Un professeur entre en contact accidentellement avec de l’ADN préhistorique, régresse jusqu’à un stade primitif et terrorise la ville…
MONSTER ON THE CAMPUS
1958 – USA
Réalisé par Jack Arnold
Avec Arthur Franz, Joanna Moore, Judson Pratt, Nancy Walters, Troy Donahue, Alexander Lockwood, Helen Westcott
THEMA YETIS ET CHAÎNONS MANQUANTS I MUTATIONS
Les séries B produites par Universal dans les années 50 constituent un genre à part entière que les réalisations de Jack Arnold définissent presque à elles seules, avec par ordre chronologique Le Météore de la nuit, L’Étrange créature du lac noir, Tarantula et L’Homme qui rétrécit. Malgré ces succès, le budget alloué au Monstre des abîmes, qui sera son dernier film fantastique pour le studio (et dernier film du genre tout court dans sa carrière), ne lui permettra pas d’obtenir un résultat aussi mémorable. Faute de moyens, et ne pouvant donc pas autant se reposer sur ses effets spéciaux que sur ses deux précédents films, Jack Arnold parvient néanmoins à maintenir l’intérêt au cours des 75 minutes du métrage, grâce à une structure classique en trois parties parfaitement équilibrées (mise en place, développement et climax) et un tempo qui va crescendo. Une mécanique bien huilée donc, sur un scénario de David Duncan, qui signera plus tard La Machine à explorer le temps et Le Voyage fantastique. Certes, il faudra se contenter d’un tournage au sein des plateaux Universal, avec leurs décors génériques de bureaux aux murs monotones, des extérieurs dans les collines alentour et un casting à l’avenant, Joanna Moore et Arthur Franz étant des habitués des petites productions maison. Mais ces limitations ne font que mettre en exergue le talent et le savoir-faire de Jack Arnold, qui délaie ici une matière thématique déjà au cœur de ses films précédents.
Le Professeur Donald Blake (Arthur Franz) est biologiste à l’université, avec un intérêt particulier pour l’évolution. On le découvre d’ailleurs effectuant un moulage du (joli) visage de sa fiancée Madeline (Joanna Moore) afin de l’ajouter en tant que représentante de la femme moderne à sa série de moulages représentant les différentess figures de l’homme depuis ses origines. On le voit ensuite réceptionner un rare spécimen aquatique provenant d’Amérique du Sud, un poisson dont les caractéristiques génétiques sont restées inchangées depuis la préhistoire. Mais en manipulant la bête (très caoutchouteuse à l’écran), il s’entaille la main sur ses dents saillantes ; une blessure aux conséquences bien plus graves qu’il ne peut l’imaginer. Son assistante Molly (Helen Westcott) le dépose chez lui mais Donald se sent mal et perd connaissance. A son réveil, il la retrouve sauvagement assassinée dans le jardin. Le seul indice le disculpant aux yeux d’un policier suspicieux (Judson Pratt) est une empreinte de main difforme ne pouvant lui appartenir. Pendant ce temps, au laboratoire, une libellule venue se nourrir sur ce poisson décidément pas frais mute jusqu’à atteindre un bon triple-décimètre de diamètre ! Donald s’interroge sur les propriétés génétiques de son précieux spécimen et commence à craindre qu’en se blessant, il se soit inoculé une substance l’ayant transformé en un monstre primitif responsable du meurtre de Molly. Pour prouver sa théorie, il s’injecte – volontairement cette fois – du sérum issu de l’ADN préhistorique du poisson. Ce qui donnera lieu à une scène de transformation constituée de fondus successifs entre différentes versions du maquillage, une approche déjà employée avec succès dans Le Loup-garou et qui annonçait sans le savoir le morphing. Mais le rudimentaire masque en latex conçu par Bud Westmore ne peut rivaliser avec les prothèses appliquées par Jack Pierce sur le lycanthrope qu’incarnait Lon Chaney Jr.
La bête qui sommeille en nous…
Un réalisateur lambda se serait surement contenté de raconter ce que promet le titre original, à savoir l’histoire d’un monstre sévissant sur un campus. Pas Jack Arnold. Comme dans L’Étrange créature du lac noir, Tarantula et L’Homme qui rétrécit, il intègre dans le film des questionnements personnels. Si le « gill man » représentait une pulsion et une libido très bestiales envers Julia Adams, si les araignées géantes illustraient notre peur d’une nature soumise aux effets du nucléaire, si le rétrécissement du héros exprimait une angoisse masculine sourde de voir le beau sexe le mettre à la marge, Le Monstre des abîmes pose la question du futur de l’homme moderne dans une société de consommation alors en plein essor. Alors que son héros se présente comme un individu intelligent, financièrement aisé et faisant partie de la bonne société sans toutefois céder à la suffisance de son statut, il veut comprendre ce vers quoi nous tendons en étudiant nos origines pour mieux anticiper l’avenir. Son hypothèse selon laquelle la prochaine étape de l’évolution serait une forme de régression vers un état plus sauvage ne saurait d’ailleurs être tout à fait démentie en ce début de millénaire. Chez Jack Arnold, les héros sont souvent en décalage avec la société – soit exclus, soit incompris – et c’est ce qui confère aujourd’hui encore à sa filmographie tout son intérêt. Jamais condescendant avec le genre et quels que soient les moyens mis à disposition, il a contribué à en faire un terreau thématiquement riche. Bien que Le Monstre des abîmes se soit vu en partie éclipsé l’année de sa sortie par La Mouche noire, il a néanmoins marqué les esprits de jeunes spectateurs devenus eux-mêmes réalisateurs plus tard et ne manquant pas de le citer. Si Tim Burton semble avoir emprunté le look d’Arthur Franz pour Alec Baldwin dans Beetlejuice, c’est assurément John Landis qui lui rend l’hommage le plus direct en en réalisant un démarquage parodique mais respectueux avec Schlock.
© Jérôme Muslewski
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