20 ans après Frankenstein Junior, Mel Brooks passe à la moulinette parodique le plus célèbre des vampires, incarné ici par Leslie Nielsen…
Il est généralement admis que la meilleure parodie de films fantastiques jamais réalisée, toutes époques et toutes nationalités confondues, est Frankenstein Junior. Plus encore que la série des Deux nigauds, que le Bal des vampires ou que le Rocky Horror Picture Show, cette relecture délirante des Universal Monsters de l’âge d’or s’est imposée comme un mètre étalon jamais égalé. Mel Brooks allait il réitérer ce miracle deux décennies plus tard en s’attaquant cette fois-ci au comte Dracula ? Rien n’était moins sûr, malgré la sollicitation d’un des « clowns » les plus populaires de sa génération depuis Y’a-t-il un pilote dans l’avion : le vénérable Leslie Nielsen, endossant pour l’occasion la cape du célèbre vampire. Après avoir un temps envisagé de tourner son film en noir et blanc, comme à l’époque de Frankenstein Junior, Brooks opte finalement pour des couleurs chatoyantes, dans la mesure où les productions Universal sont moins dans sa ligne de mire que les films de la Hammer – ainsi que le récent Dracula de Francis Ford Coppola. Dracula, mort et heureux de l’être emprunte tout de même de nombreux éléments visuels et scénaristiques au Dracula de Tod Browning, notamment le remplacement de Jonathan Harker par Renfield lors du prologue, ou encore ce grand escalier dans le château du monstre où trône une gigantesque toile d’araignée (réminiscence non seulement de Dracula mais aussi de La Marque du vampire).
Tourné intégralement en studio à Culver City entre mai et juillet 1995, le onzième long-métrage de Mel Brooks s’offre une patine visuelle de premier ordre. Cette Transylvanie folklorique semble tout droit issue d’un film de Terence Fisher ou de Roger Corman – période Edgar Poe. La superbe photographie ultra-saturée de Michael D. O’Shea, les matte paintings foisonnants, les toiles peintes, les fumigènes, les bâtiments du 17ème siècle… tout dans le film fait faux, délicieusement faux, avec un sens du mimétisme qui rappelle irrésistiblement les films d’horreur des sixties, de la même manière que Frankenstein Junior imitait à merveille ceux des années trente. Dans ce même esprit d’approche formelle au premier degré, Hummie Mann compose une très belle musique orchestrale qui, au cours d’un générique de début accompagnant le feuilletage d’un livre orné d’images historiques inquiétantes, évoque le thème « Miracle of the Ark » des Aventuriers de l’arche perdue. Tissu d’influences composites s’efforçant de condenser six décennies d’adaptations du célèbre roman de Bram Stoker, Dracula, mort et heureux de l’être laisse logiquement Leslie Nielsen incorporer dans son jeu les mimiques, les gestuelles et les intonations de Bela Lugosi, Christopher Lee et même Gary Oldman (dont il « emprunte » la perruque exubérante le temps de deux séquences clignant de l’œil vers Coppola).
« Le jour me nuit ! »
Aux côtés du héros de Y’a-t-il un flic pour sauver la reine/le président/Hollywood, on apprécie la présence de l’irrésistible Peter MacNicol (Ally McBeal, S.O.S. fantômes 2) en Renfield (très inspiré de celui qu’incarnait jadis Dwight Frye), de la ravissante Amy Yasback (la Marianne de Sacré Robin des Bois) en Mina, de la non moins enivrante Lysette Anthony (la princesse de Krull) en Lucy et de l’excellent Steven Webber (le Jack Torrance de la mini-série Shining) en Jonathan Harker. Quant à Mel Brooks, il s’octroie le personnage de Van Helsing. En version originale, Dracula mort et heureux de l’être s’apprécie comme un véritable festival d’imitations d’accents, la plupart des membres du casting adoptant une élocution pseudo-anglaise excessive, sauf Leslie Nielsen et Mel Brooks qui s’expriment quant à eux avec des intonations d’Europe de l’Est improbables, quelque part entre l’Allemand et le Roumain. D’où une joute verbale absurde à base de soi-disant proverbes moldaves. Quelques jeux de mots compliquent d’ailleurs la vie des traducteurs, notamment l’éveil en sursaut de Dracula qui s’exclame « I had a daymare ! » (une phrase intraduisible qui devient en français « le jour me nuit ! »). Pétrie de bonnes intentions, cette parodie ne fait pourtant rire qu’épisodiquement, à cause de gags souvent poussifs, pas toujours bien rythmés et attendus pour la plupart. Certes, quelques-uns surnagent grâce à leur extravagance (le doigt de Renfield qui saigne abondamment, la chauve-souris qui a la tête de Leslie Nielsen, Dracula qui se cogne la tête au lustre en surgissant de son cercueil, le pieu dans le cœur) mais l’ensemble est plus souvent embarrassant que désopilant. Le miracle de Frankenstein Junior n’aura donc eu lieu qu’une seule fois. Accueilli froidement par le public et la critique, Dracula, mort et heureux de l’être sera le dernier long-métrage de Mel Brooks.
© Gilles Penso
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