Sam Raimi déclare son amour au comic book de son enfance en permettant à l'Homme-Araignée de faire ses premiers pas au cinéma
SPIDER-MAN
2002 – USA
Réalisé par Sam Raimi
Avec Tobey Maguire, Kirsten Dunst, Willem Dafoe, James Franco, Cliff Robertson, Rosemary Harris, J.K. Simmons, Joe Manganiello
THEMA SUPER-HEROS I ARAIGNEES I SAGA SPIDER-MAN
« Désiré » aurait pu être le sous-titre de ce Spider-Man, car le public l’attendait depuis des décennies. Après le dessin animé culte des années 60, les téléfilms ratés des années 70 et la série d’animation des années 90, cette première transposition des aventures du « monte-en-l’air » sur grand écran a bien failli ne jamais voir le jour, suite à un inextricable imbroglio juridique. Acquis par Menahem Golan et Yoram Globus au milieu des années 80, le projet est passé entre les mains de James Cameron dix ans plus tard, pour finalement échoir à Sam Raimi. On imagine à peine la pression qu’a dû subir le créateur d’Evil Dead, mais au vu du résultat il peut dormir sur ses deux oreilles. Non seulement l’adaptation est réussie, mais son Spider-Man figure sans conteste parmi les meilleurs films de super-héros jamais portés à l’écran. Le secret de son succès ? Avoir concentré toute son attention sur son jeune héros (magnifiquement incarné par Tobey Maguire, dans un registre très proche de son personnage de Pleasantville), sur sa vie, ses amis, ses amours, sa famille, ses problèmes d’adolescent, comme l’avait si bien fait le comic book de Stan Lee et Steve Ditko. « J’ai toujours pensé qu’il n’était pas intéressant de lire des histoires de super-héros s’ils passaient la majeure partie de leur temps à affronter les méchants », nous expliquait d’ailleurs Stan Lee. « Je voulais savoir ce que faisait le héros quand il vivait sa vie normale. Où vivait-il ? Quels problèmes personnels avait-il ? Qui étaient ses amis, ses ennemis ? Comment gagnait-il sa vie ? Comment payait-il le loyer ? Si j’étais capable d’imaginer des super-héros possédant une vie personnelle aussi intéressante que leur vie héroïque, j’en concluais qu’ils étaient bien définis, qu’ils n’étaient pas de simples personnages de papier mais des personnes presque réelles capables de susciter l’intérêt. » (1) Une fois ce contexte réaliste mis en place, la science-fiction peut s’immiscer en douceur, et le processus d’identification fonctionne à plein régime. Lorsque Peter Parker est mordu par l’araignée, nous découvrons ses pouvoirs avec lui, nous grimpons aux murs, nous sautons de toit en toit, nous lançons la toile…
Avec beaucoup de finesse, Raimi emploie la métaphore des super-pouvoirs pour raconter le passage de la puberté, la sortie de l’enfance et l’accès à l’âge adulte, reprenant à son compte le leitmotiv de la BD : « de grands pouvoirs engendrent de grandes responsabilités. » Le défi technique est remporté haut la main, Spidey voltigeant dans les airs avec la même agilité que son alter-ego dessiné, ce qui provoque forcément des cris de joie chez les fans qui n’en croient pas leurs yeux. Mais c’est le défi narratif qui est le plus surprenant. Car en deux heures, Raimi et son scénariste David Koepp ont résumé trois décennies d’aventures de l’homme-araignée, liant entre eux les épisodes clef de l’âge d’or : la découverte des pouvoirs de Peter, la première rencontre avec Mary-Jane Watson, la révélation de l’identité du Bouffon Vert et la mort de Gwen Stacy. Sauf qu’ici la rousse Mary-Jane remplace la blonde Gwen, qui fut le grand amour de Peter Parker dans les années 70, et que l’issue de l’aventure est moins tragique. Après la mort de l’oncle Ben, une deuxième perte douloureuse eut sans doute exagérément noirci le ton du film, qui oscille habilement entre le drame et la comédie. D’autant que le traumatisme du 11 septembre 2001 était encore très prégnant au moment de la conception du film, et l’onde de choc s’en ressent parfois à travers le traitement de la ville de New York et de ses habitants.
L'adaptation ultime
Autres libertés prises par Raimi et Koepp : l’araignée qui mord Peter n’est plus radio-active mais génétiquement modifiée, et la toile du super-héros n’est pas un produit chimique de son invention mais un des pouvoirs que lui a transmis l’arachnide. Au titre des réserves, on pourra regretter que le Bouffon Vert ait été affublé d’une cuirasse en plastique qui semble tout droit sortie d’un épisode des Power Rangers. Une peau reptilienne en latex eut été plus heureuse et plus proche du personnage original. Les premiers essais effectués par le studio d’effets spéciaux ADI allaient d’ailleurs dans ce sens, mais le résultat fut probablement jugé trop effrayant pour le public le plus jeune, d’autant que Willem Dafoe rechignait à l’idée de devoir enfiler une combinaison moulante. Du côté de la musique, Danny Elfman évacue volontairement l’idée d’un thème principal trop frontal, comme il l’avait brillamment abordé avec Batman, pour évoquer métaphoriquement l’idée d’un destin qui se tisse progressivement et se déploie avec de plus en plus d’ampleur. Ses chœurs aériens, ses contrepoints à la basse et ses violons galopants font mouche (si l’on peut dire !). Bref, voici l’ultime adaptation des aventures de Peter Parker, auprès de laquelle toutes les autres tentatives feront bien pâle figure. L’œuvre d’un fan réalisé pour des fans. Sincère, ludique et intelligent.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en janvier 2013
© Gilles Penso