EXCROISSANCE (2023)

Une jeune femme à l’équilibre mental fragile voit un jour un étrange appendice pousser sur son flanc…

APPENDAGE

 

2023 – USA

 

Réalisé par Anna Zlokovic

 

Avec Hadley Robinson, Emily Hampshire, Deborah Rennard, Brandon Mychal Smith, Desmin Borges, Kausar Mohammed, Annie Pisapia; Adam Butterfield

 

THEMA MUTATIONS I DOUBLES

Excroissance est le premier long métrage d’Anna Zlokovic, autour d’un sujet qu’elle avait déjà décliné en 2022 sous forme d’un film de six minutes – déjà très perturbant – mettant en scène Rachel Sennott et Eric Roberts. En passant au format long, la réalisatrice ne se contente pas d’étirer son concept. Elle l’enrichit, le développe et crée une sorte de légende urbaine s’appuyant sur une donnée scientifique bien réelle : la « chimère double ADN », autrement dit la fusion entre deux jumeaux. « Honnêtement, tout est parti de ma propre anxiété », dit-elle pour expliquer la genèse d’Excroissance. « C’était simplement l’anxiété, le syndrome de l’imposteur, le fait de ne pas savoir quoi faire avec ces émotions. J’ai eu une séance de thérapie au cours de laquelle mon thérapeute m’a dit : “Essayons cet exercice où nous séparons votre anxiété de vous-même afin d’avoir une conversation avec elle, comme s’il s’agissait d’un personnage à part entière”. Ça m’a marqué. Je me suis dit : “Hmm, ça pourrait être le sujet d’un film de monstres vraiment cool”. Et c’est de là qu’est venue l’idée » (1) Pour son baptême de mise en scène « dans la cour des grands », Anna Zlokovic frappe très fort, jouant avec les émotions et les attentes des spectateurs pour mieux les déstabiliser.

Le personnage central du film est Hannah (Hadley Robinson), une jeune styliste évoluant dans un environnement toxique qui est en train de la ronger. Entre les tensions croissantes qui bâtissent des murs invisibles entre sa mère très snob Stacy (Deborah Rennard) et elle et le comportement odieux de son patron Cristean (Desmin Borges) qui se comporte en diva du monde de la mode, Hannah n’est pas loin du burn-out. Elle peut certes s’appuyer sur la présence de son petit ami attentionné Kaelin (Brandon Mychal Smith) et de sa meilleure amie Esther (Kausar Mohammed) mais rien n’y fait, l’anxiété gagne du terrain. Soudain, son corps se met à réagir bizarrement. Chaque fois que l’angoisse ou la contrariété s’emparent d’elle, elle ressent une douleur violente sur le côté de l’abdomen, là où se trouve une tache de naissance. Bientôt, une chose se met à pousser à cet endroit du corps : une sorte d’excroissance de plus en plus grosse, de plus en plus douloureuse et de plus en plus mobile…

Malaise

Plusieurs références viennent à l’esprit des fantasticophiles que nous sommes pendant le visionnage d’Excroissance. Nous pensons d’abord à Chromosome 3 de David Cronenberg , puis à Frère de sang de Frank Henenlotter, et finalement au Double maléfique d’Avi Nesher. Ces sources d’inspiration sont d’autant plus assumées que la réalisatrice décide d’opter pour des effets spéciaux à l’ancienne exhalant volontairement une délicieuse patine « eighties ». Mais au-delà de l’effet nostalgique, les prothèses, l’animatronique, le latex et le faux sang créent un sentiment organique beaucoup plus palpable que n’importe quelle image de synthèse. Il n’était pas facile d’aborder un tel sujet aussi frontalement sans sombrer dans le ridicule, à moins d’opter pour un ton volontairement loufoque à la manière d’un Bad Milo par exemple. Or Excroissance parvient à trouver le juste équilibre, conservant son approche au premier degré tout en assumant à bras ouvert son concept « chimérique ». Comme dans les films cités ci-dessus, Excroissance expose la matérialisation physique des angoisses, des inquiétudes et des mauvais penchants, avec en filigrane l’idée d’un autre moi (le « ça » cher aux psychanalystes) capable de jouer la mouche du coche et d’assumer les instincts primaires que le « surmoi » ne peut accepter en pleine conscience. « C’est comme si ça validait nos pensées négatives » dira l’héroïne. La finesse du jeu des acteurs et la capacité d’Anna Zlokovic à créer un malaise permanent – cette sensation lancinante que le pire reste à venir, même dans les scènes les plus paisibles – ne sont pas les moindres atouts de cette Excroissance très recommandable.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Comicbook.com en octobre 2023

 

© Gilles Penso


Partagez cet article