Contrairement aux réussites telles que Raiponce (2010) ou La Reine des neiges (2013), adaptées de contes classiques de Grimm ou d’Andersen, nous avons affaire ici à une histoire pensée pour être novatrice et originale tout en reprenant les éléments les plus reconnaissables de Disney : croire en la magie d’un monde merveilleux et enchanté, en ses rêves et en sa bonne étoile… Le message voulu par l’autrice – également productrice exécutive -, selon lequel « aucun pouvoir n’est plus puissant que la force d’un souhait sincère qui vient du plus profond du cœur », a l’ambition d’ouvrir le champ des possibles et d’inspirer à la jeunesse, ainsi que leur goût de la persévérance. Mais le public visé n’a manifestement pas répondu à l’appel. Avec un budget de 200 millions de dollars (hors marketing) et des recettes de 255 millions, le Disney de 2023 n’aura pas été le succès espéré.

 

© Quélou Parente


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ANZU, CHAT-FANTÔME (2024)

Une préadolescente confiée aux soins de son grand-père se lie d’amitié avec le spectre d’un félin revenu d’entre les morts…

GHOST CAT ANZU-CHAN

 

2024 – JAPON / FRANCE

 

Réalisé par Yôko Kuno et Nobuhiro Yamashita

 

Avec les voix de Mirai Moriyama, Noa Gotô, Munetaka Aoki, Miwako Ichikawa, Keiichi Suzuki, Jon Allen, Jonah Bromley, David Goldstein, Shingo Mizusawa

 

THEMA MAMMIFÈRES I FANTÔMES

Adapté d’un manga de Takashi Imashiro, (auteur de Colère Nucléaire aux éditions Akata), Anzu, chat-fantôme s’inscrit dans la tradition des films de fantômes japonais avec un bestiaire de créatures infernales auxquelles vont se trouver confrontés les amis d’Anzu, des esprits de la forêt, qui bien que téméraires, n’ont ni talent, ni don inné pour la bagarre. Notre héros et ses comparses, issus des croyances animistes auxquelles la japanimation et Miyazaki en particulier nous ont habitués (Yōkai, Mononoke, Nekomata), vont donc nous entrainer dans leur monde fantasque, tandis qu’ils seront partie prenante dans cette histoire pour épouser les émotions humaines et combattre leurs démons. Il y a aussi du Takahata dans ce film d’animation sympathiquement foutraque qui se joue en deux parties. Dans un premier temps, une pré-adolescente dont la mère est décédée est confiée aux soins de son grand-père, moine d’une petite contrée, par un père qui n’est pas sans rappeler Tetsu, celui de Kié la petite peste, film novateur du maître sorti en 1981 au Japon.

Combinant l’animation 2D et la rotoscopie, le film nous entraîne dans la résilience de l’enfant qui finira par apprivoiser ce chat revenant, mal léché et très drôle, qui s’avère être un vrai protecteur et un monstre de tendresse. Anzu s’est adapté à son environnement après avoir été simplement le chat domestique du temple (un « bakeneko » selon le folklore japonais). Après sa mort, il est devenu un véritable homme-chat à tout faire qui s’est donné pour mission de prendre soin de la fillette et de lui rendre le sourire. C’est ainsi qu’il va affronter à la courte-paille le dieu de la misère et de la tristesse, prêt à s’abattre sur elle, et à qui Anzu demande de l’épargner et de l’aider à retrouver sa mère hors du monde des vivants, en échange de quoi il l’aidera à trouver une meilleure mission. C’est ici que le film bascule dans une seconde partie qui se déroule aux enfers (dont on sort aussi étrangement qu’on y est entrés).

Créatures infernales

Ici, donc, pas de grandes réflexions métaphysiques sur la vie dans l’au-delà, si ce n’est que les vivants sont bel et bien sur terre pour profiter de leur vie éphémère. Le film vaut beaucoup par les échanges chat-fille et père-fille et par ses drôleries inventives qui fusent parmi des dessins à la mesure des grands auteurs japonais. À noter, fait rare, que le film est une coproduction franco-japonaise entre le célèbre studio Shin Ei-Animation (Doræmon, Panda Petit Panda) qui a vu débuter Miyazaki et Takahata, et Miyu Productions, société qui s’est distinguée dans les festivals internationaux avec son film franco-italien Linda veut du poulet (Cristal du long-métrage 2023 à Annecy et César du meilleur film d’animation 2024). Il est co-réalisé par la mangaka Yôko Kuno, talentueuse directrice de l’animation en rotoscopie, et Nobuhiro Yamashita, célèbre au Japon pour ses films en prise de vues réelles, qui signe ici son premier film d’animation.

