Cette première adaptation cinématographique du célèbre roman de George Orwell s’inscrit dans l’atmosphère paranoïaque de la guerre froide…
1984
1956 – GB
Réalisé par Michael Anderson
Avec Edmond O’Brien, Michael Redgrave, Jan Sterling, David Kossof, Mervyn Johns, Donald Pleasence, Carol Wolveridge, Ernest Clark, Patrick Allen
THEMA FUTUR
En 1954, Peter Cushing et André Morell tenaient la vedette de 1984, une adaptation télévisée du célèbre roman dystopique de George Orwell qui déplaça un large public devant les écrans de télévision britanniques, à la grande joie des patrons de la chaîne BBC. Ce succès entraîna deux ans plus tard la mise en chantier d’une autre adaptation anglaise, conçue cette fois-ci pour le cinéma. Curieusement, Donald Pleasence joue dans les deux versions (mais dans deux rôles différents). La mise en scène de ce premier 1984 pour grand écran a été confiée à Michael Anderson, un jeune cinéaste londonien connu alors notamment pour la comédie Le Scandaleux Mister Sterling, le thriller La Flèche empoisonnée et le film de guerre Les Briseurs de barrages. L’entame du film donne le ton. « Ceci est une histoire du futur – pas le futur des vaisseaux spatiaux et des hommes venus d’autres planètes mais un futur imminent », nous dit une voix off grave. L’écran est alors saturé par des images d’explosions nucléaires. Le monde, apprend-on, a été dévasté par une série d’attaques atomiques en 1965, poussant les nations à se regrouper en trois états policiers : l’Océanie, l’Eurasie et l’Estasie. Les armes nucléaires ont été abolies mais pas les conflits. Un état de guerre permanent permet ainsi de terroriser les populations et de mieux les dominer.
Au beau milieu de la foule d’individus anonymes qui grouillent dans une sinistre métropole à l’architecture sans âme, la caméra s’attarde sur Winston Smith (Edmond O’Brien), un individu banal qui s’astreint comme les autres à des tâches quotidiennes routinières. Employé aux archives du Ministère de la Vérité sous la direction de l’austère O’Connor (Michael Redgrave), il passe ses journées à réécrire l’histoire en révisant les discours et les journaux pour mieux se conformer à la propagande du parti. Mais chez lui, à l’abri des regards indiscrets et de la caméra inquisitrice du « télécran », il tient un journal intime, un acte individualiste passible de peine de mort. En révolte silencieuse contre l’autorité, Smith couche ainsi par écrit tous ses états d’âme. Julia (Jan Sterling), une de ses collègues de bureau, finit par l’inquiéter car il la croit missionnée pour le surveiller. Effectivement, elle semble le suivre comme une ombre. Mais quelles sont ses véritables intentions ?
La machine à broyer les esprits
À travers cette description d’une administration austère, froide et oppressante qui réduit les employés au rang de fourmis ouvrières, il n’est pas difficile de lire des angoisses contemporaines très palpables. D’autant que la paranoïa finit par s’immiscer partout, de manière diffuse et oppressante. Nous sommes alors au cœur de la guerre froide, en pleine chasse aux sorcières anticommuniste. Le film se pare de plusieurs passages glaçants, comme la quasi-transe dans laquelle entrent les employés du ministère conditionnés à la haine devant les films de propagande quotidiens projetés dans leurs locaux, cette fillette qui s’entraîne déjà avec zèle à l’espionnage et à la délation, ou cette idylle dans une chambre secrète soudain brisée par un murmure lugubre annonçant : « vous êtes morts ! » On pourra regretter le manque de charisme d’Edmond O’Brien dans le rôle principal et la crédibilité toute relative de sa romance avec Jan Sterling. L’absence d’alchimie entre les deux comédiens entrave singulièrement cet élément dramatique pourtant majeur. Fort heureusement, Michael Redgrave tire son épingle du jeu dans un registre parfaitement détestable, sec comme une trique et gorgé de duplicité. Deux fins alternatives furent tournées à l’époque, l’une entrant en contradiction avec celle du livre (ce qui provoqua l’ire bien compréhensible de Sonia Orwell, la veuve de l’écrivain), l’autre plus proche de l’esprit du roman et réintégrée plus tard dans le montage américain. Vingt ans plus tard, Michael Anderson retrouvera les univers futuristes dystopiques en réalisant L’Âge de cristal.
© Gilles Penso
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