

Jess Franco suit les déambulations d’une jeune femme hantée par des rêves étranges issus peut-être d’une vie antérieure…
NECRONOMICON
1968 – ALLEMAGNE / ESPAGNE / PORTUGAL
Réalisé par Jess Franco
Avec Janine Reynaud, Jack Taylor, Adrian Hoven, Howard Vernon, Nathalie Nort, Michel Lemoine, Pier A. Caminnecci, Americo Coimbra, Lina De Wolf, Eva Brauner
THEMA DIABLE ET DÉMONS
Amateurs de H.P. Lovecraft, passez votre chemin. Malgré le titre de ce long-métrage érotico-horrifique, rien ne saurait le rattacher à l’œuvre de l’inventeur du mythe de Cthulhu. Il y a fort à parier que Jess Franco s’est simplement servi du mot « Necronomicon » pour sa sonorité et l’atmosphère lugubre qu’il évoque. Le grimoire maudit brille donc par son absence. Le film est d’ailleurs connu sous d’autres titres sans doute plus proches de son sujet : Les Yeux verts du diable pour l’une de ses distributions sur le territoire français, ou Succubus pour son exploitation américaine et internationale. La première intention de Franco est de tourner son long-métrage en Espagne avec des fonds locaux. Mais la censure ibérique, alors très sévère, refuse de financer le film tel quel et exige une révision complète. Lorsque les Allemands proposent de produire Necronomicon en laissant au cinéaste la bride sur le cou, notre homme n’hésite pas une seconde. L’ex-mannequin Janine Reynaud en tiendra la vedette, aux côtés de Michel Lemoine (qui est à l’époque son époux), de Jack Taylor et d’Howard Vernon (acteur fétiche de Franco). Pour l’anecdote, on note que la garde-robe de l’actrice principale est l’œuvre d’un styliste allemand alors en plein essor : Karl Lagerfeld.


Janine Reynaud incarne Lorna Green, une artiste de cabaret spécialisée dans les reconstitutions de séquences sadomasochistes au cours desquelles elle simule la torture et l’assassinat de captifs ligotés sur des potences, face à un public snob et blasé. Son producteur William Francis Mulligan (Jack Taylor) est aussi son amant, avec lequel elle se livre à toutes sortes de jeux de séduction. Parfois, la belle est assaillie par des rêves étranges au cours desquels elle se voit comtesse dans un château portugais (la tour de Belem à Lisbonne), multipliant les aventures amoureuses et assassinant à l’arme blanche tous ses prétendants (hommes et femmes) comme si elle était en transe, manipulée par un homme étrange au regard émeraude (Michel Lemoine, dont les yeux perçants motivèrent sans doute le titre français du film, comme c’était déjà le cas pour Le Monstre aux yeux verts en 1962). Bientôt, Lorna se retrouve dans l’incapacité de faire la distinction entre la réalité et les rêves…
Rêves cotonneux et strip-teases maniérés
Bien malin serait celui capable de comprendre ce que Jess Franco essaie de nous raconter à travers ce scénario erratique qui enchaîne les scènes de rêves cotonneux, de strip-teases langoureux maniérés, de soirées mondaines décadentes absurdes, le tout saupoudré d’un érotisme bon chic bon genre nimbé de flous artistiques à la David Hamilton. Dans un éclair de sincérité, le cinéaste avouera lui-même ne pas trop savoir de quoi le film parle. Se laissant visiblement porter par une sorte d’écriture automatique, Franco est sous l’influence des surréalistes, d’où une poignée de séquences insolites comme l’intervention de ce vendeur ambulant de harpes d’occasion ou ce pianiste dont les partitions sont des pages de géométrie. Mais il s’imprègne aussi fortement du travail de la Nouvelle Vague française, mentionne dans les dialogues des noms de cinéastes un peu au hasard (Luis Buñuel, Fritz Lang, Jean-Luc Godard), cligne de l’œil vers les monstres du répertoire classique (la caméra se promène sur des figurines à l’effigie de L’Étrange créature du lac noir, Dracula, Le Fantôme de l’Opéra, Godzilla, le monstre de Frankenstein), concocte des séquences inspirées par Mario Bava (une jeune femme se croit assaillie par des mannequins en plastique), bref part dans tous les sens et nous laisse déconcertés.
© Gilles Penso
À découvrir dans le même genre…
Partagez cet article