 

© Quélou Parente


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SKY DOME 2123 (2023)

Une superbe dystopie qui évoque les thèmes de L’Âge de cristal et de Nausicaa de la vallée du vent

MUANYAG EGBOLT / WHITE PLASTIC SKY

 

2023 – HONGRIE / SLOVAQUIE

 

Réalisé par Tibor Bánóczki et Sarota Szabó

 

Avec les voix de Tamás Keresztes, Zsófia Szamosi, Géza D. Hegedüs, Judit Schell, István Znamenák, Zsolt Nagy, Márton Patkós, Renátó Olasz

 

THEMA FUTUR

2123. La Terre est aride. Plus rien n’y survit. Les animaux et les végétaux ont disparu de sa surface, et les humains sont regroupés sous un dôme qui rappelle celui de L’Âge de cristal ou de Total Recall. Un dôme qui se veut protecteur, mais tout autant oppressant avec des règles strictes qui réclament le sacrifice de chacun pour la survie de tous. En effet, à l’âge de cinquante ans, afin de fournir l’oxygène nécessaire à la continuité de l’espèce humaine, chacun renonce à ses années de vie supplémentaires et se fait implanter une graine dans le cœur afin de se transformer en arbre. Souffrant de la mort prématurée de son fils, Nora, 32 ans, s’est portée volontaire pour en finir au plus vite. Son mari Stefan, docteur en psychiatrie, ne l’entend pas de cette oreille. Il va braver les interdits de la nouvelle Budapest, sortir du Dôme, et retrouver la trace du premier inventeur du système, le professeur Paulik, pour tenter de faire opérer sa femme et inverser le processus d’implantation. Mais est-ce vraiment ce que veut Nora ?

À travers les émotions que traversent ces personnages tout en profondeur, dans un monde anxiogène où la vie ne tourne plus qu’autour de notions de survie, nous nous retrouvons au cœur des grandes questions philosophiques fondamentales qui animent l’être humain sur le sens de la vie et sa propre essence. Le film est formellement très beau, avec une animation hybride mêlant rotoscopie manuelle, maquettes en 3D et images de synthèse pour un résultat à fleur de peau et d’écorce où les nœuds des arbres évoquent les liens que nouent les hommes entre eux, mais aussi avec la nature.

Un siècle dans le futur…

Comme dans toutes les histoires où toute cause semble perdue d’avance, l’amour n’y est ni mièvre ni tiède, mais il devient essentiel, comme les éléments vitaux que sont l’eau, le sang, la sève. Il s’infiltre donc dans tous les interstices de ce film porté par une bande son où les silences se fondent avec délicatesse aux voix douces et profondes des protagonistes hongrois, et à la musique originale du compositeur Christopher White. Un film bouleversant qui nous projette un siècle en avant dans un futur que la science-fiction a prédit maintes fois, simplement en observant le pire dont on sait l’homme capable. Le meilleur reste porteur d’espoir. Il passe par l’impossibilité qu’ont certains, comme Stefan, de se résigner.

 

© Quélou Parente


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GARÇON ET LE HÉRON (LE) (2023)

Dans ce « film testament » d’Hayao Miyazaki, un adolescent découvre un monde magique habité par un héron gris qui parle…

KIMITACHI WA DÔ IKIRU KA

 

2023 – JAPON

 

Réalisé par Hayao Miyazaki

 

Avec les voix de Soma Santoki, Masaki Suda, Yoshino Kimura, Shôhei Hino, Takuya Kimura, Kô Shibasaki, Aimyon, Keiko Takeshita, Jun Fubuki

 

THEMA VOLATILES ET REPTILES I CONTES

Annoncé par le maître lui-même comme un film testamentaire adressé à son petit-fils, la dernière production de Hayao Miyazaki est librement adaptée d’un roman philosophique pour enfants Kimi-tachi wa Dô Ikiru ka (Et vous, comment vivrez-vous ?) de Genzaburo Yoshino. Si le livre, publié par son auteur en 1937, a été un succès immédiat, il lui a aussi valu d’être emprisonné à de multiples reprises ; en effet, alors que le Japon s’armait pour rentrer en guerre, les autorités s’inquiétaient de voir un manque de patriotisme dans certains questionnements comme donner à réfléchir à ce qui fait de nous des êtres humains. Il s’agit d’un échange de pensées, un dialogue à deux voix entre un oncle et son neveu, un jeune garçon qui fait l’apprentissage de la vie après la perte de son père et la trahison de son meilleur ami. Pour le film, Miyazaki a voulu se détacher des contraintes de l’adaptation, s’étant emparé du roman initiatique comme source d’inspiration pour mieux explorer ses propres thèmes de prédilection qui rentrent en résonnance avec le best-seller : le monde en guerre, l’injustice, la mort ou la maladie, la douleur de la perte des êtres aimés, l’au-delà, la beauté de la Nature, fragile et forte à la fois, la nostalgie du temps passé, les liens d’amitié, tout ce qui nous transcende et fait de nous les êtres humains que nous choisissons d’être.

