L’artiste Enki Bilal porte à l’écran deux de ses bandes dessinées les plus emblématiques et nous transporte dans le New York de 2095…
IMMORTEL (AD VITAM)
2004 – FRANCE / ITALIE / GB
Réalisé par Enki Bilal
Avec Linda Hardy, Thomas Kretschmann, Charlotte Rampling, Yann Collette, Frédéric Pierrot, Thomas M. Pollard
THEMA FUTUR
Décidément, l’univers d’Enki Bilal passe difficilement le cap du grand écran. Car si Immortel (Ad Vitam) s’avère moins austère que Bunker Palace Hotel et bien plus abouti que Tykho Moon, il en conserve le même travers principal : une terrible froideur, certes appropriée au papier glacé des BD du dessinateur mais rédhibitoire au sein d’un long-métrage censé impliquer et émouvoir ses spectateurs. Inspiré par les splendides albums « La Foire aux Immortels » (1980) et « La Femme Piège » (1986), le scénario nous entraîne dans le New York de 2095, en pleine campagne électorale. Dans ce futur extrêmement graphique, la ville est peuplée de mutants, d’extra-terrestres et d’humains réels ou synthétiques. Au milieu d’un ciel sans cesse survolé de véhicules en tout genre surgit soudain une gigantesque pyramide habitée par trois dieux égyptiens. Tandis que Bastet, la femme-chat, et Anubis, l’homme-chacal, entament une partie d’échecs, Horus, l’homme à tête de rapace, gagne la Terre à la recherche d’une enveloppe corporelle humaine. Il trouve son bonheur auprès de Nikopol, un prisonnier dont il orchestre l’évasion. En habitant son corps, il le force à rencontrer et aimer Jill, une femme mutante dont les cheveux et les larmes arborent une étrange couleur bleue. Le but d’Horus est de s’assurer une divine filiation. Violeur malgré lui, Nikopol va peu à peu tomber amoureux de la belle, un sentiment réciproque qui bouleverser les plans du tout puissant Horus.
La poésie surréaliste inhérente à un tel sujet trouve ici écho dans de superbes images qu’on croirait directement issues des albums de Bilal. Mais la fidélité visuelle ne suffit hélas pas à véhiculer les émotions, d’autant que certains choix artistiques s’avèrent discutables. Notamment l’utilisation surabondante de l’image de synthèse, qui se justifie lorsqu’il s’agit de matérialiser la cité du futur, les véhicules volants ou les différents monstres qui peuplent ce New York cosmopolite, mais qu’on ne peut s’empêcher de trouver déplacée pour visualiser la plupart des personnages humains du récit. Car dans Immortel (Ad Vitam), comédiens réels et acteurs numériques se côtoient sans logique. Du coup, le film donne l’effet d’un patchwork confus qui évoque tour à tour Final Fantasy, Blade Runner ou la seconde trilogie Star Wars, et dans lequel les moments de poésie pure alternent avec des séquences qu’on croirait issues d’un jeu vidéo.
Les larmes de la mutante
D’ailleurs, malgré l’impressionnant déploiement de moyens mis au service du film, les passages les plus intéressants s’avèrent être les scènes intimistes entre Nikopol et Jill, comme ce tête-à-tête dans la salle de bains où la mutante se baigne dans ses larmes bleues. Quoiqu’il en soit, Immortel (Ad Vitam) se démarque des œuvres de science-fiction de son temps et mérite au moins le détour pour cette indéniable singularité. « Ce qui est sûr, c’est que Bilal sait exactement ce qu’il veut », témoigne le maquilleur spécial Denis Gastou. « Tous les accessoires et maquillages que nous avons conçus pour le film sont passés par sa supervision. Notre but n’était donc pas d’avoir des initiatives artistiques mais de coller le plus précisément à sa demande. » (1) Bilal se positionne ainsi comme le créateur presque total de cette œuvre atypique, parfait émule des démiurges mythologiques qu’il met en scène comme autant d’alter-egos fantasmés. A l’issue d’un récit un peu accidenté et d’un climax chaotique, le film s’achève sur une note insolite et apaisée qui n’est pas sans évoquer l’épilogue de Dark City.
(1) Propos recueillis par votre serviteur en juin 2004
© Gilles Penso
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