Dario Argento et George Romero s’associent pour adapter deux nouvelles effrayantes d’Edgar Allan Poe
DUE OCCHI DIABOLICI / TWO EVIL EYES
1990 – ITALIE / USA
Réalisé par George A. Romero et Dario Argento
Avec Adrienne Barbeau, Ramy Zada, Bingo O’Malley, Jeff Howell, E.G. Marshall, Harvey Keitel
THEMA ZOMBIES I MAMMIFÈRES I TUEURS I MÉDECINE EN FOLIE I SAGA DARIO ARGENTO
Un film cosigné par George Romero et Dario Argento ? Voilà la concrétisation du phantasme de bon nombre de fans de films d’horreur, d’autant que les deux maîtres de l’épouvante avaient déjà œuvré ensemble avec une merveilleuse intelligence collective à l’occasion de la version européenne de Zombie. Comme en outre le fil conducteur de ce diptyque est l’univers foisonnant d’Edgar Allan Poe, toutes les conditions étaient réunies pour une œuvre d’anthologie. « Edgar Poe a eu une grande influence sur moi, et c’est un point commun que je partage avec George Romero », explique Dario Argento. « Ce film a été conçu à mon initiative, et il devait à l’origine être constitué de quatre sketches : celui de George, le mien, mais aussi des segments réalisés par Stephen King et John Carpenter. King souhaitait adapter “Le cœur révélateur“, mais il a commencé à avoir de sérieux problèmes d’addiction, et son épouse nous a demandés de ne plus le solliciter. Quant à Carpenter, il a quitté le projet assez tôt pour se consacrer à un film important qui nécessitait toute son attention. George et moi nous sommes donc retrouvés seuls, mais nous n’avons pas abandonné pour autant. Nous nous sommes dit : “tant pis, il n’y aura que deux segments dans ce film !“ » (1)
En matière d’adaptation d’Edgar Poe à l’écran, on pourra bien sûr préférer la fidélité et le classicisme du Roger Corman des années 60, d’autant que « L’étrange cas de Monsieur Waldemar » et « Le Chat Noir » (qui structurent à tour de rôle le scénario de Deux yeux maléfiques) ont déjà été transposés dans un remarquable film à sketches, L’Empire de la terreur, dont cette œuvre collective constitue donc une espèce de remake partiel. « J’avais forcément à l’esprit les films AIP de Roger Corman », confirme Romero. « A l’origine, je voulais adapter “Le Masque de la Mort Rouge“, mais quelqu’un s’apprêtait déjà à en signer une nouvelle version. Donc j’ai choisi “Waldemar“ » (2). Il est difficile de ne pas penser à Creepshow lorsqu’on visionne ce premier sketch, qui semble autant emprunter à Poe qu’à l’ambiance des E.C. Comics, et dans lequel on retrouve d’ailleurs Adrienne Barbeau et E.G. Marshall. La narration de cette histoire de lente zombification y est linéaire mais efficace, et quelques influences lovecraftiennes surgissent au moment du climax.
Dans les griffes du félin
On constate avec bonheur que Dario Argento, pour sa part, n’a pas perdu le goût des prises de vues insolites et d’effets de mise en scène stylisés à outrance. Son « Chat Noir », qui s’offre quelques petits clins d’œil à d’autres histoires extraordinaires de Poe (« Le Puits et au pendule », « Bérénice », « La Chute de la Maison Usher »), baigne dans une ambiance très glauque, ne nous épargne aucun détail gore et bénéficie du jeu habité d’Harvey Keitel, dans le rôle du photographe Roderick Usher tourmenté par le félin de sa compagne. « C’était une expérience très agréable, très gratifiante », conclue Romero. « Nous étions entre amis, comme à l’époque de Zombie. » (3) Deux yeux maléfiques n’est certes pas un classique inoubliable, mais cette alchimie entre les auteurs respectifs de Suspiria et La Nuit des morts-vivants transparaît à l’écran avec un bonheur souvent palpable et communicatif.
(1) Propos recueillis en février 2011
(2) et (3) Propos recueillis en juillet 2005
© Gilles Penso