La magie de Miyazaki est de réussir à ancrer l’indicible dans un univers fantasmagorique, sorte de rêve éveillé, un rollercoaster qui voyage dans les strates de notre inconscient, de notre psyché. Cet univers, en lien direct avec le cycle de la vie, relie la naissance et la mort comme une vague infinie que l’amour filial, parental et autres, vient adoucir en lui donnant son caractère d’éternité. C’est aussi un film très freudien dont Miyazaki dit lui-même qu’il serait bien en peine de devoir l’expliquer, et qui donne à coup sûr l’impression au public de s’y perdre. À moins, comme le réalisateur le préconise lui-même pour nombre de ses films (Ponyo sur la falaise, Le Voyage de Chihiro) de se laisser porter par son flux et son rythme, semblables, et ce n’est pas anodin, aux mouvements de la mer (ou de la mère). « L’éternité, c’est la mer mêlée au soleil » disait Arthur Rimbaud et c’est bien sur ce registre poétique que le film de Miyazaki s’inscrit et s’apprécie.

« Tenter de vivre »

Mahito est un jeune garçon de onze ans quittant Tokyo après le décès de sa mère disparue dans un incendie. Il part rejoindre son père qui habite à la campagne dans la région dont sa mère était elle-même originaire. Celui-ci vit à présent avec sa nouvelle femme qui attend un bébé et accueille son beau-fils dans leur maison familiale, tenue par une multitude de grand-mères aussi envahissantes que chaleureuses. En dehors d’un étrange héron cendré qui parle et se montre lui aussi de plus en plus intrusif, on notera ; comme un premier anachronisme de cette épopée lyrique, la voix grave de Mahito qui trahit sa maturité due aux épreuves qu’il a traversées, voix contrastant avec celles enfantines des vieilles dames qui l’entourent. Car s’il s’agit de transmission dans le film, comme dans le roman dont il est issu, c’est sur les traces de l’oncle de sa mère, « devenu fou pour avoir trop lu », que Mahito va devoir trouver le chemin de sa propre existence dans les méandres d’un étrange manoir rempli d’ouvrages anciens et de portes qui s’ouvrent sur des espace-temps comme autant de multivers… Dix ans après Le Vent se lève, il faut continuer de « tenter de vivre » quand la folie des hommes fauche ceux que l’on aime. Les personnages dont les existences s’entrechoquent et s’entrecroisent dans ce pays des merveilles sont tous attachants, qu’ils soient réalistes ou absurdes. Le film, comme toute l’œuvre de Miyazaki, est dénuée de manichéisme, saupoudré d’animisme dans la tradition shintoïste japonaise, et se retrouve bercé par la musique symphonique de Joe Hisahishi qui, contrairement à d’autres œuvres telles Princesse Mononoké, accompagne l’action en toute discrétion sans l’emporter dans des envolées lyriques. Par là-même, il sublime les décors somptueux qui à eux seuls donnent à ce long-métrage d’animation son statut de chef-d’œuvre éblouissant de beauté. Un grand spectacle qui s’inscrit dans la haute lignée des studios Ghibli.

 

© Quélou Parente


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FLOW : LE CHAT QUI N’AVAIT PLUS PEUR DE L’EAU (2024)

Dans un monde englouti par un déluge apocalyptique, un chat noir et ses compagnons d’infortune tentent de survivre…

STRAUME

 

2024 – FRANCE / BELGIQUE / LETTONIE

 

Réalisé par Glints Zilbalodis

 

