John Frankenheimer met en scène un mammifère monstrueux et vorace ayant muté à cause de déchets toxiques rejetés dans une rivière…
PROPHECY
1979 – USA
Réalisé par John Frankenheimer
Avec Talia Shire, Richard Dyssart, Robert Foxworth, Armand Assante, Victoria Racimo, George Clutesi, Tom McFadden, Evans Evans, Burke Byrnes
THEMA MUTATIONS I MAMMIFÈRES
Cinéaste phare des années 60 et 70, grand spécialiste du thriller paranoïaque, de la tension et du suspense (L’Évadé d’Alcatraz, Un crime dans la tête, Sept jours en mai, L’Opération diabolique), John Frankenheimer se laisse tenter par le cinéma catastrophe teinté d’horreur et d’enjeux écologiques en s’attaquant à la toute fin des seventies à Prophecy : le monstre. Écrit par David Seltzer (La Malédiction), le scénario s’inspire d’un drame bien réel survenu au Japon en 1958 : des déchets de mercure déversés par une usine chimique dans une rivière auraient provoqué de graves dégénérescences neurologiques auprès de la population locale. En transposant l’intrigue dans la forêt américaine et en décrivant de monstrueuses mutations animales, Prophecy entend bien offrir au public un film terrifiant qui combine les codes du cinéma d’action et d’épouvante post-Les Dents de la mer avec une mise en garde virulente contre les risques environnementaux. Frankenheimer se prête au jeu et s’installe avec son équipe en Colombie-Britannique, inaugurant ainsi un mouvement qui poussera de nombreuses productions américaines à filmer dans la région de Vancouver pour bénéficier de la photogénie des extérieurs naturels canadiens et de la solidité des infrastructures mises en place pour accueillir les tournages.
Le réalisateur instille d’emblée une ambiance oppressante en faisant défiler son générique sans musique, le halètement répétitif d’un chien occupant tout l’espace sonore tandis que la caméra se promène dans une forêt nocturne éclairée par quelques lampes de poche. Nous découvrons bientôt la tension croissante qui monte entre une tribu indienne en voie de disparition, installée dans une forêt du Maine, et des bûcherons aux services d’une papèterie florissante qui exploite les ressources d’une rivière locale. À la demande du gouvernement, le professeur Rob Verne (Robert Foxworth, futur héros de la série Falcon Crest), un médecin qui travaille dans les quartiers défavorisés de Washington, et sa femme violoncelliste Maggie (Talia Shire, alors en plein tournage de Rocky 2) viennent sur place pour étudier les lieux. Or la faune de cette partie de la forêt semble avoir subi d’étranges altérations. Un saumon de deux mètres de haut saute dans les eaux, un raton laveur particulièrement virulent attaque le couple, un têtard gros comme un chat est repêché dans un étang… Mais ce n’est que le hors d’œuvre. Plus tard, Rob et Maggie tombent en effet sur un bébé animal indéterminé qui miaule horriblement et dont la peau écorchée révèle un œil exorbité et une mâchoire hérissée de canines tordues. Or cette erreur de la nature s’apprête à grandir pour prendre des proportions alarmantes…
Un ours très mal léché
La mise en scène de Frankenheimer se met en quête de réalisme, aidée par un tournage en extérieurs naturels et par une musique de Leonard Rosenman (Le Voyage fantastique, Enfer mécanique, Le Seigneur des Anneaux de Ralph Bakshi) prompte à susciter l’inquiétude. Pour appuyer le discours ouvertement écologique du film, dans la mouvance des préoccupations de l’époque, les dialogues écrits par David Seltzer font mouche, notamment les joutes verbales entre notre héros scientifique et le patron de l’usine de papier. « Combien de pages allez-vous écrire dans votre rapport, combien de feuilles de papier allez-vous utiliser ? » demande ce dernier avec cynisme. « Je réponds à votre besoin ! ». Au cœur de ce conflit opposant la nature et l’industrie, Armand Assante campe un Indien plus vrai que nature, chef de la révolte face aux entrepreneurs peu scrupuleux. Lorsque paraît le monstre-vedette, le ton change et les tics des séries B d’horreur s’invitent. Il faut dire que le costume mécanisé de la créature, œuvre de Tom et Ellis Burman portée par l’immense Kevin Peter Hall (futur interprète du Predator et de Bigfoot et les Henderson), manque singulièrement de subtilité. La bête (surnommée « Katahdin » par les autochtones) intervient principalement au cours de la dernière demi-heure du métrage, Prophecy assumant alors pleinement son statut de film de monstre. Dommage que la production, soucieuse d’attirer le public le plus large, ait renoncé à tous les accès de violence auxquels Frankenheimer était prêt à se livrer. La fable sanglante et cruelle se mue ainsi en film catastrophe tiède malgré le savoir-faire indiscutable de son réalisateur, alternant avec virtuosité au cours du final les lents moments d’attente et les explosions de violence abrupte.
© Gilles Penso
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