La mythologie robotique imaginée par le romancier Isaac Asimov est d’une telle richesse qu’elle inspira au scénariste Nicholas Kazan et au réalisateur Chris Columbus une véritable saga. De la nouvelle « L’Homme Bicentenaire » et du roman « L’Homme Positronique », qu’Asimov co-écrivit avec Robert Silverberg, les deux hommes tirèrent ainsi un film fleuve étalant son intrigue sur de nombreuses décennies et suivant le destin de plusieurs générations. Dans un « avenir pas si lointain », selon le carton d’introduction, la famille Martin fait l’acquisition d’un robot domestique NDR-114 de chez Northam Robotics qu’ils baptisent Andrew (diminutif d’androïde) et que Robin Williams interprète sous un masque et une combinaison conçus par l’équipe de Steve Johnson. Si Richard (Sam Neill), le père, est fasciné par cette machine intelligente, son épouse et ses deux filles ne partagent pas à priori le même enthousiasme. Très vite, Andrew fait preuve de créativité et développe des sentiments. Lorsque Richard en parle aux employés de Northam Robotics, ces derniers n’y voient qu’une anomalie et proposent de le rembourser ou de l’échanger, ce à quoi Richard s’oppose farouchement. « C’est de l’électroménager, et vous le traitez comme un homme », s’entend-il dire. « L’individualité n’a pas de prix », répond-il.
Les années passent, les fillettes deviennent adolescentes et s’opposent bientôt en tout, au risque de basculer dans le cliché un tant soit peu caricatural : Amanda, la jeune rebelle en tenue pseudo-futuriste, et Grace, la fille modèle en robe blanche. Les parents ont eux aussi pris un coup de vieux, mais Andrew, bien entendu, n’a pas changé d’un poil, si ce n’est qu’il a largement dépassé les données intégrées dans sa programmation initiale. Virtuose au piano, doué en sculpture, doté d’un sens de l’humour indéniable, il démontre également d’incroyables talents d’horloger. Soutenu par Richard, il réclame un jour aux responsables de Northam Robotics un visage plus expressif. « Vous voulez que vos idées et vos émotions se lisent sur votre visage ? » lui dit-on. « Oui, comme le mépris se lit sur le vôtre » répond-il nonchalamment.
La machine qui voulait être un homme
Ce pas en avant vers l’humanisation externe étant franchi, Andrew demande à sa famille d’adoption d’obtenir sa liberté officielle et se met en quête de tous ses semblables. Or les NDR qu’il rencontre aux quatre coins du monde le confortent dans son impression première : il est unique en son genre. Lorsqu’il croise le chemin de Rupert Burns (Oliver Platt), un génial bricoleur passionné d’androïdes, il lui demande de lui donner l’apparence physique d’un être humain. C’est alors que se posent concrètement plusieurs questions fondamentales : un robot peut-il tomber amoureux d’un être humain ? La réciproque est-elle envisageable ? Et jusqu’où un robot doit-il aller pour être considéré par les hommes comme l’un des leurs ? Passionnantes, toutes les thématiques développées dans L’Homme Bicentenaire sont hélas affaiblies par le ton exagérément mélodramatique du film et par quelques longueurs superflues. Le mordant et l’ironie des textes d’Asimov n’ont pas vraiment droit de cité ici. Du coup, Columbus passe un peu à côté de son sujet et ne livre pas le grand film sur les robots qu’on aurait pu espérer. Reste la prestation de Robin Williams, magnifique. L’une des plus étonnantes de sa prolifique carrière.
© Gilles Penso
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