Joaquin Phoenix crève l’écran dans le rôle d’un des super-vilains les plus célèbres de tous les temps, réinventé sous un angle hyperréaliste…
JOKER
2019 – USA
Réalisé par Todd Philips
Avec Joaquin Phoenix, Robert de Niro, Zazie Beetz, Frances Conroy, Shea Whigham, Bill Camp, Glenn Fleshler, Leigh Gill, Greer Barnes
THEMA SUPER-VILAINS I SAGA DC COMICS I BATMAN
Todd Philips est surtout connu pour ses comédies, en particulier la version cinéma de Starsky et Hutch et la trilogie Very Bad Trip. Après avoir dirigé War Dogs, qui montrait déjà d’autres facettes de sa personnalité et de son style, le voilà qui change radicalement de cap avec Joker. À l’heure où le « DC Cinematic Universe » tente avec maladresse de construire sa propre cohérence pour rivaliser avec la déferlante Marvel, ce projet sonne presque comme une fausse note. Au lieu de s’inscrire dans le grand arc narratif établi par Man of Steel, Batman V. Superman, Suicide Squad, Wonder Woman, Justice League et Aquaman, Joker est en effet conçu comme un film à part, totalement déconnecté des six films précédents et situé dans un univers distinct. Loin du Gotham City baroque et spectaculaire mis en scène par Zack Snyder, celui de Todd Philips est ultra-réaliste, gangréné non pas par des super-vilains excessif mais par des voyous banals, une saleté ordinaire, des grèves d’éboueur et des mouvements sociaux. L’intrigue se situe en 1981, ce qui permet au cinéaste de donner à son film une patine ancienne, sous l’influence des premiers polars de Martin Scorsese. Ce parti pris stylistique est d’ailleurs assumé dès le logo Warner qui s’affiche à l’écran dans sa version 1972-1990. La mise en scène est à l’avenant, captant des scènes de vie brutes sans effet de style voyant, avec un naturalisme rugueux évacuant quasiment toute référence au support dessiné qui sert de référence au scénario.
Après les prestations inoubliables de Jack Nicholson et Heath Ledger – et celle plus controversée de Jared Leto – Joaquin Phoenix entre à son tour dans la peau du super-vilain au large sourire. Sauf que cette fois-ci, le personnage n’a rien d’un anti-héros de bande-dessinée. C’est un paria anonyme, insignifiant et pathétique. Clown de rue qui porte des pancartes publicitaires pour gagner chichement sa vie, Arthur Fleck vit dans un immeuble miteux avec sa mère Penny (Frances Conroy) qui le surnomme « Happy », autrement dit « Joyeux ». Tous deux s’abrutissent devant la télé, notamment face au talk-show de Murray Franklin (Robert de Niro) qu’ils adorent. Derrière ses airs affables et tranquilles, Arthur cache des névroses profondes. Sous surveillance thérapeutique et traitement médical, il sort d’un internement et souffre d’accès de rire nerveux incontrôlables en période de stress ou de contrariété. Pour quitter sa vie minable, il rêverait de faire du stand-up, ce à quoi sa mère lui répond sans moquerie : « Il ne faut pas être drôle pour être humoriste ? » La descente aux enfers commence lorsqu’Arthur est renvoyé de son travail (il a la mauvaise idée d’apporter dans un hôpital pour enfants malades un pistolet que lui a prêté un de ses collègues). Seul dans le métro, il est agressé par trois traders ivres de Wayne Entreprise. Pour se défendre, il les tue froidement et s’échappe. Sans le savoir, il va créer un mouvement de grande ampleur, celui de défavorisés qui se déguisent en clowns pour manifester contre les nantis de Gotham…
Le chaos règne
Ce point de rupture à l’issue duquel Fleck, devenu le Joker, deviendra le symbole du chaos évoque le traitement adopté par Christopher Nolan dans The Dark Knight. Mais l’approche de Todd Philips reste résolument anti-dramatique, bien plus proche d’un Taxi Driver que de n’importe quel film de super-héros. Le scénario jette tout de même plusieurs ponts avec la trajectoire dramatique du futur Batman. Le premier lien s’établit avec Penny Fleck, qui fut employée de Thomas Wayne et lui écrit régulièrement dans l’espoir qu’il l’aide financièrement. S’ensuit cette scène étrange, partagée entre la sensibilité et le malaise, où Arthur se rend devant les grilles du manoir Wayne et croise Bruce, encore enfant, pour lui faire un petit numéro de clown. Quant au climax de Joker, il pose ouvertement les bases des origines de l’homme-chauve-souris en revenant brièvement aux sources du comics original. La prestation à fleur de peau de Joaquin Phoenix est l’atout principal du film. L’ex-Commodus de Gladiator s’avère incroyable dans la peau de ce désaxé à la fois attachant et inquiétant, incapable de réfréner des éclats de rire qu’on imagine douloureux, saupoudrant son environnement d’hallucinations qu’il ne parvient plus à départager du réel, en transe le temps de quelques pas de danse bizarres entre deux actes de violence. Triomphe artistique, critique et commercial, Joker rafla une infinité de prix et prit les atours d’une oasis au milieu de la saga cinématographique chaotique consacrée aux héros DC.
© Gilles Penso
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