Avant Cannibal Holocaust, Ruggero Deodato abordait déjà l’anthropophagie primitive sous un angle ultra-réaliste
ULTIMO MONDO CANNIBALE
1978 – ITALIE
Réalisé par Ruggero Deodato
Avec Me Me Lay, Massimo Foschi, Ivan Rassimov, Sheik Razak Shikur, Judy Rosly, Suleiman, Shamsi
THEMA CANNIBALES
Lorsqu’il décide de s’attaquer pour la première fois à la thématique du cannibalisme et de la sauvagerie, le cinéaste Ruggero Deodato opte pour une approche brute, sans concession, loin des canons hollywoodiens. Dès l’entrée en matière, un texte nous annonce que tout ce qui suit est véridique dans ses moindres détails. « Bien avant le tournage, j’ai étudié minutieusement toutes les tribus véritables de la Malaisie, des Philippines et d’ailleurs, en me plongeant dans les reportages de National Geographic », raconte le cinéaste. « Les images que j’y ai vues étaient incroyables. On aurait dit qu’elles avaient été prises en pleine préhistoire. J’ai analysé tous leurs rituels pour pouvoir en reproduire certains à l’écran. » (1) Pourtant, lorsque Le Dernier monde cannibale commence, ses allures de série Z d’aventure pétrie de clichés et de dialogues improbables lui donnent un sérieux handicap. A bord d’un avion de tourisme survolant l’île de Mindanao, quelque part dans les Philippines, nous faisons la connaissance du géologue Robert Harper, de son associé Rolf, du pilote Charlie et de sa petite amie Swan. Une équipe les attend sur place, car un gisement de pétrole semble avoir été mis à jour dans la jungle. Mais leurs collègues restent introuvables, et la découverte d’une tête humaine en pleine décomposition les refroidit quelque peu. C’est alors qu’ils se souviennent (comme par enchantement, et au mépris de toute logique) que cette partie de la forêt est habitée par les Tajados, une peuplade cannibale qui vit encore à l’âge de pierre. Ils décident alors de passer la nuit dans l’avion et de repartir au petit matin.
La courte scène de suspense qui s’ensuit fonctionne plutôt bien, mais la réaction des personnages s’avère tellement incohérente que la suspension d’incrédulité en prend un sacré coup. Alors que Swan se fait en effet enlever sous leurs yeux, ils ne partent pas à son secours, préférant attendre le lever du jour pour se lancer à sa recherche. Bien mal leur prend, car à l’aube Swan est devenue le menu d’un festin des Tajados. Dans la panique qui s’ensuit, l’un de nos héros meurt éventré par un piège hérissé de pointes, deux de ses compagnons construisent un radeau (au son d’une musique folk à la guitare et à la flûte parfaitement hors sujet), puis jouent un remake de Délivrance dans les rapides. L’ultime survivant se fait kidnapper par les indigènes. Au lieu de le dévorer sur place, les Tajados déchirent ses vêtements, jouent avec son sexe (en gros plan s’il vous plaît !), puis l’enferment dans une geôle où, affamé, il assiste à leurs curieux rituels. Le plus folklorique d’entre eux ? La punition d’un homme dont les poignets sont tailladés puis plongés dans un nid de fourmis carnivores, jusqu’à ce que son bras ne soit plus qu’un os ensanglanté ! « Cette punition est réelle », nous affirme Deodato. « Nous l’avons reproduite avec le plus d’exactitude possible, à l’aide d’effets spéciaux rudimentaires mais efficaces. Un faux bras habilement disposé et suffisamment ensanglanté faisait l’affaire. J’avoue que l’effet fonctionne plutôt bien à l’écran, surtout parce qu’il n’est pas filmé comme un trucage. La caméra emprunte ici les effets de style du reportage ou du documentaire. La plupart des rites de ces tribus sont tellement extrêmes qu’ils semblent échappés de l’imagination d’un scénariste de films d’horreur, mais ils sont bien réels. » (2)
Malaise en Malaisie
Hélas, aucun trucage ne vient au secours des animaux qui se font scandaleusement massacrer devant la caméra avec une atroce complaisance. Ces horreurs ultra-réalistes (et pour cause !) semblent vouloir flatter les instincts les plus primaires des spectateurs derrière le refuge de l’histoire vraie, mais l’approche de Deodato est résolument ethnologique. De fait, les maladresses du film et certains de ses choix douteux cherchent toujours à se justifier par la quête du vérisme le plus brut. « Je voulais aborder cette histoire sous un angle très réaliste » confirme le réalisateur. « Les producteurs m’avaient conseillé de partir installer mon équipe dans le parc naturel de Kuala Lumpur, où beaucoup de films avaient été déjà été tournés. Mais j’ai refusé. J’ai préféré prendre un petit avion et m’en aller dans la jungle pluviale avec mon équipe. Là, j’ai découvert une tribu de gens orientaux dont les cheveux étaient étrangement crépus. Nous avons utilisé des perruques pendant le tournage pour changer leur apparence. Il faut savoir que le tournage du Dernier monde cannibale fut beaucoup plus difficile que celui de Cannibal Holocaust, qui a été filmé en Amazonie. Rien à voir avec l’enfer de la jungle pluviale Malaisienne. » (3) Les autorités locales n’apprécièrent pas beaucoup le résultat final. L’ambassade de Malaisie menaça même Deodato de brûler toutes les copies du film, Le Dernier monde cannibale échappant de peu à ce brasier purificateur.
(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016
© Gilles Penso
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