Le roi des monstres et le roi des singes s’affrontent dans ce blockbuster titanesque où les humains ne sont que de simples figurants
GODZILLA VS KONG
2021 – USA
Réalisé par Adam Wingard
Avec Alexander Skarsgård, Kyle Chandler, Milie Bobby Brown, Rebecca Hall, Brian Tyree Henry, Shun Oguri, Eiza González, Julian Dennison
THEMA DINOSAURES I SINGES I ROBOTS I SAGA GODZILLA I KING KONG I MONSTERVERSE
Beaucoup plus chaotique qu’il ne l’aurait fallu, en grande partie à cause de négociations complexes entre les différents studios à la tête des franchises, le « MonsterVerse » initié par le Godzilla de Gareth Edwards s’articule comme il peut, cherchant toujours à imiter le modèle du « Marvel Cinematic Universe » en remplaçant les super-héros par des grands monstres. Ce quatrième épisode prend donc à la fois la suite de Kong : Skull Island et de Godzilla II : Roi des monstres, se situant chronologiquement 51 ans après le premier (qui se déroulait dans les années 70) et cinq ans après le second. Il ne s’agit donc pas d’un remake à proprement parler du King Kong contre Godzilla de Inoshiro Honda – même s’il en reprend de nombreuses composantes – mais d’une histoire originale s’efforçant non sans maladresse d’assembler en un tout cohérent deux mythologies parfaitement dissemblables. L’une des difficultés liées à cette lutte au sommet était bien sûr la différence de taille entre Kong et Godzilla. Car même si les dimensions du gorille ont considérablement été revues à la hausse dans Kong : Skull Island en prévision de cet affrontement, il ne mesurait encore « que » trente mètres de haut, soit 90 mètres de moins que le dinosaure radioactif. Pour éviter que ce film ne finisse par ressembler à un remake du cartoon burlesque Bambi Meets Godzilla, Kong mesure désormais près de 120 mètres de haut. Pour quelle raison ? « Il était encore en pleine croissance » se sont sans doute dit les scénaristes. Voilà qui donne une petite idée de la rigueur narrative de Godzilla vs. Kong.
De fait, si ce King Kong version 2021 est une incontestable réussite technique et artistique, multipliant les actions spectaculaires pour bien nous faire mesurer sa puissance et son statut d’icône universelle, Adam Wingard le fait tomber très tôt de son piédestal. À trop vouloir lui donner le rôle de « gentil toutou » qui parle le langage des signes et se prend d’affection pour une gamine sourde-muette, le film efface peu à peu toutes les couches qui faisaient de lui une créature royale et légendaire. Le voilà devenu l’émule du dragon de Peter et Elliott. Certes, la théorie nébuleuse de la terre creuse développée dans le scénario permet de plonger les spectateurs dans un monde perdu hérité de celui d’Arthur Conan Doyle, infesté de créatures mutantes antédiluviennes. C’est là que Wingard paie son tribut au King Kong original, bien plus qu’à travers ses petits clins d’œil pour fans aguerris (le nom Denham, le chiffre 33). Mais cet écart « exotique » n’est qu’une brève péripétie dont l’issue laisse perplexe. Au lieu de rendre à Kong sa légitime animalité monstrueuse, cette séquence le dote d’une hache et d’un trône, le muant en une sorte de roi chenu anthropomorphe. On croirait voir une version simiesque d’Arnold Schwarzenegger tel qu’il apparaissait à la fin de Conan le barbare ! Godzilla, lui, reste la force de la nature qu’il n’a jamais cessé d’être et se retrouve du coup moins altéré par le film, même si son temps de présence à l’écran est singulièrement amoindri.
Kong le barbare
Tout culmine vers le combat tant attendu, mais il faut d’abord supporter les pérégrinations un peu idiotes d’un podcasteur théoricien du complot (Brian Tyree Henry, l’ingrédient « cool » du film), de la jeune héroïne futée (Millie Bobby Brown, l’ingrédient « hype ») et de son copain nerd et trouillard (Julian Dennison, l’ingrédient « drôle »). Ce trio improbable et un brin exaspérant joue le rôle du grain de sable dans les rouages de la vilaine multinationale qui fomente d’odieux plans technologico-hégémoniques. Quant à l’excellent Kyle Chandler, il ne fait ici qu’un peu de figuration pour assurer artificiellement le lien avec le film précédent. Ironiquement, le comédien rencontrait déjà King Kong seize ans plus tôt dans la version de Peter Jackson. Ceci étant dit, la générosité du spectacle est indiscutable et la qualité des effets visuels saute aux yeux avec plus de panache que dans le très brouillon Godzilla II. Pour qui est sensible aux combats de catch entre grands monstres – donc logiquement tous ceux qui veulent voir un film titré Godzilla vs. Kong – la promesse est tenue. Une guest star vient même se joindre à la fête pour redynamiser le dernier acte et parachever ce festival de destructions massives. Sans doute trop porté par l’emphase du spectacle, le compositeur Tom Holkenborg se lâche en tirant tous azimuts, convoquant même des synthétiseurs façon Vangelis totalement hors sujet. Et puis, à y regarder de près, ce défouloir à grande échelle n’a aucune véritable portée dramatique. Nous sommes finalement beaucoup plus proches de Rampage que d’un « Choc des Titans » digne de ce nom. Pour preuve : ce rebondissement de dernière minute qui semble tout droit échappé de King Kong 2 ! Il faut aussi avouer qu’Adam Wingard partait avec un handicap : trois ans plus tôt, Steven Spielberg avait déjà dirigé avec fougue les grands monstres dans Ready Player One. Même s’ils y apparaissaient furtivement, la force évocatrice de leur intervention, amplifiée par une partition épique d’Alan Silvestri, était sacrément difficile à égaler.
© Gilles Penso
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