THEMA MAMMIFÈRES I FUTUR

Après sept courts-métrages, le réalisateur letton Gints Zilbalodis s’est fait connaître en 2019 avec un premier long-métrage primé, Ailleurs (Away), avant de remporter avec Flow pas moins de quatre prix au Festival d’Annecy, dont les convoités Prix du Jury et Prix du Public, ainsi que celui de la meilleure musique originale qui vient souligner avec délicatesse toute la beauté de ce film sans paroles. Nous y suivons les péripéties d’un jeune chat noir aux grands yeux écarquillés dans un monde semi-englouti. Les humains ont disparu, et quelques animaux tentent de survivre, réfugiés sur un bateau à la dérive. Sur cette arche providentielle, notre héros va devoir apprendre à affronter ses peurs, plonger et nager sous l’eau, attraper des poissons, et même partager le fruit de sa pêche avec des compagnons d’infortune dont les différences lui dictent de se méfier de leur monstruosité apparente : un capibara, plus gros rongeur du monde mais inoffensif, un chien doux suivi d’une meute excitée, un lémurien malin et un échassier énigmatique. Au fil de la montée des eaux, les paysages en ruine disparaissent, inondés par les variations de lumières naturelles dont un cruel zénith qui réclame un coin d’ombre, tandis que la faim tenaille les estomacs vides.

La bande de compères sapprivoise et s’adapte en faisant preuve d’une résilience commune pour survivre à ce déluge dont nous constatons les conséquences, sans en connaître l’origine, ni la raison de la disparition des hommes. Ce conte philosophique et poétique soulève donc de nombreuses questions qui resteront sans réponse, mais aussi un flot d’émotions fortes en nous rappelant que nous sommes tous des animaux sur un même bateau, avec des ressentis et des besoins vitaux communs, les mêmes peurs et frissons, attirances ou répulsions. Le réalisateur, grâce à l’expérimentation et la combinaison de procédés appartenant à l’animation et au jeu vidéo, et en utilisant le logiciel 3D Blender, raconte une histoire fabuleusement onirique et contemplative qui nous emmène dans un univers aussi bien fantasmé par moments (la séquences avec l’oiseau), qu’hyper réaliste par d’autres.

Une splendide épopée initiatique

Un message écologique rappelle discrètement en filigrane celui de Pierre Boule avec La Planète des Singes : à force de ne pas collaborer avec la nature, on ne sait finalement pas si l’Homme ne sera pas le grand perdant de cette destruction programmée. Le flux et le reflux des flots font tour à tour le bonheur des uns ou le malheur des autres, rappelant que chacun se nourrit au dépend d’autres espèces vivantes. Lorsque l’eau se retire, le chaton se retrouve impuissant à sauver lui-même le monstre aquatique qui lui a sauvé la vie. Point de jugement, de condamnation, de manichéisme, nous suivons le flow de cette odyssée que le cinéaste dessine avec une immense grâce, et qui fait la part belle à lamitié inter-espèces. Tout en évoquant l’effondrement des civilisations et les légendes sur les mondes engloutis ou disparus, alors que la marée se retire, nous acceptons ici, à la douceur du crépuscule, notre condition d’être vivant, dépendant d’un écosystème plus ou moins capricieux qui a inspiré à Gints Zilbalodis cette œuvre unique et magistrale !

 

© Quélou Parente


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UROTSUKIDOJI : LA LÉGENDE DU DÉMON (1989)

Des monstres baveux et tentaculaires, de l’érotisme débridé et des catastrophes à grande échelle sont au programme de ce film animé apocalyptique…

CHÔJIN DENSETSU UROTSUKIDÔJI

 

1989 – JAPON

 

Réalisé par Hideki Takayama

 

Avec les voix de Tomohiro Nishimura, Tsutomu Kashiwakura, Hirotaka Suzuoki, Kenyuu Horiuchi, Yasunori Matsumoto, Youko Asagami, Maya Okamoto

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Prolifique créateur de mangas depuis le milieu des années 70, Toshio Maeda a très tôt voulu s’amender des bandes dessinées tout public pour explorer des contenus plus adultes, plus subversifs et plus érotiques. Si le champ des possibles est alors assez vaste en ce domaine, la représentation d’appareils génitaux masculins reste interdite par la censure. Maeda contourne le problème en utilisant des tentacules phalliques. « Dessiner des rapports sexuels était – et est toujours – illégal au Japon », confirme-t-il. « C’est notre grand casse-tête : comment créer des scènes sensuelles intenses ? Il nous a fallu trouver des astuces. J’ai donc conçu une créature avec des tentacules qui ressemblent à des pénis. Les créatures n’ont pas de sexe. Une créature est une créature. Ce n’est donc pas obscène, ni illégal. » (1) Cette imagerie, chère au genre « hentaï » alimente la culture nippone depuis fort longtemps, comme en témoigne par exemple la fameuse peinture « Le Rêve de la femme du pêcheur » de Hosukai (1814) qui décrit un accouplement zoophile avec une pieuvre. Mais Maeda l’a popularisée à grande échelle, notamment via son œuvre la plus célèbre, la série « Urotsukidoji » publiée à partir de 1985. Deux ans plus tard, le réalisateur Hideki Takayama adapte ce manga sous forme de trois moyens métrages en animation directement destinés au marché vidéo, puis les combine sous forme d’un film unique en 1989. Ce sera Urotsukidoji : la légende du démon.

