Alan Parker filme la lente descente aux enfers d’un détective privé engagé par un mystérieux commanditaire
ANGEL HEART
1987 – USA / CANADA / GB
Réalisé par Alan Parker
Avec Mickey Rourke, Robert de Niro, Lisa Bonet, Charlotte Rampling, Stocker Fontelieu, Brownie McGhee
THEMA DIABLE ET DÉMONS
Alan Parker est un cinéaste fascinant. Capable de passer instantanément d’un genre à l’autre, il imprime à chacun de ses films un style unique, ancré dans les années 80 et pourtant résolument atemporel. Quelle que soit l’histoire qu’il décide de raconter, sa « patte » est immédiatement reconnaissable. Personne n’utilise la musique comme il le fait. Personne n’éclaire ses plans comme lui. Pour n’importe quel metteur en scène, monteur ou directeur de la photographie, visionner un film d’Alan Parker est la meilleure des leçons de cinéma. Après le film de gangsters en culottes courtes Bugsy Malone, l’oppressant drame carcéral Midnight Express, la cultissime comédie musicale Fame, la tragédie désespérément quotidienne L’Usure du temps, le film d’animation surréaliste Pink Floyd : The Wall et le splendide drame poétique Birdy, Parker s’attaque à l’adaptation du roman « Falling Angel » (« Le Sabbat dans Central Park ») écrit en 1978 par William Hjorstberg. C’est l’occasion pour lui de pousser encore plus loin les expérimentations. Non content d’élargir sans cesse son exploration des genres cinématographiques, il décide ici d’en mixer deux à priori peu compatibles : le film noir à l’ancienne, descendant d’un long héritage remontant aux années 40, et le conte horrifique puisant ses racines dans les cérémonies vaudou, la sorcellerie et l’adoration du Mal. Angel Heart est le fruit de ce croisement contre-nature, une perle vénéneuse unique en son genre.
Nous sommes dans le New York de 1955. Mickey Rourke, dont le jeu désinvolte évoque celui de Bruce Willis en début de carrière, incarne Harry Angel, un détective privé sans le sou, imbibé de tabac et d’alcool, vivotant grâce aux petites enquêtes qu’on veut bien lui confier sporadiquement. Un jour, il est contacté par un cabinet d’avocat qui souhaite lui faire rencontrer l’un de ses clients : un certain Louis Cyphre (Robert de Niro, dont la présence magnétique repose sur un jeu tout en retenue). Ce dernier souhaite confier à Angel une investigation très particulière : retrouver Johnny Favorite, un ancien crooner défiguré et devenu amnésique depuis son retour de la guerre. Le détective sent que l’affaire est trop grosse pour lui, mais l’importante somme d’argent que Cyphre est prêt à lui céder finit par le convaincre. L’enquête que mène Angel le transporte en Louisiane, contrairement au roman qui ne quittait pas New York. La grisaille de Brooklyn, accentuée par une photographie presque monochrome, cède ainsi le pas à une palette de couleurs plus vaste. Et parmi ces couleurs, le rouge sang occupe bientôt une place alarmante. Car tous ceux que le privé interroge finissent atrocement massacrés, tandis que le fin mot de l’histoire semble se rattacher aux rites vaudou et à un culte d’adorateurs des forces démoniaques.
Voyage au bout de l'enfer
Le choc des univers – d’un côté la tangibilité moite d’une ville du vingtième siècle qui charrie la misère sur ses trottoirs délavés, de l’autre les croyances séculaires d’une Louisiane hors du temps où le diable semble se nicher dans le moindre recoin – s’illustre dans chaque confrontation des deux acteurs-clé du drame : Harry Angel et Louis Cyphre. L’un est débraillé, mal rasé, le cheveu gras, le manteau trop grand, les yeux fuyants ; l’autre est ceint dans un costume noir impeccable, la barbe drue, le regard noir, une canne d’un autre âge dans la main, les ongles anormalement effilés. Même si Robert de Niro n’occupe l’écran qu’en creux, par ponctuations mesurées, sa présence irradie tout le métrage. Et c’est bien dans le choc du naturel et du surnaturel qu’Angel Heart puise toute sa force. La violence et la mort n’en sont que plus marquantes. Ce jeu des contrastes se répercute dans la bande originale de Trevor Jones, appuyant les plaintes mélancoliques d’un saxophone sur des nappes angoissantes, ou laissant les arpèges d’un piano désaccordé se poser sur un rythme de percussions pesantes. Jalonné d’images récurrentes et obsessives pas immédiatement compréhensibles, le film d’Alan Parker ne révèle ses mystères qu’au fur et à mesure, ces gros plans réguliers de pales de ventilateurs ou cet ascenseur aux portes grillagées qui descend dans l’obscurité ne prenant tout leur sens qu’en toute fin de métrage.
© Gilles Penso
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