NOSFERATU, FANTÔME DE LA NUIT (1979)

Werner Herzog réalise un remake du classique de Murnau en confiant à Klaus Kinski le rôle de Dracula et à Isabelle Adjani celui de sa victime…

NOSFERATU, PHANTOM DER NACHT

 

1979 – FRANCE / ALLEMAGNE

 

Réalisé par Werner Herzog

 

Avec Klaus Kinski, Isabelle Adjani, Bruno Ganz, Jacques Dufilho, Roland Topor, Walter Ladengast

 

THEMA DRACULA I VAMPIRES

Werner Herzog ayant toujours considéré Nosferatu le vampire comme l’un des plus grands films allemands de tous les temps, l’idée d’un remake du classique de F.W. Murnau avait tout pour le séduire. Aussi se lance-t-il dans cette étrange aventure, profitant que les droits du roman « Dracula » de Bram Stoker soient tombés dans le domaine public pour redonner aux personnages leurs noms d’origine (luxe que Murnau ne pouvait pas se payer en 1922). Herzog bénéficie aussi d’un casting quatre étoiles, son acteur fétiche Klaus Kinski succédant à Max Schreck dans le rôle du vampire, Isabelle Adjani incarnant la fragile Lucy et Bruno Ganz son époux Jonathan Harker. Si son équipe de tournage est réduite (seize personnes en tout et pour tout) pour lui permettre une plus grande liberté de manœuvre, le cinéaste doit se plier à une discipline contraignante imposée par la production pour assurer une exploitation du film sur un maximum de territoires : le tournage du film simultanément en anglais et en allemand. Chaque séquence est donc filmée dans les deux langues, comme à l’époque de certains films du début du parlant. Herzog plante ses caméras en Hollande, en Allemagne et en Tchécoslovaquie, sauf pour le prologue de son film qu’il choisit de tourner dans le musée de Guanajuato au Mexique. Un lent travelling se promène ainsi sur les cadavres momifiés des victimes d’une épidémie de choléra en 1833, au son d’une musique lugubre du groupe Popol Vuh. Dès les premières secondes, le cinéaste installe ainsi un profond climat de malaise.

Si l’histoire est connue (Dracula sera à l’affiche dans pas moins de cinq films rien qu’en 1979), le traitement de Werner Herzog fait la différence. Son approche est naturaliste, du moins en début de métrage. Ainsi la reconstitution du village de Wismar en plein 19ème siècle n’accuse-t-elle aucun artifice pseudo-gothique. Le rythme du film est lent, contemplatif, notamment lors de l’expédition de Jonathan Harker jusqu’au château de Dracula. Mais dès que paraît le vampire, nous entrons dans une autre dimension. Car le noble comte des Carpates ne se masque pas derrière une fausse respectabilité, pas plus qu’il ne cherche à se faire passer pour autre chose que la pathétique créature blafarde qu’il est, à cheval entre le monde des morts et celui des vivants. La performance de Kinski est hallucinante, magnifiée par un maquillage de Reiko Kruk et Dominique Colladant qui reconstitue avec beaucoup de fidélité celui que portait Max Schrek tout en s’adaptant au faciès du comédien allemand. Quoique le mot « maquillage » soit sans doute trop faible pour décrire la mutation à laquelle les deux artistes ont procédé pour que Kinski se mue en Dracula « Réaliser un simple maquillage, ça n’est jamais qu’ajouter et corriger », nous confirmait Reiko Kruk. « Créer une métamorphose, c’est en revanche aller beaucoup plus loin, vers l’illusion et le mensonge. C’est ce qui nous a poussés vers les effets spéciaux de maquillage. Comme ce domaine était encore vierge en France, à l’époque, il nous a fallu expérimenter de nombreux matériaux. » (1) Quatre heures de grimage par jour, cela aurait pu aisément venir à bout de la patience d’un Kinski connu pour ses sautes d’humeur et son irascibilité. Mais il faut croire que la maquilleuse japonaise sut apprivoiser la bête. Reiko Kruk et lui s’entendirent à merveille, jusqu’à la disparition du comédien en 1991.

« Le malheur est en route »

S’il est indiscutablement le prédateur de l’histoire, le Dracula de Werner Herzog nous apparaît pourtant faible, pathétique, gémissant. Son teint blême, ses yeux creusés, ses borborygmes de tristesse et de douleur le font ressembler à un cadavre ambulant s’accrochant maladivement à un semblant de vie qui lui échappe. À la demande du cinéaste, Kinski reproduit souvent la gestuelle de Max Schreck, notamment lorsqu’il tend ses mains crispées vers le bas, toutes griffes déployées. Lorsqu’il s’approche d’une victime humaine, le temps semble se figer. Les humains sont paralysés par la présence du vampire, Herzog se contentant de les cadrer en plan large fixe, comme si le théâtre se substituait au cinéma l’espace d’un instant. Et tandis que Jonathan Harker, affaibli par le monstre et recueilli par des gitans, affirme « le malheur est en route », un étrange parallèle s’établit entre Nosferatu et Lucy. Car Isabelle Adjani campe une héroïne pâle comme la mort, chétive, errant dans le village comme un fantôme. Elle est pourtant le dernier rempart contre la mort qui contamine le village toute entier. « Le manque d’amour est une si grande souffrance » lui déclare Dracula lors de leur premier face à face. Nous ne sommes pas là en présence d’une romance glamour à la façon du Dracula de John Badham mais face au cri désespéré d’une bête malingre en quête d’un sentiment qui lui fait cruellement défaut. Herzog multiplie les images fortes et insolites, comme cet enfant qui joue du violon au pied du château de Dracula, cette chauve-souris qui vole au ralenti en très gros plan, ces chevaux morts dans la rue, ce bétail qui erre au milieu des meubles abandonnés sur le pavé, ces rats qui grouillent par milliers sur le seuil des maisons et sur les tables des banquets, ces condamnés par la peste qui festoient une ultime fois dans une liesse absurde… Sans oublier cette vision sinistre de centaines d’hommes en noir portant des cercueils en file indienne sur la place de Wismar, filmés en plongée comme une colonie de fourmis funèbres. Autant de tableaux surréalistes qui restent en mémoire longtemps après le visionnage du film.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en mai 1997

 

© Gilles Penso

 

Complétez votre collection



Partagez cet article