En tout début de métrage, nous découvrons la mythologie sur laquelle va se construire le récit. Trois mondes parallèles coexistent : le monde des Ninjinkaï, c’est-à-dire le nôtre ; le monde des Makaï, autrement dit les démons ; et le monde des Jujinkaï, des êtres mi-humains mi-bêtes. Ces univers cohabitent selon un équilibre fragile, mais une légende vieille de trois millénaires annonce la venue prochaine du Chojin, un être aux immenses pouvoirs qui saura réunir ces trois mondes en un grand tout harmonieux. Envoyé chez les humains depuis 300 ans, l’homme-bête Amano cherche désespérément qui sera le nouveau Chojin. Il est crucial qu’il le trouve avant les démons qui, eux aussi, sont sur sa trace. Il se pourrait que cet être tant convoité se cache sous les traits d’un étudiant de l’université Myojin. Le choix d’Amano se porte sur Osaki, vedette de l’équipe de basket. Mais sa sœur, femme-bête elle aussi, penche plutôt pour Nagumo, un lycéen un peu idiot victime de harcèlement. Alors que ce dernier commence à découvrir ses nouveaux pouvoirs, Amano découvre que quelque chose ne tourne pas rond. Et si le Chojin n’était pas une créature de paix mais un monstre dont les pouvoirs menacent le monde entier ?

Tous les excès sont permis

Tout le paradoxe d’une certaine culture populaire japonaise jaillit sur l’écran d’Urotsokidoji. Les petites créatures comiques, les écolières mignonnes et les romances sirupeuses côtoient les monstres visqueux, le gore le plus outrancier et l’érotisme graveleux et déviant. Côté « body horror », toutes les limites sont allègrement franchies : les corps se déchirent, les chairs se disloquent, les ventres s’ouvrent pour déverser des litres de substances visqueuses, les membres s’arrachent et expulsent des tentacules pantelants, les visages se déforment, se multiplient, se garnissent de crocs acérés et de langues démesurées. C’est comme si The Thing se multipliait par cent, comme si Giger s’accouplait avec Bosch, Druillet et Brueghel. Tandis que le sang, le feu, le sperme et toutes sortes de substances indéterminées aspergent les personnages sans la moindre retenue, le film de Takayama multiplie les images apocalyptiques et dantesques, comme ces centaines d’hommes et de femmes qui hurlent tandis qu’un hôpital se mue en antichambre de l’enfer et qu’un démon colossal digne de Lovecraft s’en extirpe. Sans compter ces visions parfaitement surréalistes d’un Enfer peuplé de créatures dont l’anatomie défie l’entendement, ou cette vision d’un futur cataclysmique où des femmes à quatre seins d’accouplent avec des démons ou sont pénétrées par des tentacules. La gratuité manifeste et provocatrice de certains passages d’Urotsukidoji peut laisser perplexe, mais le jusqu’au-boutisme de ce film fou et la qualité de sa réalisation feront date dans l’histoire du cinéma d’animation japonais. Deux autres longs-métrages seront produits dans la foulée : Urotsukidôji : Birth of the Overfiend (1990) et Urotsukidôji : Curse of the Overfiend (1990).

 

(1) Extrait d’une interview parue dans « Sake-Drenched Postcards » en janvier 2003

 

© Gilles Penso


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TRANSFORMERS : LE COMMENCEMENT (2024)

Cet opus animé revient sur les origines d’Optimus Prime et Megatron, à l’époque où ils n’étaient que de simples robots ouvriers sur la planète Cybertron…

TRANSFORMERS ONE

 

2024 – USA

 

Réalisé par Josh Cooley

 

Avec les voix de Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson, Keegan-Michael Key, Steve Buscemi, Laurence Fishburne, Jon Hamm

 

