Un jeune orphelin possède un pouvoir unique au monde : il peut prendre l’apparence de tous ceux qu’il touche
LA DERNIÈRE VIE DE SIMON
2019 – FRANCE / BELGIQUE
Réalisé par Léo Karmann
Avec Benjamin Voisin, Martin Karmann, Camille Claris, Nicolas Wanczycki, Julie-Anne Roth, Albert Geffrier, Simon Susset, Vicki Andren, Florence Muller
THEMA POUVOIRS PARANORMAUX
Fils de l’acteur et réalisateur Sam Karmann (qui fut Émile dans La Cité de la peur), Léo Karmann a été biberonné avec les films de Steven Spielberg, Tim Burton, Robert Zemeckis et James Cameron. Très tôt, il rêve de passer à la mise en scène et de tenter un exercice qui se pratique peu en France : une approche tout public et ambitieuse du fantastique. Alors qu’il n’a que 21 ans, il jette avec la co-scénariste Sabrina B. Karine les bases de ce qui deviendra La Dernière vie de Simon. Mais les inévitables refus des sociétés de production et des institutions viennent barrer la route des deux jeunes auteurs. Leur projet est jugé trop audacieux, trop peu réaliste, trop éloigné des canons du cinéma hexagonal. Beaucoup leur suggèrent de conserver la trame mais de retirer l’argument fantastique. Or c’est justement cet élément essentiel qui donne au scénario tout son sens, qui permet la métaphore du passage de l’enfance à l’adolescence. Face à leur persévérance, le producteur Grégoire Debailly de Geko Films finit par ouvrir ses portes au projet et se lance dans l’aventure. Avec un budget modeste de deux millions d’euros et une équipe dont la moyenne d’âge n’atteint pas les trente ans, Léo Karmann s’installe sur la presqu’île de Crozon, séduit par ses falaises et son bord de mer, et parvient enfin à concrétiser son rêve.
Simon est un orphelin de huit ans qui rêve de trouver une famille d’accueil. Mais c’est un garçon un peu solitaire, un peu secret, et pour cause : il possède un pouvoir dont personne n’est au courant, celui de prendre l’apparence des personnes avec lesquelles il a un contact physique. Simon s’en sert de manière ludique et occasionnelle, pour faire croire qu’il est adulte par exemple et s’acheter de la barbe-à-papa dans une fête foraine. Il ne sait pas d’où vient cette capacité hors du commun, et semble d’ailleurs ne s’être jamais vraiment posé la question. Un jour où les pensionnaires de l’orphelinat sont en sortie au bord de la mer, Simon fait la connaissance de deux enfants du coin, Thomas et sa sœur Madeleine, avec qui il se lie d’amitié. A tel point que leurs parents l’invitent à passer un week-end en leur compagnie. Là, les liens entre les trois gamins se resserrent. Ils décident même de se lier par un pacte faisant d’eux des « frères de sang ». C’est là que Simon leur révèle son incroyable secret, démonstration à l’appui…
Volte-face
La première partie du film s’inscrit dans une imagerie féerique pleinement assumée, dès l’entame située dans un parc d’attractions fermé mais encore illuminé, aux allures de vestiges surréalistes d’une fête foraine fantôme. Les forêts nocturnes brumeuses et bleutées ressemblent à celles éclairées par Allen Daviau dans E.T., la musique orchestrale d’Erwann Chandron enveloppe l’espace avec un lyrisme quasi-hollywoodien, bref la cosmétique fantasmagorique est pleinement assumée. Mais si le long-métrage garde jusqu’au bout une élégante patine esthétique, sa mise en forme se détache progressivement du conte pour enfants et s’ancre de plus en plus dans la réalité, au fil de l’évolution des personnages principaux qui quittent peu à peu les apparats de l’enfance pour entrer dans l’adolescence. Cette évolution d’un âge vers l’autre passe par un épisode traumatisant qui fait voler en éclat une part d’innocence. C’est sans doute par cet aspect, plus que par n’importe quel autre, que le film de Karmann s’approche de l’univers de Spielberg. Et de fait, passé son premier tiers, le récit se teinte d’une noirceur et d’une gravité inattendues. La complexité des liens familiaux, les jeux de la séduction, le deuil et ses conséquences, la crise d’identité, l’acceptation de soi et le sens du sacrifice deviennent dès lors les thèmes clés du long-métrage, dont l’argument fantastique permet une approche exacerbée loin de toute trivialité. Habile, la mise en scène joue avec les reflets dans les miroirs, les ombres portées, les lueurs aveuglantes, autant d’artefacts visuels pour mieux brouiller les cartes et pointer du doigt les notions d’illusion et de simulacre qui sont au cœur de l’intrigue. Drôle, mouvementé, surprenant et profondément émouvant, La Dernière vie de Simon est une très belle réussite qui prouve combien Léo Karmann et sa co-scénariste ont eu raison de ne pas perdre le fil de leur idée première, envers et contre tous.
© Gilles Penso
Partagez cet article