Une détective privée et son partenaire robotique mènent l’enquête sur la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars…
Suite au succès de la série d’animation Lastman, écrite par Laurent Sarfati et réalisée par Jérémie Périn d’après la bande dessinée de Balak, le producteur Didier Creste envisage d’en tirer un long-métrage et contacte logiquement les deux hommes pour plancher sur le projet. Mais Périn et Sarfati ont une autre idée en tête : un film d’animation futuriste s’appuyant sur un concept original. « La toute première idée était de faire de la science-fiction », explique le réalisateur. « Mais pas n’importe laquelle : de la hard SF. Le vertige que ce genre peut procurer nous manquait avec Laurent Sarfati. On visionnait toujours les mêmes films de SF qu’on adorait, et on en voulait d’autres » (1). La « hard science-fiction », autrement dit celle qui se met en quête d’un certain réalisme en s’appuyant sur des connaissances scientifiques tangibles, n’est pas la plus facile à traiter. Mais le défi n’effraie pas les duettistes, qui décident de spéculer sur les évolutions possibles de la robotique et de l’intelligence artificielle en insufflant à leur récit les codes hérités du film noir et du polar. Cette approche peut faire penser à Blade Runner, mais Mars Express parvient presque miraculeusement à échapper à l’influence du classique de Ridley Scott pour bâtir son propre univers.
Dans les années 2200 de Mars Express, l’humanité côtoie de près les « synthétiques », autrement dit des robots aux formes et aux fonctions multiples. La technologie a fait tellement de progrès que toutes les variantes sont possibles : des duplications de soi-même (pour abattre deux fois plus de travail grâce à un double cybernétique), des « augmentations » (qui permettent de muer les gens en cyborgs aux capacités physiques améliorées) ou des « sauvegardés » (des humains décédés répliqués sous forme d’androïdes au visage holographique). Or une nouveauté est en train de faire son apparition sur le marché : les « organiques », autrement dit des créations étranges qui n’utilisent aucune composante métallique et sembleraient presque issues d’un film de David Cronenberg. C’est dans ce contexte en pleine évolution qu’Aline Ruby, détective privé, et Carlos Rivera, version robotique de son partenaire mort depuis cinq ans, mènent l’enquête autour de la disparition de deux étudiantes sur la planète Mars. Leurs investigations mettent à jour des trafics et des secrets aux ramifications complexes…
Le parfait équilibre
Mars Express nous offre le plaisir rare de découvrir un film de science-fiction qui ne ressemble à rien de connu, qui ne cligne de l’œil vers aucun classique de la culture populaire ni ne s’inscrit dans aucune franchise de studio. Et même si Jérémie Périn assume et cite ses sources (Terminator 2, Ghost in the Shell, Métal Hurlant), elles ne viennent jamais contaminer sa propre esthétique, très personnelle, aux confluents des classiques de l’animation française et japonaise. « On n’échappe jamais aux influences extérieures quand on réalise un film, et c’est normal », confesse-t-il. « J’avais envie de trouver une esthétique qui donne une impression de réel au dessin » (2). La quête du réalisme (dans les mouvements, les expressions, les perspectives, les architectures) s’équilibre d’ailleurs parfaitement avec une certaine simplicité de traits qui, comme dans J’ai perdu mon corps de Jérémy Clapin, s’approprie les techniques de l’animation 3D tout en retrouvant la saveur du dessin animé « à l’ancienne », dans les pas d’un René Laloux ou d’un Jean-François Laguionie. La mise en scène millimétrée de Périn (débordant d’idées visuelles et narratives) s’associe ici aux rebondissements d’un scénario qui ne cesse de surprendre en changeant plusieurs fois en cours de route de point de vue et donc de protagoniste principal, achevant de positionner Mars Express aux côtés des meilleurs longs-métrages animés de SF, toutes origines confondues.
(1) et (2) Extraits d’une interview publiée sur CNC.fr en mai 2024
© Gilles Penso
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