HERETIC (2024)

À contre-emploi, Hugh Grant incarne un homme étrange que viennent visiter deux jeunes missionnaires envoyées par une église mormone…

HERETIC

 

2024 – USA / CANADA

 

Réalisé par Scott Beck et Bryan Woods

 

Avec Hugh Grant, Sophie Thatcher, Chloe East, Topher Grace, Elle Young, Julie Lynn Mortensen, Elle McKinnon, Hanna Huffman, Anesha Bailey, Miguel Castillo

 

THEMA TUEURS I DIEU, LES ANGES ET LA BIBLE

Scott Beck et Bryan Woods ayant écrit l’histoire du remarquable Sans un bruit avant de se lancer dans la mise en scène du poussif 65 : la Terre d’avant, il était difficile de savoir à quoi s’attendre face à leur nouvel opus, un thriller horrifique bâti autour du sujet épineux de la croyance religieuse. L’idée leur vient suite à une série de discussions tournant autour de deux films n’ayant à priori aucun lien l’un avec l’autre : Le Souffle de la haine et Contact. « Beaucoup de films d’horreur utilisent le catholicisme comme justification d’une sorte de menace surnaturelle », explique Bryan Woods. « Mais il est très rare de voir des films comme ceux de Stanley Kramer et Robert Zemeckis capables de discourir de manière adulte sur la religion tout en restant destinés au grand public. Nous rêvions nous-mêmes, avec Scott, de réaliser un jour un film qui aborde tous nos sentiments, toutes nos peurs, toutes les choses que nous trouvons belles et terrifiantes à propos de la religion. Mais pour être honnête, cela semblait impossible. » (1) Il faudra un drame personnel, le décès du père de Bryan Woods, pour décider les deux hommes à franchir le pas. Choisir Hugh Grant pour incarner le rôle principal, celui d’un homme étrange au comportement de plus en plus inquiétant, peut sembler surprenant. Mais l’ex-star des comédies romantiques des années 90 cherche justement à casser son image. En ce sens, Heretic tombe à point.

Pour éviter de décrire le mormonisme de manière caricaturale et simpliste, Beck et Woods s’entretiennent avec de nombreux représentants de l’église et poussent même la minutie jusqu’à embaucher dans le rôle des deux jeunes missionnaires du film deux actrices qui furent elles-mêmes élevées dans la religion mormone avant de s’en éloigner. Leur discours, leur comportement et leurs relations sonnent donc très juste. Dès qu’elles entrent en scène, dans le rôle de sœur Barnes et de sœur Paxton, il n’est pas difficile de croire à leurs personnages. L’une semble confiante et plutôt sûre d’elle, l’autre timide et un peu plus introvertie. Elles ont répété leur petite routine de nombreuses fois. Aussi, lorsqu’elles pénètrent sur le seuil de la maison de Monsieur Reed, un homme anglais d’âge moyen aux petites manies étranges, leur numéro est bien rôdé. Sauf que Reed, qui les invite à discuter avec lui dans le salon pendant que sa femme prépare une tarte aux myrtilles, a un comportement de plus en plus déconcertant et se met à aborder le sujet de la religion sous un angle embarrassant qui rend la situation très inconfortable. Peu à peu, les choses vont dégénérer…

Crise de foi

L’aspect le plus fascinant d’Heretic est sa remise en question des croyances, de la foi et de l’endoctrinement. L’intention de Scott Beck et Bryan Woods n’est pas nécessairement de tirer à coups de boulets rouges sur les religions mais d’en démonter les mécanismes et d’analyser ce qui pousse les fidèles à se plier à leurs règles, si irrationnelles et incohérentes soient-elles. L’argument que défend Reed face à ses deux visiteuses repose sur l’idée que chaque confession est l’itération (le plagiat ?) d’une conviction précédente, et que toutes ces variantes finissent par masquer ce qu’est la « vraie religion ». Pour étayer son propos, l’homme multiplie les exemples : les jeux de sociétés, les reprises musicales ou les pensées philosophiques et théologiques réadaptées à la culture populaire. Ainsi, une même citation peut évoquer Voltaire ou Spider-Man, Robert Frost ou la Créature du Marais ! L’immaculée conception elle-même n’a-t-elle pas été revisitée dans La Menace fantôme ? Mais Heretic ne se borne évidemment pas à un simple échange d’opinions autour d’une table basse. Le huis-clos devient de plus en plus étouffant, à mesure que l’invitation de Reed prend la tournure d’un piège dont l’issue semble fatale. Discrète, la mise en scène de Beck et Woods n’en est pas moins redoutablement efficace, osant quelques échappées lyriques comme cet hallucinant plan en plongée au-dessus d’une maquette qui fusionne l’espace d’un instant deux échelles distinctes et rappelle le plan d’ouverture d’Hérédité. Heretic est donc une excellente surprise, doublée d’un joli succès critique et public.

 

(1) Extrait d’une interview publiée dans Gizmodo en novembre 2024

 

© Gilles Penso


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