Dans cette féerie signée René Clair, Gérard Philipe incarne un musicien raté qui s’échappe la nuit dans des rêves emplis d’aventure et de romance…
LES BELLES DE NUIT
1952 – FRANCE
Réalisé par René Clair
Avec Gérard Philipe, Magali Vendeuil, Martine Carol, Gina Lollobrigida, Raymond Bussières, Raymond Cordy, Bernard Lajarrige, Jean Parédès, Albert Michel
THEMA RÊVES
La prestigieuse carrière de René Clair est ponctuée d’escapades du côté du cinéma fantastique, preuve de son penchant pour la rêverie, la poésie et la féerie. La plupart du temps, ces régulières échappées fantasmagoriques se teintent de comédie, et Les Belles de nuit ne déroge pas à la règle. Ainsi, après Le Fantôme du Moulin-Rouge, Le Voyage imaginaire, Fantôme à vendre, Ma femme est une sorcière, C’est arrivé demain et La Beauté du diable, Clair s’amuse une fois de plus à effacer les frontières qui délimitent la réalité de l’onirisme en retrouvant Gérard Philipe qui fut deux ans plus tôt l’interprète à double visage de Faust et Méphisto. Dans Les Belles de nuit, le héros de Fanfan la Tulipe incarne Claude, un professeur de musique sans le sou qui végète dans une ville de province, raillé par ses voisins et hué par ses élèves. Chaque nuit, il travaille sur un projet d’opéra en martelant sur son piano, sans cesse dérangé par les bruits de la circulation, les klaxons, les moteurs et les marteaux piqueurs. Sa vie n’a donc rien de particulièrement palpitant. Mais lorsqu’il s’endort, Claude est transporté dans un monde parallèle beaucoup plus satisfaisant.
Voilà donc notre pianiste mué tour à tour en célèbre compositeur d’opéra de 1900, en colonel musicien de 1830 parti guerroyer en Algérie, en professeur de musique révolutionnaire du 18ème siècle, en maître de musique sous Louis XIII. Quelle que soit l’époque, une nouvelle ravissante conquête féminine tombe dans ses bras. Ces « belles de nuit » sont tour à tour incarnées par Magali Vendeuil, Martine Carol et Gina Lollobrigida, leurs personnages existant aussi dans des versions « contemporaines » lorsque Claude revient à la réalité. Ce jeu des sauts successifs dans des époques de plus en plus lointaines s’amuse à tourner en dérision un cliché tenace selon lequel le bon vieux temps est celui du passé. Chaque fois que ses rêves le transportent quelque part et qu’il s’exclame « quelle belle époque ! », Claude trouve toujours un vieil homme pour le contredire et lui affirmer que la seule douceur de vivre était celle d’autrefois. Même si l’entame des Belles de nuit est réaliste, Clair la teinte déjà de poésie en laissant ses protagonistes évoluer dans des rues de studio délicieusement factices. Mais c’est bien sûr à travers les errances nocturnes de son héros que les penchants du cinéaste pour l’onirisme s’expriment à plein régime.
Histoire drôle
Via de nombreuses facéties visuelles, le fossé entre le monde réel et celui des rêves se comble. Claude se retrouve soudain transporté dans une peinture où un public de personnages peints et immobiles assiste à l’un de ses concerts, des statues grises s’animent pour entonner un air d’opéra, les décors d’un passé exotique se résument à des abstractions peintes empruntant leur épure au théâtre, des murs glissent pour transporter notre héros dans une rue de 1793… Le montage, bourré d’astuces, joue avec les raccords, les éclairages, les trucages optiques et les éléments de décor pour créer des transitions fluides, souvent imperceptibles, entre le rêve et la réalité. La comédie, elle, se décline sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de ces chansons absurdes qui ponctuent l’action de manière décalée, de gags visuels qui semblent annoncer ceux des ZAZ (l’orchestre où les instruments se transforment l’un après l’autre en outils bruyants), de flash-backs préhistoriques ou antiques dignes de Mel Brooks ou encore de cette délirante poursuite finale qui multiplie les anachronismes en empruntant ses effets burlesques au slapstick. Ironiquement, Gérard Philipe échappait déjà à une réalité sordide en empruntant le chemin des rêves l’année précédente dans Juliette ou la clé des songes de Marcel Carné. S’il repose sur une morale qui enfonce gentiment les portes ouvertes (le bonheur se trouve souvent sous nos yeux et l’herbe n’est pas plus verte ailleurs), Les Belles de nuit nous régale par son grain de folie permanent, son rythme alerte et l’abattage de ses comédiens rivalisant de bagout.
© Gilles Penso
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