THEMA ROBOTS I SAGA TRANSFORMERS

En 2014, la « Transformania » bat toujours son plein. Depuis le premier Transformers de Michael Bay, les robots géants multiformes ravissent le grand public et les exploitants des salles de cinéma. Dans la foulée de la sortie du quatrième opus « live » de la saga, Transformers : l’âge de l’extinction, Paramount Pictures décide donc de mettre en place une « salle des scénaristes » spécialement dédiée à l’échange d’idées pour d’éventuels futurs opus. Ainsi, parallèlement au développement des épisodes suivants en prises de vues réelles (The Last Knight en 2017, Bumblebee en 2018, Rise of the Beasts en 2023), l’idée d’un long-métrage en animation commence à s’élaborer (le dernier en date, La Guerre des robots, était sorti en 1986). Lorsque le projet commence à se concrétiser, le metteur en scène Josh Cooley est embauché sur la foi de son travail chez Pixar (il fut notamment le réalisateur de Toy Story 4). Une fois n’est pas coutume, la mise en forme du film n’est pas confiée à un studio d’animation mais à une société d’effets spéciaux, en l’occurrence Industrial Light & Magic, qui signa justement les séquences en images de synthèse des précédents Transformers.

Co-signé par Andrew Barrer, Gabriel Ferrari et Eric Pearson, le scénario s’efforce de faire entrer en cohérence la mythologie originale des robots de Hasbro telle qu’elle fut définie dans les années 80 et les itérations plus récentes déclinées à travers divers jeux vidéo, comics et romans. Ce Transformers étant le premier de la franchise à ne comporter aucun personnage humain, il a hélas tendance à accentuer l’un des défauts récurrents de cette saga pétaradante : l’anthropomorphisme balourd de ses personnages. Nous sommes prêts à admettre l’idée d’une planète uniquement peuplée par des androïdes, pourquoi pas ? Mais si ces robots n’ont jamais côtoyé un seul être humain de leur vie, selon quelle logique imiteraient-ils à ce point nos tics, nos manies, nos expressions et nos comportements ? Ce travers – accentué par la prestation vocale excessive d’un casting de stars dominé par Chris Hemsworth, Brian Tyree Henry, Scarlett Johansson et Keegan-Michael Key – joue clairement en défaveur de la nécessaire suspension d’incrédulité des spectateurs.

Rien ne se crée, tout se transforme

Les deux personnages principaux (Orion Pax et D-16, qui ne s’appellent pas encore Optimus Prime et Megatron) étant des robots incapables de se transformer, ils se retrouvent tout en bas de l’échelle sociale aux côtés de milliers de machines ouvrières condamnées comme eux à extraire de l’énergie dans les bas-fonds de la cité. L’enjeu principal du scénario semble alors se résumer à la question suivante : parviendront-ils un un jour à se transformer ? Attention spoiler : la réponse est oui. Après une première demi-heure un peu pesante, Transformers : le commencement trouve enfin un second souffle salutaire qui permet à son intrigue de prendre une tournure plus intéressante, collectant dès lors les séquences d’action joyeusement extravagantes comme cette poursuite dans la forêt au cours de laquelle nos héros maîtrisent encore très mal leur capacité à se transformer. Esthétiquement, il n’y a rien à dire, c’est du très beau travail. Les textures métalliques des robots sont bluffantes de réalisme, les chorégraphies rivalisent de dynamisme et certains designs singuliers valent le détour, notamment cette cité inversée (avec les buildings tête en bas) ou le premier look de D-16 qui évoque beaucoup (est-ce volontaire ?) Le Golem de Paul Weggener. Au final, ce Transformers n’a rien de très révolutionnaire ni de bien mémorable, même si le spectacle s’apprécie sans ennui ni temps mort. Son ambition n’allant visiblement pas beaucoup plus loin, le contrat est rempli.

 

© Gilles Penso


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AKIRA (1988)

Dans un Tokyo post-apocalyptique, la fracture sociale mène la population au bord du chaos, tandis que d’étranges mutants font leur apparition…

AKIRA

 

1988 – JAPON

 

Réalisé par Katsuhiro Otomo

 

Avec les voix de Mitsuo Iwata, Nozomu Sasaki, Mami Koyama, Taro Ishidan Tessho Genda, Mizuho, Suzuki, Tatsuhiko Nakamura, Fukue Ito, Kazuhiro Shindo

 

