Théma POLITIQUE-FICTION

« Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, la face du monde aurait changé. »

(Blaise Pascal, Pensées)

Lorsqu’ils n’utilisent pas le miroir déformant de l’anticipation pour décrire les travers de la société contemporaine, les auteurs de science-fiction optent parfois pour la politique-fiction. Celle-ci consiste à décrire non plus un monde futur lointain et fantasmé, mais un monde différent, situé généralement dans un avenir proche ou dans un présent alternatif, une société qui aurait évolué parallèlement à la nôtre tout en bifurquant vers des horizons qui n’appartiennent pas à notre histoire. Ce procédé narratif, qui se rattache au principe littéraire de l’« uchronie » (un terme inventé par le philosophe Charles Renouvier en 1875 et qu’on pourrait traduire par « temps qui n’existe pas »), repose sur le principe du « et si ? ». Que se serait-il passé si l’Allemagne avait gagné la Seconde Guerre mondiale ? Si le conflit larvé entre la Russie et les États-Unis avait finalement éclaté dans les années 60 ? Si les systèmes éducatifs avaient mis en place des jeux guerriers pour renforcer l’autorité des adultes ? Si les prisonniers politiques pouvaient éviter la prison à condition de participer à des chasses à l’homme médiatisées ?

 

Cette idée d’uchronie, déjà explorée en littérature par Philip K. Dick dans Le Maître du Haut Château (1962), est devenue un thème récurrent dans le cinéma de politique-fiction. La série télévisée éponyme en a d’ailleurs prolongé la réflexion en imaginant un monde où l’Axe a remporté la guerre, divisant les États-Unis entre l’Allemagne nazie et le Japon impérial. Le cinéma uchronique peut également explorer un présent alternatif où la société a basculé dans un régime totalitaire ou une idéologie radicale. C’est notamment le cas de L’Aube Rouge de John Milius, où les États-Unis sont envahis par une coalition soviéto-cubaine, et où un groupe de lycéens organise la résistance armée dans les montagnes du Colorado. De son côté, Battle Royale de Kinji Fukasaku transpose l’idée de violence sociale dans un Japon dystopique contemporain, où des élèves sont forcés de s’entretuer dans un jeu macabre organisé par l’État pour maintenir l’ordre par la terreur. Ce concept d’ultraviolence médiatisée résonne également avec American Nightmare de James DeMonaco, où, dans une Amérique alternative, une nuit annuelle de violence légalisée permet à chacun de libérer ses pulsions meurtrières, prétendument pour stabiliser la société.

 

Dans un tout autre registre, Megalopolis de Francis Ford Coppola imagine une ville contemporaine où s’affrontent deux visions politiques opposées, l’une cherchant à reconstruire une utopie moderne, l’autre défendant un ordre établi plus conservateur. Ce recours à la politique-fiction permet aux cinéastes d’explorer les dérives possibles de nos choix sociétaux et politiques en extrapolant leurs conséquences extrêmes, sans pour autant s’aventurer dans le futur. Ces œuvres nous interrogent sur notre rapport au pouvoir et à la liberté, tout en dressant un portrait inquiétant de ce que pourrait être notre monde si certaines idéologies venaient à triompher ou si des événements historiques avaient pris un tout autre chemin.

 

© Gilles Penso

FILMS CHRONIQUÉS

1940: Le Dictateur de Charlie Chaplin

1959: Le Dernier rivage de Stanley Kramer

1961: Le Sous-marin de l’apocalypse d’Irwin Allen

1964: Docteur Folamour de Stanley Kubrick

1964: Point limite de Sidney Lumet

1964: Sept jours en mai de John Frankenheimer

1978: Capricorn One de Peter Hyams

1979: Le Toubib de Pierre Granier-Deferre

1983: War Games de John Badham
1983: Tonnerre de Feu de John Badham

1984: L’Aube rouge de John Milius

1988: Appel d’urgence de Steve de Jarnatt

1995: Canadian Bacon de Michael Moore

1997: La Seconde Guerre de Sécession de Joe Dante

2000: Battle Royale de Kinji Fukasaku

2000: Point limite de Stephen Frears
2007: Fido d’Andrew Currie
2012: L’Aube Rouge de Dan Bradley

2013: American Nightmare de James DeMonaco

2020: Antebellum de Gerard Bush et Christopher Benz

2021: Don’t Look Up : déni cosmique d’Adam McKay

2022: Mad Heidi de Johannes Hartmann et Sandro Klopfstein

2024: Civil War d’Alex Garland

2024: Megalopolis de Francis Ford Coppola