Steven Spielberg adapte un roman très populaire d'Ernest Cline et nous offre une vision crédible d'un monde futuriste où le virtuel a pris le pas sur la réalité
READY PLAYER ONE
2018 – USA
Réalisé par Steven Spielberg
Avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Ben Mendelsohn, Lena Waithe, Mark Rylance, Simon Pegg, Win Morisaki, Philip Zhao, T.J. Miller
THEMA MONDES PARALLELES ET MONDES VIRTUELS I FUTUR I SAGA STEVEN SPIELBERG
Depuis La Couleur Pourpre, Steven Spielberg s’est habitué à alterner le fantastique et le réalisme jusqu’à oser d’impensables grands écarts comme la réalisation de La Liste de Schindler entre deux Jurassic Park. En sortant à seulement quelques mois d’intervalle Pentagon Papers et Ready Player One, il se livre au même exercice d’équilibre, même si les deux films ont plus de points communs qu’il n’y paraît. Car si l’un se déroule dans un passé réel et l’autre dans un avenir imaginaire, tous deux racontent à leur manière notre société contemporaine et des travers finalement très actuels. « J’adore utiliser mon imagination et ne me laisser contraindre par aucune limite, d’où ma passion pour la science-fiction », nous explique-t-il. « Mais il est aussi intéressant de se laisser limiter par la réalité des faits historiques. C’est même parfois plus confortable que lorsque j’erre dans le monde de l’imagination et des rêves. » (1) Chez Spielberg, le fantastique et la réalité se nourrissent l’un l’autre pour mieux traduire sa vision du monde.
Il n’est pas difficile de comprendre ce qui l’a attiré dans le roman « Ready Player One » d’Ernest Cline. Le récit prend place dans un futur dystopique privant ses citoyens de libertés individuelles comme dans Minority Report, met en scène un « garçon perdu » livré à lui-même après la disparition de ses parents (le héros spielbergien par excellence) et raconte la quête d’un « Pays Imaginaire » servant d’échappatoire à la banalité du monde réel (Peter Pan et les jeux imaginaires du héros d’Empire du Soleil ne sont pas loin). Même les avatars virtuels qu’utilisent les héros rappellent les alter-egos fantasmés que se crée Frank Abagnale dans Arrête-moi si tu peux. Pourtant, paradoxalement, le film serait presque moins spielbergien que le livre, le cinéaste ayant évité toutes références trop frontales à son propre univers pour ne pas pécher par vanité. De fait, Ready Player One paie son tribut à la culture populaire des années 80 et 90 sans jamais s’aliéner à elle.
Citations, références et clins d'œil
Les hommages cinématographiques et vidéoludiques sont d’une telle densité que des dizaines de visionnages seront nécessaires pour tous les remarquer. Mais il ne s’agit jamais de coups de coude appuyés à seule destination des initiés. Comme dans le livre, les allusions sont recontextualisées et deviennent motrices de l’intrigue. La DeLoréan de Retour vers le Futur ou le robot du Géant de Fer, par exemple, sont des éléments narratifs à part entière indépendamment de leur appartenance respective aux films de Robert Zemeckis et Brad Bird. Du coup, lorsqu’il joue lui-même le jeu des influences, Alan Silvestri fusionne les citations avec sa propre bande originale, s’éloignant ainsi de la démarche maladroite adoptée par Danny Elfman sur Justice League. Face à la dextérité ébouriffante des nombreuses scènes d’action qui scandent le film, force est de constater que le vénérable cinéaste, à 71 ans, a toujours un coup d’avance sur tous les autres. Mais derrière l’apparente simplicité du récit, sous les apparats naïfs de cette aventure ludique et de la romance candide qui en découle, Spielberg tend aux spectateurs de Ready Player One le reflet peu reluisant d’une société tellement autocentrée qu’elle préfère se recroqueviller sur un idéal artificiel plutôt que lever la tête et ouvrir les yeux. Le discours n’est jamais ostentatoire mais il demeure central, certains jeux de miroir entre la réalité et la virtualité s’avérant par moments franchement vertigineux. A voir et à revoir sans modération.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2018.
© Gilles Penso
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