THEMA FUTUR I MUTATIONS

Lorsqu’il se lance dans l’écriture du manga « Akira » en 1982, Katsuhiro Otomo ne pense pas du tout à une adaptation au cinéma. Il change cependant d’opinion en apprenant qu’il peut avoir un contrôle total sur la transformation du matériau original en œuvre filmique. La production est en effet disposée à le laisser écrire et réaliser le long-métrage lui-même. Otomo s’associe alors avec Izo Hashimoto et travaille d’arrache-pied sur le scénario. S’il s’efforce de rester fidèle au manga, il va devoir imaginer un dernier acte de toutes pièces, puisque les albums sont alors encore en cours de publication. Alejandro Jodorowsky aurait visiblement eu une influence cruciale sur la fin du film. « Otomo me dit qu’il est bloqué sur Akira, qu’il ne trouve pas la fin », raconte le réalisateur franco-chilien. « Je suis saoul, je lui raconte une fin délirante que j’invente en même temps que je la raconte, je dessine tout sur une nappe et je la lui offre. Le lendemain, je ne me souviens de rien. Un jour, je reçois une lettre de lui où il me remercie de lui avoir donné la fin d’Akira. » (1) Étant donné l’épilogue démentiel du film, nous serions tentés de croire ce bon vieux Jodo, même si cet apport n’a jamais été officiellement confirmé. Toujours est-il que la production d’Akira se met en branle de manière atypique, à l’initiative d’un partenariat des plus grandes sociétés de divertissement japonaises réunies sous le nom de « Akira Committee ». Le budget du film est estimé à une dizaine de millions de dollars. Du jamais vu à cette époque.

En 2019, donc dans le futur, Neo-Tokyo, érigée sur les cendres de la capitale japonaise dévastée en 1988, est une poudrière. La ville est gangrenée par la corruption, en proie à des vagues de manifestations antigouvernementales, des attentats terroristes, et une violence urbaine omniprésente. Au cœur de ce chaos, Shōtarō Kaneda, leader d’un gang de motards appelé les Capsules, mène une lutte sans merci contre les Clowns, un gang rival. Mais lors d’un affrontement à haute vitesse, tout bascule. Le meilleur ami de Kaneda, Tetsuo Shima, percute accidentellement Takashi, un enfant mutant aux traits étrangement vieillissants et doté de pouvoirs paranormaux. Ce dernier s’est échappé d’un laboratoire gouvernemental, grâce à l’aide d’une mystérieuse organisation rebelle. L’incident attire l’attention du colonel Shikishima des Forces japonaises d’autodéfense, qui récupère Takashi et fait hospitaliser Tetsuo dans une installation gouvernementale ultra-secrète. Là, il découvre que le jeune homme développe des pouvoirs psychiques d’une ampleur inédite, comparables à ceux d’Akira, le mutant légendaire, dont la puissance démesurée serait responsable de la destruction de Tokyo trente ans plus tôt…

Les enfants de l’apocalypse

Akira est le premier long-métrage réalisé par Otomo, après plusieurs formats courts et moyens depuis le début des années 80. Ce grand plongeon est assurément un coup de maître. Sa mise en scène extrêmement dynamique, vivante, presque organique, montre à quel point l’auteur a su s’emparer du grand écran pour y transfigurer son œuvre graphique. Son monde futuriste n’a jamais semblé si dévasté, chaotique et miséreux. À 24 images par seconde, les affrontements des bandes de motards sur les routes, le lent naufrage des soulards qui s’échouent sur les comptoirs, la déchéance des gens qui dorment dans les rues, la colère des étudiants qui manifestent, la transformation des lycées en dépotoir prennent une dimension vertigineuse. Et tandis qu’Otomo met sous le feu des projecteurs la rébellion de la population – et surtout de la jeunesse – contre une autorité volontiers dictatoriale, la violence se fait crue, graphique, sans concession. C’est d’abord ce décalage entre le contexte purement science-fictionnel du récit et la réalité très tangible de sa fracture sociale qui font d’Akira un objet fascinant. Peu à peu, le film bascule dans une épouvante organique et charnelle, s’amorçant avec les cauchemars de Testsuo au cours desquels les jouets de sa chambre d’hôpital se muent en vecteur de terreur. Au cours de son dernier acte, Akira prend une dimension apocalyptique, multipliant les visions dantesques, les catastrophes à grande échelle, les hécatombes massives. Car les scientifiques apprenti-sorciers, comme toujours, se retrouvent impuissants face au monstre incontrôlable qu’ils ont créé… jusqu’à cette épouvantable mutation finale qui ferait presque pâlir d’effroi H.P. Lovecraft. On comprend mieux pourquoi Shinya Tsukamoto appellera Tetsuo son premier long-métrage. Et l’on ne compte plus le nombre de films, de bandes dessinées, de jeux vidéo, d’œuvres picturales ayant puisé leur inspiration dans Akira, assurément l’un des films d’animation les plus influents de tous les temps.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Vice » en Octobre 2009

 

© Gilles Penso


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ROBOT SAUVAGE (LE) (2024)

Suite à un naufrage, un robot programmé pour assister les humains se retrouve sur une île peuplée d’animaux…

THE WILD ROBOT

 

2024 – USA

 

Réalisé par Chris Sanders

 

