LA CHASSE SANGLANTE (1974)

Trois pères de famille ordinaires s’octroient une fois par an une virée dans la nature où ils se livrent à d’impitoyables chasses à l’homme…

OPEN SEASON / LOS CAZADORES

 

1974 – ESPAGNE / GB / SUISSE / USA / ARGENTINE

 

Réalisé par Peter Collinson

 

Avec Peter Fonda, Cornelia Sharpe, John Philip Law, Richard Lynch, Alberto de Mendoza, William Holden, Helga Liné, Didi Sherman, Concha Cuetos

 

THEMA TUEURS

Auteur du palpitant roman « Open Season », David D. Osborn en tire lui-même un scénario qu’il co-écrit avec son épouse Liz Charles Williams (tous deux avaient signé ensemble les scripts du diptyque Plus féroces que les mâles et Dieu pardonne, elles jamais !) La mise en scène de cette Chasse sanglante (que l’on connaît aussi en France sous le titre La Chasse est ouverte) est confiée à Peter Collinson, réalisateur de nombreux polars, westerns et films d’aventure comme L’Or se barre, Les Baroudeurs, Nid d’espions à Istambul ou Les Colts au soleil. Le premier long-métrage de Collinson, La Nuit des alligators, abordait déjà plusieurs des thématiques sulfureuses traitées dans La Chasse sanglante. Il était donc le candidat idéal pour diriger cette œuvre brutale, tournée sur des sites espagnols et anglais censés représenter l’arrière-pays américain. Trois acteurs de renom se partagent la vedette de La Chasse sanglante : Peter Fonda (Easy Rider), John Philip Law (Barbarella) et Richard Lynch (L’épouvantail). « Qu’est-ce que je me suis amusé sur ce tournage ! », racontait Fonda quinze ans après sa sortie. « C’était la première fois que j’avais l’occasion de jouer un type vraiment méchant. J’aime beaucoup ce film. » (1)

La Chasse sanglante est une chronique de la « violence masculine primaire », celle que décrivaient déjà Sam Peckinpah dans Les Chiens de paille ou Wes Craven dans La Dernière maison sur le gauche, et qu’allaient décliner Serge Leroy et Meir Zarchi dans des films comme La Traque ou I Spit on Your Grave. La cruelle ironie de ce portrait d’une Amérique gangrénée par ses propres déviances saute aux yeux dès le premier plan du film : un drapeau des Etats-Unis qui flotte fièrement au sommet de son mat. Nous sommes dans le bureau d’un district attorney expliquant calmement à une mère qu’il ne peut condamner les trois jeunes hommes qui ont violé sa fille parce qu’ils font partie du club de football local et qu’aucun juré ne voudrait reconnaître coupables ces représentants de « la jeunesse américaine la plus sérieuse » ! Ces trois « modèles » nous sont montrés quelques années plus tard. Ce sont Ken (Peter Fonda), Greg (John Philip Law) et Arthur (Richard Lynch), des pères de famille exemplaires qui, une fois par an, s’offrent un séjour dans la nature où ils s’adonnent à leurs activités préférées : le kidnapping, l’humiliation, la manipulation et la chasse à l’homme dans les bois…

Chasse, nature et tradition

Loin de leurs familles, ces « mâles alpha » redeviennent donc des bêtes mues par les instincts les plus bas. Le pire est peut-être la désinvolture et la légèreté avec lesquelles ils mènent leurs exactions. Tout est prétexte à rire et à échanger des plaisanteries salaces, comme si leurs jeux cruels et meurtriers étaient aussi innocents qu’une partie de Monopoly. C’est pourtant la mort qui se joue au bout de leurs fusils, en une sorte de remake des Chasses du comte Zaroff qui aurait été débarrassé de toute patine gothique ou exotique. Pour accroitre encore le malaise, Peter Collinson et ses scénaristes obligent les spectateurs à s’identifier aux bourreaux, dans la mesure où la caractérisation de leurs victimes (un homme d’âge mûr et sa jeune maîtresse) est volontairement réduite à sa plus simple expression. Plusieurs composantes du film évoquent le Délivrance de John Boorman (notamment la traversée symbolique des eaux et l’emploi d’une musique country en guise de bande originale), si ce n’est qu’ici les citadins en quête d’un retour à la nature et les agresseurs primitifs ont fusionné. Bien plus que la simple série B horrifique annoncée par les jaquettes françaises du film lors de sa distribution vidéo en 1982, La Chasse sanglante est un redoutable pamphlet contre les dérives d’une génération ayant érigé les armes, le phallocentrisme et le patriotisme au sommet de sa chaîne de valeurs.

 

(1) Extrait d’une interview parue dans le magazine « Psychotronic Video » en 1990.

 

© Gilles Penso


Partagez cet article