DOUBLE ASSASSINAT DANS LA RUE MORGUE (1932)

Bela Lugosi incarne un savant fou désireux de transformer un gorille en chaînon manquant dans cette adaptation très libre d’Edgar Poe…

MURDERS IN THE RUE MORGUE

1932 – USA

Réalisé par Robert Florey

Avec Bela Lugosi, Sidney Fox, Leon Ames, Bert Roach, Brandon Hurst, Noble Johnson, Betty Ross Clarke, D’Arcy Corrigan, Arlene Francis, Herman Bing

THEMA SINGES

 

Avant qu’Arthur Conan Doyle n’invente Sherlock Holmes, Edgar Allan Poe mettait en place tous les codes du roman policier avec sa nouvelle Double assassinat dans la rue Morgue écrite en 1841. L’ingénieux détective Dupin, ancêtre évident d’Holmes, y enquêtait sur des meurtres brutaux attribués à un singe dans les brumes d’un vieux Paris sinistre et oppressant (que Poe n’avait jamais visité, mais qu’il imagina, selon ses propres dires, « en rêve »). Après le tournage d’une bobine d’essai pour une version de Frankenstein qui ne se concrétisera pas (c’est finalement James Whale et Boris Karloff qui hériteront du projet), le réalisateur Robert Florey et l’acteur Bela Lugosi (alors encore auréolé du succès de Dracula) prennent à bras le corps l’adaptation de la nouvelle de Poe, tâche facilitée par le fait que Florey est familier avec la capitale française. Pour autant, le cinéaste ne cherche pas à filmer une reconstitution 100% réaliste de la ville. Bâtis en studio, ses décors sont encore sous influence de l’expressionnisme allemand, avec leurs toits tordus et leurs ombres menaçantes, même si certains détails comme les textures des façades et les pavés des rues restent fidèles à ce qu’était Paris au 19ème siècle. Et c’est dans ce cadre mi-crédible mi-onirique que va s’inscrire cette fable hantée par le mythe éternel de la Belle et la Bête.

La musique du générique est « Le Lac des cygnes » de Tchaikovsky, comme pour créer une filiation artificielle avec le Dracula de Tod Browning. Le seul véritable point commun entre les deux films est pourtant la présence de Lugosi, qui entre ici dans la peau d’un personnage bien différent du vampire transylvanien, mais tout autant inquiétant. Au cœur de la foire foisonnante qui se tient en plein Paris en 1845, alors que s’agitent pour les badauds des danseuses du ventre orientales et des apaches venus d’Amérique, l’attraction principale est Erik, le « gorille au cerveau humain ». Le sourcil touffu et le cheveu hirsute, Lugosi incarne le docteur Mirakle. « Je ne présente pas un monstre, une aberration de la nature, mais un des chaînons du développement de la vie », affirme-t-il avec emphase, avec son accent roumain si caractéristique, face aux visiteurs et aux curieux. Exalté, notre homme s’est mis en tête de mélanger le sang de son singe avec celui d’êtres humains afin de créer le chaînon manquant. Et pour y parvenir, il va lui falloir occire quelques jeunes femmes…

Un gorille dans la brume

Florey fait le choix surprenant d’alterner au montage les plans d’un homme dans un costume velu avec ceux d’un vrai chimpanzé pour donner corps à son singe, ce qui accentue le trouble sur la nature exacte de la créature. Comme tout savant fou qui se respecte, Lugosi est épaulé par un assistant contrefait qui répond au doux nom de Janos et possède lui-même des traits assez simiesques. Le motif de la Belle et la Bête se formule très tôt, dès lors que le singe dans sa cage montre un intérêt particulier pour Camille, la fiancée de Dupin (qui n’est pas ici détective mais étudiant en médecine). « Il sait reconnaître la beauté », dit alors fièrement Lugosi en parlant de son compagnon poilu. Cette attirance prendra les atours d’une course-poursuite finale préfigurant celle de King Kong avec un an d’avance, puisque le primate emportera la belle dans ses bras au moment du climax en grimpant sur les toits de la ville, pris en chasse par des autorités dépassées. La force de cette séquence finale est accentuée par la très belle photographie du chef opérateur Karl Freund, qui passera à la réalisation la même année à l’occasion de La Momie. Hélas, ce Double assassinat dans la rue Morgue n’aura pas le succès espéré et poussera Lugosi à glisser lentement mais sûrement vers les séries B de plus en plus anecdotiques. La nouvelle d’Edgar Poe connaîtra quant à elle plusieurs autres adaptations au cinéma et à la télévision.

 

© Gilles Penso

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