Jess Franco réalise un remake officieux des Yeux sans visage auquel il ajoute des éléments surréalistes, notamment un robot humain au visage blafard
GRITOS EN LA NOCHE
1962 – ESPAGNE / FRANCE
Réalisé par Jess Franco
Avec Howard Vernon, Ricardo Valle, Diana Lorys, Conrado San Martin, Perla Cristal, Maria Silva, Mara Laso, Venancio Muro
THEMA MEDECINE EN FOLIE
Pour son premier film d’épouvante, Jess Franco est allé chercher l’inspiration du côté de Georges Franju, son Horrible docteur Orloff étant un remake à peine déguisé des Yeux sans visage sortis sur les écrans français deux ans plus tôt. Succédant à Pierre Brasseur, Howard Vernon (l’acteur fétiche de Franco qui joua dans plus de quarante de ses films) incarne donc le docteur Orloff du titre, un chirurgien rendu fou de chagrin lorsque sa fille Melissa fut défiguré au cours d’un incendie dans son propre laboratoire. Pendant six mois, il l’a maintenue en vie, assassinant cinq jeunes filles pour reconstruire son visage avec une peau neuve. Tout ceci a un petit air de déjà vu, n’est-ce pas ? Mais Franco étant un amateur de péripéties rocambolesques et de visions fantasmagoriques, il ajoute à ce refrain connu quelques éléments de son cru. Le plus mémorable d’entre eux est Morpho (Ricardo Valle), une espèce de robot à tête humaine, drapé de noir comme Dracula, dont les yeux ressemblent presque à des balles de ping-pong et dont le maquillage blafard évoque celui de Christopher Lee dans Frankenstein s’est échappé.
Cliniquement mort, cet ancien tueur psychopathe a été « ressuscité » par Orloff, qui s’en sert désormais de fidèle serviteur. Errant nuitamment dans les rues parisiennes, les deux hommes capturent leurs proies féminines, les camouflent dans un cercueil, les trimballent dans une carriole, puis dans une barque jusque dans un laboratoire secret dissimulé dans un sinistre château digne des films Universal. Le film est d’ailleurs serti dans une magnifique photographie noir et blanc, signée, Godofredo Pacheco, laquelle crève l’écran lors des séquences nocturnes dans les ruelles pavées du début du siècle, ainsi que dans les intérieurs expressionnistes du château. La police finit par se pencher sérieusement sur l’affaire, via l’inspecteur Tanner (Conrado San Martin) et son bras droit, dont les joutes verbales apportent un humour bienvenu et inattendu en pareil contexte. L’enquête policière elle-même prend une tournure plutôt intéressante, notamment au cours de la séquence du portrait-robot, où les témoignages contradictoires permettent de comprendre que les malfrats sont deux individus distincts.
Franco esquisse ses œuvres à venir
Ainsi, même si l’intrigue emprunte des voies fort connues et s’achemine vers un dénouement prévisible, le film se suit sans déplaisir. Notamment lorsque la célèbre ballerine Wanda Bronsky (Diana Lorys), fiancée de Tanner, décide de mener sa propre enquête en se faisant passer pour une fille de joie, quitte à servir elle-même d’appât au sinistre Orloff. L’érotisme et l’horreur, qui feront partie intégrante de l’œuvre à venir de Jess Franco, sont déjà présents, mais à l’état embryonnaire (une paire de seins par ci, un visage décomposé par-là), et le cinéaste fait ici preuve d’une précision et d’une minutie qu’on ne retrouvera guère dans ses mises en scène futures. Comme si L’Horrible docteur Orloff avait été conçu pour qu’il puisse démontrer son savoir-faire technique afin de mieux s’en défaire ultérieurement et de livrer des œuvres plus brutes et plus conceptuelles.
© Gilles Penso
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