Un sixième épisode fidèle à une recette savamment éprouvée, dont l’intérêt majeur réside finalement dans la douce sonorité de son titre…
Comme toujours, tout commence par la désormais traditionnelle séquence du premier piège sadique dans lequel deux personnes inconnues se retrouvent enfermées et obligées d’effectuer un choix impensable, qu’on pourrait ici résumer en ces termes : sacrifiez de la chair ou mourrez trépanés. Nos deux victimes sont des banquiers qui prêtent de l’argent contre intérêt, donc des méchants qui méritent leur triste sort selon la philosophie de Jigsaw. Inspiré par un passage du « Marchand de Venise » de William Shakespeare et déjà décliné dans Seven (pour illustrer le péché d’avarice), ce dilemme bascule bien sûr dans le gore le plus outrancier. Ça saigne, ça hurle, ça gicle, ça tranche et ça coupe, le tout dans l’hystérie la plus totale. Pas de doute, nous sommes bien au rayon charcuterie. Quel dommage que les Américains ne puissent profiter du prodigieux jeu de mot que constitue le titre de ce Saw 6 ! La campagne marketing française tentait bien de contourner le problème en appelant le film Saw chapitre 6, mais rien n’y fit : pour tous les joyeux drilles que nous sommes, ce sixième épisode fleure bon la saucisse. Écrit en même temps que Saw 4 et Saw 5 par le duo Patrick Melton et Marcus Dunstan, cet énième opus marque les premiers pas de réalisateur de Kevin Greutert, monteur des cinq films précédents. Prudent, Greutert ne cherche pas à révolutionner les choses, respectant sagement les codes visuels établis avant lui par Darren Lynn Bousman et David Hackl.
Attention aux spoils pour ceux qui auraient quelques épisodes de retard. Pour les autres, voici où nous en sommes : l’agent spécial Peter Strahm est mort, aplati comme une crêpe, sous les yeux du détective Mark Hoffman qui devient dès lors le légataire de l’héritage de Jigsaw, alias John Kramer, le fameux tueur friand d’énigmes qui mène tout le monde en bateau même de manière posthume. Alors qu’Hoffman prépare un tout nouveau jeu macabre bourré de pièges insensés, de mécanismes complexes et de messages mystérieux, le FBI commence dangereusement à se rapprocher de lui en collectant des indices qui pourraient le compromettre. Quant à Ellie, la veuve de Jigsaw, elle hérite d’une boîte emplie d’enveloppes numérotées. Elle les confie un peu à contrecœur à Hoffman pour qu’il puisse alimenter sa partie sanglante. Mais comme toujours, rien n’est vraiment ce qu’il paraît et tout se dénouera autour d’un climax remettant les pièces du puzzle dans l’ordre…
Vous reprendrez bien un peu de saucisse ?
Pour une franchise qui mise tout sur la surprise, il est étonnant de constater à quel point Saw 6 (rires) entre sagement dans le rang, refusant le moindre risque pour se conformer aux mêmes mécaniques que les épisodes précédents. Nous voilà donc plongés une fois de plus dans un grand jeu de piste mortel truffé de choix cornéliens. Incapable de tenir en place – à la manière d’un enfant qui serait hyperactif -, le scénario de Melton et Dunstan abuse une nouvelle fois de flash-backs imbriqués les uns dans les autres jusqu’à l’autoparodie involontaire. Ce refus désespéré de simplicité ressemble à un constat d’échec de la part des auteurs, comme s’ils avouaient leur incapacité à bâtir des enjeux dramatiques clairs en noyant l’intrigue sous des couches multiples de facéties artificielles, avec en guise de leitmotiv l’aphorisme préféré de Jigsaw : « Voir la mort de près permet de comprendre la valeur de la vie ». Certes, quelques idées de pièges sortent de l’ordinaire et offrent des rebondissements intéressants (le manège relié à un fusil) et une poignée de séquences de suspense sont habilement élaborées (particulièrement celle du labo de la police qui tente d’identifier la voix du tueur sur un enregistrement audio). Mais ces tentatives restent isolées et l’impossibilitépour l’acteur Costas Mandylor d’élargir son registre de jeu au-delà d’une seule expression de visage (la bouche boudeuse, le regard mauvais) n’arrange guère les choses. Saw 6 (rires) sera le moins rentable des films de la franchise, ce qui n’empêchera pas la mise en chantier d’un « chapitre final » en 3D toujours dirigé par Kevin Greutert.
© Gilles Penso
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