Une situation absurde se mue en huis-clos oppressant, d'après un récit de Stephen King qui semblait inadaptable
GERALD’S GAME
2017 – USA
Réalisé par Mike Flanagan
Avec Carla Gugino, Bruce Greenwood, Chiara Aurelia, Henry Thomas, Carel Struycken, Kate Siegel, Adalyn Jones
THEMA RÊVES I MORT I SAGA STEPHEN KING
Si le flot ininterrompu des écrits de Stephen King a très souvent été mué en matériau filmique, le roman « Gerald’s Game » (« Jessie ») a longtemps échappé à l’emprise des scénaristes et des réalisateurs, à cause de la nature même de son intrigue. Car comment transposer à l’écran l’odyssée mentale d’une femme enfermée seule dans une chambre à coucher ? Mike Flanagan (The Mirror, Pas un bruit, Ouija : les origines) a tenté sa chance à travers ce long-métrage audacieux produit pour la chaine Netflix. Le point de départ suit de près celui du roman. Pour redynamiser leur couple en perte de vitesse, Gerald Burlingame (Bruce Greenwood) et son épouse Jessie (Carla Gugino) partent en week-end romantique dans une maison isolée au bord d’un lac en Alabama. Leur vie sexuelle manquant visiblement de piment, Gerald propose de menotter Jessie au lit, mais le jeu cesse très vite d’amuser la jeune femme, qui s’inquiète de la brutalité insoupçonnée de son époux et le repousse. Contrarié, celui-ci s’écroule soudain, victime d’une crise cardiaque. Et voilà notre pauvre Jessie enchaînée sur son lit, incapable de se libérer, loin de tout et de tous… Nous ne sommes alors qu’à un quart d’heure de métrage et l’on se perd en conjectures sur la capacité de Flanagan à rebondir sur une situation réduite ainsi à sa plus simple expression.
Dans le roman, Stephen King pouvait se permettre de voyager à l’intérieur de la tête de son personnage principal et de nous livrer ses pensées, ses peurs, ses fantasmes, ses illusions. Mais comment faire dans le film sans recourir à une voix off redondante et résolument anti-cinématographique ? Le cinéaste trouve la solution en matérialisant autour de Jessie des doubles d’elle-même et de son mari qui, dans la pantomime désespérée de son esprit vagabond, s’animent et parlent pour elle. Bientôt, les rêves, les hallucinations et les souvenirs d’enfance s’entremêlent, le visage de Gerald et celui de son père (Henry Thomas) se confondent, et l’image de la mort se met à rôder, sous forme d’une grande silhouette blafarde et grimaçante éclairée par la lune.
Une prestation à fleur de peau
Plusieurs obsessions récurrentes de l’univers de King hantent Jessie. Connaît-on vraiment la personne qu’on épouse et à qui on jure fidélité ? Ce questionnement, présent aussi dans la nouvelle « Bon Ménage », prend tout son sens lorsque Jessie découvre les étranges penchants de son mari pour d’inquiétants fantasmes de viols. Ce besoin de briser la routine du couple ne cache-t-il pas des fêlures plus profondes ? Comme Dolores Claiborne, Jessie adopte le point de vue d’une femme brutalisée et intègre dans son intrigue la fameuse éclipse solaire du 20 juillet 1963, ramenant l’héroïne à un épisode de son enfance où la beauté du phénomène climatique se mixe avec la laideur de la nature humaine, en un cocktail déstabilisant propice au malaise et à l’inconfort. Le réalisateur tire parti du huis clos pour mettre en place une scénographie habile, inscrivant dans le même cadre le présent et le passé, laissant la lumière révéler ou occulter les images mentales de Jessie. Quant à Carla Gugino, elle nous offre une prestation remarquable et à fleur de peau.
© Gilles Penso
Partagez cet article