Avec les voix de Lupita Nyong’o, Pedro Pascal, Kit Connor, Bill Nighy, Stephanie Hsu, Matt Berry, Ving Rhames, Mark Hamill, Catherine O’Hara, Boone Storm

 

THEMA ROBOTS

Tout est parti d’une seule image, comme souvent. Un jour, Peter Brown dessine machinalement un robot dans un arbre. Interpellé par ce croquis, il laisse alors vagabonder son imagination : « Que ferait un robot intelligent s’il se retrouvait en pleine nature ? » Voilà comment est née l’idée du roman « Robot sauvage », élu en 2016 meilleur livre de l’année par le Publishers Weekly, et que l’auteur dédie « aux robots du futur ». Le nom de son personnage principal, Rozzum ou Roz, cligne de l’œil vers le roman « RUR » de Karel Capek, dont le titre est l’acronyme de « Rossum Universal Robots ». Chris Sanders découvre ce roman grâce à sa fille, et lorsque Dreamworks lui propose quelques années plus tard de l’adapter à l’écran, il ne lui faut pas longtemps avant d’accepter. « Le livre de Peter Brown était à la fois d’une simplicité trompeuse et d’une grande complexité émotionnelle », explique-t-il. « Au fil des pages, j’ai senti de plus en plus que j’étais la bonne personne pour porter ce livre à l’écran. Protéger le caractère et l’esprit d’une histoire tout en trouvant le moyen de la traduire au cinéma est une chose délicate, que l’on n’a qu’une seule chance de réussir. Je me suis senti capable de le faire » (1). Le Robot sauvage devient ainsi le cinquième long-métrage de Sanders après Lilo & Stitch, Dragons, Les Croods et L’Appel de la forêt. Auparavant, il œuvra sur les scénarios de La Belle et la Bête, Aladdin, Le Roi Lion et Mulan. De toute évidence, il était effectivement « la bonne personne ».

« Notre histoire commence sur l’océan, avec du vent, de la pluie, du tonnerre, des éclairs et des vagues ». C’est ainsi que commence le roman de Brown, et c’est exactement de cette manière que démarre le film, respectueux du matériau initial même s’il choisit de prendre plusieurs fois ses distances, notamment à travers certains personnages. Mais le cœur du récit est le même, résumé en une seule phrase par un renard moins brutal qu’il ne voudrait le faire croire : « La gentillesse n’est pas une technique de survie ». La nature nous est de fait décrite de manière assez crue dans le film, le plus fort mangeant sans cesse le plus faible. Mais l’intrusion parfaitement surréaliste de ce grand robot naufragé va changer la donne et finir par prouver que, contrairement à ce que semble prôner le code de conduite de la nature sauvage, la gentillesse peut aussi se muer en technique de survie. Les bons sentiments affleurent en effet dans Le Robot sauvage, mais avec un tel naturel qu’ils font mouche. Le film prend justement le risque de tourner le dos au cynisme pour laisser s’exprimer des émotions universelles.

« Je ne suis pas programmée pour être une mère ! »

D’emblée, Sanders s’amuse du décalage entre les services d’assistance que propose l’intelligence artificielle et les besoins primaires de la vie en pleine forêt. La puissance technologique de Roz nous semble bien dérisoire et hors de propos en tel contexte. Pour permettre au robot – et aux spectateurs – de comprendre le langage des animaux dans un vocabulaire intelligible, le film utilise une idée scénaristique extrêmement habile qui évoque beaucoup les jeux de John McTiernan sur l’interprétation des langues étrangères (dans des films comme À la poursuite d’Octobre Rouge ou Le Treizième guerrier par exemple). Les bêtes restent sauvages, mais Roz utilise un algorithme de traduction qui permet d’entendre leurs propos. Lorsque la machine se découvre un instinct maternel absolument pas prévu dans ses circuits, le récit amorce son grand tournant dramatique. « Je ne suis pas programmée pour être mère », s’affole-t-elle. « Personne ne l’est ! » lui répond une maman opossum. Le parti pris esthétique du film traduit la cohabitation étrange entre la machine et la forêt, au fil d’un équilibre audacieux entre l’approche hyperréaliste (la texture métallique du robot) et un rendu impressionniste (la nature et les animaux). Le fond et la forme entrent ainsi en phase de manière somptueuse, sous l’influence manifeste des travaux de Hayao Miyazaki. Résultat : Le Robot sauvage est probablement l’un des plus beaux films d’animation de l’année 2024.

 

(1) Extrait d’un entretien publié dans « Animation Magazine » en juin 2024.

 

© Gilles Penso


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