MANDIBULES (2020)

Que faire lorsqu’on découvre une mouche géante coincée dans le coffre d’une voiture ? Essayer de l’apprivoiser, bien sûr !

MANDIBULES

 

2020 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Quentin Dupieux

 

Avec Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopulos, India Hair, Coralie Russier, Romé Elvis, Bruno Lochet, Raphaël Quenard

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS

Chaque nouveau film de Quentin Dupieux semble partir d’une blague, ou du moins de l’idée la plus absurde et la plus grotesque possible, avec comme challenge ultime la possibilité d’en tirer un scénario de long-métrage. Ce type de pari fou jalonne la filmographie du plus atypique des réalisateurs de sa génération. Et si un pneu se transformait en serial killer ? Qu’à cela ne tienne, ce sera Rubber ! Et si un cinéaste partait à la recherche du meilleur gémissement de l’histoire du cinéma ? Banco, voilà le pitch de Réalité ! Et si un homme se laissait dominer par son blouson en daim ? Parfait, appelons ce film Le Daim. C’est sur le même principe d’un « et si… ? » extravagant que repose Mandibules. Fidèle à son habitude, Dupieux signe l’écriture, la réalisation, la photographie, le montage et la musique de son neuvième long-métrage, plantant à l’occasion ses caméras dans la garrigue du sud de la France. En tête de casting, il retrouve le moustachu Grégoire Ludig (déjà à l’affiche de Au poste !) auquel il adjoint David Marsais, son fidèle complice du Palmashow. Et voici nos deux hommes embarqués dans une sorte de road-movie fantastico-délirant dont les péripéties semblent presque s’improviser au fur et à mesure.

Ludig interprète Manu, un loser sans le sou qui dort sur la plage dans un sac de couchage en attendant des jours meilleurs. Lorsqu’on lui propose un petit boulot rémunéré 500 euros, il n’hésite pas bien longtemps. Il lui suffit de récupérer une mallette chez un certain Michel Michel et de la transporter en voiture quelques kilomètres plus loin chez un mystérieux commanditaire. Manu vole donc une vieille voiture et embarque dans l’aventure son ami d’enfance Jean-Gab (Marsais). Mais en chemin, un bruit étrange venu du coffre de la voiture attire leur attention. C’est avec une stupeur bien compréhensible que les deux compères découvrent à l’arrière du véhicule une mouche grosse comme un Saint-Bernard. Au lieu de s’affoler face à ce monstrueux insecte bourdonnant, Manu et Jean-Gab échafaudent un plan parfaitement aberrant : essayer de dresser cette mouche géante pour lui apprendre à dérober des richesses et leur permettre ainsi de faire fortune ! Le point de départ de Mandibules est donc joyeusement loufoque, mais ce n’est qu’un début, et le pire est encore à venir…

Éloge de la simplicité

Ce qui fascine de prime abord, dans Mandibules, c’est la manière dont Quentin Dupieux assume pleinement l’argument fantastique de son film et l’inscrit dans le quotidien de ses deux héros simples d’esprit qu’il choisit de ne jamais traiter avec condescendance. Car si le réalisateur de Rubber aime mettre en scène les idiots et les marginaux, c’est toujours avec une sorte de tendresse qui évacue tout cynisme. Bien sûr, la bêtise exaspérante du duo incarné par Ludig et Marsais nous arrache régulièrement des rires francs, mais Dupieux semble surtout vouloir traduire à travers cette balourdise partagée la force des liens d’une amitié que rien n’est susceptible d’ébranler. En ce sens, Mandibules semble nous ramener treize ans en arrière, à l’époque où un autre duo comique (Eric et Ramzy) se prêtait aux folies douces de Mr Oizo dans Steak. De fait, les raisonnements absurdes de nos deux « héros » finissent par devenir la norme, en contradiction avec l’apparente rationalité des autres protagonistes qu’ils croisent au beau milieu de la campagne provençale. A ce titre, la prestation d’Adèle Exarchopulos s’avère hallucinante. Tour à tour hilarante et émouvante, voire les deux en même temps, la comédienne césarisée offre ici une prestation délibérément excessive. Quant à la mouche, c’est un véritable monstre de cinéma fantastique, conçu par les génies de l’animatronique de l’atelier 69 avec quelques renforts numériques supervisés par Jean-François Fontaine (Dobermann, Les Visiteurs II, Babylon A.D. et bon nombre de de spots de pub et de clips). Mais, comme toujours, Dupieux n’en fait qu’à sa tête et transforme le diptère surdimensionné en animal de compagnie drôle et attachant, démontrant une nouvelle fois que la normalité reste une notion toute relative.

 

© Gilles Penso



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