Denzel Washington promène sa silhouette charismatique dans ce film post-apocalyptique qui cache bien son jeu
THE BOOK OF ELI
2001 – USA
Réalisé par Albert et Allen Hugues
Avec Denzel Washington, Gary Oldman, Mila Kunis, Jennifer Beals, Ray Stevenson, Malcolm McDowell, Michael Gambon
THEMA FUTUR
Les frères Hugues ne sont pas du genre à enchaîner les films comme on enfile des perles. Alors que certains réalisateurs boulimiques pondent un long-métrage tous les six mois, les duettistes ont attendu neuf ans avant de nous offrir Le Livre d’Eli, leur adaptation du comic book « From Hell » remontant au tout début des années 2000. Et il faut bien reconnaître que notre patience est sacrément récompensée, car cette fable post-apocalyptique désenchantée est un petit bijou ciselé avec minutie par deux cinéastes arrivés au sommet de leur art. Ravagée par une catastrophe qui semble trouver son origine dans la destruction de la couche d’ozone, la planète n’est plus qu’un désert jonché de ruines et de bandes rivales prêtes à s’entretuer pour survivre. C’est dans cet univers voisin de celui de la saga Mad Max qu’erre Eli, personnage solitaire et taciturne auquel l’impérial Denzel Washington prête son charisme imperturbable avec la même portée iconique que jadis Mel Gibson dans l’Australie futuriste imaginée par George Miller. Mais Eli ne se déplace pas dans une voiture customisée, pas plus qu’il ne guette les litres d’essence en voie de disparition. Marchant inlassablement vers le nord depuis de nombreuses années, il protège le dernier exemplaire de la bible encore en circulation, en quête d’un sanctuaire énigmatique. Ses pas le mènent dans l’ancienne Californie, revenue au temps du Far West sous la domination du redoutable Carnegie (Gary Oldman) qui rêve justement de mettre la main sur le livre sacré.
Le Livre d’Eli serait-il donc un acte de foi sur pellicule, un sermon judéo-chrétien adressé à tous les mécréants dans l’espoir de les remettre sur le droit chemin de la parole divine ? Le Mel Gibson de La Passion du Christ viendrait-il s’immiscer lui aussi dans les influences des frères Hugues ? Pas vraiment. La Bible n’est ici qu’un prétexte, ou plutôt une métaphore de la culture et de l’esprit érodés par des décennies de barbarie. C’est sans doute la raison pour laquelle les dernières minutes du film, après nous avoir réservé une surprise de taille, semblent vouloir faire directement écho au final de Fahrenheit 451, où les livres prohibés donnaient naissance à des « hommes livres », véritables bibliothèques humaines d’une folle poésie.
La traversée du désert
Mais avant d’atteindre cet épilogue emphatique, Le Livre d’Eli nous réserve son lot de séquences somptueusement graphiques, qu’on croirait tout droit issues des cases d’une bande dessinée. Le désert filmé au Nouveau Mexique et retouché numériquement y est magnifié, la figure de guerrier campée par Denzel Washington atteint une dimension surhumaine lorsqu’Eli, dans un magnifique contre-jour, abat un à un ses assaillants avec une dextérité sauvage qui coupe le souffle… Et que dire de cet incroyable plan séquence digne d’Alfonso Cuaron au cours duquel la caméra suit les projectiles que Carnegie et ses hommes lancent à l’assaut de la vieille bicoque où les fugitifs ont trouvé refuge ? Aux confluents du film d’action, du western, du récit futuriste et du conte initiatique, Le Livre d’Eli se déguste sans modération, au rythme des pas opiniâtres de son inébranlable héros.
© Gilles Penso
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