LE LOCATAIRE (1976)

Après Répulsion et Rosemary's Baby, Roman Polanski clôt son angoissante "trilogie de l'enfermement" en se mettant lui-même en scène

LE LOCATAIRE

1976 – FRANCE

Réalisé par Roman Polanski

Avec Roman Polanski, Isabelle Adjani, Melvyn Douglas, Shelley Winters, Jo Van Fleet, Bernard Fresson, Lila Kedovra

THEMA FANTÔMES

Le Locataire clôt une trilogie de Roman Polanski liée à ce qu’on pourrait appeler «l’épouvante d’appartement». Comme dans Répulsion et Rosemary’s Baby, nous assistons ici à la lente descente aux enfers d’un protagoniste perdant pied avec la réalité entre les quatre murs d’un huis clos étouffant. Qu’il soit londonien, new-yorkais ou parisien, l’appartement est donc chez Polanski le siège idéal de toutes les névroses paranoïaques. A cette thématique récurrente, Le Locataire, tiré d’un roman de Roland Topor, ajoute une certaine dose d’autobiographie puisque Trekolski, le personnage principal qu’incarne le réalisateur lui-même (sans en être crédité au générique), est un timide Polonais fraîchement débarqué à Paris. Alors qu’il visite un appartement, ce petit homme discret apprend que Mademoiselle Choule, la locataire précédente, s’est jetée par la fenêtre sans raison apparente. Trekolski prend possession des lieux, et le malaise s’installe par petites touches successives. En rendant visite à la suicidée, clouée sur un lit d’hôpital, couverte de bandages et la bouche édentée, notre homme est pétrifié lorsque cette dernière pousse un hurlement atroce et incompréhensible. Elle meurt quelques jours plus tard.

Le trouble se fait alors plus persistant. Il y a d’abord la vision morbide de cette verrière brisée par la chute de la locataire, à laquelle Trekolski ne peut échapper chaque fois qu’il ouvre ses fenêtres. Puis la présence obsédante des effets personnels de Madame Choule dans l’appartement, notamment une robe qui trône dans la penderie. Peu à peu, sans s’en rendre compte, il acquiert les habitudes de la défunte, s’assoit à la même table qu’elle au café du coin, boit les mêmes boissons qu’elle, fume les mêmes cigarettes, récupère son courrier, essaie même son vernis à ongles et son maquillage ! Plus le film avance, plus le cauchemar se fait envahissant, et le pauvre Trekolski se laisse gagner par un sentiment croissant de persécution. Comme dans Rosemary’s Baby, les voisins sont des êtres intrusifs et effrayants. Comme dans Répulsion, la barrière entre la réalité et les hallucinations devient floue. Trekolski est-il obsédé par Mademoiselle Choule, ou est-ce l’esprit de cette dernière qui s’ingénie à prendre possession de lui ? Le phénomène est-il psychiatrique ou parapsychologique ?

L'épouvante naît du quotidien

Pour illustrer son propos, Polanski plante sa caméra dans un Paris réaliste et saupoudre son casting de seconds rôles savoureux : Isabelle Adjani, Bernard Fresson, Romain Bouteille, Claude Pieplu, Rufus, Bernard-Pierre Donnadieu, Josiane Balasko, Gérard Jugnot, Michel Blanc. Chacun participe à sa manière à l’établissement d’un climat d’oppression, le moindre atout du film n’étant pas Philippe Sarde, qui compose là une partition entêtante à souhait. Avec Le Locataire, Roman Polanski nous livre ainsi l’un des films les plus effrayants qui soient, avec d’autant plus d’efficacité qu’il évite tout effet spectaculaire, se contentant de nimber d’étrangeté et d’inquiétude le moindre petit détail, la chose la plus anodine. C’est là la patte d’un très grand cinéaste. Et le film s’achève sur un plan ultime propre à glacer le sang.

 

© Gilles Penso

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